CAA de DOUAI, 1ère chambre – formation à 3, 22/03/2018, 16DA00039, Inédit au recueil Lebon

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CAA de DOUAI, 1ère chambre – formation à 3, 22/03/2018, 16DA00039, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Rodyn a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer le rétablissement du déficit reportable initial de la société pour un montant de 6 136 799 euros au titre de l’exercice clos en 2007.

Par un jugement n° 1205625 du 17 décembre 2015, le tribunal administratif de Lille a réintégré au résultat déficitaire de la SAS Rodyn, au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2007, la somme de 6 000 000 euros.

Procédure devant la cour :

Par un recours et des mémoires, enregistrés les 7 janvier 2016, 7 octobre 2016 et 11 décembre 2017, ce dernier mémoire n’ayant pas été communiqué, le ministre des finances et des comptes publics, demande à la cour :

1°) à titre principal, d’annuler l’article 1er de ce jugement, fixant le déficit reportable au titre de l’exercice clos au 31 décembre 2007 à 136 799 euros ;

2°) à titre subsidiaire, de ramener le montant du déficit à réintégrer de 6 000 000 euros à 4 604 000 euros ;

3°) d’annuler l’article 2 du jugement mettant à sa charge la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et d’ordonner le remboursement de cette somme par la société Rodyn.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. Xavier Fabre, premier conseiller,

– les conclusions de Mme Amélie Fort-Besnard, rapporteur public,

– et les observations de Me A…B…représentant la SARL RODYN.

Considérant ce qui suit :

1. La société par actions simplifiée (SAS), devenue SARL unipersonnelle, Rodyn, dont le siège est situé à Mons-en-Baroeul, dans le département du Nord, a fait l’objet, en 2008/2009, d’une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2007. A l’issue de ce contrôle, l’administration fiscale a considéré que cette société avait commis un acte anormal de gestion, constitutif par ailleurs d’un transfert indirect de bénéfices à l’étranger, en cédant à sa filiale, la société luxembourgeoise Rolub, pour un montant de 4 000 000 euros, une créance d’un montant nominal de 10 000 000 euros sur la société financière Chantemur (FIC). Elle a, par suite, rehaussé le résultat fiscal déclaré par la société Rodyn au titre de l’exercice clos au 31 décembre 2007. Le rehaussement de 6 000 000 euros a donné lieu, d’une part, à la mise en recouvrement, le 8 février 2010, de cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés d’un montant total de 226 236 euros et, d’autre part, à l’annulation du déficit reportable dont la société Rodyn disposait au 31 décembre 2007. Par une lettre du 28 avril 2011, la société Rodyn a demandé le dégrèvement immédiat de la somme de 226 236 euros en faisant valoir qu’en sa qualité de société mère d’un groupe fiscalement intégré, elle n’était pas redevable de la somme réclamée dès lors qu’elle devait s’imputer sur les déficits du groupe intégré. Le service a fait droit à cette demande par un avis de dégrèvement du 1er août 2011.

2. Le ministre des finances et des comptes publics relève appel du jugement n° 1205625 du 17 décembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Lille, faisant droit à la demande présentée par la société Rodyn, a décidé la réintégration, au résultat déficitaire de la société Rodyn au titre de l’exercice clos au 31 décembre 2007, de la somme de 6 000 000 euros correspondant à la différence entre la valeur nominale de la créance détenue par la société Rodyn sur la société FIC et le montant de la cession de créance, en 2007, à la société Rolub.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

3. Aux termes de l’article R. 190-1 du livre des procédures fiscales :  » Le contribuable qui désire contester tout ou partie d’un impôt qui le concerne doit d’abord adresser une réclamation au service territorial, selon le cas, de la direction générale des finances publiques ou de la direction générale des douanes et droits indirects dont dépend le lieu de l’imposition. / (…) « . Aux termes de l’article R. 200-2 du même livre :  » (…) / Le demandeur ne peut contester devant le tribunal administratif des impositions différentes de celles qu’il a visées dans sa réclamation à l’administration. / (…) « .

