Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Randlesdown Limited a demandé au tribunal administratif de Nice de la décharger des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés, de contribution additionnelle à cet impôt et de contribution annuelle sur les revenus locatifs, ainsi que des pénalités y afférentes, auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2003 et 2004.
Par un jugement n°1000664 du 16 avril 2013, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 18 juin 2013, la société Randlesdown Limited, représentée par MeB…, demande à la Cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 16 avril 2013 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions contestées et des pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– une société étrangère, propriétaire d’un bien immobilier en France attribué en jouissance gratuite à ses actionnaires, n’est pas assujettie à l’impôt sur les sociétés au regard des dispositions de l’article 206-1 du code général des impôts et des conventions internationales ;
– la mise à disposition d’un élément de l’actif d’une société ne peut être constitutive d’une activité lucrative si la société n’est pas passible de l’impôt sur les sociétés pour un autre motif, ce qui est bien le cas en l’espèce dès lors qu’elle n’a aucune activité en France.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 décembre 2013, le ministre de l’économie et des finances conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Randlesdown Limited ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 2 septembre 2015, la clôture d’instruction a été fixée au 2 octobre 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– la convention du 22 mai 1968 entre le gouvernement de la République Française et le gouvernement du Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord, tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur les revenus ;
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Chenal-Peter, rapporteur,
– et les conclusions de M. Ringeval, rapporteur public.
1. Considérant que la société Randlesdown Limited, société de droit britannique, a acquis le 19 août 1992 la propriété d’une villa à Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes) ; que cette société a fait l’objet d’une vérification de comptabilité qui a porté sur les exercices clos en 2003 et 2004, au cours de laquelle l’administration a constaté qu’elle avait mis cette villa à la disposition de ses associés, MM. A…et C…D…, moyennant le versement d’un loyer de 18 294 euros par an ; que l’administration fiscale a considéré, compte tenu de la valeur locative réelle du bien en cause, que la société Randlesdown Limited avait accompli un acte anormal de gestion, en raison de l’insuffisance du loyer perçu ; que la société a par suite été assujettie à des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt, au titre des années 2003 et 2004, ainsi que de contribution annuelle sur les revenus locatifs au titre des mêmes années, sur la base d’une valeur locative estimée à 45 000 euros par an ; que la société Randlesdown Limited relève appel du jugement du 16 avril 2013 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions ainsi que des pénalités correspondantes ;
Sur le bien-fondé des impositions :
2. Considérant qu’aux termes de l’article 206-1 du code général des impôts : » (…) sont passibles de l’impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet, les sociétés anonymes, les sociétés en commandite par actions, les sociétés à responsabilité limitée n’ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes (…) ainsi que (…) toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations à caractère lucratif » ;
3. Considérant que le fait pour une personne morale, qui ne serait pas pour un autre motif passible de l’impôt sur les sociétés, de mettre, sur le territoire français, un élément de son actif à la disposition de ses associés, moyennant un loyer, ne constitue pas, par elle-même, une opération à caractère lucratif au sens de l’article 206 du code général des impôts la rendant passible de l’impôt sur les sociétés ;
4. Considérant que l’article 206-1 du code général des impôts précité ne trouve donc à s’appliquer à cette activité que dans la mesure où la société étrangère pourrait, à l’instar d’une société de capitaux de droit français, être regardée comme commerciale du seul fait de sa forme sociale ; que pour ce faire, il appartient au juge de l’impôt d’identifier d’abord, au regard de l’ensemble des caractéristiques de cette société et du droit qui en régit la constitution et le fonctionnement, le type de société de droit français auquel la société de droit étranger est assimilable ; que, compte tenu de ces constatations, il lui revient ensuite de déterminer le régime applicable à l’opération litigieuse au regard de la loi fiscale française ;
5. Considérant qu’il ressort des statuts de la société Randlesdown Limited que cette dernière est une » private company limited by shares » ; que ces sociétés par actions, qui doivent être inscrites au registre des sociétés, sont des sociétés de capitaux dans lesquelles la responsabilité des associés est limitée au montant de leurs apports ; qu’elles sont assimilables à des sociétés à responsabilité limitée de droit français ; qu’il suit de là que la société Randlesdown Limited doit être regardée comme commerciale en raison de sa forme sociale et, de ce seul fait, comme passible de l’impôt sur les sociétés ;
