CAA de MARSEILLE, 7ème chambre, 26/06/2020, 19MA02703, Inédit au recueil Lebon

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CAA de MARSEILLE, 7ème chambre, 26/06/2020, 19MA02703, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G… H… a demandé au tribunal administratif de Nice d’annuler la décision en date du 23 octobre 2017 par laquelle l’inspecteur du travail en charge de la 2ème section de l’unité territoriale des Alpes-Maritimes a autorisé son licenciement

Par un jugement n° 1705720 du 9 avril 2019, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 juin 2019 et le 10 décembre 2019, M. H…, représenté par Me Gailhbaud, demande à la Cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 9 avril 2019 ;

2°) d’annuler la décision en date du 23 octobre 2017 par laquelle l’inspecteur du travail en charge de la 2ème section de l’unité territoriale des Alpes-Maritimes a autorisé son licenciement ;

3°) de mettre à la charge de la société Cannes Centre Croisette et de l’Etat, la somme de 1 500 euros chacun au titre de l’article L 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

– la décision en litige est insuffisamment motivée s’agissant de l’absence de lien entre la demande de licenciement et le mandat détenu ; l’inspecteur du travail a ainsi méconnu l’étendue de sa compétence ;

– l’employeur n’a pas été valablement identifié par l’inspecteur du travail ;

– l’inspecteur a considéré à tort que le départ de son poste dans la nuit du 30 au 31 juillet 2017 était fautif ;

– la matérialité des faits de concurrence déloyale n’est pas établie ;

– le caractère fautif des faits reprochés ne peut être retenu ;

– les faits qui lui sont reprochés ne constituent pas une faute d’une gravité suffisante pour justifier son licenciement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 août 2019, la Sas Cannes Centre Croisette, représentée par Maître Donat, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l’appelant d’une somme de 6 000 euros au titre de l’article L 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. H… ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 décembre 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Elle soutient s’en remettre aux observations formulées par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi de Provence-Alpes-Côte d’Azur devant le tribunal administratif de Nice.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code du travail ;

– le code du commerce ;

– la loi n° 2017-257 du 28 février 2017 ;

– le décret n° 2017-913 du 9 mai 2017 ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme Féménia,

– les conclusions de M. Chanon,

– et les observations de Me Gailhbaud représentant M. H… et de Me Donat représentant la Sas Cannes Centre Croisette.

Considérant ce qui suit :

1. M. G… H… a été embauché le 1er juillet 1983 par la société Casino 3.14, désormais dénommée Sas Cannes Centre Croisette, qui exploite un casino de jeux d’argent et de hasard à Cannes, sous l’enseigne commerciale  » 3.14 Casino « . Il occupait en dernier lieu le poste de chef de partie au sein du casino et était par ailleurs, membre du comité de groupe, membre du comité d’entreprise, délégué du personnel, représentant de section syndicale au CHSCT et candidat aux élections prud’homales. Par courrier du 21 août 2017, la société Casino Centre Croisette a sollicité l’autorisation de licencier M. H… pour motif disciplinaire. Par décision en date du 23 octobre 2017, l’inspecteur du travail, en charge de la 2ème section de l’unité territoriale des Alpes-Maritimes de la DIRECCTE Provence-Alpes-Côte d’Azur a autorisé le licenciement de l’intéressé. M. H… relève appel du jugement du 9 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cette décision.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. En premier lieu, d’une part, aux termes de l’article R. 2421-12 du code du travail :  » La décision de l’inspecteur du travail est motivée. « . Cette motivation doit comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. D’autre part, en vertu de l’article R. 2421-16 du même code :  » L’inspecteur du travail et, en cas de recours hiérarchique, le ministre, examinent notamment si la mesure de licenciement envisagée est en rapport avec le mandat détenu, sollicité ou antérieurement exercé par l’intéressé. « .

3. Il ressort des pièces du dossier que la décision du 23 octobre 2017 par laquelle l’inspectrice du travail a autorisé le licenciement de M. H… vise notamment les articles L. 2411-5 et R. 2421-8 et suivants du code du travail, précise que M. H… est membre du comité d’entreprise, membre du comité de groupe Partouche, représentant de la section syndicale FO du CHSCT, délégué du personnel titulaire et candidat aux élections au conseil des prud’hommes, examine chacun des trois griefs articulés par l’employeur, retient pour deux d’entre eux la matérialité de la faute invoquée et pour l’un d’entre eux son caractère de gravité suffisant pour justifier d’un licenciement et précise enfin que la procédure de licenciement est sans lien avec le mandat de l’intéressé. L’administration a ainsi été mise à même de porter son appréciation en toute connaissance de cause sur l’ensemble des protections et mandats détenus par le salarié. Par ailleurs, la décision autorisant le licenciement n’a pas à exposer les raisons pour lesquelles l’inspecteur du travail a estimé que la procédure était dépourvue de lien avec le mandat exercé. Il suit de là que les moyens tirés de l’insuffisance de motivation de la décision du 23 octobre 2017 et de la méconnaissance de l’étendue de la compétence de l’administration doivent être écartés comme manquant en fait.

