CAA de MARSEILLE, 7ème chambre, 05/02/2021, 19MA00495, Inédit au recueil Lebon

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CAA de MARSEILLE, 7ème chambre, 05/02/2021, 19MA00495, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI Edward’s a demandé au tribunal administratif de Nice, d’une part, d’enjoindre à la SA Yacht Club international de Saint-Laurent-du-Var de la rétablir dans ses droits attachés aux 270 actions de type C, numérotées 23 731 à 24 000, droits comprenant notamment la jouissance privative et l’exploitation des cellules commerciales C126, C127, C128, C129, C130 et C131 implantées sur le terre-plein du port de plaisance, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard et, d’autre part, de condamner la SA Yacht Club international de Saint-Laurent-du-Var à lui verser la somme de 4 000 000 euros, en réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi du fait de l’impossibilité d’exploiter les cellules commerciales susmentionnées.

Par un jugement n° 1501129 du 4 décembre 2018, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er février 2019 et le 2 octobre 2020, la SCI Edward’s, représentée par Me A…, demande à la Cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 4 décembre 2018 ;

2°) d’enjoindre à la SA Yacht Club international de Saint-Laurent-du-Var de la rétablir dans ses droits attachés aux 270 actions de type C qu’elle possède.

3°) de condamner la SA Yacht Club international de Saint-Laurent-du-Var à lui verser la somme de 4 000 000 euros, en réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi du fait de l’impossibilité d’exploiter les cellules commerciales susmentionnées ;

4°) de mettre à la charge de la SA Yacht Club international de Saint-Laurent-du-Var une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

– le tribunal a entaché son jugement d’irrégularité en jugeant irrecevable pour défaut de liaison du contentieux ses conclusions indemnitaires au motif que le contentieux n’était pas lié ;

– ses conclusions indemnitaires étaient recevables dans la mesure où le contentieux avait été régulièrement lié par la demande préalable qu’elle avait adressée en cours d’instance à la SA Yacht Club international de Saint-Laurent-du-Var ;

– la responsabilité contractuelle de la SA Yacht Club international de Saint-Laurent-du-Var est engagée à raison du contrat d’amodiation que celle-ci a conclu directement le 15 juillet 2004 avec la société GRJ Bounty, cette circonstance faisant obstacle à ce qu’elle exploite à compter de cette date les cellules commerciales dont elle avait la jouissance ;

– à titre subsidiaire la responsabilité de la SA Yacht Club international de Saint-Laurent-du-Var est engagée sur le terrain quasi délictuel dans la mesure où elle a été induite en erreur par les indications contenues dans les statuts et le règlement intérieur de cette société, laissant penser qu’elle pouvait conclure un bail commercial ;

– aucune faute ne saurait lui être reprochée, dans la mesure où elle a toujours été de bonne foi dans la gestion des cellules commerciales mises à sa disposition ;

– son préjudice est constitué par les pertes d’exploitation représentant le montant cumulé des résultats nets de la société GRJ Bounty sur la période correspondant aux années 2004 à 2019 ;

– à titre subsidiaire son préjudice correspond au montant des revenus locatifs dont elle a été privée pour la période du 15 juillet 2004 au 16 septembre 2019.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 24 mars 2019 et le 29 octobre 2020, la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var, représentée par Me B…, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la SCI Edward’s une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

– à titre principal, la demande indemnitaire présentée par la SCI Edward’s au cours de l’instance ouverte devant le tribunal administratif n’a pas lié régulièrement le contentieux et ses conclusions indemnitaires sont donc irrecevables ;

– ses conclusions indemnitaires n’ont pas été régularisées dans le délai raisonnable d’un an résultant de la jurisprudence M. C… ;

– la demande de la SCI Edward’s présentée sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle est nouvelle en appel et donc irrecevable ;

– à titre subsidiaire, les moyens soulevés par la SCI Edward’s ne sont pas fondés.

