CAA de BORDEAUX, 5ème chambre – formation à 3, 06/02/2018, 15BX01622, Inédit au recueil Lebon

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CAA de BORDEAUX, 5ème chambre – formation à 3, 06/02/2018, 15BX01622, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société KJD Capital, société à responsabilité limitée, a demandé au tribunal administratif de La Guadeloupe de prononcer la décharge de l’amende fiscale de 135 170 euros qui lui a été infligée au titre de l’article 1740 du code général des impôts.

Par un jugement n° 1300937 du 19 mars 2015, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 18 mai 2015 et un mémoire enregistré le 5 janvier 2018, la société KJD Capital, représentée par MeA…, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 19 mars 2015 ;

2°) de faire droit à ses conclusions de première instance.

Elle soutient :

– quand bien même l’article L. 80 D du livre des procédures fiscales ne le prévoit pas expressément, l’administration a nécessairement une obligation de décision expresse et motivée avant la mise en recouvrement d’une amende, lorsque le contribuable a présenté des observations, comme c’est le cas en l’espèce, faute de quoi, les observations du contribuable sont privées de portée et la proposition initiale d’application de l’amende devient une décision de prononcé de l’amende ;

– il résulte de l’article 1740 du code général des impôts et du commentaire sur cet article paru au BOI-CF-INF-10-40-60-20130528 paragraphe 40, que l’amende s’applique uniquement en cas d’agissements, de manoeuvres ou de dissimulations ayant conduit à la remise en cause de l’avantage fiscal et d’utilisation volontaire de fausses informations ou de non-respect intentionnel des conditions de conservation et d’affectation des investissements prévues à l’article 199 undecies B du code général des impôts ; il résulte de la décision du Conseil Constitutionnel n° 2014-418 du 8 octobre 2014 que l’amende ne peut être appliquée que si la personne a volontairement fourni de fausses informations à l’administration fiscale, ou si elle n’a pas respecté les engagements pris envers l’administration ou encore, dans le cas où un agrément n’est pas exigé, si elle s’est livrée à des agissements, manoeuvres ou dissimulations ayant conduit à la remise en cause de l’aide obtenue pour autrui ;

– en l’espèce, le tribunal a jugé qu’elle ne pouvait ignorer le défaut d’existence des équipements au titre desquels elle a aidé au financement d’investissements de la société Les saveurs locales de Capesterre Belle-Eau dans le cadre d’un dispositif de défiscalisation prévu par l’article 199 undecies B du code général des impôts ; or, les investissements concernés ont bien une existence réelle même si, selon l’administration, ils auraient été acquis préalablement à la réalisation de l’opération de financement ; il peut lui être reproché de ne pas avoir été assez vigilante et rigoureuse mais cela ne signifie pas qu’elle avait connaissance en novembre 2008 de ce que la facture qui lui a été présentée était un faux ; il n’est pas justifié de ce qu’elle aurait agi consciemment ni de ce qu’elle aurait personnellement participé à la fraude ; au contraire, sa confiance a été abusée par les dirigeants de la société Les saveurs locales de Capesterre Belle-Eau contre laquelle une plainte pénale a été déposée dès l’instant où elle a eu connaissance des éléments frauduleux.

Par un mémoire enregistré le 18 novembre 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

– la procédure contradictoire prévue à l’article L. 57 du livre des procédures fiscales ne trouve pas à s’appliquer dès lors qu’en l’espèce, le service n’a procédé à aucune rectification relative à une insuffisance, inexactitude omission ou dissimulation dans les éléments servant de base à une imposition ; la loi n’impose pas à l’administration de répondre aux observations du contribuable dans le cadre de la mise en oeuvre de la pénalité prévue à l’article 1740 du code général des impôts ;

– la société KJD Capital ne pouvait ignorer, en sa qualité de cabinet spécialisé dans la défiscalisation, qu’elle participait à une opération frauduleuse portant sur un investissement fictif dès lors que c’est elle qui, par sa qualité, s’assure de l’éligibilité de l’opération à l’avantage fiscal en vérifiant l’acquisition du matériel et sa livraison, réalise l’investissement en le finançant pour partie par un apport en fonds propres des associés et met l’investissement à disposition de l’exploitant dans le cadre d’un contrat de location ; en validant l’opération sans prendre les mesures pouvant raisonnablement être exigées d’elle pour contrôler l’existence et la livraison des matériels, la société a permis l’organisation, la réalisation et la dissimulation d’un montage frauduleux ; en tant qu’acteur essentiel du dispositif de défiscalisation, elle ne peut se placer en victime d’un escroquerie ; son dépôt de plainte ne constitue pas une preuve de sa bonne foi ; l’application de l’amende est donc justifiée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