4. En deuxième lieu, si l’appelant soutient que l’inspecteur du travail a dénommé à tort son employeur sous l’identité  » société casino 3.14 « , alors qu’il s’agit de la  » Sas Cannes Centre Croisette « , cette circonstance n’a aucune incidence sur la légalité de la décision en litige dès lors qu’au regard des pièces produites par l’employeur à l’appui de sa demande d’autorisation de licenciement, la détermination de son identité et de sa qualité ne crée pas de doute.

5. En troisième lieu, en cas de licenciement d’un salarié protégé, les dispositions de l’article L. 1235-1 du code du travail, dans leur version applicable au présent litige, prévoient qu’ » En cas de litige (…), le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. (…) Si un doute subsiste, il profite au salarié « . En vertu de ces dispositions, et dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l’inspecteur du travail saisi, et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d’une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l’ensemble des règles applicables au contrat de travail de l’intéressé et des exigences propres à l’exécution normale du mandat dont il est investi. En outre, pour refuser l’autorisation sollicitée, l’autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d’intérêt général relevant de son pouvoir d’appréciation de l’opportunité, sous réserve qu’une atteinte excessive ne soit pas portée à l’un ou l’autre des intérêts en présence.

6. En l’espèce, la demande d’autorisation de licenciement du salarié protégé est fondée sur trois griefs tirés de la constitution d’une société concurrente sur le temps et le lieu de travail, d’un abandon de poste dans la nuit du 30 juillet au 31 juillet 2017 et d’une violation de l’obligation de loyauté en raison de faits de concurrence à l’égard de l’employeur. L’inspecteur du travail a écarté le grief de constitution d’une société concurrente sur le temps et le lieu de travail en raison de la prescription de l’action disciplinaire, et n’a retenu la matérialité des faits fautifs que pour les deux autres griefs. Il a cependant estimé que seule la faute de concurrence déloyale présentait un caractère de gravité suffisant pour justifier l’autorisation de licenciement. Par suite, si l’appelant conteste le caractère fautif de l’abandon de poste, ce grief ne fondant pas la décision de l’inspecteur du travail, le moyen doit être écarté comme inopérant.

7. S’agissant des faits de concurrence vis-à-vis de l’employeur, il est plus précisément reproché à M. H… d’avoir activement participé à la réouverture du casino de Grasse en se positionnant notamment comme actionnaire majoritaire de la Sas Victoria, repreneur du casino, resté fermé pendant deux ans à la suite de sa liquidation judiciaire.

8. D’une part, il résulte de l’instruction que M. H…, qui occupait le poste de  » chef de partie jeux traditionnels  » au sein du casino exploité par la Sas Cannes Centre Croisette, a été désigné par délibération du conseil municipal de Grasse du 19 janvier 2016 en qualité de délégataire de service public du casino de Grasse en son nom propre jusqu’au 29 février 2016. Cette délégation a alors été transférée à la Sas Casino Victoria créée le 23 février 2016, dont il a détenu la qualité de président et de mandataire social jusqu’au 15 juin 2017, ainsi que la qualité d’actionnaire majoritaire à tout le moins jusqu’au 5 juillet 2017. Si l’inspecteur du travail a commis une erreur en utilisant le terme de directeur en lieu et place de celui de président, cette erreur n’a aucune incidence sur la matérialité des faits dès lors que le président d’une Sas, contrairement à ce que soutient l’appelant, n’en est pas le simple mandataire social. Conformément à l’article L. 227-6 du code du commerce, le président est le représentant légal de la société, et à ce titre est investi des pouvoirs les plus étendus de représentation et d’engagement de la société à l’égard des tiers. Il peut, dans le cadre des dispositions statutaires, désigner un directeur général délégué dont il détermine librement les pouvoirs. Peu importe à cet égard que M. H… n’aurait pas participé effectivement à la gestion du casino de Grasse dès lors qu’il n’en exerçait pas la direction, fonction dévolue à M. C… F…, directeur général délégué de la Sas Casino Victoria. Par ailleurs, si M. H… soutient qu’à compter du 6 juillet 2017, il n’était plus qu’actionnaire minoritaire au sein la Sas Casino Victoria, à la suite d’une cession d’une partie de ses actions à M. D… ainsi qu’à M. F…, lequel est ainsi devenu l’actionnaire majoritaire de ladite société, d’une part, la cession d’actions à M. D…, qui est passé de 5,56 % du capital à 23,96 % nécessitait, pour être effective, l’autorisation préalable du ministre de l’intérieur conformément aux dispositions combinées des articles L. 323-3 et R. 321-18 du code de la sécurité intérieure fixant le premier seuil au vingtième du capital ou des droits de vote. Contrairement à ce que soutient l’appelant, le régime juridique de l’autorisation préalable du ministre de l’intérieur dans le cadre de la cession d’actions de sociétés exploitant un casino était applicable en l’espèce puisque les dispositions de l’article L. 323-3 du code de la sécurité intérieure issues de la loi du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain, notamment son article 34, sont entrées en vigueur le 9 mai 2017, date du décret d’application relatif aux conditions de l’expérimentation des clubs de jeux à Paris et portant diverses dispositions relatives aux casinos. L’inspecteur du travail n’a donc commis aucune erreur de fait ou de droit en retenant que M. H… ne justifiait pas de l’autorisation ministérielle requise préalablement à la cession d’actions qui, en outre, n’a acquis une date certaine à l’égard des tiers qu’à compter de sa date d’enregistrement le 1er août 2017, soit postérieurement à l’engagement de la procédure de licenciement à l’encontre de l’intéressé. En outre, M. H… a renoncé à son poste de président et a cédé très tardivement ses actions alors que l’employeur lui avait indiqué dès le 28 octobre 2016 que son rôle au sein du casino de Grasse était incompatible avec son emploi. Enfin et comme l’inspecteur du travail l’a estimé, le fait d’être un actionnaire minoritaire, compte tenu du rôle joué par l’intéressé au sein de la Sas Victoria lors de la reprise du casino de Grasse, suffit à caractériser sa participation active à cette reprise. L’intéressé a en effet quitté ses fonctions de président le 15 juin 2017 et il est devenu actionnaire minoritaire le 6 juillet 2017 alors que le casino de Grasse a ouvert ses portes à cette même dernière date. Par suite, les agissements reprochés à M. H… sont établis.