Dans le dernier état de ses écritures, résultant de son mémoire enregistré le 2 octobre 2020, la SCI Edward’s déclare qu’il n’y a plus lieu de statuer sur ses conclusions tendant à ce que la Cour enjoigne à la SA Yacht Club international de Saint-Laurent-du-Var de la rétablir dans ses droits attachés aux 270 actions de type C qu’elle possède.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code général de la propriété des personnes publiques ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. D…,

– les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,

– et les observations de Me E…, substituant Me A…, représentant la SCI Edward’s.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté préfectoral du 17 avril 1975, l’Etat a concédé à la commune de Saint-Laurent-du-Var l’établissement et l’exploitation d’un port de plaisance. La commune a conclu, le 28 novembre 1975 avec la société Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var un sous-traité de concession. A la suite du transfert de compétence opéré par la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983, la commune s’est trouvée substituée dans les droits et obligations de l’Etat. Puis à compter de l’année 2008 la communauté urbaine Nice Côte d’Azur d’abord, la métropole Nice Côte d’Azur ensuite, se sont substituées à la commune de Saint-Laurent-du-Var en qualité d’autorité concédante, la société Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var devenant suite à ce transfert de compétence concessionnaire du port de plaisance. En 1980, la SCI Edward’s a acquis 270  » actions C  » du capital social de la société Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var lui donnant droit à la jouissance à titre privatif des cellules commerciales n° C126, C127, C128, C129, C130 et C131 situées sur le terre-plein du port de plaisance. Le 6 août 1993, la SCI Edward’s a conclu un bail commercial portant sur ces locaux avec la SARL GRJ Bounty, en vue de l’exploitation d’une discothèque. Cependant, le 15 juillet 2004, la SA Yacht Club international de Saint-Laurent-du-Var a conclu directement avec la SARL GRJ Bounty un contrat d’amodiation, pour une durée de quatre ans non renouvelable, portant sur ces mêmes locaux. Après avoir vainement saisi le tribunal de grande instance de Grasse, qui s’est déclaré incompétent pour statuer sur le litige, la SCI Edward’s a demandé au tribunal administratif de Nice, d’une part d’enjoindre à la SA Yacht Club international de Saint-Laurent-du-Var de la rétablir dans ses droits attachés à ses actions de type C sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard et, d’autre part, de condamner la SA Yacht Club international de Saint-Laurent-du-Var à lui verser la somme de 4 000 000 euros, en réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi du fait de l’impossibilité d’exploiter les locaux susmentionnés à compter de l’année 2004. La SCI Edward’s relève appel du jugement du 4 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté l’ensemble de ses demandes.

Sur l’étendue du litige :

2. Si la SCI Edward’s a présenté, dans son mémoire enregistré le 2 octobre 2020, des conclusions à fin de non-lieu s’agissant de sa demande tendant à ce que la Cour enjoigne à la SA Yacht Club international de Saint-Laurent-du-Var de la rétablir dans ses droits attachés à ses actions de type C, il résulte de l’instruction, qu’ayant demandé à la Cour, dans sa requête enregistrée le 1er février 2019, l’annulation du jugement du tribunal administratif de Nice du 4 décembre 2018, elle ne peut être regardée comme ayant obtenu entière satisfaction du fait de la cession de ses actions le 16 septembre 2019. Ainsi, les conclusions de sa requête ne sont pas devenues sans objet. Dès lors, d’une part, ses conclusions à fin de non-lieu équivalent à un désistement pur et simple et rien ne s’oppose à ce qu’il en soit donné acte et, d’autre part, il y a lieu pour la Cour de ne statuer que sur ses seules conclusions indemnitaires présentées contre la SA Yacht Club international de Saint-Laurent-du-Var.

Sur la régularité du jugement :

3. Aucune fin de non-recevoir tirée du défaut de décision préalable ne peut être opposée à un requérant ayant introduit devant le juge administratif un contentieux indemnitaire à une date où il n’avait présenté aucune demande en ce sens devant l’administration lorsqu’il a formé, postérieurement à l’introduction de son recours juridictionnel, une demande auprès de l’administration sur laquelle le silence gardé par celle-ci a fait naître une décision implicite de rejet avant que le juge de première instance ne statue, et ce quelles que soient les conclusions du mémoire en défense de l’administration. Lorsque ce mémoire en défense conclut à titre principal, à l’irrecevabilité faute de décision préalable et, à titre subsidiaire seulement, au rejet au fond, ces conclusions font seulement obstacle à ce que le contentieux soit lié par ce mémoire lui-même. En revanche, une telle fin de non-recevoir peut être opposée lorsque, à la date à laquelle le juge statue, aucune décision de l’administration, ni explicite ni implicite, n’est encore née.

