CAA de LYON, 5ème chambre, 16/06/2022, 19LY01240, Inédit au recueil Lebon

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CAA de LYON, 5ème chambre, 16/06/2022, 19LY01240, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par un arrêt avant dire droit du 18 mars 2021, la cour administrative d’appel de Lyon a sursis à statuer sur la requête présentée par le ministre de l’économie, des finances et de la relance, tendant à l’annulation du jugement n° 1700978 du 11 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Lyon a déchargé la SAS Cletimmo des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que des intérêts de retard correspondants, mis à sa charge pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2014 (article 1er) et a mis à la charge de l’Etat une somme de 1 200 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative (article 2), jusqu’à ce que la Cour de justice de l’Union européenne se soit prononcée sur la question de savoir si l’article 392 de la directive du 28 novembre 2006 devait être interprété comme excluant l’application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons de terrains à bâtir dans les deux hypothèses suivantes :

– lorsque ces terrains, acquis bâtis, sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, des terrains à bâtir ;

– lorsque ces terrains ont fait l’objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles que leur division en lots.

Par une ordonnance C-191/21 du 10 février 2022, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur cette question.

Par courrier du 22 février 2022, les parties ont été invitées à actualiser leurs écritures à la suite de l’intervention des décisions de la CJUE C-299/20 du 30 septembre 2021 et C-191/21 du 10 février 2022.

Par un mémoire enregistré le 16 mars 2022, le ministre de l’économie, des finances et de la relance conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens.

Il fait en outre valoir que les terrains initialement acquis par la SAS Cletimmo étaient bâtis, de sorte que la condition d’identité juridique avec les terrains à bâtir ultérieurement revendus n’est pas remplie.

Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par l’arrêt du 18 mars 2021 ;

Vu :

– la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;

– l’ordonnance C-191/21 du 10 février 2022 de la Cour de Justice de l’Union européenne ;

– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

– le code de l’urbanisme ;

– le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme Le Frapper, première conseillère,

– les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Cletimmo, qui exerce une activité de marchand de biens, a acquis par acte notarié du 4 juin 2013 une parcelle bâtie à Bonson (42) composée d’une maison d’habitation avec terrain attenant et dépendances. Après avoir procédé à une division parcellaire, la société a notamment revendu deux terrains à bâtir au cours de l’année 2014, en assujettissant chacune de ces opérations à la taxe sur la valeur ajoutée selon le régime de la marge prévu par l’article 268 du code général des impôts. A l’issue d’une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2012 au 30 juin 2015, l’administration fiscale, selon proposition de rectification du 13 octobre 2015, a remis en cause l’application de ce régime et procédé à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2014, assis sur l’intégralité du prix de vente des terrains cédés, pour un montant de 18 333 euros en droits, assorti de 660 euros d’intérêts de retard. Le ministre de l’économie, des finances et de la relance demande à la cour d’annuler le jugement du 11 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Lyon a prononcé la décharge totale de ces rappels ainsi que des intérêts de retard correspondants, et de remettre ces impositions à la charge de la SAS Cletimmo.

2. Selon l’article 12 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée :  » 1. Les États membres peuvent considérer comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, (…) une seule des opérations suivantes: / a) la livraison d’un bâtiment ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant, effectuée avant sa première occupation; b) la livraison d’un terrain à bâtir. / 2. Aux fins du paragraphe 1, point a), est considérée comme  » bâtiment  » toute construction incorporée au sol. (…) / 3. Aux fins du paragraphe 1, point b), sont considérés comme  » terrains à bâtir  » les terrains nus ou aménagés, définis comme tels par les États membres « . Le I de l’article 257 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige, prévoit que sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les opérations concourant à la production ou à la livraison d’immeubles, lesquelles comprennent les livraisons à titre onéreux de terrains à bâtir, définis en droit interne comme les terrains sur lesquels des constructions peuvent être autorisées en application d’un plan local d’urbanisme, d’un autre document d’urbanisme en tenant lieu, d’une carte communale ou de l’article L. 111-1-2 du code de l’urbanisme. En vertu du 2 du b de l’article 266 du même code, l’assiette de la taxe est en principe constituée par le prix de cession.

