CAA de LYON, 2ème chambre – formation à 3, 24/11/2016, 15LY01276, Inédit au recueil Lebon

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CAA de LYON, 2ème chambre – formation à 3, 24/11/2016, 15LY01276, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI Le Domaine de l’Oratoire a demandé au tribunal administratif de Grenoble la décharge des droits de taxe sur la valeur ajoutée qu’elle a acquittés à concurrence d’une somme de 61 599 euros au titre du 3ème trimestre de l’année 2010 et d’une somme de 22 030 euros au titre du 2ème trimestre de l’année 2011.

Par une ordonnance n° 1204411 du 19 février 2015, la présidente de la 7ème chambre du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 14 avril 2015, la SCI Le Domaine de l’Oratoire, représentée par MeA…, demande à la cour :

1°) d’annuler cette ordonnance de la présidente de la 7ème chambre du tribunal administratif de Grenoble du 19 février 2015 ;

2°) de lui accorder la  » décharge  » des sommes en cause ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SCI Le Domaine de l’Oratoire soutient que :

Sur la régularité de l’ordonnance :

– contrairement à ce qu’a estimé le premier juge, elle avait clairement indiqué, dans sa demande, la nature des opérations taxées à tort, à savoir des cessions de terrains à bâtir par un marchand de biens, et le fondement légal dont elle contestait l’application, à savoir celle de l’article 257 nouveau du code général des impôts ;

Sur le bien fondé des impositions :

– les dispositions de l’article 257 du code général des impôts, dans sa version modifiée au début de l’année 2010 ne sont pas conformes au droit communautaire, lorsqu’elles prévoient l’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée des cessions de terrains à bâtir selon des modalités qui interdisent à l’acquéreur, quelle que soit sa qualité, ou sa situation, vis-à-vis de la taxe sur la valeur ajoutée, de récupérer la taxe correspondante ;

– la taxation des cessions de terrains à bâtir provenant des dispositions de l’article 257 du code général des impôts et de celles de l’article 268 du même code, aux termes desquelles la taxe sur la valeur ajoutée exigible sur la cession d’un terrain à bâtir est calculée sur la marge, c’est-à-dire, sur la différence entre le prix de vente et le prix d’acquisition du bien, est contraire à l’article 392 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006, puisque ces dispositions n’autorisent ce mode de taxation que sur option du vendeur assujetti.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 septembre 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Le ministre des finances et des comptes publics soutient que :

– les conclusions de la société ne sont recevables qu’à hauteur du solde de taxe sur la valeur ajoutée payé au titre du 3ème trimestre 2010 et du 2ème trimestre 2011, soit à hauteur de 80 195 euros, et non à hauteur de 83 639 euros qui correspond au montant de la taxe sur la valeur ajoutée collectée ;

– les moyens soulevés par la SCI Le Domaine de l’Oratoire ne sont pas fondés.

Par une ordonnance en date du 1er juillet 2016, la clôture de l’instruction a été fixée au 2 septembre 2016, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;

– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

– la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010 ;

– le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme Duguit-Larcher, premier conseiller,

– et les conclusions de M. Besse, rapporteur public.

1. Considérant que la SCI Le Domaine de l’Oratoire, qui exerce une activité de marchand de biens, et se trouve, à ce titre, assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée dans le cadre de son activité économique, a sollicité auprès de l’administration fiscale la  » décharge  » de la taxe sur la valeur ajoutée qu’elle avait collectée, pour un montant de 61 599 euros au titre du 3ème trimestre de l’année 2010 et pour un montant de 22 030 euros au titre du 2ème trimestre de l’année 2011 ; que l’administration ayant rejeté sa demande, elle a saisi le tribunal administratif de Grenoble d’une demande tendant à la décharge de ces sommes ; qu’elle relève appel de l’ordonnance du 19 février 2015, par laquelle la présidente de la 7ème chambre du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande ;

Sur la régularité de l’ordonnance :

