Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme B… A… ont demandé au tribunal administratif de Rouen de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l’année 2013.
Par un jugement n° 1604129 du 24 janvier 2019, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 22 mars 2019 et le 25 juin 2020, M. et Mme A…, représentés par la SELARL Horrie et associés, demandent à la cour :
1°) d’annuler ce jugement ;
2°) de prononcer, en droits et pénalités, la décharge de l’imposition et des contributions sociales en litige ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;
– le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,
– et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A… exerce la profession de chirurgien au sein de la clinique Mathilde à Rouen. Le 23 janvier 2013, il a apporté à la société holding Mathilde Médical Développement (MMD) les 1920 parts qu’il détenait dans le capital de la société Clinique Mathilde, exploitante de la clinique, lesquelles parts représentaient une valeur totale de 1 536 000 euros. A l’occasion de la souscription, au titre de l’année 2013, de sa déclaration de résultats, dans le cadre du régime d’imposition applicable aux titulaires de bénéfices non commerciaux, M. A… a opté pour le report, prévu à l’article 151 octies B du code général des impôts, de l’imposition de la plus-value réalisée par lui à l’occasion de cette opération d’apport. A la suite d’un contrôle sur pièces, l’administration a remis en cause le bénéfice de ce report, estimant que les conditions requises par l’article 151 octies B du code général des impôts pour y prétendre n’étaient pas satisfaites. Elle a fait connaître sa position à M. A… par une proposition de rectification qu’elle lui a adressée le 27 mai 2015. Le rehaussement correspondant a été maintenu malgré les observations formulées par M. A…. Les cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales en résultant pour M. et Mme A… au titre de l’année 2013 ont été mises en recouvrement le 31 décembre 2015. Leur réclamation ayant été rejetée, M. et Mme A… ont porté le litige devant le tribunal administratif de Rouen. Ils relèvent appel du jugement du 24 janvier 2019 par lequel ce tribunal a rejeté leur demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont, en conséquence, été assujettis au titre de l’année 2013.
Sur l’application de la loi fiscale :
2. Aux termes de l’article 151 octies B du code général des impôts : » I. – Les plus-values soumises au régime des articles 39 duodecies à 39 quindecies résultant de l’échange de droits et parts effectué à l’occasion de l’apport de tels droits ou parts à une société soumise à un régime réel d’imposition peuvent faire l’objet d’un report d’imposition dans les conditions prévues au II. (…) / II. – L’application du I est subordonnée aux conditions suivantes : / 1° L’apporteur est une personne physique qui exerce une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole à titre professionnel au sens du IV de l’article 155 ; / 2° L’apport porte sur l’intégralité des droits ou parts nécessaires à l’exercice de l’activité, détenus par le contribuable et inscrits à l’actif de son bilan ou dans le tableau des immobilisations. / (…) / 3° La société bénéficiaire reçoit, à l’occasion de l’apport mentionné au 2° ou d’autres apports concomitants, plus de 50 % des droits de vote ou du capital de la société dont les droits et parts sont apportés ; / 4° Les droits et parts reçus en rémunération de l’apport sont nécessaires à l’exercice de l’activité de l’apporteur. / (…) « .
3. Les dispositions précitées de l’article 151 octies B du code général des impôts, qui ne comportent aucune obscurité justifiant leur interprétation au regard des travaux parlementaires préalables à leur adoption, subordonnent notamment le bénéfice du report d’imposition qu’elles instituent, en ce qui concerne les plus-values réalisées à l’occasion de l’apport de droits ou parts à une société soumise à un régime d’imposition, aux conditions que les droits ou parts apportés soient nécessaires à l’exercice de l’activité de l’apporteur et inscrites à son actif professionnel ou dans son tableau d’immobilisation et que les droits ou parts reçus en contrepartie de cet apport soient eux-mêmes nécessaires à l’exercice de son activité par l’apporteur.
4. M. et Mme A… soutiennent que les parts de la société Clinique Mathilde apportées à la société Mathilde Médical Développement par M. A… étaient nécessaires à l’exercice, par ce dernier, de sa profession au sein de cette clinique et invoquent la circonstance que ces parts étaient inscrites à l’actif du bilan de cette activité. Toutefois, si un contribuable imposé à raison de revenus professionnels perçus dans la catégorie des bénéfices non commerciaux est autorisé à inscrire à l’actif du bilan de son activité professionnelle, ou dans le tableau des immobilisations qui y sont affectées, les droits ou parts sociales qu’il estime utiles à l’exercice de celle-ci et, en conséquence, à déduire de ses bénéfices, conformément au 1. de l’article 93 du code général des impôts, les dépenses ou, le cas échéant, les amortissements y afférents, une telle affectation comptable n’implique pas, par elle-même, que les droits ou parts ainsi inscrits à l’actif professionnel ou au tableau des immobilisations soient regardés comme nécessaires à l’exercice de la profession, au sens des dispositions précitées de l’article 151 octies B du même code. Dès lors, le fait que les parts apportées étaient inscrites au bilan professionnel de M. A… ne peut suffire, par lui-même, à établir que ces parts auraient été nécessaires, au sens des dispositions précitées de l’article 151 octies B du code général des impôts, à l’exercice, par l’intéressé, de sa profession.