6. Considérant que la circonstance alléguée que la société ne se livrerait en France à aucune activité lucrative dans la mesure où elle se bornerait à mettre un bien immobilier à la disposition de ses associés moyennant un loyer est sans influence sur son assujettissement à l’impôt contesté, qui est dû quelle que soit la nature de son activité en France, conformément aux dispositions précité de l’article 206-1 du code général des impôts, dès lors qu’ainsi qu’il vient d’être dit elle est assimilable à une société à responsabilité limitée ;
7. Considérant qu’aux termes du I de l’article 209 du code général des impôts : » Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l’impôt sur les sociétés sont déterminés d’après les règles fixées par les articles 34 à 35, 53 A à 57 et 302 septies A bis et en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France, ainsi que ceux dont l’imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions » ; qu’aux termes de l’article 2-2 de la convention franco-britannique du 22 mai 1968 susvisée: » Pour l’application de la présente convention par un Etat contractant, toute expression qui n’est pas autrement définie a la signification qui lui est attribué par la législation dudit Etat régissant les impôts faisant l’objet de la présente convention, à moins que le contexte n’exige une interprétation différente » ; qu’aux termes de l’article 5 de ladite convention : » 1. Les revenus qu’un résident d’un Etat contractant tire de biens immobiliers (…) situés dans l’autre Etat contractant, ainsi que les revenus des droits attachés à ces biens sont imposables dans cet autre Etat (…) 2.a. Sous réserve des dispositions des alinéas b, c, d ci-dessus, l’expression » biens immobiliers » a le sens que lui attribue le droit de l’Etat contractant où les biens considérés sont situés (…) 4. Les dispositions des paragraphes précédents s’appliquent également aux revenus provenant de biens immobiliers d’une entreprise ainsi qu’aux revenus de biens immobiliers servant à l’exercice d’une profession indépendante » ;
8. Considérant qu’il résulte de ces dispositions que, même en l’absence d’établissement stable, la France est en droit d’assujettir à l’impôt sur les sociétés les revenus qu’une société de droit britannique passible de cet impôt à raison de sa forme tire des biens immobiliers qu’elle possède sur son territoire ; que la renonciation à une recette résultant de la mise à disposition d’un bien immobilier pour un loyer anormalement bas s’analyse, par ailleurs, en droit français, comme un acte de disposition du revenu correspondant, lequel doit être inclus dans les bases d’imposition de son titulaire, à moins que ce dernier n’établisse que cet abandon de recettes lui a procuré une contrepartie ;
9. Considérant qu’il n’est pas contesté qu’au cours des années litigieuses la société requérante a mis à la disposition de ses associés la villa en litige d’une surface habitable de 309 m², située sur un terrain de 678 m² avec piscine, dont elle était propriétaire à Villefranche-sur-Mer, moyennant un loyer annuel de 18 294 euros ; que l’administration a considéré qu’un tel loyer était anormalement bas, eu égard aux caractéristiques de cette villa, et a déterminé la valeur locative d’une telle propriété à partir de sa valeur vénale, qu’il a fixée à 1 522 443 euros pour les années 2003 et 2004, valeur à laquelle il a appliqué un taux de rendement locatif de 3 %, soit 45 000 euros pour chacune de ces deux années ; que la société Randlesdown Limited n’établit ni même n’allègue que le caractère anormalement bas des loyers consentis à ses associés lui aurait procuré un avantage ; qu’ainsi, elle doit être regardée comme ayant renoncé sans contrepartie à percevoir des recettes qu’une gestion normale de son bien lui eut procurées ; que de telles recettes constituaient des revenus provenant d’un bien immobilier imposable en France au sens de l’article 5 de la convention précitée ; qu’en conséquence, l’administration était fondée à réintégrer dans les résultats de la société Randlesdown Limited, qui entre dans le champ d’application de l’impôt sur les sociétés à raison de sa forme commerciale, les revenus que cet immeuble était susceptible de lui procurer dans les conditions normales du marché locatif et à imposer les sommes correspondantes à l’impôt sur les sociétés et aux contributions additionnelles à cet impôt au titre des années 2003 et 2004 ;
10. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la société Randlesdown Limited n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : » Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. » ;
12. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, verse à la société Randlesdown Limited quelque somme que ce soit au titre des frais qu’elle a exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Randlesdown Limited est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Randlesdown Limited et au ministre des finances et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal sud-est.
Délibéré après l’audience du 13 octobre 2015 où siégeaient :
– M. Cherrier, président,
– M. Martin, président assesseur,
– Mme Chenal-Peter, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 3 novembre 2015.
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N° 13MA02434 2
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