Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société d’exploitation mutualisée pour l’eau, l’environnement, les réseaux l’assainissement dans l’intérêt du public (SEMERAP) a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d’annuler la convention d’affermage conclue le 23 octobre 2015 entre la commune de Pionsat et la société Lyonnaise des eaux France pour la gestion du service de production, de stockage et de distribution d’eau potable.
Par un jugement n° 1502270 du 21 juin 2016, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande et mis à sa charge une somme de 1 000 euros à verser à la commune de Pionsat en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour
Par une requête et des mémoires enregistrés les 26 juillet, 17 octobre et 19 décembre 2016, la SEMERAP, représentée par MeB…, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 21 juin 2016 ;
2°) dans le dernier état de ses écritures, d’annuler par voie de conséquence, la décision de la commune de Pionsat attribuant la délégation de service public litigieuse ;
3°) de saisir à titre préjudiciel la Cour de justice de l’Union européenne afin qu’elle se prononce sur la notion en droit communautaire d’activités accessoires des organismes en prestations intégrées ou » in house » et les conséquences induites sur les dispositions législatives nationales relatives aux sociétés publiques locales ;
4°) dans le dernier état de ses écritures, de lui allouer une somme de 5 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.
La SEMERAP soutient que :
– la rédaction très laconique de l’article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales ne permet pas d’écarter d’emblée la candidature d’une société publique locale (SPL) au motif qu’elle n’a pas la capacité juridique pour présenter une offre ; aucun principe général du droit ne fait obstacle à ce qu’une collectivité publique renonce à poursuivre jusqu’à son terme la procédure de dévolution d’un contrat et désigne en cours de procédure un organisme dédié sur lequel il exerce un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services ; le tribunal a méconnu le principe d’égalité devant la commande publique en se saisissant de l’article L. 1531-1, alors que la commune n’avait pas fondé le rejet de son offre sur ces dispositions ; en l’espèce, dès lors que son offre a été examinée au fond par la commission de service public, elle a la qualité de tiers évincé ;
– l’interdiction d’exercer des activités accessoires au profit de collectivités qui n’en sont pas membres faite aux SPL par l’article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales méconnaît le droit communautaire, alors que les directives » marchés et concessions » de février 2014, reprenant sur ce point la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, et transposées en droit national notamment par l’ordonnance n° 2016-26 du 29 janvier 2016, admettent les activités accessoires à hauteur de 20 % ; peu importe la date à laquelle la directive a été transposée, dès lors que le principe du in house était applicable en jurisprudence antérieurement ; l’article L. 1531-1 crée un régime discriminatoire par rapport aux autres organismes relevant de cette ordonnance ; la loi française apparaît contraire à la liberté de prestation de service consacrée à l’article 57 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ainsi qu’aux articles 54 et 62 ; il existe un conflit de lois au sein du droit interne ; la Cour de justice de l’Union européenne peut fournir au juge national des éléments d’interprétation du droit communautaire permettant de résoudre le problème juridique ;
– elle a été lésée dans ses droits de manière directe et certaine, car dès lors que le rejet de sa candidature la prive d’un contrat rémunérateur, elle justifie d’un intérêt légitime ; elle n’a jamais entendu présenter une offre grossièrement non conforme, contrairement à ce que soutient la société Suez Eau France.
Par un mémoire enregistré le 28 octobre 2016, la commune de Pionsat, représentée par MeA…, demande à la cour :
1°) à titre principal, de rejeter la requête de la SEMERAP ;
2°) à titre subsidiaire, de rejeter sa demande comme non-fondée ;
3°) à titre infiniment subsidiaire, de faire application de la jurisprudence et de tenir compte de l’intérêt général tenant à la continuation du service public ;
4°) de mettre à la charge de la SEMERAP une somme de 2 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune fait valoir que :
– la demande de renvoi préjudiciel ne peut qu’être rejetée dès lors que le juge interne peut résoudre seul le litige, en se prononçant lui-même sur la compatibilité de l’article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales avec le droit communautaire, qui ne relève aucune contrariété, dès lors qu’il n’impose pas de dispositions contraires à l’ordonnance du 29 janvier 2016 ou à la directive du 26 février 2014, qui ne peuvent être interprétées comme imposant aux entités contrôlées d’exercer jusqu’à 20 % d’activités accessoires ; l’existence d’une distorsion dans l’égalité d’accès à la commande publique a déjà été écartée par le Conseil d’Etat, au titre du grief d’inconstitutionnalité ;
– à titre principal, c’est à juste titre que les premiers juges ont rejeté comme irrecevable la demande de la SEMERAP, dès lors que cette dernière est dans l’impossibilité de conclure une convention de délégation de service public avec une personne morale qui n’est pas l’un de ses actionnaires, en application de l’article L. 1531-1, ce qui fait obstacle à ce qu’elle puisse être lésée par la passation ou les clauses du contrat attaqué ; la commune n’ayant jamais été actionnaire d’une SPL et n’exerçant pas sur la SEMERAP un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services, elle ne pouvait renoncer à suivre à son terme la procédure de dévolution de la délégation de service public attaquée pour désigner cette société en cours de procédure comme délégataire ;
– à titre subsidiaire, les conclusions tendant à l’annulation de la décision attribuant la délégation de service public sont irrecevables, en application de la jurisprudence département de Tarn-et-Garonne ; en tout état de cause, la prétendue contrariété de l’article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales au droit communautaire ne saurait constituer un vice entachant la validité du contrat.
