CAA de LYON, 2ème chambre – formation à 3, 11/04/2017, 15LY00532, Inédit au recueil Lebon

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CAA de LYON, 2ème chambre – formation à 3, 11/04/2017, 15LY00532, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. et Mme C… ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de leur accorder la décharge des cotisations supplémentaires à l’impôt sur le revenu auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2009 et 2010.

Par un jugement n° 1206489 du 15 décembre 2014, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 16 février 2015, M. et Mme C…, représentés par Me D…, demandent à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble, en date du 15 décembre 2014 ;

2°) de leur accorder la décharge des impositions contestées et des pénalités y afférentes ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

– l’administration fiscale n’apporte pas la preuve de l’appréhension effective des sommes dont l’origine a été déclarée à la banque de placement, ni de l’intention libérale de la société envers son dirigeant ; l’administration se borne à soutenir que l’acte n’a pas été réalisé dans l’intérêt de la société du seul fait qu’elle considère que le compte ayant été ouvert au nom du gérant, il s’agissait en réalité d’une mise à disposition des fonds au profit de celui-ci ;

– les sommes sont demeurées la propriété de la SARL Agemi et n’ont pas été mises à la disposition de M. C… qui a agit en qualité de mandataire de la société ; le compte bancaire appartenait à la société et non à M. C…, comme en témoigne la déclaration d’origine des fonds et l’assignation délivrée le 6 mai 2014 par IG Markets à la société Agemi ;

– il s’agit d’une pratique courante, confère la doctrine administrative BOI-RPPM-RCM-10-20-20-20-20120912 n°170 ;

– le tribunal n’a pas motivé sa décision d’écarter les pièces du dossier ;

– le débit du compte courant d’associé n’aurait été fondé que dans l’hypothèse où la société aurait entendu mettre les fonds à la disposition de M.C… ;

– l’objectif était de faire fructifier l’excédent de trésorerie ; la société n’a pas agi dans un but contraire à son intérêt, ignorant l’importance du risque et escomptant un rendement de ce placement ; l’administration fiscale n’établit pas le caractère anormal de l’acte de gestion ; elle doit se placer au jour de l’investissement et ne pas se contenter de déduire de la perte intervenue que le placement était risqué ;

– le simple fait d’agir en dehors de son objet social n’est pas de nature à caractériser un acte anormal de gestion ;

– c’est à juste titre que la société a comptabilisé la perte au jour du débit bancaire, s’agissant d’opérations sur des instruments financiers CFD (Contracts for Différence), puisque cette perte équivaut à l’obligation de couverture ;

– il est constant qu’il n’y a jamais eu d’appréhension des fonds par M.C… ; la motivation retenue ne saurait justifier l’application des pénalités.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 juillet 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Le ministre expose qu’aucun des moyen soulevés par les requérants n’est fondé.

Par un mémoire en réplique enregistré le 23 juin 2016, M. et Mme C…concluent aux mêmes fins que leur requête initiale par les mêmes moyens.

Ils soutiennent, en outre, que :

– leur imposition au titre des sommes litigieuses constitue une triple peine après la perte des fonds investis et le refus d’admettre ces sommes en déduction du résultat imposable de la SARL Agemi qui s’est vue réclamer des suppléments d’impôt sur les sociétés majorés de pénalités pour manquement délibéré ;

– la banque de placement elle-même estime que le compte appartient à la SARL Agemi et non à M. C… personnellement ;

– l’administration ne répond pas sur la doctrine qui lui est pourtant opposable ;

– l’administration fiscale sur laquelle pèse la charge de la preuve de l’appréhension des fonds par M. C… et de l’acte anormal de gestion commis par la SARL ignore les éléments de faits qui pourtant s’imposent à elle ;

– la majoration de 25 % de l’assiette si elle s’explique par l’intégration de l’abattement de 20 % dans le barème pour les revenus catégoriels qui n’en bénéficiaient pas auparavant, ne repose sur aucun fondement légal s’agissant des contributions et prélèvements sociaux calculés par application d’un taux proportionnel et non au taux progressif ;

– l’application de cette majoration n’est nullement motivée en méconnaissance des dispositions de l’article L. 55 du livre des procédures fiscales ;

– l’administration fiscale ne rapporte pas la preuve d’un manquement délibéré de la part de M. C… ; les fonds, investis et perdus, ne lui ont pas bénéficiés et l’application de pénalités pour manquement délibéré conduit à une quadruple sanction.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 juillet 2016, le ministre des finances et des comptes publiques persiste dans ses écritures.

