Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SARL le Café 56 Cours Mirabeau a demandé au tribunal administratif de Marseille d’annuler la décision du 4 septembre 2015 par laquelle le maire de la commune d’Aix-en-Provence a refusé de lui accorder l’autorisation d’installer une terrasse au droit de son établissement sur le domaine public, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 9 octobre 2015 et reçu le 20 octobre 2015.
Par un jugement n° 1601277 du 16 juillet 2018, le tribunal administratif de Marseille a annulé ces décisions et a enjoint à la commune d’Aix-en-Provence de procéder à un nouvel examen de la demande d’autorisation d’occupation du domaine public communal présentée par la SARL le Café 56 Cours Mirabeau.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 septembre 2018 et 27 mai 2020, sous le n° 18MA04278, la commune d’Aix-en-Provence, représentée par Me A…, demande à la Cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 16 juillet 2018 ;
2°) de rejeter la demande de la SARL le Café 56 Cours Mirabeau ;
3°) de mettre à la charge de la SARL le Café 56 Cours Mirabeau la somme de 2 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– le tribunal a méconnu le principe du contradictoire et s’est octroyé la possibilité d’enrôler l’affaire à une seconde audience dans l’unique but de chercher à régulariser un vice de procédure entachant sont jugement d’irrégularité ;
– elle ne s’est pas sentie liée par l’avis de l’architecte des bâtiments de France dès lors qu’elle a fourni sa propre appréciation lors de l’examen de la demande en litige en retenant deux autres motifs ;
– elle aurait pris la même décision en se fondant seulement sur ces deux autres motifs justifiés au fond tirés de l’existence de travaux sans autorisation d’urbanisme et de l’occupation irrégulière du domaine public ;
– elle demande à la Cour de procéder à une substitution du motif jugé illégal par le motif lié, d’une part, au non-respect des articles 3-2 (A1) et 3-2 (A3) du plan de sauvegarde et de mise en valeur d’Aix-en-Provence (PSMV) et, d’autre part, aux conditions irrégulières d’exploitation de la terrasse.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juin 2020, la SARL le Café 56 Cours Mirabeau, conclut au rejet de la requête de la commune d’Aix-en-Provence et demande à la Cour de mettre à sa charge la somme de 2 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la commune d’Aix-en-Provence ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code général de la propriété des personnes publiques ;
– le code de commerce ;
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme E…,
– les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,
– et les observations de Me B… substituant Me A…, pour la commune d’Aix-en-Provence et de Me C…, pour la SARL le Café 56 Cours Mirabeau.
Considérant ce qui suit :
1. La commune d’Aix-en-Provence relève appel du jugement du 16 juillet 2018 du tribunal administratif de Marseille qui a annulé la décision du 4 septembre 2015 par laquelle elle a refusé d’accorder à la SARL le Café 56 Cours Mirabeau l’autorisation d’installer une terrasse au droit de son établissement sur le domaine public, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux notifié le 20 octobre 2015.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D’une part, aux termes de l’article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques : » Nul ne peut, sans disposer d’un titre l’y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 ou l’utiliser dans des limites dépassant le droit d’usage qui appartient à tous. « .
3. D’autre part, aux termes de l’article 3-2 (A1) du plan de sauvegarde et de mise en valeur d’Aix-en-Provence : » Les espaces en blanc situés sur le domaine public, à savoir les places et rue existantes, sont principalement destinés à l’accueil des circulations piétonnes, automobiles et des deux-roues. Seuls les aménagements publics nécessaires au fonctionnement du lieu y sont autorisés sous réserve d’être compatibles avec les orientations d’aménagement « . Aux termes de l’article 3-2 (A3) du même plan relatif aux perspectives à préserver : » Ces perspectives sont matérialisées par une ligne noir épaisse, avec une ou deux flèches aux extrémités, selon l’orientation des vues repérées sur le site. Toute intervention concernant un immeuble bâti ou un espace libre, situé dans une perspective ainsi repérée, doit permettre le maintien et la mise en valeur de cette perspective dans tout son champ de vision. La suppression des obstacles visuels nuisant à la lecture des perspectives peut être imposée « .