Par des mémoires enregistrés les 13 et 21 décembre 2016, la société Suez Eau France, représentée par MeC…, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la société SEMERAP une somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société Suez Eau France fait valoir que :
– l’intérêt pour agir doit être apprécié à la date de l’introduction du recours, soit le 11 décembre 2015 ; les directives communautaires ne produisant des effets de droit qu’à l’issue de leur délai de transposition, qui expirait, s’agissant de la directive 2014/23/UE du 26 février 2014, le 18 avril 2016, la requérante ne peut utilement arguer de l’incompatibilité de l’article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales avec cette directive ; au demeurant, l’attribution du marché, qui présente le caractère d’une décision individuelle, ne pouvait être regardée comme de nature à compromettre sérieusement la réalisation du résultat prescrit par cette directive ; le moyen tiré de l’incompatibilité avec l’article 57 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne est dépourvu des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ; la question que la SEMERAP souhaite voir renvoyée ne pose aucune difficulté puisque sa réponse ne présente pas d’utilité pour la résolution du litige ; en tout état de cause, la directive n’a ni pour objet, ni pour effet d’interdire aux Etats membres de créer un type de société n’exerçant ses activités qu’avec ses actionnaires ; l’interdiction faite aux SPL d’exercer leurs activités avec d’autres personnes que leurs actionnaires ne contrevient ni à la directive, ni à aucune règle du droit de l’Union européenne ; l’ordonnance du 29 janvier 2016 ayant valeur législative, ne peut primer sur l’article L. 1531-1, avec lequel elle n’est pas incompatible ;
– la qualité de concurrent évincé ne suffisait pas à rendre la demande de la SEMERAP recevable ; elle ne justifie pas d’un intérêt légitime, dès lors qu’elle viole les dispositions de l’article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales en tentant de convaincre les communes de rejoindre ses actionnaires, alors qu’il n’entre pas dans son objet social de confectionner des dossiers de candidature et d’offres pour d’autres personnes publiques que ses actionnaires ;
– ses conclusions tendant à l’annulation de la décision de la commune attribuant la délégation de service public sont irrecevables s’agissant d’un acte détachable qu’elle n’est pas recevable à contester isolément ;
– en toute hypothèse, sa demande était également irrecevable en raison du caractère grossièrement non conforme de son offre, puisqu’elle avait proposé un système de radiorelève des compteurs alors que le projet de convention exigeait un système de télérelève et qu’elle ne répondait pas à certaines options.
Par ordonnance du 26 octobre 2016, la clôture de l’instruction a été fixée au 27 décembre 2016.
Un mémoire présenté pour la SEMERAP a été enregistré le 3 janvier 2017.
Par ordonnance du 16 janvier 2017, le président de la quatrième chambre de la cour a refusé de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SEMERAP.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de justice administrative ;
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Samson-Dye, rapporteur,
– les conclusions de M. Dursapt, rapporteur public,
– les observations de MeA…, représentant la commune de Pionsat, et de MeC…, représentant la société Suez Eau France.
1. Considérant que la SEMERAP relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté comme irrecevable sa contestation de validité de la convention d’affermage ayant pour objet la gestion du service de production, de stockage et de distribution d’eau potable, conclue le 23 octobre 2015 entre la commune de Pionsat et la société Lyonnaise des eaux France, aux droits de laquelle vient la société Suez Eau France ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
2. Considérant qu’indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l’excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d’un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles ; que cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu’au représentant de l’Etat dans le département dans l’exercice du contrôle de légalité ;
3. Considérant qu’aux termes de l’article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales : » Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent créer, dans le cadre des compétences qui leur sont attribuées par la loi, des sociétés publiques locales dont ils détiennent la totalité du capital. / Ces sociétés sont compétentes pour (…) exploiter des services publics à caractère industriel ou commercial ou toutes autres activités d’intérêt général. / Ces sociétés exercent leurs activités exclusivement pour le compte de leurs actionnaires et sur le territoire des collectivités territoriales et des groupements de collectivités territoriales qui en sont membres. / Ces sociétés revêtent la forme de société anonyme régie par le livre II du code de commerce (…) » ;
4. Considérant que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté la demande de la SEMERAP, ayant le statut de société publique locale, comme irrecevable, dès lors qu’elle n’était pas susceptible d’être lésée dans ses droits de manière suffisamment directe par la passation ou les clauses du contrat conclu par la commune de Pionsat, qui n’est pas au nombre de ses actionnaires, et pour laquelle elle n’aurait pu exploiter le service en cause, dès lors que les sociétés publiques locales doivent exercer leurs activités exclusivement pour le compte de leurs actionnaires, en application des dispositions citées au point précédent ;