4. Il résulte de l’instruction que la SCI Edward’s a saisi le tribunal administratif de Nice de conclusions indemnitaires sans avoir au préalable présenté de demande en ce sens devant la SA Yacht Club international de Saint-Laurent-du-Var. Toutefois, elle a adressé, le 15 juin 2018, une demande préalable à la SA Yacht Club international de Saint-Laurent-du-Var tendant au versement d’une somme de 4 000 000 euros en réparation du préjudice qu’elle estimait avoir subi, qui a été réceptionnée le 16 juin 2018 par la société. Dès lors, une décision implicite de rejet est née le 16 août 2018 du silence gardé sur cette demande. Cette circonstance était de nature à faire obstacle à ce que ses conclusions soient rejetées comme irrecevables dès lors que cette décision implicite de rejet était intervenue avant que le tribunal administratif ne statue sur sa requête, le 4 décembre 2018. Par ailleurs, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que, si la SA Yacht Club international de Saint-Laurent-du-Var a conclu, à titre principal, à l’irrecevabilité de la requête faute de décision préalable et, à titre subsidiaire seulement, au rejet au fond dans son mémoire du 3 juillet 2015, cette circonstance faisait seulement obstacle à ce que le contentieux soit lié par ce mémoire lui-même, mais ne faisait pas obstacle à la liaison du contentieux. Par suite, c’est à tort que le tribunal administratif a jugé irrecevables les conclusions indemnitaires dont il était saisi. Son jugement en date du 4 décembre 2018 doit, dès lors, dans cette mesure, être annulé.

5. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions indemnitaires présentées par la SCI Edward’s devant le tribunal administratif de Nice.

Sur les conclusions indemnitaires de la SCI Edward’s :

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par la SA Yacht Club international de Saint-Laurent-du-Var tirée de la méconnaissance du délai de recours raisonnable :

6. Il résulte du principe de sécurité juridique que le destinataire d’une décision administrative individuelle qui a reçu notification de cette décision ou en a eu connaissance dans des conditions telles que le délai de recours contentieux ne lui est pas opposable doit, s’il entend obtenir l’annulation ou la réformation de cette décision, saisir le juge dans un délai raisonnable, qui ne saurait, en règle générale et sauf circonstances particulières, excéder un an. Cette règle est applicable à la contestation d’une décision implicite de rejet née du silence gardé par l’administration sur une demande présentée devant elle, lorsqu’il est établi que le demandeur a eu connaissance de la décision. Toutefois, elle ne trouve pas à s’appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d’une personne publique qui, s’ils doivent être précédés d’une réclamation auprès de l’administration, ne tendent pas à l’annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. La prise en compte de la sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l’effet du temps, est alors assurée par les règles de prescription.

7. Il résulte de l’instruction que la décision implicite de rejet née du silence gardé par la SA Yacht Club international de Saint-Laurent-du-Var sur la demande préalable présentée devant elle par la SCI Edward’s, est née postérieurement à la saisine du tribunal administratif. Il ne saurait dès lors être reproché à la SCI de ne pas avoir saisi le juge dans un délai raisonnable suivant la connaissance de cette décision. Au demeurant, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que la règle invoquée ne trouve pas à s’appliquer, comme en l’espèce, à un contentieux indemnitaire. Par ailleurs, aucune règle ni aucun principe ne s’opposait à ce que la SCI Edward’s régularise sa requête trois ans après que la SA Yacht Club international de Saint-Laurent-du-Var ait opposé une fin de non-recevoir tirée de l’absence de décision préalable.