Le ministre expose, en outre, que :

– s’agissant des prélèvements sociaux, l’article 136-6 du code de la sécurité sociale, précise que les personnes fiscalement domiciliées en France au sens de l’article 4 B du code général des impôts sont assujetties à une contribution sur les revenus du patrimoine assise sur le montant net retenu pour l’établissement de l’impôt sur le revenu ; or, aux termes des dispositions de l’article 1600-0 C du code général des impôts, la CSG sur les revenus du patrimoine est établie, contrôlée et recouvrée conformément aux dispositions de l’article 136-6 du code de la sécurité sociale ; par ailleurs, il résulte des dispositions de l’article 1600-O C du code général des impôts que le prélèvement social sur les revenus du patrimoine est établi conformément aux dispositions de l’article L. 145-15 du code de la sécurité sociale qui stipule que les personnes fiscalement domiciliées en France au sens de l’article 4 B du code général des impôts sont assujetties au prélèvement social sur les revenus et les sommes visées à l’article L. 136-6 du code de la sécurité sociale ; enfin aux termes des dispositions de l’article 1600-0 G du même code, les personnes physiques sont assujetties à la CRDS assise sur les revenus du patrimoine définies au I de l’article 136-6 du code de la sécurité sociale ; aux termes des dispositions de l’article 158-7-2 du code général des impôts, le montant net des revenus distribués rehaussés fait l’objet d’une majoration de 25 % pour le calcul de l’impôt sur le revenu ; la même base, incluant la majoration de 25 %, a donc été retenue pour l’imposition des sommes à la CSG, au prélèvement social et à la CRDS ;

– l’intention délibérée est établie dans la mesure où M. C… n’a pas déclaré à l’impôt sur le revenu les sommes qu’il ne pouvait ignorer avoir encaissées sur son compte bancaire personnel.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juillet 2016, le ministre des finances et des comptes publiques persiste dans ses écritures.

Le ministre expose, en outre, que les contributions sociales ont été régulièrement motivées pour permettre aux requérants de présenter leurs observations.

Par un mémoire distinct, enregistré le 12 juillet 2016, et un mémoire enregistré 23 août 2016, M. et Mme C…demandent à la cour, à l’appui de leur requête tendant à l’annulation du jugement n° 1206489 du tribunal administratif de Grenoble du 15 décembre 2014, en application de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions combinées des articles 158-7-2° du code général des impôts et L. 136-6 du code de la sécurité sociale.

Ils soutiennent qu’il ressort de la combinaison de ces articles que seuls les contribuables ayant bénéficié de revenus distribués en application des articles 111 c à e du code général des impôts ou 109 de ce même code, dans le cadre d’une rectification, voient la base d’imposition des cotisations sociales afférentes aux impositions majorée de 25 % à l’inverse des autres revenus compris dans la même catégorie d’imposition ; cette situation crée une rupture d’égalité devant l’impôt, la loi, et les charges publiques quant aux prélèvements sociaux applicables aux revenus de capitaux mobiliers.

Par un mémoire enregistré le 19 juillet 2016, M. et Mme C… persiste dans leurs écritures.

Ils soutiennent, en outre, que le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 13 juillet 2016 n°375801, a précisé que c’est au regard du seul intérêt propre à l’entreprise que l’administration doit apprécier si les opérations correspondent à des actes relevant d’une gestion commerciale normale, abandonnant ainsi sa théorie du risque manifestement excessif en jugeant qu’il n’appartenait pas à l’administration de s’interroger sur l’ampleur des risques pris mais de rechercher si les décisions avaient été délibérément prises contre l’intérêt de la société, conformément à la définition traditionnelle de l’acte anormal de gestion.

Par un mémoire enregistré le 10 août 2016 le ministre des finances et des comptes publics conclut à l’absence de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité qui ne présente pas de caractère sérieux et n’est pas nouvelle.

Par une ordonnance du 31 août 2016 le président de la deuxième chambre de la cour a décidé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat.

Par une décision du 7 décembre 2016 la Conseil d’Etat a décidé de saisir le Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité posée.

Par une décision du 10 février 2017 le Conseil constitutionnel a statué sur la question prioritaire de constitutionnalité.

Par un courrier du 14 février 2017, les parties ont été informées, en application des dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour était susceptible de soulever d’office un moyen d’ordre public.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 février 2017, le ministre de l’économie et des finances a conclu au non lieu à statuer à concurrence des dégrèvements prononcés et au rejet du surplus des conclusions de la requête.

