CAA de DOUAI, 1ère chambre, 24/08/2021, 20DA00208, Inédit au recueil Lebon

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CAA de DOUAI, 1ère chambre, 24/08/2021, 20DA00208, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A… E… épouse B… a demandé au tribunal administratif d’Amiens d’annuler l’arrêté du 15 février 2017 par lequel le préfet de la Somme a délimité le rivage maritime au droit des parcelles dont elle est propriétaire sur le territoire de la commune de Lanchères et la décision ayant rejeté son recours gracieux.

Par un jugement n° 1702332 du 19 novembre 2019, le tribunal administratif d’Amiens a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 3 février 2020, Mme B…, représentée par Me Laurent Munier, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) d’annuler pour excès de pouvoir les quatre arrêtés du 15 février 2017 de délimitation du domaine public maritime sur le territoire des communes de Favières, de Lanchères, de Pendé et de Ponthoile ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 600 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

– l’instruction devant les premiers juges n’a pas été contradictoire ;

– le jugement est insuffisamment motivé ;

– il est entaché de contradictions de motifs ;

– le tribunal administratif a exercé sa compétence consultative avant la délimitation en litige et ne pouvait pas régulièrement statuer sur le recours contre l’arrêté délimitant le rivage de la mer ;

– le terrain dont elle propriétaire relève de la propriété privée, conformément à un arrêt de la Cour de cassation du 21 juillet 1828 et à l’arrêté préfectoral du 8 août 1885 arrêtant le bornage et le cadastre, alors que son terrain était déjà baigné par la mer lors des procédures conduites au XIXème siècle ; ces décisions s’imposent à l’Etat qui n’apporte aucune preuve contraire à cette propriété ; le rivage de la mer n’a pas évolué depuis le XIXème siècle ; les arrêtés en litige méconnaissent également le droit de propriété de ces parcelles de terrain mouillé par la mer en baie de Somme qui a été reconnu par les arrêtés préfectoraux pris au XIXème siècle ;

– les arrêtés en litige sont insuffisamment motivés, en tant qu’ils abrogent les arrêtés et décisions pris XIXème siècle ;

– ils méconnaissent les stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 55 de la Constitution ; l’article L. 2111-5 du code général de la propriété des personnes publiques est incompatible avec ces stipulations ;

– ils méconnaissent l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

– les premiers arrêtés préfectoraux n’ont pas été retirés dans le délai légal de deux mois ; par une décision du 30 mars 1824, le tribunal d’Abbeville a rendu un jugement qui s’impose à l’Etat ;

– la délimitation du domaine public maritime est incomplète et méconnaît les articles L. 3111-1 et L. 3111-2 du code général de la propriété des personnes publiques ;

– la délimitation fondée sur un constat du 21 mars 2011 dépasse le délai maximal de 5 ans depuis l’enquête publique, en méconnaissance de l’article L. 123-17 du code de l’environnement ;

– les arrêtés préfectoraux en litige sont entachés d’une inversion chronologique ;

– la délimitation méconnaît les exigences découlant de l’article L. 2111-5 du code général de la propriété des personnes publiques par absence de constat, d’études météorologiques, faunistiques et floristiques ainsi que les critères prévus par l’article R. 2111-5 du même code ;

– le tribunal administratif est intervenu durant la procédure de délimitation du domaine public ;

– les arrêtés préfectoraux du 15 février 2017 ont pour but de procéder à la substitution de redevances d’occupation temporaire aux impôts fonciers locaux en portant atteinte à l’autorité de la chose décidée le 4 décembre 1831 et sont donc entachés d’un détournement de pouvoir ;

– ils méconnaissent le principe d’égalité devant la loi ;

– ils méconnaissent les articles 81 et 82 du traité instituant la communauté européenne ainsi que les articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce ;

– ils méconnaissent également les articles 545, 711, 712, 1352-1 et 2227 du code civil.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 octobre 2020, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

– le traité instituant la communauté européenne ;

– le code civil ;

– le code de l’environnement ;

– le code de commerce ;

– le code général de la propriété des personnes publiques ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. Jean-Pierre Bouchut, premier conseiller,

– les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

– et les observations de Me Laurent Munier, représentant Mme A… B… et M. C… D….

Une note en délibéré présentée par Mme A… B… et M. C… D… a été enregistrée le 6 juillet 2021.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E… épouse B… a reçu notification de l’arrêté préfectoral du 15 février 2017 délimitant le rivage de la mer à Lanchères, qui affecte les parcelles cadastrées A 256 et 265, lieudit  » Les Mollières « , dont elle est propriétaire en indivision sur le territoire de la commune de Lanchères. Elle relève appel du jugement n° 1702332 du 19 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif d’Amiens a rejeté sa demande tendant à l’annulation des arrêtés du 15 février 2017.