3. L’article 392 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dispose toutefois que :  » Les États membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n’a pas eu droit à déduction à l’occasion de l’acquisition, la base d’imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d’achat « . L’article 268 du code général des impôts, pris pour la transposition de ces dispositions, prévoit, dans sa rédaction applicable, que :  » S’agissant de la livraison d’un terrain à bâtir (…), si l’acquisition par le cédant n’a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d’imposition est constituée par la différence entre : / 1° D’une part, le prix exprimé et les charges qui s’y ajoutent ; / 2° D’autre part, selon le cas : / – soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l’acquisition du terrain (…) ; / – soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature qu’il a effectués « .

4. Dans l’ordonnance du 10 février 2022 par laquelle elle s’est prononcée sur les questions dont la présente cour l’avait saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que l’article 392 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens qu’il exclut l’application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains acquis bâtis sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, des terrains à bâtir, mais qu’il n’exclut pas l’application de ce régime à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains ont fait l’objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles qu’une division en lots.

5. Il résulte de l’interprétation ainsi donnée par la Cour de justice de l’Union européenne aux questions posées par la présente cour que, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal administratif de Lyon, l’administration fiscale, pour remettre en cause l’applicabilité à l’opération litigieuse des dispositions de l’article 268 précité du code général des impôts, pouvait légalement opposer à la SAS Cletimmo la circonstance que les terrains revendus comme terrains à bâtir ne devaient pas avoir été préalablement acquis comme terrains bâtis. Par suite, le ministre est fondé à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont, pour ce motif, prononcé la décharge des impositions litigieuses.

6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par la SAS Cletimmo tant en première instance qu’en appel.

7. En premier lieu, aux termes de l’article L. 59A du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige :  » I. – La commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires intervient lorsque le désaccord porte : / 1° Sur le montant du résultat industriel et commercial, non commercial, agricole ou du chiffre d’affaires, déterminé selon un mode réel d’imposition ; / 2° Sur les conditions d’application des régimes d’exonération ou d’allégements fiscaux en faveur des entreprises nouvelles, à l’exception de la qualification des dépenses de recherche mentionnées au II de l’article 244 quater B du code général des impôts ; / 3° Sur l’application du 1° du 1 de l’article 39 et du d de l’article 111 du même code relatifs aux rémunérations non déductibles pour la détermination du résultat des entreprises industrielles ou commerciales, ou du 5 de l’article 39 du même code relatif aux dépenses que ces mêmes entreprises doivent mentionner sur le relevé prévu à l’article 54 quater du même code ; / 4° Sur la valeur vénale des immeubles, des fonds de commerce, des parts d’intérêts, des actions ou des parts de sociétés immobilières servant de base à la taxe sur la valeur ajoutée, en application du 6° et du 1 du 7° de l’article 257 du même code. / II. – Dans les domaines mentionnés au I, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires peut, sans trancher une question de droit, se prononcer sur les faits susceptibles d’être pris en compte pour l’examen de cette question de droit. / Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, la commission peut se prononcer sur le caractère anormal d’un acte de gestion, sur le principe et le montant des amortissements et des provisions ainsi que sur le caractère de charges déductibles des travaux immobiliers « .

8. Le désaccord opposant l’administration fiscale et la SAS Cletimmo n’entre dans aucun des cas énumérés par les dispositions précitées, et ne porte pas, en particulier, sur la valeur vénale des cessions ayant servi de base aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée. Par suite, la SAS Cletimmo n’est pas fondée à soutenir que les rappels litigieux auraient été mis à sa charge au terme d’une procédure irrégulière, en raison du refus de l’administration fiscale de soumettre le litige à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires.

9. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment qu’en opposant à la SAS Cletimmo la circonstance que les terrains revendus comme terrains à bâtir ne devaient pas avoir été préalablement acquis comme terrains bâtis, l’administration fiscale n’a pas ajouté à la loi une condition issue de sa doctrine.

