Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SARL Elaia a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2012.
Par un jugement n° 1602055 du 25 septembre 2018, le tribunal administratif de Poitiers a fait droit à sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 15 janvier 2019, le ministre de l’action et des comptes publics demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 25 septembre 2018 ;
2°) de remettre à la charge de la SARL Elaia le complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2012.
Le ministre soutient que :
– il ressort de l’article 268 du code général des impôts que seules les mutations d’immeubles acquis et revendus conservant la même qualification juridique, terrain ou immeuble bâti, peuvent être soumises à la TVA sur la marge ;
– peut seul constituer un terrain à bâtir au regard des règles de taxe sur la valeur ajoutée un terrain qui ne comporte pas de bâtiments au sens de construction incorporée au sol, qu’il s’agisse d’immeubles neufs ou anciens ou lorsque l’immeuble bâti, impropre à un tel usage, doit être démoli ; la qualification de l’immeuble dépend donc d’une appréciation au cas par cas de l’état des immeubles concernés ;
– les mutations de terrains détachés d’immeubles bâtis sont susceptibles d’être taxées sur la marge en application des dispositions de l’article 268 du code général des impôts, sous réserve que dans l’acte d’acquisition, d’une part, chaque terrain destiné à être revendu soit clairement désigné et identifié comme tel, avec précision des références cadastrales et de sa contenance, distinctement des immeubles bâtis dont il est détaché, d’autre part, le prix d’acquisition fasse l’objet d’une ventilation entre la partie afférente à chaque terrain détaché et celle correspondant à l’immeuble bâti, enfin, chaque élément, terrain détaché et immeuble bâti, soit soumis au régime fiscal approprié selon sa qualification en matière de droits de mutation et de plus-values ;
– la nécessité de pouvoir justifier de l’ouverture du droit à déduction de taxe sur la valeur ajoutée lors de l’acquisition du bien faisant l’objet d’une cession ultérieure, implique que la division parcellaire ait été réalisée avant l’acquisition ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 mars 2020, la SARL Elaia, représentée par Me C…, conclut au rejet de la requête, et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l’État au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
– il résulte des dispositions de l’article 392 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 qui est le support de l’article 268 que les dispositions de ce dernier article ont uniquement pour finalité de compenser l’absence de droit à déduction d’un assujetti ; par suite, la base d’imposition est déterminée uniquement en fonction du traitement fiscal de l’acquisition initiale au regard de la taxe sur la valeur ajoutée ; d’ailleurs selon le 1 du 2° du 1 de l’article 257, » sont considérés comme terrains à bâtir les terrains sur lesquels des constructions peuvent être autorisées en application d’un plan local d’urbanisme, d’un autre document d’urbanisme en tenant lieu, d’une carte communale ou de l’article L 111 -3 du code de l’urbanisme » ;
– les terrains lors de leur acquisition ne comportaient pas de constructions sauf un garage non contigu aux constructions destiné à être démoli.
Par ordonnance du 2 mars 2020, la clôture d’instruction a été fixée au 6 avril 2020.
Le ministre de l’économie, des finances et de la relance a produit un mémoire, enregistré le 10 novembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ;
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
-le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme E…,
– et les conclusions de Mme A… B….
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Elaia qui exerce l’activité de marchand de biens, a fait l’acquisition à Lagord (Charente-Maritime), de deux ensembles immobiliers constitués d’une maison et de terrains, par deux actes des 31 juillet et 22 octobre 2012. Ces acquisitions n’ont pas été soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. Le 20 novembre 2012, elle a revendu en tant que terrain à bâtir deux des parcelles, en soumettant l’opération à la taxe sur la valeur ajoutée selon le régime dérogatoire de la marge. Dans le cadre d’un contrôle sur pièces, le service a remis en cause l’application de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge à la cession d’un terrain à bâtir, a calculé la taxe sur le prix de vente total, conformément aux articles 266 et 267 du code général des impôts et a notifié à la SARL Elaia un complément de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2012. Toutefois, par un jugement du 25 septembre 2018, le tribunal administratif de Poitiers a prononcé la décharge de ces impositions. Le ministre de l’action et des comptes publics relève appel de ce jugement.
2. Le I de l’article 257 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable issue de l’article 16 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, prévoit que les opérations concourant à la production ou à la livraison d’immeubles, lesquelles comprennent les livraisons à titre onéreux de terrains à bâtir, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. En vertu du 2 du b de l’article 266 du même code, l’assiette de la taxe est en principe constituée par le prix de cession.