8. Il résulte de ce qui précède que la fin de non-recevoir tirée, par la SA Yacht Club international de Saint-Laurent-du-Var, de la méconnaissance du délai de recours raisonnable ne peut qu’être écartée.

En ce qui concerne les moyens relatifs à la faute contractuelle de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var :

9. Lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel.

10. D’une part, l’article 2 du cahier des charges de la concession du port de plaisance de Saint-Laurent-du-Var prévoyait que  » les parties de la concession portées au plan visé à l’article 1° qui sont hachurées en traits discontinus pourront faire l’objet d’amodiations au profit de personnes physiques ou morales exerçant des activités de longue durée en rapport avec l’utilisation du port « . L’article 26 du même cahier des charges stipulait que  » les amodiations accordées suivant les règles précisées à l’article 2 du présent cahier des charges seront accordées par le concessionnaire, sous réserve de l’approbation du préfet (…) 2° Dans la limite des zones hachurées en traits discontinus au plan défini ci-dessus aux personnes physiques ou morales exerçant des activités de longue durée en rapport avec l’utilisation du port. Les conditions générales de ces amodiations doivent être conformes aux clauses des contrats type d’amodiation. Les contrats d’amodiation sont approuvés par M. F…. En aucun cas la durée de ces amodiations ne pourra excéder la date d’expiration de la concession « . En vertu de l’article 2 du sous-traité de concession conclu le 28 novembre 1975 entre la commune et la SA Yacht Club international de Saint-Laurent-du-Var :  » Il est convenu que la société se substitue à la Ville, concessionnaire, dans l’ensemble des droits, charges et obligations résultant des articles suivant du cahier des charges de la concession (…) / (article 2 (Titre 1er) / (…) articles 14 à 24, 26 et 27 (Titre III) « .

11. D’autre part, en vertu de l’article 12 des statuts de la SA Yacht Club international de Saint-Laurent-du-Var,  » la possession d’une action emporte de plein droit adhésion aux statuts et aux décisions de l’assemblée générale. Les droits et obligations attachés à l’action suivent le titre dans quelque main qu’il passe (…). / En outre, les actions donnent droit à leur propriétaire, dans les conditions définies au règlement intérieur (…) à l’usage du port et à la jouissance, à titre privatif (…) de parcelles de terrains destinés à la construction d’installations commerciales ou de locaux à usage commercial. / En conséquence, les 24 000 actions émises en représentation du capital social sont divisées en trois catégories, (…) la troisième, composée des 4 093 actions portant les numéros 19 908 à 24 000, dites  » actions C « , donnant droit à leurs propriétaires, dans les conditions définies au règlement intérieur, à l’usage du port et à la jouissance, à titre privatif, d’un local commercial (…) « . Enfin, selon l’article 2.2 du règlement intérieur de la SA Yacht Club international de Saint-Laurent-du-Var établi  » en vue de réglementer les droits d’occupation privative résultant du contrat de concession « ,  » Les actions sont constituées en groupe et, à chaque groupe, est affecté le droit d’occupation d’un lot « . L’article 2.3 du même règlement précise que  » (…) chacun des groupes d’actions, dites actions C, bénéficiera d’un droit d’occupation privative pour l’aménagement et l’exploitation d’un local à usage commercial (…) « . Enfin, en vertu l’article 2.5 de ce règlement  » Après en avoir informé la société, tout propriétaire d’actions ayant droit à l’occupation privative d’un lot pourra désigner une personne de son choix pour bénéficier de ce droit. Cette personne sera alors tenue de se conformer au présent règlement, sans que pour autant, soit dégagé ou diminuée la responsabilité du propriétaire des actions qui restera tenu à toutes les obligations s’attachant pour lui à ladite propriété (…) « .