Le ministre expose que, suite à la décision QPC n° 2016-610 du Conseil Constitutionnel du 10 février 2017, s’agissant des contributions sociales et des pénalités y afférentes mises à la charge de M. et Mme C…, des dégrèvements à hauteur de 4 404 euros au titre de l’année 2009 et 3 031 euros au titre de l’année 2010, correspondant à la différence entre les prélèvements sociaux calculés sur une assiette majorée de 25 % et les impositions calculées sur le rehaussement non majoré ont été prononcés comme en atteste le certificat de dégrèvement du 17 février 2017.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– la Constitution, notamment son Préambule ;

– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

– le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience.

Après avoir entendu au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme Terrade, premier conseiller,

– et les conclusions de M. Besse, rapporteur public ;

1. Considérant que la SARL Agemi dont M. C…est gérant et associé, a procédé le 31 octobre 2009 et le 4 janvier 2010 à deux virements bancaires de respectivement 100 000 euros et 70 000 euros sur un compte bancaire ouvert auprès de la banque Fortuneo au nom personnel de M. C… ; que cette opération, traduite en comptabilité pour chacun des exercices clos le 31 mars 2009 et le 4 avril 2010, par le débit au compte produits n° 708400  » produits divers  » et le crédit du compte financier n° 503100  » placement BCG/Meunier « , a été regardée par l’administration fiscale comme un acte anormal de gestion à l’origine d’une perte injustifiée devant être réintégrée aux produits imposables de la société ; que l’administration a considéré les sommes inscrites sur son compte bancaire personnel comme des revenus distribués au profit de M. C… imposables à l’impôt sur le revenu, entre ses mains à la date de leur perception, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sur le fondement des dispositions de l’article 111 c du code général des impôts ; qu’elle a, en conséquence, notifié à M. et Mme C… un redressement correspondant à l’imposition sur le fondement de cet article desdits revenus distribués pour un montant de 125 000 euros au titre de l’année 2009 et 87 500 euros au titre de l’année 2010 ; que ces rehaussements ont été assortis de la pénalité de 40 % pour manquement délibéré prévue à l’article 1729 du code général des impôts ; que, par un jugement du 15 décembre 2014, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de M. et Mme C…tendant à la décharge des impositions supplémentaires auxquelles ils ont été assujettis ; que, par la présente requête, ils relèvent appel de ce jugement ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité et l’étendue du litige :

2. Considérant qu’aux termes de l’article 61-1 de la Constitution :  » Lorsque à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. (…)  » ; qu’aux termes de l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, modifiée, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel :  » La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux  » ; qu’il résulte des dispositions de l’article 23-4 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu’une juridiction relevant du Conseil d’Etat lui a transmis, en application de l’article 23-2 de cette même ordonnance, un moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soulevée soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

3. Considérant que, dans le cadre d’une réforme globale de l’impôt sur le revenu applicable à compter du 1er janvier 2006, le législateur a supprimé l’abattement de 20 % dont bénéficiaient les traitements, salaires, pensions et rentes viagères en application du a du 5 de l’article 158 du code général des impôts ainsi que les revenus professionnels des adhérents d’un centre de gestion ou d’une association agréés en application du 4 bis du même article et a compensé cette suppression par une réduction équivalente des taux du barème de l’impôt sur le revenu ; que la modification du barème ayant concerné tous les contribuables, le législateur a, afin de maintenir l’exclusion, qui prévalait sous l’empire du régime antérieur, du bénéfice, pour certains revenus, de l’abattement de 20 %, décidé, par une mesure arithmétiquement équivalente, de majorer de 25 % ces revenus ; qu’ainsi, aux termes du 7 de l’article 158 du code général des impôts dans sa rédaction issue du 4° du I de l’article 76 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006 :  » (…) 7. Le montant des revenus et charges énumérés ci-après, retenu pour le calcul de l’impôt selon les modalités prévues à l’article 197, est multiplié par 1,25. Ces dispositions s’appliquent : / (…) 2° Aux revenus distribués mentionnés aux c à e de l’article 111, aux bénéfices ou revenus mentionnés à l’article 123 bis et aux revenus distribués mentionnés à l’article 109 résultant d’une rectification des résultats de la société distributrice ; (…)  » ;