5. M. et Mme A… invoquent, en outre, l’obligation qui a été prescrite à M. A…, lors de son installation, par le contrat d’exercice professionnel conclu le 18 juillet 1991 avec le président-directeur général de la société Clinique Saint-Romain, lequel contrat renvoyait à l’article 8 du règlement intérieur alors en vigueur au sein de la clinique Saint-Romain, de devenir actionnaire afin de pouvoir exercer dans les locaux de cette clinique, à laquelle a succédé la clinique Mathilde. Toutefois, s’il résulte de l’instruction, notamment du rapport établi par le commissaire à la fusion, intervenue le 12 juin 1995, entre la société Clinique Saint-Romain et la société Clinique du Jardin des Plantes, que chaque détenteur de parts de la société Clinique Saint-Romain s’est vu attribuer, à l’issue de cette opération, 19 parts supplémentaire pour chaque part détenue dans le capital de cette société, de sorte que M. A…, qui possédait 96 parts de la société Clinique Saint-Romain avant cette fusion, était, après celle-ci, bénéficiaire de 1920 parts, ce seul document ne peut suffire à établir une identité entre ces 1920 parts, qui sont celles de la société Clinique Saint-Romain, et les 1920 parts de la société Clinique Mathilde que M. A… a apportées en 2013, soit dix-huit ans plus tard, à la société Mathilde Médical Développement. Au surplus, en admettant même que, comme le soutiennent M. et Mme A…, qui tirent argument de l’identité de numéro de SIREN attribué à ces deux sociétés, la création de la société Clinique Mathilde résulte seulement d’un changement de raison sociale de la société Clinique Saint-Romain, il ne résulte pas de l’instruction que l’obligation qui pesait sur M. A… lors de son installation, le 18 juillet 1991, lui était toujours opposable le 23 janvier 2013, date à laquelle il a effectué l’opération d’apport en cause, ce que les appelants, qui ne produisent aucun règlement intérieur de la clinique Mathilde, n’allèguent d’ailleurs pas. Dans ces conditions et alors, au demeurant, qu’il n’est pas contesté que des praticiens non associés exercent au sein de la clinique Mathilde, il ne peut être tenu pour établi par les seuls éléments versés à l’instruction que la détention, par M. A…, de parts de la société Clinique Mathilde était nécessaire, au sens des dispositions précitées de l’article 151 octies B du code général des impôts, à l’exercice de son activité professionnelle de chirurgien au sein de cette clinique, quand bien même cette détention revêtait une utilité pour cet exercice, dès lors qu’elle lui donnait la possibilité de peser sur les orientations décidées au sein de la société Clinique Mathilde, et quand bien même l’ensemble des médecins exerçant à la clinique Mathilde avaient intérêt à conserver collectivement la maîtrise de leur outil de travail.
6. Il ne résulte pas davantage de l’instruction que les parts de la société Mathilde Médical Développement, obtenues par M. A… en échange de l’apport, à cette société, des parts qu’il détenait dans le capital de la société Clinique Mathilde auraient, elles-mêmes, été nécessaires, au sens des dispositions précitées du 4° du II de l’article 151 octies B du code général des impôts, à la poursuite, par M. A…, de l’exercice de son activité professionnelle, alors, en particulier, que la société Mathilde Médical Développement exerce exclusivement une activité de holding et qu’elle ne gère pas la clinique Mathilde. A cet égard, le fait que M. A… avait un intérêt professionnel, de même que les autres praticiens exerçant au sein de la clinique Mathilde, à préserver, par cette opération d’apport des parts de la société Clinique Mathilde à la même société holding, l’indépendance de la clinique Mathilde et à conserver ainsi la maîtrise de leur outil de travail, ne peut suffire à regarder la détention de parts de la société Mathilde Médical Développement comme nécessaire, au sens de ces dispositions de l’article 151 octies B du code général des impôts, à l’exercice, par les intéressés, de leur activité professionnelle au sein de la clinique Mathilde. Par suite et à supposer même que les parts apportées puissent être regardées comme nécessaires à l’activité professionnelle de M. A…, M. et Mme A… ne pouvaient bénéficier, à raison de la plus-value réalisée par eux à l’occasion de cette opération d’apport, du report d’imposition instauré par ces dispositions. En conséquence, l’administration a pu, sans méconnaître les dispositions du 4° du II de l’article 151 octies B du code général des impôts, remettre en cause le bénéfice de cet avantage, sous lequel les intéressés avaient entendu placer cette opération. M. et Mme A… ne peuvent, à cet égard, utilement tirer argument d’une différence de traitement, au regard du texte fiscal, entre, d’une part, des praticiens détenteurs de parts dans le capital de la clinique dans laquelle ils exercent en étant imposés à raison des bénéfices non commerciaux qu’ils réalisent et, d’autre part, des sociétés de capitaux associées de cette clinique et assujetties à l’impôt sur les sociétés, dès lors que les uns et les autres ne sont pas placés dans la même situation.