4. Il résulte de l’instruction que la réclamation de la société Rodyn présentée par lettre du 5 mars 2010, ainsi que celle du 14 février 2011, portaient sur les cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés d’un montant de 226 236 euros mises à sa charge par avis de mise en recouvrement du 8 février 2010 mais également, et nécessairement, sur le déficit reportable dont cette société disposait au 31 décembre 2007. Par suite, le ministre des finances et des comptes publics n’est pas fondé à soutenir que la requête de première instance serait irrecevable au regard des articles R. 190-1 et R. 200-2 du livre des procédures fiscales dès lors que la demande présentée devant les premiers juges relative au déficit reportable de 2007 n’aurait pas figuré pas dans la réclamation préalable adressée au service.

Sur le rehaussement du résultat fiscal déclaré au titre de l’exercice clos au 31 décembre 2007 :

En ce qui concerne l’acte anormal de gestion :

5. En 2005, le groupe financier Sandinvest, filiale de la Banque Lazard, a décidé de céder ses activités grand public dans le domaine de la décoration intérieure de la maison, des tissus et moquettes et des papiers peints, notamment la société Chantemur, constituée d’un réseau d’environ 150 magasins de vente au détail de papiers peints et peintures. La société Chantemur a été rachetée en juin 2005 par la société Financière Chantemur (FIC), holding créée à cette occasion. L’actionnaire principal de la société FIC était alors la société Rodyn, société de holding de participations financières dans diverses activités, le second actionnaire étant la société luxembourgeoise Rolub, également société de holding mais spécialisée dans des participations à caractère industriel et commercial, par ailleurs filiale à 100 % de la société Rodyn. La société Chantemur a été acquise à 100 % par la société FIC pour un montant de 23 517 000 euros, l’opération étant financée à 90 % par les sociétés Rodyn et Rolub, d’anciens cadres dirigeants de la société Chantemur apportant les 10 % restant. Cet achat a été réalisé, pour l’essentiel, par des apports en compte courant effectués par les actionnaires, les sociétés Rodyn et Rolub apportant en l’occurrence, 10 millions d’euros chacune. Ces prêts ont été formalisés par une convention de compte courant, signée le 1er juillet 2005 entre tous les actionnaires de la société FIC prévoyant un remboursement à 7 ans maximum, la société FIC s’engageant pour sa part, à rembourser au minimum la somme de 2 000 000 euros par an, moyennant le versement d’un intérêt annuel de 6 % payable au 20 décembre de chaque année pour l’année civile en cours, l’intégralité des prêts devant par ailleurs être remboursée au 31 décembre 2011. Le 27 juillet 2007, un protocole d’accord a été signé par les sociétés Rodyn et Rolub par lequel la société Rodyn cède à la société Rolub, d’une part, les 45 000 actions qu’elle détenait dans la société Financière Chantemur pour la somme de 450 000 euros et, d’autre part, la créance qu’elle détient sur la société Financière Chantemur d’un montant de 10 000 000 euros pour une valeur fixée à 4 000 000 euros. L’administration fiscale considère que cette cession de créance constitue un acte anormal de gestion, contraire à l’intérêt social de la société Rodyn, au bénéfice de sa filiale luxembourgeoise, la société Rolub.

6. Il résulte de l’instruction que l’évolution de la société Chantemur, et par voie de conséquence de la société FIC, n’a pas correspondu aux perspectives initialement envisagées par les investisseurs, en particulier la société Rodyn. D’une part, la direction de la société Chantemur a constaté, quelques semaines après l’acquisition, qu’une dette de 1 517 000 euros avait été imputée à son insu dans les comptes de la société juste avant la cession, grevant d’autant la valorisation de l’actif. D’autre part, ainsi que cela ressort tant du rapport Altus Conseils du 6 mai 2007 que du rapport Abergel de décembre 2010, il est apparu que la situation de la société Chantemur était beaucoup plus défavorable que ce qui avait été envisagé par le business plan établi en 2004 dans le cadre de la vente de Chantemur. Les résultats, mauvais en 2005, se sont encore dégradés en 2006. Les difficultés de trésorerie de la société Chantemur ont même conduit la société Chantemur à solliciter les conseils d’un administrateur judiciaire au mois d’août 2006. Comme le relève le rapport Abergel,  » on constate une nouvelle chute du chiffre d’affaires en 2006 de plus de 11 % par rapport en 2005 année elle-même en chute de plus de 11,5 % par rapport à 2004, l’écart négatif entre le réalisé 2006 et le budget 2006 ressortant à près de 17 % « . Enfin, en 2007, le résultat de la société Chantemur est devenu structurellement déficitaire, les résultats d’exploitation négatifs cumulés des deux derniers exercices clos, à savoir 2005 et 2006, faisant apparaître une perte totale de 5 573 000 euros, qui s’est d’ailleurs accentuée en 2007. Ainsi, non seulement la société FIC n’a pas bénéficié, comme escompté, de remontée de trésorerie de la part de la société Chantemur mais c’est elle qui a dû lui fournir des apports en trésorerie pour pallier ces difficultés. La société FIC n’a, par suite, pas été en mesure de verser les sommes prévues au titre du remboursement des avances en compte courant. Les investisseurs ont alors dû prendre acte de cette nouvelle situation. Ils ont, dans un premier temps, adopté, le 6 octobre 2006, un avenant n° 1, prévoyant que le remboursement annuel des avances en compte courant était suspendu jusqu’à ce que la situation financière de la société FIC lui permette de faire face à ses engagements puis, dans un second temps, un avenant n° 2 en juin 2007, suspendant le remboursement des comptes courants jusqu’à ce que le résultat brut d’exploitation atteigne au minimum 5 % du chiffre d’affaires TTC. Au regard de cette situation très dégradée, outre la conclusion des avenants nos 1 et 2, les investisseurs ont également été conduits à opérer un changement de gouvernance et à réduire fortement le nombre de magasins.

7. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu’au regard de la situation dégradée de la société Chantemur, dont les perspectives d’évolution étaient nettement défavorables, la cession de sa créance, en juillet 2007 à la société Rolub a permis à la société Rodyn de se désengager totalement, dans son propre intérêt financier, des risques résultant de la poursuite de la détention de ce prêt, dont le remboursement apparaissait hypothétique. La cession de la créance de la société Rodyn auprès de la société FIC à la société Rolub a été réalisée sur la base d’une évaluation, en date du 6 mai 2007, de la participation et de la créance Financière Chantemur par la société d’expertise comptable et de commissariat aux comptes Altus Conseils, recommandant une telle cession de créance sur la base de 30 % à 50 % de sa valeur initiale. Enfin, si l’administration fiscale fait état, à titre d’ailleurs seulement subsidiaire, du rapport du cabinet d’experts-comptables, commissaires aux comptes, Abergel et associés, qui a estimé la valeur nette de cette créance à 5 396 000 euros, pouvant être arrondie, selon ses dires, à 5 000 000 euros, il est constant que la cession en cause n’a pas été réalisée au vu de ce rapport et il n’est pas démontré que l’analyse réalisée par le cabinet Altus Conseils serait moins pertinente que celle d’Abergel. Par suite, au vu de l’ensemble de ce qui précède, le ministre des finances et des comptes publics ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de ce que la cession de créance en cause constitue, au regard de son prix, un acte anormal de gestion, contraire à l’intérêt social de la société Rodyn, au bénéfice de la société Rolub.

En ce qui concerne le transfert indirect de bénéfices vers l’étranger :

8. Aux termes de l’article 57 du code général des impôts :  » Pour l’établissement de l’impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d’entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d’achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l’égard des entreprises qui sont sous la dépendance d’une entreprise ou d’un groupe possédant également le contrôle d’entreprises situées hors de France. / La condition de dépendance ou de contrôle n’est pas exigée lorsque le transfert s’effectue avec des entreprises établies dans un Etat étranger ou dans un territoire situé hors de France dont le régime fiscal est privilégié au sens du deuxième alinéa de l’article 238 A. / (…) « .

9. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 à 7 que le service n’établit pas que la société Rodyn ait réalisé l’acte anormal de gestion qu’il lui reproche. Par suite, et pour les mêmes motifs, il n’est pas fondé à soutenir que la décision de cession de créance en cause aurait constitué un transfert indirect de bénéfices vers l’étranger, la société Rolub étant luxembourgeoise.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre des finances et des comptes publics n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a décidé de réintégrer au résultat déficitaire de la société Rodyn la somme de 6 000 000 euros au titre de l’exercice clos au 31 décembre 2007.

Sur les frais liés au litige :

11. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros à verser à la société Rodyn au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens, sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le recours du ministre des finances et des comptes publics est rejeté.

Article 2 : L’Etat versera à la SARL unipersonnelle Rodyn la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL unipersonnelle Rodyn et au ministre de l’action et des comptes publics.

La République mande et ordonne au ministre de l’action et des compte publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.

N°16DA00039 2


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