Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Sarl Les Galets a demandé au tribunal administratif de Nice d’ordonner la saisine du tribunal des conflits aux fins de lui poser la question préjudicielle suivante : » Le tribunal administratif est-il compétent pour examiner la responsabilité contractuelle de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var (SA YCISV) à l’égard de ses actionnaires de catégorie C au regard des statuts de la SA qui lui confèrent la jouissance à titre exclusif d’un local commercial situé sur le domaine public maritime ‘ « , de prononcer un sursis à statuer dans l’attente de la décision rendue par le tribunal des conflits et, dans l’hypothèse où le tribunal ne ferait pas droit à la mesure d’instruction sollicitée, de condamner la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var à lui verser la somme de 507 693 euros majorée des intérêts de retard, sauf à parfaire.
Par un jugement n° 1304828 du 28 mars 2017, le tribunal administratif de Nice a condamné la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var à verser à la Sarl Les Galets une somme de 85 622,32 euros assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception de sa demande préalable en date du 7 novembre 2013.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête et un mémoire, enregistrés les 2 mai 2017 et 1er avril 2019, sous le n° 17MA01827, la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var, représentée par Me A…, demande à la Cour :
1°) d’annuler ce jugement du 28 mars 2017 du tribunal administratif de Nice ;
2°) de rejeter les demandes de la Sarl Les Galets ;
3°) de mettre à la charge de la Sarl Les Galets la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
s’agissant de sa responsabilité contractuelle :
– elle n’a pas manqué à ses obligations dès lors que son refus de délivrance d’un contrat d’amodiation à la Sarl Les Galets est fondé, cette société ayant un objet statutaire de gestion patrimoniale et n’exerçant aucune activité effective dans les cellules ni n’étant porteuse d’aucun projet d’exploitation ;
– les documents statutaires ne conféraient pas aux actionnaires un droit à la conclusion de baux commerciaux ;
– la Sarl Les Galets ne lui a pas indiqué qu’elle entendait consentir un bail commercial ;
– l’actionnaire ne peut rechercher la responsabilité de la personne morale du fait des statuts auxquels il adhère ;
– la Sarl les Galets a directement concouru en tant qu’actionnaire passif favorable au maintien des clauses réputées litigieuses au préjudice dont elle se prévaut et ne peut se prévaloir de sa propre turpitude d’actionnaire et de dirigeant ;
s’agissant de sa responsabilité quasi délictuelle :
– la demande la Sarl Les Galets sur ce fondement était nouvelle et dès lors irrecevable ;
– le principe de non cumul des responsabilités contractuelle et quasi délictuelle s’oppose à sa condamnation sur ce fondement ;
– la décision n° 352402 du 24 novembre 2014 du Conseil d’Etat n’est pas transposable au présent litige ;
– la Sarl Les Galets ne peut prétendre à aucun préjudice de perte d’exploitation dès lors qu’elle n’a jamais exploité les cellules commerciales et que l’occupation du domaine public n’était pas conforme.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er mars 2019, la Sarl Les Galets, représentée par Me C…, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var la somme de 4 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var ne sont pas fondés.
II. Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 juin 2017 et 7 juillet 2017, sous le n° 17MA02283, la Sarl Les Galets, représentée par Me C… demande à la Cour :
1°) de procéder à la jonction de la présente instance avec celle enregistrée sous le n° 17MA01827 ;
2°) d’annuler ce jugement du 28 mars 2017 du tribunal administratif de Nice, en tant qu’il a condamné la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var a lui verser seulement la somme de 85 622,32 euros majorée des intérêts de retard ;
3°) de condamner la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var à lui verser la somme de 507 693 euros majorée des intérêts de retard ;
4°) de mettre à la charge de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– le jugement attaqué est insuffisamment motivé quant à la non prise en compte du coût de la construction ;
– il n’a pas répondu à ses conclusions en ce qu’il a écarté sa demande d’indemnisation de son préjudice lié à la perte de bénéfice du mois de juillet 2011 au mois de juillet 2015 ;
– il a commis une erreur de droit et une erreur d’appréciation pour avoir circonscrit l’indemnisation de son préjudice à la seule perte locative des cellules commerciales sans tenir compte de la perte d’exploitation ;
– subsidiairement, elle est fondée à demander à réclamer un manque à gagner tiré de la perte locative pour la période de février 2002 à juillet 2015 majorée du l’indice du coût de la construction ;
– le partage de responsabilité retenu à hauteur de 50 % est erroné ;
– subsidiairement, la responsabilité contractuelle de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var devra être retenue dès lors qu’il lui incombait d’informer ses amodiataires sur la signification de la notion de jouissance à titre exclusive des cellules commerciales ;
– cette responsabilité sera engagée à compter du mois de juillet 2011 en raison du refus de lui accorder le contrat d’amodiation qu’elle réclamait ;
– elle justifie d’un préjudice moral distinct de son préjudice financier lié aux affres du contentieux et des » tracas » liés à la gestion » pitoyable » du port.
La requête a été communiquée à la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var qui n’a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code général de la propriété des personnes publiques ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme F…,
– les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,
– et les observations de Me A…, représentant la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var et de Me C…, représentant la Sarl Les Galets.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var et de la Sarl Les Galets sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
2. Par un arrêté préfectoral du 17 avril 1975, l’Etat a concédé à la commune de Saint-Laurent-du-Var l’établissement et l’exploitation d’un port de plaisance. La commune a conclu, le 28 novembre 1975, avec la société Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var et la société Fermière du Port de Saint-Laurent-du-Var un sous-traité de concession. A la suite du transfert de compétence opéré par la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983, la commune s’est trouvée substituée dans les droits et obligations de l’Etat. Elle est donc devenue concédante et la société Yacht Club International concessionnaire. La société Fermière ayant été dissoute le 13 janvier 1978, la société Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var est devenue seule concessionnaire du port de plaisance. La SCI Les Galets a acquis 54 » actions C » du capital social de la société Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var lui donnant droit à la jouissance à titre privatif des cellules commerciales n° 69 et 70 situées sur le port de plaisance. Par ailleurs, le 9 août 1994, elle a vendu à M. B… D… et à la SARL Colbert le fonds de commerce d’un restaurant situé au niveau des alvéoles 69 et 70 et leur a loué ces cellules. Par courriers des 30 juillet 2008 et 25 août 2008 la SCI Les Galets a demandé à la société concessionnaire de lui établir un contrat d’amodiation à son profit. Cette demande a fait l’objet d’une décision de rejet du 5 août 2008 de la société Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var. Après être devenue Sarl, la société Les Galets a demandé à nouveau, par lettre du 1er août 2011, un contrat d’amodiation à la société concessionnaire qui l’a refusé par décision du 10 août 2011. Par un jugement du 24 juin 2011, le tribunal de commerce, après avoir écarté une exception d’incompétence au bénéfice du juge administratif soulevée par la société Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var, a enjoint à cette dernière de délivrer à la Sarl Les Galets un contrat d’amodiation et l’a condamnée à lui verser une somme de 166 000 euros correspondant à son manque à gagner de février 2002 à janvier 2011 ainsi qu’une somme de 50 000 euros pour » résistance abusive. « . Toutefois, par un arrêt du 9 mai 2012 devenu définitif, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a infirmé ce jugement en estimant que le litige relevait de la compétence d’une juridiction administrative et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir. La Sarl Les Galets a alors formé une réclamation préalable le 7 novembre 2013 auprès de la société Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var tendant à la délivrance d’un contrat d’amodiation portant sur les cellules n° 69 et 70 et de lui régler une somme de 400 194 euros au titre » d’un manque à gagner tiré d’un droit à la location » et » d’une perte de bénéfice » qui a fait l’objet d’une décision implicite de rejet. Par un jugement n° 1304828 du 28 mars 2017, le tribunal administratif de Nice a, à l’article 1er, condamné la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var à verser à la Sarl Les Galets une somme de 85 622,32 euros assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception de sa demande préalable du 7 novembre 2013 et, à l’article 2, rejeté le surplus des conclusions de la Sarl Les Galets. La SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var et la Sarl Les Galets doivent être regardées comme relevant appel, respectivement, des articles 1er et 2 du jugement du 28 mars 2017 du tribunal administratif de Nice.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Aux termes de l’article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques : » Sont portées devant la juridiction administrative les litiges relatifs : 1° Aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou leur dénomination, accordées ou conclus par les personnes publiques ou leurs concessionnaires « .