Sur l’invocation de l’interprétation de la loi fiscale par l’administration :
7. M. et Mme A… invoquent, sur le fondement des dispositions de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, l’interprétation de la loi fiscale énoncée aux paragraphes n°70 et n°80 de la doctrine, publiée le 3 octobre 2018 sous la référence BOI-BNC-BASE-30-30-20-50, issue de l’instruction 5 G-3-98 du 17 juin 1998. Toutefois, comme le relève le ministre, ces extraits de doctrine ne concernent pas le report d’imposition des plus-values d’apport prévu à l’article 151 octies B du code général des impôts, mais le sursis d’imposition prévu par le V de l’article 93 quater de ce code. En outre, si l’administration y admet que des droits sociaux dont la détention, sans être juridiquement obligatoire, présente une utilité pour l’exercice de la profession du détenteur puissent être inscrits à l’actif professionnel ou au registre des immobilisations, elle n’en tire pas, pour autant, la conclusion que de tels droits sociaux présenteraient, du seul fait de leur inscription à l’actif du bilan ou au registre des immobilisations professionnelles, un caractère nécessaire à l’exercice de la profession du contribuable. Ainsi et en tout état de cause, ces extraits de doctrine ne comportent pas de la loi fiscale une interprétation différente de celle dont le présent arrêt fait application, notamment au point 4.
Sur l’invocation d’une prise de position de l’administration sur une situation de fait :
8. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales : » Il ne sera procédé à aucun rehaussement d’impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l’administration est un différend sur l’interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s’il est démontré que l’interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l’époque, formellement admise par l’administration. « . Aux termes de l’article L. 80 B du même livre : » La garantie prévue au premier alinéa de l’article L. 80 A est applicable : / 1° Lorsque l’administration a formellement pris position sur l’appréciation d’une situation de fait au regard d’un texte fiscal ; / (…) « . Peuvent se prévaloir de cette garantie, pour faire échec à l’application de la loi fiscale, les contribuables qui se trouvent dans la situation de fait sur laquelle l’appréciation invoquée a été portée ainsi que les contribuables qui, à la date de la prise de position de l’administration, ont été partie à l’acte ou participé à l’opération qui a donné naissance à cette situation sans que les autres contribuables puissent utilement invoquer une rupture à leur détriment du principe d’égalité.
9. M. et Mme A… invoquent la position prise par l’administration sur la situation de fait d’un confrère de M. A… exerçant au sein de la clinique Mathilde et qui a, lui aussi, apporté à la société Mathilde Médical Développement les parts qu’il détenait dans le capital de la société gestionnaire de la clinique. Toutefois, il ressort des termes de la proposition de rectification adressée à ce médecin, le 5 novembre 2015, que l’administration n’y prend aucunement position sur le caractère nécessaire, au sens des dispositions de l’article 151 octies B du code général des impôts, dont le bénéfice n’avait d’ailleurs pas été invoqué par l’intéressé, des parts cédées ou obtenues dans le cadre de cette opération, mais seulement sur le caractère professionnel de la plus-value, réalisée à l’occasion de celle-ci, que celui-ci avait choisi de ne pas déclarer, estimant que les titres en cause appartenaient à son patrimoine privé. Par suite, M. et Mme A… ne sont, en tout état de cause, pas fondés à invoquer, sur le fondement des dispositions de l’article L. 80 B du livre des procédures fiscales, la position ainsi prise par l’administration dans ce document.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A… ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande. Les conclusions qu’ils présentent sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme A… est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B… A… et au ministre de l’économie, des finances et de la relance.
Copie en sera transmise à l’administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
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N°19DA00720