CAA de DOUAI, 4ème chambre, 30/09/2021, 19DA01290, Inédit au recueil Lebon

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CAA de DOUAI, 4ème chambre, 30/09/2021, 19DA01290, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A… B… ont demandé au tribunal administratif de Rouen de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu, de contribution sur les hauts revenus et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l’année 2013.

Par un jugement n° 1701121 du 4 avril 2019, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 juin 2019, M. et Mme B…, représentés par la SELARL Villechenon, demandent à la cour :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions et des contributions sociales en litige ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, de même que les entiers dépens.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,

– et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B…, qui exerce la profession de chirurgien au sein de la clinique Mathilde à Rouen, a apporté à la société holding Mathilde Médical Développement (MMD), le 23 janvier 2013, les 2 805 parts qu’il détenait dans le capital de la société Clinique Mathilde, exploitante de la clinique. A l’occasion de la souscription, au titre de l’année 2013, de sa déclaration de résultats, dans le cadre du régime d’imposition applicable aux titulaires de bénéfices non commerciaux, M. B… a opté pour le report, prévu à l’article 151 octies B du code général des impôts, de l’imposition de la plus-value de 1 963 500 euros réalisée par lui à l’occasion de cette opération d’apport. L’activité libérale de M. B… a fait l’objet, au cours de l’année 2015, d’une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013. A l’issue de ce contrôle, l’administration a remis en cause le bénéfice de ce report, estimant que les conditions requises par l’article 151 octies B du code général des impôts pour y prétendre n’étaient pas satisfaites. Elle a fait connaître sa position à M. B… par une proposition de rectification qu’elle lui a adressée le 12 juin 2015. Le rehaussement correspondant a été maintenu malgré les observations formulées par M. B…. Les cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu, de contribution sur les hauts revenus et de contributions sociales en résultant pour M. et Mme B… au titre de l’année 2013 ont été mises en recouvrement le 30 avril 2016. Leur réclamation ayant été rejetée, M. et Mme B… ont porté le litige devant le tribunal administratif de Rouen. Ils relèvent appel du jugement du 4 avril 2019 par lequel ce tribunal a rejeté leur demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu, de contribution sur les hauts revenus et de contributions sociales auxquelles ils ont, en conséquence, été assujettis au titre de l’année 2013.

Sur le bien-fondé de la remise en cause du régime de report d’imposition :

2. Aux termes de l’article 151 octies B du code général des impôts :  » I. – Les plus-values soumises au régime des articles 39 duodecies à 39 quindecies résultant de l’échange de droits et parts effectué à l’occasion de l’apport de tels droits ou parts à une société soumise à un régime réel d’imposition peuvent faire l’objet d’un report d’imposition dans les conditions prévues au II. (…) / II. – L’application du I est subordonnée aux conditions suivantes : / 1° L’apporteur est une personne physique qui exerce une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole à titre professionnel au sens du IV de l’article 155 ; / 2° L’apport porte sur l’intégralité des droits ou parts nécessaires à l’exercice de l’activité, détenus par le contribuable et inscrits à l’actif de son bilan ou dans le tableau des immobilisations. / (…) / 3° La société bénéficiaire reçoit, à l’occasion de l’apport mentionné au 2° ou d’autres apports concomitants, plus de 50 % des droits de vote ou du capital de la société dont les droits et parts sont apportés ; / 4° Les droits et parts reçus en rémunération de l’apport sont nécessaires à l’exercice de l’activité de l’apporteur. / (…) « .

3. Les dispositions précitées de l’article 151 octies B du code général des impôts, qui ne comportent aucune obscurité justifiant leur interprétation au regard des travaux parlementaires préalables à leur adoption, subordonnent notamment le bénéfice du report d’imposition qu’elles instituent, en ce qui concerne les plus-values réalisées à l’occasion de l’apport de droits ou parts à une société soumise à un régime d’imposition, aux conditions que les droits ou parts apportés soient nécessaires à l’exercice de l’activité de l’apporteur et inscrites à son actif professionnel ou dans son tableau d’immobilisation et que les droits ou parts reçus en contrepartie de cet apport soient eux-mêmes nécessaires à l’exercice de son activité par l’apporteur.