4. Ainsi qu’il a été dit au point 2, la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var est concessionnaire de l’exploitation du port de plaisance de Saint-Laurent-du-Var dont les installations sont situées sur le domaine public maritime. Par suite, le tribunal a estimé à juste titre que les litiges qui peuvent s’élever entre cette société et ses actionnaires relatifs à l’application des statuts et du règlement intérieur de la société concessionnaire qui confèrent aux actionnaires des droits d’occupation du domaine public portuaire portant notamment sur les cellules commerciales implantées sur les terre-pleins du port relèvent, en application des dispositions précitées de l’article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques, de la compétence du juge administratif.
5. Pour écarter l’application du coût de la construction à l’indemnisation du préjudice lié aux pertes locatives, le tribunal a estimé qu’il ne s’appliquait pas de façon automatique aux baux commerciaux, la société requérante n’apportant, par ailleurs, aucune précision sur les modalités de revalorisation du bail conclu le 9 août 1994. Il a ainsi suffisamment motivé le jugement attaqué sur ce point.
6. Il ressort du jugement attaqué que, pour rejeter les conclusions tendant à l’indemnisation du poste de préjudice lié à la perte de bénéfice à compter du mois de juillet 2011, le tribunal a relevé aux points 11 et 15 de ce jugement que les actionnaires de la société concessionnaire du port de plaisance de Saint-Laurent-du-Var, détenteurs d’actions de » catégorie C « , se sont vus illégalement reconnaître par les statuts et le règlement intérieur de cette société un droit de jouissance sur les cellules commerciales implantées sur les terre-pleins du port sans avoir l’obligation de les occuper à titre personnel ainsi que la possibilité de désigner une personne de leur choix pour bénéficier de ce droit de jouissance et en a déduit que la Sarl Les Galets ne pouvait pas prétendre à l’indemnisation de ce préjudice que lui aurait causé le refus de la société concessionnaire de lui délivrer un contrat d’amodiation auquel elle n’avait pas droit en l’absence d’occupation à titre personnel des cellules commerciales 69 et 70. Ainsi, la Sarl Les Galets n’est pas fondée à soutenir que les premiers juges n’auraient pas statué sur ces conclusions.
Sur la responsabilité de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var :
En ce qui concerne la responsabilité sans faute :
7. La Sarl Les Galets n’établit pas avoir subi un préjudice anormal et spécial. Dès lors, elle n’est pas fondée à invoquer une rupture d’égalité devant les charges publiques.
En ce qui concerne les fins de non-recevoir opposées par la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var :
8. Lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel.
9. Par ailleurs, les parties au contrat dont le juge, saisi d’un litige engagé sur le terrain de la responsabilité contractuelle, est conduit à constater, le cas échéant d’office, la nullité, peuvent poursuivre le litige qui les oppose en invoquant, y compris pour la première fois en appel, des moyens tirés de leur responsabilité quasi-contractuelle ou quasi-délictuelle, bien que ces moyens, qui ne sont pas d’ordre public, reposent sur des causes juridiques nouvelles, de tels moyens ne peuvent être soulevés au-delà du délai d’appel, lorsque la nullité du contrat a été constatée par le juge de première instance.