– la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme Elisabeth Jayat,

– et les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite de la vérification de comptabilité dont a fait l’objet, de janvier à avril 2011 la société en participation KJD Capital n°26, société dont les membres ont bénéficié, au titre de leur imposition sur les revenus de l’année 2008, de la réduction d’impôt prévue par l’article 199 undecies B du code général des impôts pour les investissements réalisés outre-mer et ayant pour gérant la société KJD Capital, cet avantage fiscal d’un montant total de 135 170 euros a été remis en cause par l’administration fiscale à l’encontre de chacun des investisseurs. L’administration fiscale a par ailleurs appliqué à la société KJD Capital l’amende fiscale prévue par l’article 1740 du code général des impôts, pour un montant de 135 170 euros. La société KJD Capital fait appel du jugement du 19 mars 2015 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande tendant à la décharge de cette pénalité.

2. Aux termes de l’article 1740 du code général des impôts, dans sa version applicable en l’espèce :  » Lorsqu’il est établi qu’une personne a fourni volontairement de fausses informations ou n’a pas respecté les engagements qu’elle avait pris envers l’administration permettant d’obtenir pour autrui les avantages fiscaux prévus par les articles 199 undecies A, 199 undecies B, 217 undecies et 217 duodecies, elle est redevable d’une amende égale au montant de l’avantage fiscal indûment obtenu, sans préjudice des sanctions de droit commun. Il en est de même, dans le cas où un agrément n’est pas exigé, pour la personne qui s’est livrée à des agissements, manoeuvres ou dissimulations ayant conduit à la remise en cause de ces aides pour autrui « . L’article L. 80 D du livre des procédures fiscales dispose que :  » Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable. / Les sanctions fiscales ne peuvent être prononcées avant l’expiration d’un délai de trente jours à compter de la notification du document par lequel l’administration a fait connaître au contribuable ou redevable concerné la sanction qu’elle se propose d’appliquer, les motifs de celle-ci et la possibilité dont dispose l’intéressé de présenter dans ce délai ses observations « .

Sur la procédure d’établissement de la pénalité en litige :

3. Il résulte des dispositions précédemment citées de l’article L. 80 D du livre des procédures fiscales que l’administration a l’obligation, au moins trente jours avant la mise en recouvrement de pénalités visées par ces dispositions, d’adresser au contribuable un document comportant la motivation des pénalités qu’elle envisage de lui appliquer, et indiquant qu’il dispose d’un délai de trente jours pour présenter ses observations. L’administration n’est tenue de renouveler cette formalité que si, pour quelque motif que ce soit, elle modifie, avant leur mise en recouvrement, la base légale, la qualification ou les motifs des pénalités qu’elle se propose d’appliquer au contribuable.

4. Il résulte de l’instruction que l’administration a adressé à la société KJD Capital un procès-verbal d’infraction du 22 septembre 2011 exposant dans le détail les faits qui sont à l’origine de la remise en cause de l’avantage fiscal accordé aux investisseurs membres de la société en participation KJD Capital n°26 et les motifs pour lesquels l’administration a estimé que la société KJD Capital s’était livrée à des agissements, manoeuvres ou dissimulations ayant conduit à la remise en cause de ces aides. Ce procès-verbal mentionne le fondement légal et le mode de calcul du montant de l’amende que l’administration envisageait d’appliquer ainsi que la possibilité pour la société KJD Capital de présenter des observations dans le délai de trente jours à compter de la réception du procès-verbal. Si le 10 octobre 2011 la société KJD Capital a adressé une lettre d’observations à l’administration, affirmant qu’elle n’était pas l’auteur des anomalies relevées lors de la vérification et qu’elle avait déposé plainte contre l’opérateur concerné, cette circonstance n’obligeait pas l’administration, en l’absence de toute modification de la base légale, de la qualification ou des motifs de la pénalité envisagée, à adresser à la société une réponse motivée avant de mettre en recouvrement cette amende, ce qu’elle a fait le 28 janvier 2012, après l’expiration du délai minimum prévu à l’article L. 80 D du livre des procédures fiscales. Ainsi, l’absence de réponse de l’administration à la lettre d’observations de la société du 10 octobre 2011 n’est pas en l’espèce de nature à vicier la procédure d’établissement de l’amende en litige.