4. M. et Mme B… soutiennent que les parts de la société Clinique Mathilde apportées à la société Mathilde Médical Développement par M. B… étaient nécessaires à l’exercice, par ce dernier, de sa profession au sein de cette clinique et invoquent la circonstance que ces parts étaient inscrites à l’actif du bilan de cette activité. Toutefois, si un contribuable imposé à raison de revenus professionnels perçus dans la catégorie des bénéfices non commerciaux est autorisé à inscrire à l’actif du bilan de son activité professionnelle, ou dans le tableau des immobilisations qui y sont affectées, les droits ou parts sociales qu’il estime utiles à l’exercice de celle-ci et, en conséquence, à déduire de ses bénéfices, conformément au 1. de l’article 93 du code général des impôts, les dépenses ou, le cas échéant, les amortissements y afférents, une telle affectation comptable n’implique pas, par elle-même, que les droits ou parts ainsi inscrits à l’actif professionnel ou au tableau des immobilisations soient regardés comme nécessaires à l’exercice de la profession, au sens des dispositions précitées de l’article 151 octies B du même code. Dès lors, le fait que les parts apportées étaient inscrites au bilan professionnel de M. B… ne peut suffire, par lui-même, à établir que ces parts auraient été nécessaires, au sens des dispositions précitées de l’article 151 octies B du code général des impôts, à l’exercice, par l’intéressé, de sa profession.

5. M. et Mme B… invoquent, en outre, l’obligation qui a été prescrite à M. B…, lors de son installation, par le contrat d’exercice professionnel conclu en 1983 avec le confrère qu’il remplaçait au sein de la société Clinique Saint-Romain, lequel contrat, qui n’est pas produit, aurait renvoyé à l’article 8 du règlement intérieur alors en vigueur au sein de la clinique Saint-Romain, de devenir actionnaire afin de pouvoir exercer dans les locaux de cette clinique, à laquelle a succédé la clinique Mathilde. Toutefois, s’il résulte de l’instruction et, notamment, des procès-verbaux des assemblées générales des associés de la société Clinique Saint-Romain, intervenues le 22 juin 1995 et le 20 juin 2002, que cette société a successivement absorbé la société Clinique du Jardin des Plantes, puis la société Clinique Jeanne d’Arc, et qu’à la suite de cette dernière opération, la société Clinique Saint-Romain a pris la dénomination sociale de société anonyme Clinique Mathilde, il ne ressort pas de ces procès-verbaux que ces fusions-absorptions successives auraient emporté, au sein de la clinique Mathilde, dont le règlement intérieur n’est pas produit, le maintien des obligations auxquelles étaient antérieurement astreints les praticiens exerçant au sein des établissements de soin gérés par les sociétés fusionnées. Ainsi, il ne résulte pas de l’instruction que l’obligation qui pesait sur M. B… lors de son installation, en 1983, lui était toujours opposable le 23 janvier 2013, date à laquelle il a effectué l’opération d’apport en cause. Dans ces conditions et alors, au demeurant, qu’il n’est pas allégué que des praticiens non associés n’exerceraient pas au sein de la clinique Mathilde, il ne peut être tenu pour établi par les éléments versés à l’instruction que la détention, par M. B…, de parts de la société Clinique Mathilde était nécessaire, au sens des dispositions précitées de l’article 151 octies B du code général des impôts, à l’exercice de son activité professionnelle de chirurgien au sein de cette clinique, quand bien même cette détention revêtait une utilité pour cet exercice, dès lors qu’elle lui donnait la possibilité de peser sur les orientations décidées au sein de la société Clinique Mathilde, et quand bien même l’ensemble des médecins exerçant à la clinique Mathilde avaient intérêt à conserver collectivement la maîtrise de leur outil de travail.

6. Il ne résulte pas davantage de l’instruction que les parts de la société Mathilde Médical Développement, obtenues par M. B… en échange de l’apport, à cette société, des parts qu’il détenait dans le capital de la société Clinique Mathilde auraient, elles-mêmes, été nécessaires, au sens des dispositions précitées du 4° du II de l’article 151 octies B du code général des impôts, à la poursuite, par M. B…, de l’exercice de son activité professionnelle, alors, en particulier, que la société Mathilde Médical Développement exerce exclusivement une activité de holding et qu’elle ne gère pas la clinique Mathilde. A cet égard, le fait que M. B… avait un intérêt professionnel, de même que les autres praticiens exerçant au sein de la clinique Mathilde, à préserver, par cette opération d’apport des parts de la société Clinique Mathilde à la même société holding, l’indépendance de la clinique Mathilde et à conserver ainsi la maîtrise de leur outil de travail, ne peut suffire à regarder la détention de parts de la société Mathilde Médical Développement comme nécessaire, au sens des dispositions précitées de l’article 151 octies B du code général des impôts, à l’exercice, par les intéressés, de leur activité professionnelle au sein de la clinique Mathilde. Par suite et à supposer même que les parts apportées puissent être regardées comme nécessaires à l’activité professionnelle de M. B…, M. et Mme B… ne pouvaient bénéficier, à raison de la plus-value réalisée par eux à l’occasion de cette opération d’apport, du report d’imposition instauré par ces dispositions. En conséquence, l’administration a pu, sans méconnaître les dispositions du 4° du II de l’article 151 octies B du code général des impôts, remettre en cause le bénéfice de cet avantage, sous lequel les intéressés avaient entendu placer cette opération.