10. Aux termes de l’article 12 des statuts précités ( » droits et obligations attachés aux actions « ) : » la possession d’une action emporte de plein droit adhésion aux statuts et aux décisions de l’assemblée générale. Les droits et obligations attachés à l’action suivent le titre dans quelque main qu’il passe (…). Les 24.000 actions émises en représentation du capital social sont divisées en trois catégories, à savoir (…) la troisième, composée des 4093 actions portant les numéros 19908 à 24000, dites » actions C « , donnant droit à leurs propriétaires, dans les conditions définies au règlement intérieur, à l’usage du port et à la jouissance, à titre privatif, d’un local commercial (…) « . Selon l’article 2.5 du règlement intérieur du contrat de sous-traité passé entre la commune de Saint-Laurent-du-Var et la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var : » Après en avoir informé la société tout propriétaire d’actions ayant droit à l’occupation privative d’un lot pourra désigner une personne de son choix pour bénéficier de ce droit « .
11. Il résulte des clauses des statuts de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var et du règlement intérieur du contrat de sous-traité passé entre la commune de Saint-Laurent-du-Var et la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var mentionnés au point 10 que les actionnaires détenteurs d’actions de la » catégorie C » détenaient un droit de jouissance sur les cellules commerciales implantées sur les terre-pleins du port sans avoir l’obligation de les occuper à titre personnel ainsi que la possibilité de désigner une personne de leur choix pour bénéficier de ce droit de jouissance. Ces clauses méconnaissent le caractère personnel et incessible des autorisations d’occupation du domaine public et sont, par suite, incompatibles avec les principes de la domanialité publique. Ainsi, et compte tenu de ce qui a été dit aux points 8 et 9, la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var n’est pas fondée à soutenir que la demande de la Sarl Les Galets sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle était nouvelle et donc irrecevable ni à invoquer le principe de non cumul des responsabilités contractuelle et quasi-délictuelle. Il en va de même de la circonstance qu’en tant qu’actionnaire, cette société ne peut rechercher la responsabilité de la personne morale du fait des statuts auxquels elle a adhéré.
En ce qui concerne la responsabilité contractuelle :
12. Il ne résulte pas des clauses des statuts et du règlement intérieur autres que celles mentionnées au point 10 et du cahier des charges de la concession que la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var avait obligation d’informer ses amodiataires sur la signification de la notion de droit de jouissance à titre exclusif des cellules commerciales. Il s’en suit que la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var n’a commis aucune faute en ne donnant pas cette information à la Sarl Les Galets.
13. Aux termes de l’article 2 du cahier des charges de la concession du port de plaisance de Saint-Laurent-du-Var » (…) Les parties de la concession portées au plan visé à l’article 1° qui sont hachurées en traits discontinus pourront faire l’objet d’amodiations au profit de personnes physiques ou morales exerçant des activités de longue durée en rapport avec l’utilisation du port comme il est précisé à l’article 26 ci-après « . Selon l’article 26 de ce cahier des charges : » Les amodiations accordées suivant les règles précisées à l’article 2 du présent cahier des charges seront accordées par le concessionnaire, sous réserve de l’approbation du préfet (…) / 1° Elles sont réservées dans la limite de la zone hachurée en ligne continue au plan visé à l’article 1er du présent cahier des charges aux personnes physiques ou morales ayant participé au financement des ouvrages (…) / 2° Dans la limite des zones hachurées en traits discontinus au plan défini ci-dessus aux personnes physiques ou morales exerçant des activités de longue durée en rapport avec l’utilisation du port. / Les conditions générales de ces amodiations doivent être conformes aux clauses des contrats type d’amodiation. Les contrats d’amodiation sont approuvés par M. G…. En aucun cas la durée de ces amodiations ne pourra excéder la date d’expiration de la concession. (…) « .