Sur l’intervention de M. D… :

2. Une intervention ne peut être admise que si son auteur s’associe soit aux conclusions recevables du requérant, soit à celles du défendeur.

3. En premier lieu, l’intervention de M. D…, propriétaire des parcelles n° 13 et 14 proches de celles de Mme B… sur le territoire de la commune de Lanchères, tend d’abord à l’annulation de l’arrêté délimitant le domaine public maritime au droit des parcelles de Mme B….

4. Toutefois, d’une part, M. D… n’établit pas que cette délimitation préjudicie à l’un de ses droits dès lors qu’il ne démontre pas qu’il dispose d’un titre l’habilitant à utiliser la hutte implantée sur les parcelles de l’appelante, ni qu’il a demandé à bénéficier d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public maritime.

5. D’autre part, l’intervenant ne justifie d’aucun intérêt commun à celui de Mme B… qui n’a d’intérêt à agir, ainsi qu’il sera indiqué ci-après, qu’en ce qui concerne les parcelles 256 et 265 dont elle est propriétaire indivisaire.

6. En deuxième lieu, les conclusions de M. D… tendant à ce qu’il soit enjoint au préfet de la Somme de remettre le cadastre dans son état antérieur à la date du 15 février 2017 et à indemniser la société civile immobilière des Hutteux pour perte de sa propriété ne tendent pas aux mêmes fins que les conclusions présentées par Mme B….

7. Il résulte de ce qui précède que cette intervention n’est pas recevable.

Sur la recevabilité des conclusions d’appel :

8. Si Mme B… est recevable à contester l’arrêté préfectoral du 15 février 2017 qui a délimité le domaine public maritime au droit des parcelles dont elle est propriétaire sur le territoire de la commune de Lanchères, elle ne dispose d’aucun intérêt lui donnant qualité pour agir à l’encontre des arrêtés du même jour qui ont délimité le domaine public maritime naturel au droit des parcelles situées sur le territoire des communes de Ponthoile, de Favières et de Pendé. Dans cette mesure, ses conclusions d’appel sont donc irrecevables.

Sur la régularité du jugement :

En ce qui concerne le caractère contradictoire de l’instruction :

9. Au soutien de sa demande d’annulation du jugement, Mme B… invoque l’absence de caractère contradictoire de l’instruction devant les premiers juges.

10. Aux termes de l’article R. 611-1 du code de justice administrative :  » (…) La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes (…). / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s’ils contiennent des éléments nouveaux « .

11. Il résulte de ces dispositions, destinées à garantir le caractère contradictoire de l’instruction, que la méconnaissance de l’obligation de communiquer le premier mémoire d’un défendeur est en principe de nature à entacher la procédure d’irrégularité. Il n’en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l’espèce, cette méconnaissance n’a pu préjudicier aux droits des parties.

12. En premier lieu, il résulte des pièces du dossier que le mémoire du préfet enregistré le 28 octobre 2019 n’a pas été communiqué à Mme B… ni à son avocat.

13. Ce premier mémoire en défense, d’une part, invoquait l’irrecevabilité de la requête en raison de sa tardiveté et du défaut d’intérêt à agir de la requérante, d’autre part, répondait aux moyens tirés de l’incompétence de l’auteur de l’acte, de l’irrégularité de la décision implicite de rejet du recours gracieux, de l’irrégularité de la procédure de délimitation du domaine public maritime, du référencement cadastral des parcelles, de l’antériorité de la propriété des parcelles, des conséquences de la propriété des huttes de chasse sur le terrain, de la détention de titres de propriété, de la méconnaissance de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de la présence de chasseurs et d’éleveurs de moutons sur une partie du domaine public maritime, enfin, demandait la suppression de passages outrageants ou diffamatoires des écritures de la requérante.

14. Toutefois, il résulte des pièces du dossier que le jugement attaqué n’a pas été fondé sur ce mémoire non communiqué.

15. En deuxième lieu, si le mémoire complémentaire de Mme B… n’a pas été communiqué au préfet, l’appelante n’allègue pas que cette absence de communication aurait porté préjudice à l’un de ses droits.

16. Dans les circonstances de l’espèce, l’absence de communication du premier mémoire en défense du préfet de la Somme et du mémoire complémentaire de la requérante n’a pas préjudicié aux droits de l’intéressée. Dès lors, le moyen doit être écarté.

