Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Skiworld Limited a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er mai 2008 au 30 novembre 2011 et la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2009, 2010 et 2011.
Par un jugement n° 1401012 du 31 octobre 2016, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 23 décembre 2016 et le 25 juillet 2017, la société Skiworld Limited, représentée par Me B…, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 31 octobre 2016 ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– la doctrine administrative référencée 3 A-2311 n° 15 du 20 octobre 1999, et désormais BOI-TVA-SECT-60 n° 140 et 150, 12 septembre 2012 prévoit que lorsque l’agence de voyages dont le siège social est situé à l’étranger exécute matériellement avec ses propres moyens les opérations d’hébergement ou de ventes à consommer sur place, l’activité imposable en France n’est pas celle d’une agence de voyages mais celle d’un hôtel ;
– les termes de comparaison retenus par le vérificateur, qui vendent des voyages réalisés par des tiers et sont rémunérés par des commissions sont dépourvus de pertinence ;
– le chiffre d’affaires et les résultats imposables retenus par le vérificateur sont, de ce fait, excessifs.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mai 2017, le ministre de l’action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par l’appelante ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 26 février 2018, la clôture d’instruction a été fixée au 26 février 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Anne Menasseyre, présidente assesseure ;
– les conclusions de M. Jean-Paul Vallecchia, rapporteur public ;
– et les observations de Me C…, représentant la société Skiworld Limited ;
Considérant ce qui suit :
1. La société de droit britannique Skiworld Limited exerce une activité de voyagiste et vend notamment des séjours dans des stations de ski en France où elle dispose d’un établissement stable situé à Bourg-Saint-Maurice. A la suite d’une vérification de comptabilité débutée en février 2012, l’administration fiscale a contesté la méthode utilisée par la société pour calculer le résultat de son activité réalisée en France, et a reconstitué son résultat par application de la méthode transactionnelle de la marge nette, consistant à arrêter son bénéfice par application aux charges nettes déterminées par la société d’un coefficient issu de l’exploitation des états financiers d’entreprises comparables ; elle a ensuite reconstitué son chiffre d’affaires à partir des éléments ainsi évalués. La société Skiworld Limited relève appel du jugement du 31 octobre 2016 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande de décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre respectivement des exercices clos en 2009, 2010 et 2011 et de la période comprise entre le 1er mai 2008 et le 30 novembre 2011.
2. En premier lieu, il n’est pas contesté que la société était assujettie en France à l’impôt sur les sociétés à raison de l’activité de l’établissement stable dont elle disposait à Bourg-Saint-Maurice, et que les prestations assurées par cet établissement étaient imposables en France au titre de la taxe sur la valeur ajoutée, en application des articles 259 et suivants du code général des impôts.
3. En deuxième lieu, aux termes de l’article 53 A du code général des impôts rendu applicable à l’impôt sur les sociétés par l’article 209 du même code : » (…) les contribuables (…) sont tenus de souscrire chaque année, dans les conditions et délais prévus aux articles 172 et 175, une déclaration permettant de déterminer et de contrôler le résultat imposable de l’année ou de l’exercice précédent. Un décret fixe le contenu de cette déclaration ainsi que les documents qui doivent y être joints (…) « . Aux termes de l’article 54 du même code : » Les contribuables mentionnés à l’article 53 A sont tenus de représenter à toute réquisition de l’administration tous documents comptables, inventaires, copies de lettres, pièces de recettes et de dépenses de nature à justifier l’exactitude des résultats indiqués dans leur déclaration. / Si la comptabilité est tenue en langue étrangère, une traduction certifiée par un traducteur juré doit être représentée à toute réquisition de l’administration (…) « .
4. Il résulte de ces dispositions que la succursale française d’une société étrangère, alors même qu’elle n’est pas soumise à l’obligation de tenir une comptabilité selon les modalités prévues par les dispositions des articles L. 123-12 et suivants du code de commerce, doit présenter à l’administration, sur demande de celle-ci, les documents et pièces mentionnés par l’article 54 du code général des impôts de nature à justifier l’exactitude des résultats indiqués dans les déclarations qu’elle a souscrites, en application des dispositions de l’article 53 A du même code. En outre, aux termes de l’article 286 du même code : » Toute personne assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée doit : (…) / 3° Si elle ne tient pas habituellement une comptabilité permettant de déterminer son chiffre d’affaires tel qu’il est défini par le présent chapitre, avoir un livre aux pages numérotées sur lequel elle inscrit, jour par jour, sans blanc ni rature, le montant de chacune de ses opérations, en distinguant, au besoin, ses opérations taxables et celles qui ne le sont pas (…) / 4° Fournir aux agents des impôts (…) pour chaque catégorie d’assujettis, tant au principal établissement que dans les succursales ou agences, toutes justifications nécessaires à la fixation des opérations imposables (…) « .
5. De ce fait, l’administration fiscale était en droit de réclamer à la société Skiworld Limited les documents et pièces de nature à justifier que les résultats indiqués dans les déclarations qu’elle avait souscrites retraçaient correctement les bénéfices industriels et commerciaux qui auraient été imputables à son établissement français s’il avait constitué une entité juridique indépendante exerçant des activités identiques ou analogues dans des conditions identiques ou analogues et traitant dans des conditions normales avec la société requérante, de même que toutes justifications nécessaires à la détermination des opérations imposables à la taxe sur la valeur ajoutée. Il n’est pas contesté que la situation de la société appelante, faute pour elle d’avoir présenté un document comptable retraçant l’ensemble des recettes et dépenses imputables à son établissement français, pouvait être assimilée à celle d’un contribuable dont la comptabilité comporte de graves irrégularités, situation qui autorisait l’administration à reconstituer le chiffre d’affaires résultant de l’activité de son établissement stable en France.