4. Il appartient au maire, dans l’exercice de ses pouvoirs de gestion du domaine public, de réglementer les conditions de l’utilisation privative de ce domaine, et notamment de subordonner une telle utilisation à la délivrance préalable d’une autorisation dont il doit alors déterminer les conditions d’obtention. Cette réglementation doit également répondre à des considérations tenant à l’intérêt du domaine public et à son affectation à l’intérêt général suffisant.
5. Pour rejeter, par la décision contestée, la demande de la SARL le Café 56 Cours Mirabeau tendant à obtenir une autorisation d’installer une terrasse au droit de son établissement sur le domaine public, la commune d’Aix-en-Provence s’est fondée, d’une part, sur l’avis défavorable émis par l’architecte des bâtiments de France, considérant que le projet serait contraire aux documents réglementaires du plan de sauvegarde et de mise en valeur du patrimoine urbain de la ville (PSMV), dès lors que l’installation d’une terrasse nouvelle sur le cours Mirabeau serait de nature à porter atteinte à la qualité de cette perspective monumentale à préserver et nuirait gravement à la qualité du champ de vision et à la lisibilité de l’ensemble architectural et urbain des façades sur le Cours, et, d’autre part, sur les circonstances que la société requérante a effectué des travaux à l’intérieur de son local et en façade sans autorisation d’urbanisme avec avis conforme de l’architecte des bâtiments de France et qu’il a été constaté qu’elle installait des mobiliers en terrasse sans autorisation, en méconnaissance des dispositions de l’article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques et de l’arrêté municipal n° 288 du 14 mars 2012 réglementant les terrasses sur la voie publique.
6. Il ressort de la décision en litige que la commune d’Aix-en-Provence s’est bornée à reproduire intégralement l’avis défavorable émis par l’architecte des bâtiments de France sans se l’approprier. Elle s’est ainsi cru liée par cet avis et a dès lors entaché cette décision d’incompétence négative. Par ailleurs, les deux autres motifs liés à la réalisation de travaux dans un immeuble n’appartenant pas au domaine public sans autorisation d’urbanisme et à l’occupation irrégulière du domaine public pour lesquels la commune elle-même a indiqué en première instance qu’ils étaient surabondants n’étaient pas de nature à fonder légalement une décision de refus d’autorisation d’occuper le domaine public laquelle n’est pas régie par le code de l’urbanisme et visait à régulariser la situation de la société intimée.
7. L’administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l’excès de pouvoir que la décision dont l’annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l’auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d’apprécier s’il résulte de l’instruction que l’administration aurait pris la même décision si elle s’était fondée initialement sur ce motif. Dans l’affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu’elle ne prive pas le requérant d’une garantie procédurale liée au motif substitué.
8. En appel, la commune d’Aix-en-Provence demande à la Cour de substituer les motifs de la décision contestée mentionnés au point 5 par le motif tiré du non-respect des articles 3-2 (A1) et 3-2 (A3) du plan de sauvegarde et de mise en valeur d’Aix-en-Provence (PSMV). Il résulte de l’instruction, plus particulièrement de l’extrait du règlement graphique de ce plan, que l’implantation de la terrasse en litige, en haut du cours Mirabeau, se situe sur un espace blanc du domaine public interdit aux terrasses dès lors qu’il est principalement destiné à l’accueil des circulations piétonnes, automobiles et des deux-roues ainsi que dans un axe de champ visuel d’une perspective à préserver de la place Forbin. Un tel motif lié à la préservation de la circulation et de l’esthétique de l’espace public à mettre en valeur répond à des considérations tenant à l’intérêt du domaine public et à son affectation à l’intérêt général. La circonstance que par un courrier du 30 août 2016, le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur aurait informé le service de l’urbanisme de la mairie d’Aix-en-Provence que » cet espace se situe hors de la protection au titre des monuments historiques et son instruction ne relève pas de la conservation régionale des monuments historiques, qui s’en remet à l’architecte des Bâtiments de France au titre des secteur sauvegardé » est sans incidence. Il en va de même des circonstances à les supposer établies qu’il n’y aurait aucune distinction entre les établissements situés du côté des numéros pairs et ceux situés sur la rive des numéros impairs et de ce que des terrasses seraient implantées en plein milieu du cours Mirabeau. Cette substitution ne prive pas la SARL le Café 56 Cours Mirabeau d’une garantie procédurale. Il y a dès lors lieu d’y faire droit.