Sur l’invocation du bénéfice du régime de sursis d’imposition des plus-values des particuliers :

En ce qui concerne l’application de la loi fiscale :

7. En vertu de l’article 150-0 B du code général des impôts, qui est applicable aux plus-values réalisées par des particuliers, les dispositions de l’article 150-0 A de ce code, qui soumettent, en principe, à l’impôt sur le revenu les plus-values réalisées à l’occasion de la cession de droits sociaux, ne sont pas applicables, au titre de l’année de l’échange des titres, aux plus-values réalisées notamment dans le cadre d’un apport de titres à une société soumise à l’impôt sur les sociétés.

8. M. et Mme B… invoquent, à titre subsidiaire, le bénéfice du régime de sursis d’imposition prévu par les dispositions rappelées au point précédent, en soutenant que, si la cour devait retenir que les titres de la société Clinique Mathilde, dont ils ont fait l’apport à la société Mathilde Médical Développement, n’étaient pas nécessaires à l’exercice, par M. B…, de son activité professionnelle, elle devrait alors retenir qu’ils ne lui étaient d’aucune utilité, de sorte que leur inscription à l’actif du bilan de son activité professionnelle libérale relevait d’une pure erreur comptable. Toutefois, l’inscription, par un contribuable, à son actif professionnel, de titres dont l’utilité à l’exercice de sa profession n’apparaît pas manifeste, constitue une décision de gestion dont l’administration est fondée à tirer les conséquences. Dans ces conditions, M. et Mme B… ne peuvent sérieusement, sans d’ailleurs étayer leur assertion par aucun élément précis, alléguer que cette inscription, dont ils se sont prévalus pour obtenir le bénéfice du report d’imposition qu’ils avaient initialement sollicité, en soutenant que les titres inscrits étaient nécessaires à l’activité de M. B…, relèverait d’une pure erreur comptable. Cette inscription à l’actif professionnel des titres apportés fait donc obstacle à ce que ces titres soient regardés comme des éléments de leur patrimoine personnel. Par suite, la plus-value résultant de cet apport ne pouvait bénéficier du sursis d’imposition prévu par les dispositions de l’article 150-0 B du code général des impôts.

En ce qui concerne l’invocation de l’interprétation de la loi fiscale par l’administration :

9. M. et Mme B… invoquent, sur le fondement des dispositions de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, les énonciations du paragraphe n°30 de la doctrine publiée sous la référence BOI-BNC-BASE-10-20, selon lesquelles des droits sociaux inutiles à l’exercice, par le contribuable, de sa profession ne peuvent être inscrits sur le registre des immobilisations professionnelles. Ils invoquent, en outre, les énonciations des paragraphes n°40, n°80, n°85, n°92 et n°94 de la doctrine publiée sous la référence BOI-BIC-PVMV-30-10, en soutenant que les titres apportés par M. B… n’entrent dans aucune des catégories ainsi mentionnées, à savoir qu’il ne s’agit pas de titres de participation dont ils auraient entendu avoir la possession durable et qui auraient été utiles à la profession de M. B…, notamment en lui permettant d’exercer une influence sur la direction de la société détenue ou d’exercer un contrôle sur celle-ci. Toutefois, ces extraits de doctrine ne comportent pas de la loi fiscale une interprétation différente de celle dont le présent arrêt fait application. En conséquence, M. et Mme B… ne peuvent, en tout état de cause, s’en prévaloir sur le fondement des dispositions de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B… ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande. Les conclusions qu’ils présentent sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées. Il doit en être de même, en tout état de cause, de leurs conclusions afférentes à la charge des dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme B… est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A… B… et au ministre de l’économie, des finances et de la relance.

Copie en sera transmise à l’administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

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N°19DA01290


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