En ce qui concerne la motivation du jugement :

17. Il résulte des motifs du jugement que le tribunal administratif a expressément répondu aux moyens contenus dans les mémoires de la requérante. En particulier, le tribunal administratif, qui n’était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, n’a pas omis de prendre en compte les éléments de fait qui lui étaient soumis, et notamment les avis d’imposition à la taxe foncière et les cartes cadastrales. Dès lors, le moyen invoqué à ce titre doit être écarté.

En ce qui concerne le principe d’impartialité :

18. Si l’appelante soutient que le tribunal administratif se serait immiscé dans la procédure d’élaboration de l’arrêté en litige portant ainsi atteinte au principe d’impartialité, la circonstance qu’un avis consultatif a été rendu par le tribunal sur les limites du domaine public maritime dans la baie de Somme ou celle que son président a désigné le commissaire-enquêteur n’est pas par elle-même de nature à vicier la régularité du jugement.

Sur la légalité de l’arrêté du 15 février 2017 :

En ce qui concerne la régularité de la procédure de délimitation du domaine public :

19. En premier lieu, aux termes de l’article L. 2111-5 du code général de la propriété des personnes publiques :  » Les limites du rivage sont constatées par l’Etat en fonction des observations opérées sur les lieux à délimiter ou des informations fournies par des procédés scientifiques. (…) « .

20. Aux termes de l’article R. 2111-5 du même code :  » La procédure de délimitation du rivage de la mer, des lais et relais de la mer et des limites transversales de la mer à l’embouchure des fleuves et rivières est conduite, sous l’autorité du préfet, par le service de l’Etat chargé du domaine public maritime. (…) / Les procédés scientifiques auxquels il est recouru pour la délimitation sont les traitements de données topographiques, météorologiques, marégraphiques, houlographiques, morpho-sédimentaires, botaniques, zoologiques, bathymétriques, photographiques, géographiques, satellitaires ou historiques « .

21. Il ressort des pièces du dossier que la constatation des limites de la mer a été effectuée par un travail de piquetage, lors de la marée d’équinoxe de l’après-midi du 21 mars 2011, choisie pour son coefficient théorique de 118 à Saint-Valéry-sur-Somme et en dehors de circonstances maritimes exceptionnelles, sur le territoire des communes de Lanchères, de Pendé et de Saint-Valéry-sur-Somme. Les observations ont été effectuées entre 12 H 50 et 13 H 20. Dans les sections droites, les piquets ont été espacés de 25 à 50 mètres les uns des autres. Dans les courbes, la distance entre les piquets a été réduite à 5 mètres. L’opération de relevé des points de coordonnées géoréférencées de ces piquets a été effectuée le même jour par un cabinet de géomètres comprenant un géomètre-expert.

22. Si l’autorité administrative n’a pas recouru aux procédés scientifiques mentionnés à l’article R. 2111-5 du code général de la propriété des personnes publiques, au profit d’un procédé traditionnel d’observation des plus hauts flots de la mer et de piquetage de la limite atteinte par ces flots, et notamment n’a pas mesuré le taux de salinité de l’eau de mer baignant les mollières, il n’est démontré ni que le recours à ces procédés scientifiques était nécessaire en l’espèce, ni que la délimitation opérée présentait un caractère erroné.

23. Il résulte de ce qui précède que Mme B… n’est pas fondée à soutenir que l’arrêté en litige est dépourvu de délimitation du rivage de la mer qui lui corresponde.

24. En deuxième lieu, aux termes de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :  » 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (…) « .

25. Mme B… soutient que la procédure préalable à l’arrêté en litige a méconnu les droits qu’elle tient des stipulations précitées pour n’avoir pas obtenu de réponse aux observations versées pendant l’enquête publique ni reçu les documents détenus par l’administration.

26. Toutefois, la procédure de délimitation du domaine public naturel n’a pas le caractère d’un procès permettant de contester les droits et obligations de caractère civil d’une personne et c’est la délimitation ultérieure qui peut être contestée devant le juge. Le moyen tiré de la violation des stipulations précitées doit donc être écarté.

27. En troisième lieu, aux termes de l’article L. 123-17 du code de l’environnement :  » Lorsque les projets qui ont fait l’objet d’une enquête publique n’ont pas été entrepris dans un délai de cinq ans à compter de la décision, une nouvelle enquête doit être conduite, à moins qu’une prorogation de cinq ans au plus ne soit décidée avant l’expiration de ce délai dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat « .

28. Il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté du 1er juillet 2016, le préfet de la Somme a prescrit l’ouverture d’une enquête publique qui s’est tenue du 5 septembre au 7 octobre 2016 et que le commissaire-enquêteur a transmis son rapport d’enquête au président du tribunal administratif d’Amiens le 10 novembre 2016. Dans ces conditions, les dispositions de l’article L. 123-17 du code de l’environnement, à les supposer applicables à la délimitation du rivage de la mer, n’ont pas été méconnues.

29. En quatrième lieu, en l’absence de tout élément de nature à démontrer que le rivage de la mer a évolué au droit des parcelles de l’appelante entre les années 2011 et 2017, le délai de six ans qui s’est écoulé entre l’opération matérielle de délimitation et l’arrêté en litige n’a pas été de nature à entacher la légalité de l’arrêté.

30. En cinquième lieu, aucun texte ni principe ne s’oppose à ce que l’autorité administrative délimite progressivement le rivage de la mer lorsqu’aucun propriétaire riverain de la mer n’en a fait la demande. La circonstance que l’autorité administrative n’a pas délimité le domaine public maritime sur la totalité du linéaire de la baie de Somme ne peut donc utilement être invoquée.

31. En sixième lieu, le moyen tiré de ce que les arrêtés préfectoraux de délimitation du domaine public maritime pris au cours du XIXème siècle n’ont pas été retirés dans le délai de deux mois suivant leur intervention est inopérant à l’encontre de l’acte de délimitation du domaine public maritime en litige qui présente un caractère recognitif.

En ce qui concerne l’atteinte au droit de propriété :

32. Mme B… soutient que l’arrêté en litige ne peut légalement la priver du droit de propriété attaché aux parcelles qu’elle possède.

33. Aux termes de l’article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques :  » Le domaine public maritime naturel de L’Etat comprend : / 1° Le sol et le sous-sol de la mer entre la limite extérieure de la mer territoriale et, côté terre, le rivage de la mer. / Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu’elle couvre et découvre jusqu’où les plus hautes mers peuvent s’étendre en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles (…).

34. Aux termes de l’article L. 2111-5 de ce code :  » Les limites du rivage sont constatées par l’Etat en fonction des observations opérées sur les lieux à délimiter ou des informations fournies par des procédés scientifiques. / Le projet de délimitation du rivage est soumis à enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du code de l’environnement. / L’acte administratif portant délimitation du rivage est publié et notifié aux riverains. Les revendications de propriété sur les portions de rivage ainsi délimitées se prescrivent par dix ans à dater de la publication. Le recours contentieux à l’encontre de l’acte de délimitation suspend ce délai. / Un décret en Conseil d’Etat détermine les conditions d’application du présent article, notamment les formalités propres à mettre les riverains en mesure de formuler leurs observations, ainsi que la liste des procédés scientifiques visés au premier alinéa du présent article. / (…) « .

35. En premier lieu, dès lors que la loi fixe, de manière continue depuis l’entrée en vigueur de l’article 2 du titre VII du Livre IV de l’ordonnance royale d’août 1681, une limite entre le domaine public maritime et les propriétés privées en se fondant sur un critère physique objectif indépendant de la volonté de la puissance publique, tiré de la seule reconnaissance, sous le contrôle du juge, de la progression naturelle des flots de la mer, un propriétaire riverain du rivage ne dispose d’aucune espérance légitime de pouvoir conserver son titre de propriété sur les terrains qui sont incorporés au domaine public maritime par la progression du rivage de la mer. La préoccupation de s’assurer de la conformité de l’affectation du domaine public ainsi constitué à l’utilité publique ou à d’autres objectifs légitimes, tirés notamment du libre accès au rivage de la mer, de la protection de l’environnement ou de l’aménagement du territoire justifie que la puissance publique interdise à un tel propriétaire de conserver la propriété d’une parcelle incorporée au domaine public maritime naturel par l’effet de la progression du rivage de la mer et d’y procéder à des travaux, fût-ce d’endiguement, sans autorisation préalable.

36. Les dispositions législatives précitées n’entraînent ni une privation de propriété, au sens de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ni une atteinte contraire à l’article 2 de cette Déclaration. Si elles n’instituent pas un droit à indemnisation au profit du propriétaire dont tout ou partie de la propriété a été incorporé au domaine public maritime naturel en raison de la progression du rivage de la mer, elles ne font pas obstacle à ce que ce propriétaire obtienne une réparation dans le cas exceptionnel où le transfert de propriété entraînerait pour lui une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général de protection du rivage de la mer dans l’intérêt de l’ensemble des usagers poursuivi par ces dispositions.