2. Considérant qu’aux termes de l’article R. 222-1 du code de justice administrative :  » (…) les présidents de formation de jugement des tribunaux (…) peuvent, par ordonnance : (…) 7° Rejeter, après l’expiration du délai de recours ou, lorsqu’un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire, les requêtes ne comportant que des moyens de légalité externe manifestement infondés, des moyens irrecevables, des moyens inopérants ou des moyens qui ne sont assortis que de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ou ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ; » ;

3. Considérant que pour rejeter la demande de la SCI Domaine de l’Oratoire sur le fondement des dispositions précitées, la présidente de la 7ème chambre du tribunal administratif de Grenoble a estimé que cette demande ne comportait qu’un moyen, qui n’était manifestement pas assorti des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ; que, toutefois, il résulte des termes de la demande de la SCI, qui sollicitait la restitution de taxe sur la valeur ajoutée qu’elle avait collectée, sur la marge, à l’occasion d’opérations d’achat revente de terrains à bâtir, que celle-ci soulevait le moyen tiré de l’incompatibilité des dispositions de l’article 257 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable après l’entrée en vigueur de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, avec la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ; qu’elle précisait que cette incompatibilité résultait du fait que ces nouvelles dispositions  » interdisent à l’acquéreur, quelle que soit sa qualité, ou sa situation vis-à-vis de la taxe sur la valeur ajoutée, de récupérer la taxe correspondante  » ; que, dès lors, la SCI Le Domaine de l’Oratoire est fondée à soutenir que c’est à tort que la présidente de la 7ème chambre du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande, par ordonnance, sur le fondement des dispositions précitées de l’article R. 222-1 du code de justice administrative ; que, par suite, l’ordonnance attaquée doit être annulée ;

4. Considérant qu’il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la SCI Le Domaine de l’Oratoire devant le tribunal administratif de Grenoble ;

Sur le bien-fondé de l’imposition :

5. Considérant que la SCI Le Domaine de l’Oratoire a demandé devant le tribunal  » la décharge des cotisations de taxe sur la valeur ajoutée à laquelle elle a été assujettie  » à concurrence d’une somme de 61 599 euros au titre du 3ème trimestre de l’année 2010 et d’une somme de 22 030 euros au titre du 2ème trimestre de l’année 2011 ; qu’ainsi que le fait valoir l’administration, ces montants correspondent aux montants de taxe sur la valeur ajoutée collectée par la société requérante au titre de ces deux périodes ; qu’en raison des montants de taxe sur la valeur ajoutée qu’elle a déduits au titre de ces deux périodes, la SCI Le Domaine de l’Oratoire n’a acquitté que 59 329 euros au titre du 3ème trimestre 2010 et que 20 866 euros au titre du 2ème trimestre 2011 ; que, par suite, ses conclusions doivent être regardées comme tendant, d’une part, à la restitution des droits de taxe sur la valeur ajoutée qu’elle a acquittés, à hauteur de 59 329 euros au titre du 3ème trimestre 2010 et de 20 866 euros au titre du 2ème trimestre 2011 et, d’autre part, pour le surplus, au remboursement de crédits de taxe sur la valeur ajoutée ;

Sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre, tirée de l’irrecevabilité des conclusions portant sur le remboursement de crédits de taxe sur la valeur ajoutée :

6. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 2 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 susvisée :  » 1. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les opérations suivantes : / a) les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un Etat membre par un assujetti agissant en tant que tel ; (…).  » ; qu’aux termes de l’article 9 de cette directive :  » Est considéré comme  » assujetti  » quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité  » ; qu’aux termes de l’article 12 de cette directive :  » 1. Les Etats membres peuvent considérer comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, une opération relevant des activités visées à l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, et notamment une seule des opérations suivantes : (…) b) la livraison d’un terrain à bâtir ; (…)  » ; qu’aux termes de l’article 135 de la même directive :  » 1. Les États membres exonèrent les opérations suivantes : (…) k) les livraisons de biens immeubles non bâtis autres que celles des terrains à bâtir visés à l’article 12, paragraphe 1, point b)  » ; que l’article 392 de cette même directive dispose que :  » Les États membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n’a pas eu droit à déduction à l’occasion de l’acquisition, la base d’imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d’achat  » ;

7. Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 256 du code général des impôts :  » I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel.  » ; qu’aux termes de l’article 256 A du code général des impôts :  » Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention.  » ; qu’aux termes de l’article 257 du même code, dans sa rédaction issue de l’article 16 de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010 :  » I. – Les opérations concourant à la production ou à la livraison d’immeubles sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée dans les conditions qui suivent. (…)  » ; qu’aux termes de l’article 268 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de ce même article 16 de la loi n° 2010-237 susvisée :  » S’agissant de la livraison d’un terrain à bâtir, (…), si l’acquisition par le cédant n’a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d’imposition est constituée par la différence entre : / 1° D’une part, le prix exprimé et les charges qui s’y ajoutent ; / 2° D’autre part, selon le cas : / – soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l’acquisition du terrain ou de l’immeuble ; / – soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature qu’il a effectués.  » ; qu’aux termes de l’article 283 du code général des impôts :  » 1. La taxe sur la valeur ajoutée doit être acquittée par les personnes qui réalisent les opérations imposables (…)  » ;

8. Considérant que contrairement à ce que soutient la société requérante, les dispositions législatives précitées, applicables à la période en litige, n’interdisent pas à l’acquéreur d’un terrain à bâtir qui l’a acquis en vue de le revendre, quelle que soit sa situation, de récupérer la taxe sur la valeur ajoutée qu’il a supportée ; qu’elles prévoient seulement que l’acquéreur d’un terrain à bâtir, lui-même assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée, peut, lorsqu’il cède ce terrain à bâtir, soit déduire la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé l’achat de ce terrain, si le vendeur initial du terrain était lui-même assujetti, soit collecter la taxe sur la valeur ajoutée sur la seule marge, lorsque son propre achat ne lui a pas ouvert de droit à déduction en raison de la situation de son vendeur initial ; que ces dispositions législatives, et notamment celles de l’article 268 précité du code général des impôts relatives à la taxe sur la valeur ajoutée à la marge, qui ont pour finalité de compenser l’absence de droit à déduction d’un assujetti lorsqu’il a acquis, en vue de la revente, un terrain à bâtir à un non assujetti, sont conformes aux dispositions précitées de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée qui prévoient elles-mêmes la possibilité pour les Etats membres de mettre en place un régime de taxation sur la marge pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés, en vue de la revente, par un assujetti qui n’a pu déduire la taxe sur la valeur ajoutée lors de l’acquisition ; que, contrairement à ce qu’allègue la société requérante, l’article 392 de la directive n’exige pas que ce mode de taxation intervienne uniquement sur option du vendeur assujetti, mais indique seulement que les Etats membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n’a pas eu droit à déduction à l’occasion de l’acquisition, la base d’imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d’achat ; que les dispositions précitées de l’article 268 du code général des impôts, dans sa version applicable au présent litige, sont conformes à ces dispositions ; que, par suite, la société n’est pas fondée à soutenir que le principe de taxation sur la marge mis en oeuvre par l’administration ne serait pas conforme au droit communautaire ;

9. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la SCI Le Domaine de l’Oratoire n’est pas fondée à demander la restitution des droits de taxe sur la valeur ajoutée qu’elle a acquittés, à hauteur de 59 329 euros au titre du 3ème trimestre 2010 et de 20 866 euros au titre du 2ème trimestre 2011 ni à demander, pour le surplus, le remboursement de crédits de taxe sur la valeur ajoutée ;

Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l’Etat qui n’a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la SCI Le Domaine de l’Oratoire la somme qu’elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : L’ordonnance n° 1204411 du 19 février 2015 de la présidente de la 7ème chambre du tribunal administratif de Grenoble est annulée.

Article 2 : La demande présentée par la SCI Le Domaine de l’Oratoire devant le tribunal administratif et le surplus de ses conclusions d’appel sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Le Domaine de l’Oratoire et au ministre de l’économie et des finances.

Délibéré après l’audience du 18 octobre 2016 à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Mear, président-assesseur,

Mme Duguit-Larcher, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 24 novembre 2016.

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N° 15LY01276


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