14. Il résulte de l’instruction que pour rejeter la demande de contrat d’amodiation de la société Les Galets, la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var a estimé par courrier du 5 août 2008 que la société civile et immobilière (SCI) Les Galets n’exerçait aucune activité sur le port de Saint-Laurent-du-Var puisqu’elle avait elle-même donné à bail les cellules pour lesquelles elle demande un contrat. Puis, par lettre du 1er juillet 2011 et après que la SCI Les Galets soit devenue une société à responsabilité limitée (Sarl), la société concessionnaire lui a demandé de lui transmettre son projet d’exploitation commerciale comportant la description de l’activité, le nombre de personnes affectées à l’exploitation, les périodes, journées, horaires d’ouverture et de fermeture envisagées, le détail, le coût des travaux et leur financement ainsi qu’un bilan prévisionnel d’exploitation. La société Les Galets s’est bornée, par courrier du 1er août 2011, à lui répondre qu’elle se substituera purement et simplement à la société Colbert pour l’exploitation des cellules n° 69 et 70 et ne lui a transmis aucune des informations réclamées de nature à justifier son projet d’exploitation commerciale. Une telle justification n’est pas démontrée par les seules circonstances qu’elle serait désormais une société à responsabilité limitée et qu’elle reprendrait l’exploitation du restaurant de la société Colbert. Par suite, la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var n’a commis aucune faute en refusant de lui délivrer le contrat d’amodiation sollicité.
En ce qui concerne la responsabilité quasi-délictuelle :
15. En raison du caractère précaire et personnel des titres d’occupation du domaine public et des droits qui sont garantis au titulaire d’un bail commercial, un tel bail ne saurait être conclu sur le domaine public. Lorsque l’autorité gestionnaire du domaine public conclut un » bail commercial » pour l’exploitation d’un bien sur le domaine public ou laisse croire à l’exploitant de ce bien qu’il bénéficie des garanties prévues par la législation sur les baux commerciaux, elle commet une faute de nature à engager sa responsabilité. Cet exploitant peut alors prétendre, sous réserve, le cas échéant, de ses propres fautes, à être indemnisé de l’ensemble des dépenses dont il justifie qu’elles n’ont été exposées que dans la perspective d’une exploitation dans le cadre d’un bail commercial ainsi que des préjudices commerciaux et, le cas échéant, financiers qui résultent directement de la faute qu’a commise l’autorité gestionnaire du domaine public en l’induisant en erreur sur l’étendue de ses droits.
16. Si, en outre, l’autorité gestionnaire du domaine met fin avant son terme au bail commercial illégalement conclu en l’absence de toute faute de l’exploitant, celui-ci doit être regardé, pour l’indemnisation des préjudices qu’il invoque, comme ayant été titulaire d’un contrat portant autorisation d’occupation du domaine public pour la durée du bail conclu. Il est à ce titre en principe en droit, sous réserve qu’il n’en résulte aucune double indemnisation, d’obtenir réparation du préjudice direct et certain résultant de la résiliation unilatérale d’une telle convention avant son terme, tel que la perte des bénéfices découlant d’une occupation conforme aux exigences de la protection du domaine public et des dépenses exposées pour l’occupation normale du domaine, qui auraient dû être couvertes au terme de cette occupation.
17. Comme dit au point 11, la Sarl Les Galets, détentrice d’actions de catégorie C, s’est vue illégalement reconnaître par les statuts de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var et le règlement intérieur du contrat de sous-traité un droit de jouissance sur les cellules commerciales n° 69 et 70 implantées sur les terre-pleins du port sans avoir l’obligation de les occuper à titre personnel, ainsi que la possibilité de désigner une personne de leur choix pour bénéficier de ce droit de jouissance. Dans ce cadre, la Sarl Les Galets a consenti le 9 août 1994 un bail commercial à la société Colbert en vue de l’occupation de ces cellules, cette dernière société ne lui versant plus de loyer depuis le 1er février 2002, en raison de la nullité entachant ce bail commercial. Par ailleurs, il résulte de l’instruction et plus particulièrement d’une lettre du 14 janvier 2008 de la SCI les Galets adressée à la Sarl Colbert que cette dernière a versé, à compter du 1er septembre 2004, à la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var des redevances d’occupation du domaine public. En outre, un courrier du 1er juillet 2011 a rappelé à la Sarl Les Galets que les cellules commerciales n° 69 et 70 étaient occupées par la Sarl Colbert qu’elle avait mis dans les lieux. Par suite et alors même qu’elle n’a jamais conclu de bail commercial avec la société Les Galets, la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var a commis une faute de nature à engager sa responsabilité quasi-délictuelle en laissant croire à la société Les Galets qu’elle bénéficiait d’un droit de jouissance sur ces cellules commerciales, ainsi que de la possibilité de désigner une personne de son choix pour bénéficier de ce droit.