5. Considérant, d’une part, que la SEMERAP soutient que les dispositions de l’article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales sont incompatibles avec le droit communautaire, en tant qu’elles imposent un exercice exclusif des activités pour le compte des actionnaires ;
6. Considérant que si elle évoque, à cet égard, une violation du principe de liberté de prestations de service, en se référant sommairement aux articles 57, 54 et 62 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ce moyen n’est pas assorti des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ;
7. Considérant par ailleurs qu’elle ne peut utilement se référer à la directive 2014/23/UE du 26 février 2014 pour contester les dispositions de l’article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales, qui résultent, pour le point critiqué, de la loi n° 2010-559 du 28 mai 2010, dès lors que le délai de transposition, fixé au 18 avril 2016, n’était pas expiré, que ce soit à la date de conclusion du contrat ou à la date d’introduction de sa demande ;
8. Considérant enfin que la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, puis de la Cour de justice de l’Union européenne, permet de déroger à l’application des règles du droit de l’Union relatives à la procédure d’attribution des contrats publics dès lors que le pouvoir adjudicateur exerce sur l’entité attributaire un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services et que cette entité réalise l’essentiel de ses activités au profit du ou des pouvoirs adjudicateurs qui la détiennent ; qu’ainsi, elle n’exige pas qu’une entité exerce l’intégralité de son activité avec un pouvoir adjudicateur pour qu’elle puisse bénéficier du régime dit des prestations intégrées, l’activité du prestataire devant être consacrée principalement à cette collectivité, toute autre activité ne revêtant qu’un caractère marginal ;
9. Considérant cependant, et alors que la jurisprudence européenne précise que, pour évaluer si tel est le cas, le juge compétent doit prendre en considération toutes les circonstances de l’espèce tant qualitatives que quantitatives, qu’il n’en découle aucun principe faisant obstacle à ce que le législateur français exige d’une société publique locale, qui a vocation à bénéficier de ce régime de prestations intégrées, qui déroge aux exigences habituelles de publicité et de mise en concurrence applicables à la commande publique, qu’elle exerce l’exclusivité de ses activités pour le compte de ses actionnaires et, partant, lui interdise d’exercer son activité au profit de collectivités qui ne figurent pas parmi ses actionnaires ;
10. Considérant qu’il suit de là, sans qu’il soit besoin de saisir la Cour de justice de l’Union européenne à titre préjudiciel, que les moyens tirés de l’incompatibilité de L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales au regard du droit de l’Union européenne doivent être écartés ;
11. Considérant, d’autre part, que le contrat litigieux dans la présente instance a été conclu le 23 octobre 2015, à une date à laquelle l’ordonnance n° 2016-57 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession n’était pas entrée en vigueur ; que, dans ces conditions, la SEMERAP ne peut utilement se prévaloir de l’article 16 de cette ordonnance pour invoquer une contrariété entre des dispositions du droit interne ;
12. Considérant qu’il suit de là que la SEMERAP ne pouvait légalement conclure le contrat en litige avec une collectivité qui n’était pas au nombre de ses actionnaires ; qu’au regard de l’intérêt qu’elle invoque en sa seule qualité de concurrent évincé, la passation de ce contrat ou ses clauses n’ont pas pu léser ses intérêts de manière suffisamment directe et certaine, et cela même s’il était toujours loisible à la commune de mettre un terme à la procédure pour devenir actionnaire de la SEMERAP et lui confier le service ; qu’ainsi, et alors même que sa candidature à l’attribution du contrat litigieux n’avait pas été écartée pour ce motif, la SEMERAP ne justifie pas d’un intérêt suffisant pour contester la validité de la convention entre la commune de Pionsat et la société Lyonnaise des eaux France ; que c’est donc à bon droit que les première juges ont opposé un tel motif d’irrecevabilité à sa demande ;
13. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SEMERAP n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande ;
Sur les frais non compris dans les dépens :
14. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la cour fasse bénéficier la partie perdante du paiement par l’autre partie des frais exposés à l’occasion du litige soumis au juge et non compris dans les dépens ; que, dès lors, les conclusions de la SEMERAP, qui succombe à l’instance, doivent être rejetées ;
15. Considérant qu’il y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la SEMERAP les sommes de 1 500 euros, en application de ces dispositions, à verser respectivement à la commune de Pionsat et à la société Suez Eau France ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SEMERAP est rejetée.
Article 2 : La SEMERAP versera la somme de 1 500 euros à la commune de Pionsat et la somme de 1 500 euros à la société Suez Eau France, en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SEMERAP, à la commune de Pionsat et à la société Suez Eau France.
Délibéré après l’audience du 23 février 2017 à laquelle siégeaient :
M. d’Hervé, président,
Mme Michel, président-assesseur,
Mme Samson-Dye, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 16 mars 2017.
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N° 16LY02652