4. Considérant que par ordonnance du 31 août 2016, le président de la deuxième chambre de la cour administrative d’appel de Lyon a transmis la question prioritaire de constitutionnalité posée par M. et Mme C… au Conseil d’Etat relative à la conformité au principe d’égalité garanti par la Constitution des dispositions combinées du 2 de l’article 158-7 du code général des impôts et de l’article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, la majoration de 25 % de la base des contributions sociales frappant inégalement les différents revenus de capitaux mobiliers alors que tel n’est pas le cas pour les autres catégories de revenus ; que le Conseil d’Etat a saisi le Conseil Constitutionnel le 7 décembre 2016 et celui-ci, par décision n° 2016-610 QPC, du 10 février 2017 s’est prononcé sur la conformité de ces dispositions à la Constitution ; que la cour a alors adressé une lettre aux parties le 15 février 2017 les informant qu’elle était susceptible de soulever d’office le moyen tiré de ce que dans sa décision 2016-610 QPC du 10 février 2017 le Conseil constitutionnel a assorti la déclaration de conformité à la Constitution des dispositions combinées du 2° du 7 de l’article 158 du code général des impôts, en tant qu’elles portent sur les revenus distribués sur le fondement du c de l’article 111 du même code, et du c) du I de l’article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, de réserves selon lesquelles ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître le principe d’égalité devant les charges publiques, être interprétées comme permettant l’application du coefficient multiplicateur de 1,25 prévu au premier alinéa du 7 de l’article 158 du code général des impôts pour l’établissement des contributions sociales assises sur les rémunérations et avantages occultes mentionnés au c de l’article 111 du même code, de telles réserves étant revêtues de l’autorité absolue de la chose jugée et liant le juge administratif pour l’application et l’interprétation de cette disposition ;

5. Considérant qu’il résulte de l’instruction que, s’agissant des contributions sociales et des pénalités y afférentes mises à la charge de M et Mme C…, pour tenir compte des réserves d’interprétation du Conseil Constitutionnel, l’administration fiscale a prononcé, par décision du 17 février 2017, des dégrèvements à hauteur de 4 404 euros au titre de l’année 2009 et 3 031 euros au titre de l’année 2010, correspondant à la différence entre les prélèvements sociaux calculés sur une assiette majorée de 25 % et les impositions calculées sur le rehaussement non majoré ; que, par suite, il n’y a plus lieu de statuer dans cette mesure sur les conclusions de la requête de M. et Mme C… ;

Sur la régularité de la procédure d’imposition :

6. Considérant que s’agissant des contributions sociales, la proposition de rectification adressée à M. et Mme C…le 18 août 2011 détaille la nature des prélèvements sociaux, leur fondement légal, les taux appliqués, la base des contributions, leurs montants et les pénalités appliquées ; que les requérants ont disposé de toutes les informations nécessaires pour présenter leurs observations ; que, par suite, le moyen tiré de l’insuffisance de motivation des rehaussements de contributions sociales notifiés doit être écarté ;

Sur le bien-fondé de l’imposition :

En ce qui concerne l’application de la loi fiscale :

7. Considérant qu’aux termes de l’article 111 du code général des impôts :  » sont notamment considérés comme revenus distribués : (…) c. Les rémunérations et les avantages occultes ; (…)  » ; que lorsqu’une société a mis à disposition d’un tiers des sommes sans que la comptabilisation régulière de l’opération ne révèle, par elle-même, l’octroi d’un avantage, il appartient à l’administration, si elle entend faire application des dispositions précitées pour imposer, dans les mains du tiers, cette somme, d’établir, d’une part, l’existence d’un avantage conféré par la société sans contrepartie, et d’autre part, qu’il existait une intention, pour celle-ci, d’octroyer, et pour le tiers, de recevoir, une libéralité ;

8. Considérant que le ministre fait valoir que la SARL Agemi n’a pas justifié la perte comptabilisée dans ses résultats imposables à l’occasion du transfert de fonds sur le compte bancaire ouvert au nom personnel de son dirigeant auprès de la banque Fortuneo pour une somme totale de 170 000 euros sur les exercices clos en 2009 et 2010, ni de l’existence d’une contrepartie à ce versement ; que le ministre soutient qu’en omettant de comptabiliser la créance correspondante sur le compte courant d’associé de son gérant M. C…, la société a délibérément consenti à ce dernier une libéralité, représentant un avantage occulte constitutif d’une distribution au sens des dispositions précitées du c) de l’article 111 du code général des impôts, libéralité que la société a dissimulé par la comptabilisation d’une perte ;