18. Toutefois, la société Les Galets a également commis une faute en concluant un bail commercial avec la Sarl Colbert sans en avoir informé au préalable la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var, contrairement aux dispositions de l’article 2.5 du règlement intérieur mentionnées au point 10. Si la société Les Galets soutient qu’elle n’est pas un professionnel de l’immobilier ni de la gestion du domaine public portuaire, il résulte de l’instruction qu’elle a été une société civile immobilière avant de devenir une Sarl dont le gérant est administrateur de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var. La circonstance que cette information soit purement déclarative est sans incidence. Par ailleurs, elle ne démontre pas que la société concessionnaire aurait accepté la conclusion de baux commerciaux sur le domaine public. Par suite, le tribunal a fait une juste appréciation du partage de responsabilité en fixant à 50 % la part de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var, ce taux étant, par ailleurs, dépourvu de caractère disproportionné.
Sur les préjudices :
En ce qui concerne la perte de bénéfice :
19. Si la Sarl Les Galets demande la réparation de son préjudice lié à la perte de bénéfice pour la période allant de 2011 à 2015 que lui aurait causé le refus de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var de lui délivrer un contrat d’amodiation, elle n’avait pas droit à un tel contrat ainsi qu’il a été dit au point 14.
En ce qui concerne les pertes de loyer :
20. La Sarl Les Galets demande l’indemnisation de son manque à gagner résultant de la perte des loyers qu’auraient dû lui verser la Sarl Colbert pour la période allant du 1er février 2002 au mois de juin 2011, estimé à 171 244,64 euros, montant majoré de l’indice du coût de la construction en 2011, soit un total de 237 693 euros. Ces pertes correspondent au montant des loyers mensuels des locaux occupés par la société Colbert qui s’élevait à 1 528,97 euros, cette dernière ayant cessé de les verser à compter du 1er février 2002. Toutefois, compte tenu des principes de la domanialité publique et plus particulièrement du caractère personnel d’une autorisation d’occuper le domaine public, la Sarl Les Galets ne disposait pas du droit de sous-louer les cellules commerciales, ce qu’elle savait à partir du 1er février 2002. Elle ne peut invoquer utilement sur le terrain quasi-délictuel les stipulations contractuelles entachées de nullité. Dans ces conditions, la perte de revenus locatifs non conformes à une occupation normale du domaine public ne saurait faire l’objet d’une indemnisation.
En ce qui concerne le préjudice moral :
21. La société Les Galets ne justifie pas d’un préjudice moral résultant des » affres du présent contentieux » et des » tracas » liés à la gestion » pitoyable » du port. Par suite, elle n’est pas fondée à demander l’indemnisation de ce préjudice.
22. Il résulte de tout ce qui précède que la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var est fondée à soutenir que c’est à tort que par l’article 1er du jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice l’a condamnée à verser à la Sarl Les Galets une somme de 85 622,32 euros. Par ailleurs la Sarl Les Galets n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que par l’article 2 de ce jugement, le tribunal a rejeté le surplus de ses conclusions de première instance.
Sur les frais liés au litige :
23. Aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : » Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation « .
24. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la Sarl Les Galets demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la Sarl Les Galets une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : L’article 1er du jugement du 28 mars 2017 du tribunal administratif de Nice est annulé.
Article 2 : La requête n° 17MA02283 de la Sarl Les Galets est rejetée.
Article 3 : La Sarl Les Galets versera à la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions reconventionnelles de la Sarl Les Galets présentées dans le cadre de la requête n° 17MA01827 tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var et à la Sarl Les Galets.
Délibéré après l’audience du 8 novembre 2019, où siégeaient :
– M. Pocheron, président de chambre,
– M. Guidal, président assesseur,
– Mme F…, première conseillère.
Lu en audience publique, le 22 novembre 2019.
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N° 17MA01827, 17MA02283
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