12. Il résulte des clauses des statuts de la SA Yacht Club international de Saint-Laurent-du-Var, mentionnés au point 11, et du règlement intérieur auquel elles renvoient qui présente avec ces statuts un caractère indissociable, que les actionnaires détenteurs d’ » actions de type C « , telle que la SCI Edward’s, se sont vus reconnaître, d’une part, un droit de jouissance sur les cellules commerciales implantées sur les terre-pleins du port sans avoir l’obligation de les occuper à titre personnel et, d’autre part, la possibilité de désigner une personne de leur choix pour bénéficier de ce droit de jouissance. Ces stipulations et dispositions, notamment celles de l’article 2.5 du règlement intérieur, qui permettent au détenteur d’ » actions de type C  » de consentir la sous-location et l’exploitation à un tiers d’un local à usage commercial sur lequel il détient un droit de jouissance à titre privatif, sans accord préalable de l’autorité gestionnaire du domaine public, méconnaissent le caractère personnel et incessible des autorisations d’occupation du domaine public et sont, par suite, incompatibles avec les principes de la domanialité publique. Toutefois ces stipulations et dispositions permettant la sous-occupation dont le contenu est illicite, ne forment pas avec celles relatives à l’attribution au détenteur d’ » actions de type C  » d’un droit de jouissance exclusive un ensemble indivisible. L’illégalité de ces stipulations et dispositions n’entache pas ainsi la légalité des autres stipulations du contrat de société. Le litige peut donc être réglé dans le cadre contractuel, en écartant l’application des seules stipulations et dispositions relatives à la sous-location des locaux commerciaux et à leur exploitation par un tiers, sans qu’il soit besoin d’examiner les demandes de la SCI Edward’s sur le fondement qu’elle invoque à titre subsidiaire de la responsabilité quasi-délictuelle.

13. En premier lieu, aucune règle ni aucun principe ne s’oppose à ce que l’actionnaire d’une société de capitaux recherche la responsabilité contractuelle de cette dernière en raison des conditions de mise en oeuvre d’une clause statutaire s’il estime que celle-ci serait constitutive d’une faute. Par, suite, la circonstance alléguée que la SCI Edward’s soit actionnaire de la société Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var ne saurait, en l’espèce, faire obstacle à ce qu’elle recherche la responsabilité de cette dernière au motif d’une méconnaissance par celle-ci de ses statuts et de son règlement intérieur.

14. En deuxième lieu, il résulte de l’instruction que la SCI Edward’s a acquis 270  » actions C  » du capital social de la société Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var lui donnant droit à la jouissance à titre privatif des cellules commerciales n° C126, C127, C128, C129, C130 et C131 situées sur le port de plaisance pour toute la durée de la concession. L’existence de ce droit de jouissance exclusive faisait légalement obstacle à ce que la société Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var consente à la SARL GRJ Bounty un contrat d’amodiation, pour une durée de quatre ans non renouvelable, portant sur ces mêmes locaux, sans qu’ait été auparavant mis fin à ce droit de jouissance dans les formes et conditions prévues au contrat. Si la SCI Edward’s, société civile de gestion, n’exerçait pas une activité en rapport avec l’utilisation du port lui donnant vocation à bénéficier d’un contrat d’amodiation, ainsi que le prescrit l’article 26 du cahier des charges de la concession, cette seule circonstance n’autorisait pas pour autant la société Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var à priver son actionnaire de son droit de jouissance. En procédant de cette manière, la société Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var a commis une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle.

15. En troisième lieu, eu égard au contexte dans lequel elle trouve sa place, l’énonciation selon laquelle le titulaire du droit de jouissance peut désigner une personne de son choix pour bénéficier de ce droit comporte une ambiguïté dans les conditions de sa mise en oeuvre, qui peut laisser penser au titulaire de ce droit, qu’au travers de la désignation du choix de l’occupant, il a la faculté de conclure un bail commercial avec un tiers. Cette ambiguïté est en outre accrue, en l’espèce, par la circonstance que la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var s’est abstenue de conclure avec la SCI Edward’s un contrat d’amodiation conforme aux clauses des contrats type d’amodiation de la concession, ainsi que le prévoyait les stipulations combinées de l’article 26 du cahier des charges de la concession du port de plaisance et de l’article 2 du sous-traité de concession du 28 novembre 1975, qui aurait permis à son titulaire de connaître clairement l’étendue de ses droits et obligations. Il en résulte que la société Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var ne saurait utilement se prévaloir, pour s’exonérer de sa responsabilité, de l’absence dans les statuts de la société d’une clause autorisant expressément les actionnaires à conclure un bail commercial.