9. Considérant que si les requérants justifient les transferts de fonds consentis au profit de M. C… comme le moyen pour la SARL Agemi d’accéder, pour faire fructifier son excédent de trésorerie sur les marchés dérivés aux instruments financiers CFD (Contracts for Différence) que la banque de placement Fortuneo refusait d’ouvrir aux personnes morales, ils ne l’établissent pas par la production de pièces probantes ; qu’en l’absence de décision de l’assemblée générale des actionnaires, il ne résulte pas de l’instruction que M. C… aurait disposé d’un mandat pour agir au nom et pour le compte de la SARL Agemi en vue de procéder aux opérations de placement des fonds transférés sur son compte personnel ; que nonobstant la déclaration d’origine des fonds auprès de la banque de placement dont les requérants se prévalent, l’administration fiscale fait valoir, sans être contredite, que la société ne disposait d’aucun moyen d’exiger le versement des éventuels gains et le retour du capital mis à disposition de M. C…, seul investisseur connu de la banque de placement ; que, dans ces conditions, l’administration fiscale apporte la preuve qui lui incombe de l’existence et du montant des distributions ;

10. Considérant que l’administration fiscale en faisant valoir que les mouvements de fonds litigieux, qui ont conduit à une diminution du chiffre d’affaires de la SARL Agemi sans aucune contrepartie, et à leur transfert sur le compte bancaire personnel de M. C… qui en a ensuite disposé seul et sans contrôle de la société, apporte la preuve qui lui incombe de l’intention pour la SARL Agemi d’octroyer et pour M. C… de recevoir une libéralité ; que, par suite, elle a pu à bon droit imposer ces sommes entre les mains de M. et Mme C… comme des revenus occultes distribués sur le fondement de l’article 111 c du code général des impôts ;

En ce qui concerne l’application de la doctrine administrative :

11. Considérant qu’aux termes de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales :  » Il ne sera procédé à aucun rehaussement d’impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l’administration est un différend sur l’interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s’il est démontré que l’interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l’époque, formellement admise par l’administration. (…)  » ; qu’il appartient au juge de l’impôt d’apprécier, au vu du dossier qui lui est soumis par l’administration et le contribuable, si ce dernier est en droit de se prévaloir des dispositions de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales relatives à la portée d’une instruction publiée ;

12. Considérant que M. et Mme C…ne sont pas fondés à se prévaloir, en application de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, du paragraphe n° 170 de la doctrine BOI-RPPM-RCM-10-20-20-20-20120912 du 12 septembre 2012, qui ne comporte aucune interprétation différente de celle de la loi fiscale ; que la réponse du secrétaire d’Etat du budget à M. A… E…de 1954 ne comporte pas non plus d’interprétation différente de celle de la loi fiscale ;

Sur les pénalités :

13. Considérant qu’aux termes de l’article 1729 du code général des impôts :  » Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l’indication d’éléments à retenir pour l’assiette et la liquidation de l’impôt ainsi que la restitution d’une créance fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l’Etat entraînent l’application d’une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (…)  » ;

14. Considérant que pour justifier l’application aux redressements mis à la charge des requérants des pénalités de 40 % pour manquement délibéré prévue par les dispositions précitées de l’article 1729 du code général des impôts, l’administration se prévaut de l’appréhension consciente par M. C…, gérant de la SARL Agemi, de sommes issues de la caisse sociale, transférées sur un compte bancaire ouvert à son nom personnel auprès d’une banque de placements, sans mouvement de son compte courant d’associé, en vue de procéder, sans mandat de l’assemblée générale des actionnaires, à des opérations de placements financiers ; que les requérants ne peuvent utilement soutenir que l’application des pénalités litigieuses serait constitutive avec la perte du capital et la réintégration de la somme litigieuse dans le résultat imposable de la société, d’une triple peine ; qu’en invoquant le comportement déclaratif du bénéficiaire des distributions qui a omis de déclarer à l’impôt sur le revenu les sommes versées sur son compte bancaire, l’administration fiscale établit l’intention des contribuables d’éluder l’impôt ; que, par suite, M. et Mme C…ne sont pas fondés à contester l’application aux rehaussements notifiés de la majoration de 40 % prévue par l’article 1729 du code général des impôts en cas de manquement délibéré ;

15. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. et Mme C…ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs conclusions aux fins de décharge des impositions en litige ;

Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Considérant que dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 2 000 euros au profit de M. et Mme C…au titre des frais non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Il n’y a plus lieu de statuer sur les conclusions à fin de décharge à hauteur de 4 404 euros au titre de l’année 2009 et 3 031 euros au titre de l’année 2010, correspondant aux dégrèvements prononcés le 17 février 2017 par l’administration fiscale.

Article 2 : L’Etat versera une somme de 2 000 euros à M. et Mme C… en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme C… est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B… C…et au ministre de l’économie et des finances.

Délibéré après l’audience du 21 mars 2017, à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Mear, président-assesseur,

Mme Terrade, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 11 avril 2017.

2

N° 15LY00532


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