10. En dernier lieu, dans son arrêt C-71/18 du 4 septembre 2019, Skatteministeriet contre KPC Herning, la Cour de Justice de l’Union européenne a également dit pour droit que l’article 12, paragraphe 1, sous a) et b), et paragraphes 2 et 3, ainsi que l’article 135, paragraphe 1, sous j) et k), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doivent être interprétés en ce sens qu’une opération de livraison d’un terrain supportant, à la date de cette livraison, un bâtiment ne peut être qualifiée de livraison d’un  » terrain à bâtir  » lorsque cette opération est économiquement indépendante d’autres prestations et ne forme pas, avec celles-ci, une opération unique, même si l’intention des parties était que le bâtiment soit totalement ou partiellement démoli pour faire place à un nouveau bâtiment.

11. Dès lors qu’il incombe à la juridiction de vérifier, en tenant compte des définitions prévues par la législation nationale et de toutes les circonstances dans lesquelles se sont déroulées les opérations en cause, si les biens acquis par l’assujetti relèvent de la notion de  » terrain à bâtir  » au sens du 3 précité de l’article 12 de la directive et, ainsi, du champ d’application de l’article 392, et que les possibilités réglementaires de construction prévues par le droit interne sont susceptibles de varier au sein d’une même unité foncière, la prise en compte des règles dégagées par la Cour de justice de l’Union européenne implique que la qualification éventuelle de terrain à bâtir doit s’apprécier distinctement pour chaque parcelle constituant le bien immobilier initialement acquis par l’assujetti.

12. En l’espèce, il résulte de l’acte de vente du 4 juin 2013 que la SAS Cletimmo a acquis une unique parcelle supportant déjà une construction incorporée au sol, soit un terrain bâti, et non un terrain nu ou aménagé, quelle que soit la constructibilité résiduelle du terrain attenant à la maison d’habitation. Par ailleurs, si le compromis du 2 août 2012 prévoyait que la réalisation de la vente était soumise à une condition suspensive tenant à l’obtention par la SAS Cletimmo d’un permis d’aménager, qu’elle a effectivement obtenu antérieurement à la réitération de la vente par acte authentique, la mise en œuvre de cette autorisation d’urbanisme demandée par l’acquéreur pour la réalisation de l’opération de revente ultérieure était économiquement indépendante de l’opération d’acquisition du bien, avec lequel elle ne formait pas une opération unique. La SAS Cletimmo n’est, dès lors, pas fondée à soutenir qu’elle aurait acquis un terrain pouvant partiellement recevoir la qualification de terrain à bâtir, quelle que soit l’intention exprimée dans l’acte. Elle n’est pas davantage fondée à se prévaloir, sur le fondement de l’article L. 80A du livre des procédures fiscales, de diverses réponses ministérielles, notamment à la question écrite n° 04171 de M. A…, publiée au journal officiel du Sénat du 17 mai 2018, dès lors qu’elle n’entre pas dans les prévisions de la tolérance admise par l’administration fiscale à l’occasion de certaines opérations, lorsqu’est remplie la condition d’identité juridique entre le bien acquis et le bien revendu, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l’économie, des finances et de la relance est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a prononcé la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la SAS Cletimmo au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2014. Il y a lieu d’annuler le jugement attaqué et de rétablir les impositions en litige, à hauteur de 18 333 euros en droits et de 660 euros d’intérêts de retard.

14. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l’Etat qui n’a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la SAS Cletimmo la somme qu’elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En l’absence de dépens, les conclusions présentées par la SAS Cletimmo sur le fondement de l’article R. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1700978 du tribunal administratif de Lyon du 11 décembre 2018 est annulé.

Article 2 : Les rappels de taxe sur la valeur ajoutée d’un montant de 18 333 euros mis à la charge de la SAS Cletimmo au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2014 sont rétablis, ainsi que les intérêts de retard correspondants d’un montant de 660 euros.

Article 3 : Les conclusions présentées par la SAS Cletimmo sur le fondement des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ainsi qu’à la SAS Cletimmo.

Délibéré après l’audience du 25 mai 2022, à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Dèche, présidente assesseure,

Mme Le Frapper, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juin 2022.

La rapporteure,

M. Le Frapper

Le président,

F. Bourrachot

La greffière,

S. Bertrand

La République mande et ordonne au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 19LY01240

lc


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