6. Au cas d’espèce, les rectifications procédant de la reconstitution à laquelle s’est livrée l’administration ont été notifiées selon la procédure contradictoire et refusées par la société. En l’absence de saisine de l’une des commissions visées à l’article L. 59 du livre des procédures fiscales, c’est l’administration qui supporte la charge de la preuve dans les conditions de droit commun.
7. Pour établir les rectifications contestées, l’administration, après avoir écarté comme dépourvues de pertinence les méthodes de calcul du chiffre d’affaires réalisé en France par son établissement stable pour les exercices clos en 2009, 2010 et 2011 initialement retenues par la société, a appliqué la méthode dite » des marges transactionnelles nettes « . Elle a sélectionné, à partir de la base de données publiques Diane, des entreprises qui lui ont paru comparables du point de vue de leur chiffre d’affaires, de leur situation juridique, de leur indépendance à l’égard de leurs actionnaires, et de leur activité, correspondant au code 79 dans la nouvelle version révisée de la Nomenclature statistique des Activités économiques dans la Communauté Européenne (NACE Rév. 2), Activités des agences de voyage, voyagistes, services de réservation et activités connexes. Elle s’est ensuite livrée, à partir des descriptions d’activité fournies par la base de données ou des sites Internet des entreprises concernées, à une sélection qualitative qui lui a permis d’éliminer les coopératives, les centrales d’achat et les entreprises dont l’objet lui paraissait trop différent pour n’en retenir que douze. Pour chacune de ces sociétés, l’administration a déterminé, pour chaque exercice, le » net cost + « , correspondant au rapport entre le résultat d’exploitation et le total des charges et a retenu les valeurs médianes annuelles de cet échantillon. Ce coefficient appliqué aux charges, arrêté à 2,19 % pour l’exercice clos en 2009, 2,56 % pour l’exercice clos en 2010 et 2,09 % pour l’exercice clos en 2011, a permis de déterminer le bénéfice reconstitué, ce qui correspond, par rapport aux résultats initialement déclarés, à des rehaussements s’élevant respectivement à 722 015 euros, 196 594 euros et 122 269 euros.
8. Il résulte de l’instruction que si la société perçoit des commissions sur la location du matériel de ski et les forfaits des remontées mécaniques de ses clients, l’activité qu’elle exerce en France consiste principalement à fournir des prestations d’hébergement et de restauration dans des chalets qu’elle prend à bail, pour chaque saison d’hiver, avec du personnel employé et rémunéré par ses soins en Grande Bretagne. Il résulte, ainsi, de l’instruction que le montant des loyers exposés à ce titre par la société au titre de l’exercice clos en 2009 s’est élevé à la somme de 6 337 338 euros. Il n’est pas contesté que la société supporte également, à ce titre, des charges correspondant à des achats de marchandises, nourritures et boissons nécessaires à la préparation des petits déjeuners et dîners qu’elle sert à ses clients et aux consommables correspondants. La société fait valoir que les entreprises retenues par l’administration pour reconstituer son chiffre d’affaires ont recours à la sous-traitance et, faute de délivrer à leurs clients des prestations d’hébergement ou de restauration qu’elles assurent, ne se trouvent pas dans une situation comparable à la sienne en l’absence de toute prestation para-hôtelière.
9. Comme il a été indiqué au point 6, il appartient à l’administration de justifier de la pertinence des termes de comparaison qu’elle a retenus pour arrêter les impositions contestées. Elle ne peut, pour démontrer cette pertinence, se borner à faire valoir que l’activité déployée par le société Skiworld Limited en France ne peut être totalement comparée à celle des hôtels restaurants établis en France ou que le choix des sociétés que l’appelante propose comme termes de comparaison alternatifs serait contestable. En indiquant que le panel d’agences de voyages retenu par le service résulte d’une stratégie de recherche sur des sociétés potentiellement comparables compte tenu de leur activité de prestations de services liées au tourisme, que les actifs utilisés sont comparables et que certaines agences du panel ont accusé des pertes en 2009, l’administration n’apporte pas une réponse pertinente au constat tiré de ce que, au contraire de la société appelante, les entreprises retenues n’assurent pas elles-mêmes les prestations d’hébergement et de restauration qu’elles proposent à leurs clients. Eu égard à cette importante discordance, elle ne peut être regardée comme démontrant que les entreprises qu’elle a retenues étaient comparables à la société Skiworld Limited sur son activité déployée en France. Il en résulte que, faute pour l’administration d’établir, comme il lui revient de le faire en l’espèce, la pertinence de la méthode retenue pour reconstituer le chiffre d’affaires de la société, cette dernière est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement du 31 octobre 2016, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté les conclusions en décharge qu’elle avait présentées.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l’Etat le versement à la société Skiworld Limited de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 31 octobre 2016 est annulé.
Article 2 : La société Skiword Limited est déchargée des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er mai 2008 au 30 novembre 2011 et des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2009, 2010 et 2011.
Article 3 : L’Etat versera à la société Skiworld Limited une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Skiworld Limited et au ministre de l’action et des comptes publics.
Délibéré après l’audience du 2 mai 2018, à laquelle siégeaient :
Mme Menasseyre, présidente assesseure, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l’article R. 222-26 du code de justice administrative,
Mme A…, première conseillère,
Mme, D…, première conseillère.
Lu en audience publique, le 22 mai 2018.
N° 16LY04394