Sur le bien-fondé de la pénalité :

5. La société KJD Capital, ayant son siège en Guadeloupe, a pour activité l’aide au financement d’investissements productifs neufs destinés à être exploités dans ce département et éligibles au dispositif de défiscalisation prévu par l’article 199 undecies B du code général des impôts. Elle a créé la société KJD Capital n°26 et en est la gérante. En 2008, la société KJD Capital n°26 a procédé au rachat, auprès de la société Les saveurs locales de Capesterre Belle-Eau, qui exerce une activité de boucherie-traiteur, d’une chambre froide et de matériels de boucherie pour un prix de 286 632,74 euros HT, équipements qu’elle a donnés en location à la société Les saveurs locales de Capesterre Belle-Eau pour une durée de soixante mois. Après avoir exercé son droit de communication auprès de l’entreprise présentée comme étant le fournisseur des équipements et réalisé un contrôle inopiné auprès de la société Les saveurs locales de Capesterre Belle-Eau et une vérification de la comptabilité de la société KJD Capital n°26, l’administration a constaté que ces équipements n’avaient, en réalité, pas été acquis en 2008 par la société Les saveurs locales de Capesterre Belle-Eau mais qu’ils provenaient d’une entreprise en sommeil et qu’ils avaient fait l’objet d’un apport en nature, lors de la constitution de la société Les saveurs locales de Capesterre Belle-Eau, le 4 mars 2007. L’administration a également constaté lors de ses investigations que la facture du 21 février 2008 n°971/200694 émise par le prétendu fournisseur des équipements à l’attention de la société Les saveurs locales de Capesterre Belle-Eau mentionnant la vente de ces équipements pour un montant de 286 632,74 euros HT, résultait de la falsification d’une facture de la même date portant ce même numéro mais concernant la vente à la société Les saveurs locales de Capesterre Belle-Eau de produits et objets divers pour un montant total de 12,29 euros.

6. Il n’est pas établi ni même allégué par l’administration que la société KJD Capital aurait directement participé à la falsification des documents concernant l’acquisition fictive des matériels ayant donné lieu à réductions d’impôts en application de l’article 199 undecies B du code général des impôts au titre de l’année 2008. Par ailleurs, ainsi que le soutient la société KJD Capital, les biens sur lesquels portaient l’opération ont une existence réelle, la fraude n’ayant porté que sur la date de leur acquisition et de leur mise en exploitation et, par suite, sur leur caractère d’investissements neufs au sens de l’article 199 undecies B du code général des impôts, de sorte que la société a pu s’assurer de l’existence des biens. Toutefois, il résulte de l’instruction que, si la société KJD Capital avait en sa possession une facture d’acquisition de ces biens datée du 21 février 2008, cette facture ne mentionnait pas le mode de paiement. Par ailleurs, la société requérante ne fait état d’aucun élément qui lui aurait été fourni lui permettant de s’assurer de la date de livraison ou de réception des équipements et les extraits présentés au vérificateur de sa comptabilité, censée intégrer celle de la société KJD Capital n°26, ne retracent pas explicitement l’opération d’acquisition-location des matériels. Dans ces conditions, en l’absence de toute précision sur les raisons pour lesquelles la société KJD Capital n’a ni contrôlé la date de livraison des biens ni dûment comptabilisé l’opération, et compte tenu des obligations de contrôle qui lui incombaient en sa qualité d’organisateur de cette opération de financement, l’administration doit être regardée comme apportant la preuve d’agissements, manoeuvres ou dissimulations justifiant l’application à l’encontre de la société KJD Capital de la pénalité prévue à l’article 1740 précité du code général des impôts, sans qu’y fasse obstacle la plainte pénale pour faux et usage de faux avec constitution de partie civile déposée par la société KJD Capital à l’encontre de la société Les saveurs locales de Capesterre Belle-Eau le 14 juin 2011, après le contrôle de la société KJD Capital n° 26.

7. La doctrine administrative publiée au bulletin officiel des finances publiques sous la référence BOI-CF-INF-10-40-60-20170510 ne donne pas des dispositions applicables une interprétation différente de celle dont il est fait application dans le présent arrêt. La société KJD Capital ne peut donc utilement s’en prévaloir sur le fondement de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la société KJD Capital n’est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société KJD Capital est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société KJD Capital et au ministre de l’action et des comptes publics. Copie en sera transmise à la ministre des outre-mer et à la direction spécialisée de contrôle fiscal sud-ouest.

Délibéré après l’audience du 9 janvier 2018 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, président,

M. Pierre Bentolila, président-assesseur,

M. Frédéric Faïck, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 6 février 2018.

Le président-assesseur,

Pierre Bentolila

Le président-rapporteur,

Elisabeth Jayat

Le greffier,

Evelyne Gay-Boissières

La République mande et ordonne au ministre de l’action et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.

6

N° 15BX01622


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