9. Il résulte de ce qui précède que c’est à tort que le tribunal administratif de Marseille s’est fondé sur le moyen tiré de l’erreur de droit pour annuler la décision du 4 septembre 2015 de la commune d’Aix-en-Provence et la décision implicite de rejet de son recours gracieux.
10. Toutefois, il appartient à la cour administrative d’appel, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par la SARL le Café 56 Cours Mirabeau devant le tribunal administratif de Marseille et la Cour.
Sur les autres moyens invoqués par la SARL le Café 56 Cours Mirabeau :
11. Aux termes de l’article L. 420-1 du code de commerce : » Sont prohibées même par l’intermédiaire direct ou indirect d’une société du groupe implantée hors de France, lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu’elles tendent à : / 1° Limiter l’accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d’autres entreprises ; (…) « . L’article L. 420-2 du même code dispose que : » Est prohibée, dans les conditions prévues à l’article L. 420-1, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées. (…) « .
12. L’autorité chargée de la gestion du domaine public peut autoriser une personne privée à occuper une dépendance de ce domaine en vue d’y exercer une activité économique, à la condition que cette occupation soit compatible avec l’affectation et la conservation de ce domaine. La décision de délivrer ou non une telle autorisation, que l’administration n’est jamais tenue d’accorder, n’est pas susceptible, par elle-même, de porter atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie, dont le respect implique, d’une part, que les personnes publiques n’apportent pas aux activités de production, de distribution ou de services exercées par des tiers des restrictions qui ne seraient pas justifiées par l’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi et, d’autre part, qu’elles ne puissent prendre elles-mêmes en charge une activité économique sans justifier d’un intérêt public. La personne publique ne peut toutefois délivrer légalement une telle autorisation lorsque sa décision aurait pour effet de méconnaître le droit de la concurrence, notamment en plaçant automatiquement l’occupant en situation d’abuser d’une position dominante, contrairement aux dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce. Par suite, la décision contestée ne saurait être regardée comme portant une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre et à la liberté du commerce et de l’industrie.
13. Le moyen tiré de l’abus de position dominante est dépourvu de précisions suffisantes de nature à en apprécier le bien-fondé.
14. Le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que l’autorité administrative règle de façon différente des situations différentes, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la décision qui l’établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.
15. Il ressort de la configuration des lieux que l’établissement exploité par la société le Café 56 Cours Mirabeau n’est pas placé dans la même situation que les autres commerces, plus particulièrement les restaurants et les brasseries, bénéficiant d’une terrasse sur le cours Mirabeau. Par suite, la société requérante n’est pas fondée à invoquer la méconnaissance du principe d’égalité ainsi qu’une discrimination. Les circonstances à les supposer établies que l’installation d’une terrasse serait indispensable à son activité et qu’elle serait dans une situation financière difficile sont sans incidence.
16. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision contestée serait entachée d’un détournement de pouvoir.
17. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin de statuer sur sa régularité, que la commune d’Aix-en-Provence est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille annulé la décision du 4 septembre 2015 du maire de la commune d’Aix-en-Provence, ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux de la SARL le Café 56 Cours Mirabeau.
Sur les frais liés au litige :
18. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune d’Aix-en-Provence, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la SARL le Café 56 Cours Mirabeau au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la commune d’Aix-en-Provence présentées sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 16 juillet 2018 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la SARL le Café 56 Cours Mirabeau devant le tribunal administratif de Marseille et le surplus de ses conclusions sont rejetés.
Article 3 : Les conclusions de la commune d’Aix-en-Provence présentées sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d’Aix-en-Provence et à la SARL le Café 56 Cours Mirabeau.
Délibéré après l’audience du 16 octobre 2020, où siégeaient :
– M. Pocheron, président de chambre,
– M. Guidal, président assesseur,
– Mme E…, première conseillère.
Lu en audience publique, le 30 octobre 2020.
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N° 18MA04278
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