3. L’article 392 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dispose toutefois que : » Les États membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n’a pas eu droit à déduction à l’occasion de l’acquisition, la base d’imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d’achat « . L’article 268 du code général des impôts, pris pour la transposition de ces dispositions, prévoit, dans sa rédaction également issue de l’article 16 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, que : » S’agissant de la livraison d’un terrain à bâtir, ou d’une opération mentionnée au 2° du 5 de l’article 261 pour laquelle a été formulée l’option prévue au 5° bis de l’article 260, si l’acquisition par le cédant n’a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d’imposition est constituée par la différence entre : / 1° D’une part, le prix exprimé et les charges qui s’y ajoutent ; / 2° D’autre part, selon le cas : / – soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l’acquisition du terrain ou de l’immeuble ; / – soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature qu’il a effectués « .
4. Il résulte de ces dernières dispositions, lues à la lumière de celles de la directive dont elles ont pour objet d’assurer la transposition, que les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée qu’elles prévoient s’appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s’appliquent donc pas aux cessions de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un terrain bâti, quand le bâtiment qui y était édifié a fait l’objet d’une démolition de la part de l’acheteur-revendeur. Par suite, le ministre est fondé à soutenir que c’est à tort que, pour prononcer la décharge du complément de taxe sur la valeur ajoutée en litige, les premiers juges ont estimé que ne faisait pas obstacle à la mise en oeuvre du régime de la marge la circonstance que les biens cédés comme terrains à bâtir n’avaient pas été acquis comme tels.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner l’autre moyen soulevé par la SARL Elaia.
6. Il résulte de l’instruction que la SARL Elaia a acquis, le 31 juillet 2012, sur le territoire de la commune de Lagord une maison à usage d’habitation (parcelle AC 89) et un terrain de 233 m² non attenant (parcelle AC 86) au prix de 180 000 euros, et, le 22 octobre 2012, une maison à usage d’habitation sur la parcelle cadastrée AC 88, un terrain non attenant de 198 m² sur lequel est édifié un garage sur la parcelle AC 90 et des droits indivis dans une cour attenante avec puits sur la parcelle AC 87, moyennant la somme de 180 000 euros. Ces opérations relatives à des immeubles bâtis achevés depuis plus de cinq ans n’ont pas été soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. Le 20 novembre 2012, la SARL Elaia a cédé les parcelles AC 86 (terrain de 233 m2) et AC 90 (terrain de 190 m2 sur lequel était édifié un garage) en tant que terrains à bâtir et a soumis l’opération à la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge. Dans le cadre d’un contrôle sur pièces, le service a estimé que la cession en tant que terrains à bâtir de biens qualifiés au cadastre, lors de leur acquisition, d’immeubles bâtis, ne pouvait bénéficier de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge.
7. La SARL Eaia soutient que, lors de leur acquisition, les terrains en cause ne comportaient pas de constructions, à l’exception d’un garage non contigu aux constructions et destiné à être démoli. Toutefois, si la parcelle AC 86 était bien un terrain à bâtir, la parcelle AC 90 avait le caractère d’un immeuble bâti, quand bien même elle ne comportait qu’un immeuble destiné à être démoli. Ainsi, seule la cession de la parcelle AC 86 pouvait bénéficier de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge. Toutefois, l’acte de cession n’opère pas de ventilation du prix d’acquisition entre les deux parcelles et ne permet dès lors pas de déterminer l’assiette sur laquelle pourrait s’opérer la taxation à la marge. Par suite, c’est à bon droit que l’administration a calculé la taxe sur la valeur ajoutée sur le prix de vente total stipulé lors de la vente du 20 novembre 2012.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a fait droit à la demande de la SARL Elaia. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter les conclusions de cette dernière tendant au bénéfice des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 25 septembre 2018 est annulé.
Article 2 : Le complément de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2012 est remis à la charge de la SARL Elaia.
Article 3 : Les conclusions de la SARL Elaia tendant au bénéfice des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Elaia et au ministre de l’économie, des finances et de la relance.
Une copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Ouest.
Délibéré après l’audience du 19 novembre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
Mme D…, présidente-assesseure,
Mme Florence Madelaigue, premier-conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2020.
Le président de chambre,
Éric Rey-Bèthbéder
La République mande et ordonne au ministre de l’économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.
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N° 19BX00184