37. Il résulte des points précédents que l’arrêté de délimitation du domaine public maritime en litige, pris sur le fondement de ces dispositions législatives, n’a pas porté atteinte au droit de propriété de Mme B…, protégé par les dispositions des articles 545, 711, 712, 1352-1 et 2227 du code civil.

38. En deuxième lieu, aux termes de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :  » Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général « .

39. Il résulte de ces stipulations qu’une ingérence dans le droit de propriété doit respecter le principe de légalité, poursuivre un but légitime et ménager un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et la sauvegarde des droits individuels.

40. Pour les mêmes motifs que ceux qui sont exposés aux points 35 et 36, Mme B… n’est pas fondée à soutenir que l’arrêté en litige a méconnu les garanties qu’elle tient de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni que les dispositions de l’article L. 2111-5 du code général de la propriété des personnes publiques sont incompatibles avec les stipulations de cet article 1er.

En ce qui concerne les droits fondés en titre :

41. Mme B… soutient que ses parcelles faisaient partie d’une vente légalement consommée de biens nationaux par l’adjudication du 28 vendémiaire an IV (20 octobre 1795), ce qui a été confirmé, selon elle, par un arrêt de la Cour de cassation du 21 juillet 1828, par l’arrêté préfectoral du 8 août 1885 arrêtant le bornage et le cadastre et par une décision du tribunal de grande instance d’Abbeville du 29 octobre 1996, et que son terrain était déjà baigné par la mer lors des procédures conduites au XIXème siècle.

42. Aux termes de l’article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques :  » Les biens des personnes publiques mentionnées à l’article L. 1, qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles « .

43. Aux termes de l’article L. 3111-2 du même code :  » Le domaine public maritime et le domaine public fluvial sont inaliénables sous réserve des droits et des concessions régulièrement accordés avant l’édit de Moulins de février 1566 et des ventes légalement consommées de biens nationaux « .

44. A la supposer même établie, la circonstance que les parcelles de l’intéressée étaient comprises dans une vente de biens nationaux est sans influence sur la légalité de l’arrêté de délimitation en litige qui prévoit expressément que les droits des tiers sont et demeurent réservés.

45. Il appartient seulement à l’appelante de faire valoir ses droits, si elle s’y croit fondée, par une action en revendication de propriété dans le délai prescrit par les dispositions de l’article L. 2111-5 du code général de la propriété des personnes publiques.

En ce qui concerne le détournement de pouvoir :

46. S’agissant d’un acte à caractère recognitif, le moyen tiré d’un détournement de pouvoir à l’encontre de l’arrêté de délimitation litige, notamment en ce qu’il aurait pour but de substituer des redevances d’occupation domaniale aux impôts fonciers locaux, est inopérant.

En ce qui concerne le caractère imprécis du cadastre du XIXème siècle :

47. Contrairement à ce que soutient Mme B…, le jugement n’étant pas entaché de contradiction à cet égard, il ressort des pièces du dossier que le grand livre des cartes cadastrales du XIXème siècle ne permet pas délimiter avec précision le rivage de la mer au droit des parcelles de l’appelante, au contraire de la délimitation en litige.

En ce qui concerne les atteintes au droit de la concurrence :

48. Les stipulations des articles 81 et 82 du traité instituant la communauté européenne et les dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce, qui prohibent les ententes anticoncurrentielles et les abus de position dominante, ne s’appliquent pas à un acte de délimitation du domaine public maritime. Le moyen tiré de leur méconnaissance est, par suite, sans influence sur la légalité de la décision attaquée.

49. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B… n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement du 19 novembre 2019, le tribunal administratif d’Amiens a rejeté sa demande tendant à l’annulation des arrêtés préfectoraux du 15 février 2017.

Sur les conclusions de Mme B… à fin d’injonction :

50. Le présent arrêt n’appelle aucune mesure d’exécution. Dès lors, les conclusions de Mme B… à fin d’injonction doivent être rejetées.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

51. D’une part, la demande présentée par Mme B…, partie perdante, sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doit être rejetée.

52. D’autre part, l’auteur de l’intervention en cause n’étant pas partie à l’instance, la demande présentée par M. D… doit en tout état de cause être rejetée.

Sur les dépens :

53. En l’absence de dépens, les conclusions de l’intervenant tendant à la condamnation de l’Etat à supporter les dépens ne peuvent qu’être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : L’intervention de M. D… n’est pas admise.

Article 2 : La requête de Mme B… est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de M. D… présentées au titre des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A… E… épouse B…, à M. C… D… et à la ministre de la transition écologique.

Copie en sera transmise, pour information, à la préfète de la Somme.

N°20DA00208

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