9. D’autre part, en vertu de l’article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. Par conséquent, tout salarié a l’obligation pendant l’exécution de son contrat de travail, de s’abstenir de tout acte nuisible aux intérêts de l’entreprise, notamment les actes de concurrence. L’ensemble des agissements analysés au point précédent, dont M. H… est l’auteur, caractérisent des actes de concurrence à l’égard de son employeur alors qu’il était tenu à une obligation de loyauté et d’exécution de bonne foi de son contrat. L’inspecteur du travail a donc retenu à bon droit qu’ils constituaient une faute. Si M. H… conteste ce caractère fautif en soutenant que les deux casinos appartiennent à deux bassins économiques distincts, toutefois, indépendamment de la taille des établissements concernés et des recettes respectivement générées, de la distinction des offres de services qui en tout état de cause répondent à un besoin identique de la clientèle, ainsi que du nombre et de la domiciliation des abonnés, eu égard tant à l’identité d’activité relevant du même marché économique, à savoir les jeux de hasard, qu’à la proximité géographique des deux casinos en cause distant de seulement dix-neuf kilomètres, ces derniers sont en situation de concurrence. Par suite, M. H… n’est pas fondé à soutenir que les faits qui lui sont reprochés ne caractérisent pas une faute.

10. Enfin, il est établi en l’espèce, que M. H…, qui occupait les fonctions de cadre au sein du casino 3.14, s’est porté acquéreur, dans le cadre de procédures collectives, du casino de Grasse par un important apport en capital, a été désigné délégataire de service public en vue de l’exploitation de ce casino, a exercé les fonctions de président et de mandataire social au sein de la Sas Casino Victoria repreneur du casino de Grasse, concourant ainsi activement et personnellement à la création d’une entreprise susceptible de concurrencer son employeur, exploitant le casino de Cannes. Au regard de ces éléments, M. H… ne saurait sérieusement prétendre n’avoir eu qu’une attitude passive dans le projet de la Sas Casino Victoria, sans intention de participer à l’exploitation du casino de Grasse. Par suite, dans les circonstances de l’espèce, les faits reprochés au salarié protégé, dont la matérialité est établie, constituent une faute d’une gravité suffisante pour justifier son licenciement.

11. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées en défense par la société Casino Centre Croisette, que M. H… n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l’Etat d’une part et la société Casino Centre Croisette d’autre part, qui n’ont pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, versent une somme à M. H… au titre des frais liés au litige. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de ce dernier la somme de 2 000 euros à verser à la société Casino Centre Croisette sur le fondement de ces mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. H… est rejetée.

Article 2 : M. H… versera à la société Casino Centre Croisette une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. G… H…, à la ministre du travail et à la Sas Cannes Centre Croisette.

Délibéré après l’audience du 12 juin 2020, où siégeaient :

– M. Pocheron, président de chambre,

– M. Guidal, président assesseur,

– Mme Féménia, première conseillère.

Lu en audience publique, le 26 juin 2020.

N° 19MA02703

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