En ce qui concerne les préjudices allégués :

16. En premier lieu, la SCI Edward’s soutient avoir été empêchée d’exercer une activité commerciale dans les locaux qui lui étaient affectés en jouissance à compter du moment où la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var a conclu un contrat d’amodiation de ces mêmes locaux avec la SARL GRI Bounty le 15 juillet 2004 et demande à être indemnisée de la perte des bénéfices qu’elle aurait pu percevoir si elle avait elle-même exploité ces locaux, par référence aux résultats nets de la SARL GRI Bounty au cours de la période 2004-2019. Il résulte toutefois de l’instruction et il n’est d’ailleurs pas contesté que la SCI Edward’s n’a exercé depuis sa création qu’une activité civile de location desdits locaux, à l’exclusion de toute activité commerciale. L’indemnité susceptible d’être allouée à la victime d’un dommage causé par la faute de l’administration a pour seule vocation de replacer la victime, autant que faire se peut, dans la situation qui aurait été la sienne si le dommage ne s’était pas produit, c’est-à-dire, lorsque la faute résulte d’un agissement illégal, si celui-ci n’était jamais intervenu. En l’espèce, si la SCI Edward’s fait valoir qu’elle avait la faculté de se transformer en société commerciale, elle n’a jamais entrepris une telle transformation, ni davantage sollicité l’autorisation d’exercer une activité commerciale dans les locaux en cause. La nature exclusivement civile de son activité fait ainsi obstacle à ce qu’elle puisse être indemnisée d’un préjudice résultant d’une prétendue perte de bénéfices commerciaux.

17. Comme il a été dit au point 12, les clauses des statuts de la SA Yacht Club international de Saint-Laurent-du-Var et les dispositions de son règlement intérieur qui permettent au détenteur d’ » actions de type C  » de consentir la sous-location et l’exploitation à un tiers d’un local à usage commercial sur lequel il détient un droit de jouissance à titre privatif sans accord du gestionnaire du domaine public méconnaissent le caractère personnel et incessible des autorisations d’occupation du domaine public et sont, dès lors, incompatibles avec les principes de la domanialité publique. Il y a lieu, par suite, de les écarter pour le règlement du litige.

18. Par conséquent, la SCI Edward’s ne peut se prévaloir de ces stipulations, entachées de nullité, pour demander la condamnation de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var à lui rembourser le montant des loyers qu’elle aurait dû percevoir de la SARL GRI Bounty en application des clause du bail commercial conclu avec cette dernière société, au motif que la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var a conclu le 15 juillet 2004 un contrat d’amodiation avec la SARL GRI Bounty sur les locaux commerciaux qui lui étaient affectés en jouissance, en lieu et place du bail commercial qu’elle avait elle-même consenti à la SARL GRI Bounty sur ces locaux.

19. Il résulte de ce qui précède que les conclusions indemnitaires de la SCI Edward’s doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

20. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la SCI Edward’s le versement à la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var de la somme de 2 000 euros au titre de ces dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : Il est donné acte du désistement des conclusions de la SCI Edward’s tendant à ce qu’elle soit rétablie, sous astreinte, dans ses droits attachés à ses actions de type C.

Article 2 : L’article 1er du jugement n° 1501129 du 4 décembre 2018 du tribunal administratif de Nice est annulé en tant qu’il a rejeté comme irrecevables les conclusions indemnitaires de la SCI Edward’s.

Article 3 : Les conclusions indemnitaires présentées devant le tribunal administratif de Nice par la SCI Edward’s et le surplus des conclusions de sa requête y compris celles tendant au bénéfice des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 4 : La SCI Edward’s versera à la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Edward’s et à la SA Yacht Club International de Saint-Laurent-du-Var.

Copie en sera adressée à la métropole Nice Côte d’Azur.

Délibéré après l’audience 22 janvier 2021, où siégeaient :

– M. Pocheron, président de chambre,

– M. D…, président assesseur,

– M. Coutier, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 février 2021.

2

N° 19MA00495

bb


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