L’employeur manque gravement à l’obligation de sécurité envers son salarié en s’abstenant de vérifier sa charge de travail, ce qui a une incidence sur ses conditions de travail et sa santé (en l’espèce, le salarié ayant été déclaré inapte). L’employeur peut être déclaré responsable du « burn out » de son salarié.
Dans cette affaire, la réalité d’une surcharge de travail durablement supportée par le salarié est amplement établie par l’ensemble des éléments convergents et probants. L’employeur avait nécessairement connaissance des conditions de travail du salarié qu’il cotoyait quotidiennement et avec lequel il communiquait régulièrement , y compris en dehors des heures ouvrables.
Le malaise dont le salarié a été victime sur le lieu de travail a donné lieu à une prise en charge par la CPAM au titre de la législation sur les accidents du travail. Les prescriptions médicamenteuses d’anxiolytiques et antidépresseurs dont le salarié a bénéficié à compter de cette date de façon continue avec prolongation depuis la constatation de l’inaptitude , ainsi que les constatations médicales de syndrome dépressif par épuisement professionnel, attestent d’une détérioration de l’état de santé morale du salarié en lien avec son activité professionnelle intense.
A cet égard le document unique d’évaluation des risques que produit l’employeur n’est pas daté et ne comporte aucune disposition en lien aves les risques psycho sociaux.
Il a par ailleurs manqué gravement à l’obligation de sécurité envers le salarié en s’abstenant de vérifier sa charge de travail , ce qui a eu une incidence sur ses conditions de travail et sa santé, le salarié ayant été déclaré inapte.
Ces manquements graves et répétés à l’obligation de sécurité ayant entraîné une dégradation de l’état de santé du salarié justifient le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail, emportant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. .
ARRÊT N°2023/346
N° RG 21/03272 – N° Portalis DBVI-V-B7F-OJLI
SB/LT
Décision déférée du 28 Juin 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ALBI ( 18/00096)
G. DAUMAS-CONDOMINES
Section encadrement
[A] [M] [D]
C/
SCEA [Adresse 2]
INFIRMATION
Grosse délivrée
le 14 septembre 2023
à Me CULIE, Me SOREL
Ccc à Pôle Emploi
le 14 septembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 1
***
ARRÊT DU QUATORZE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS
***
APPELANT
Monsieur [A] [M] [D]
Chez Monsieur [N] [D] – [Adresse 3]
– [Adresse 3]
[Localité 4] (PORTUGAL)
Représenté par Me Fanny CULIE de la SELARL CCDA AVOCATS, avocat au barreau D’ALBI
INTIM »E
SCEA [Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Fanny RAFFARD de la SELAS FIDAL, avocat au barreau D’ALBI
Représentée par Me Gilles SOREL, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Juin 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant S. BLUM », présidente et M. DARIES, conseillère, chargées du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
S. BLUM », présidente
M. DARIES, conseillère
N. BERGOUNIOU, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffier, lors des débats : C. DELVER
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par S. BLUM », présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre
Sommaire
Exposé du litige
FAITS – PROCÉDURE – PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [A] [M] [D] a été embauché le 1er septembre 1990 par la Scea [Adresse 2] en qualité d’ouvrier agricole suivant contrat de travail à durée indéterminée régi par la convention collective des exploitations agricoles du Tarn.
Depuis le 1er janvier 2011, M. [M] [D] exerçait une activité de responsable commercial.
Le 15 janvier 2018, M. [M] [D] a fait un malaise sur son lieu de travail, pris en charge par la CPAM au titre d’un accident du travail.
A l’occasion d’une visite de reprise du 16 octobre 2018, la médecine du travail l’a déclaré inapte à son poste.
Par courrier du 30 novembre 2018, la médecine du travail a indiqué que le maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à son état de santé.
M. [M] [D] a saisi le conseil de prud’hommes d’Albi le 15 octobre 2018 d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur.
Après avoir été convoqué par courrier du 7 décembre 2018 à un entretien préalable au licenciement fixé au 18 décembre 2018, M. [M] [D] a été licencié par courrier du 21 décembre 2018 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
M. [M] [D] a saisi une seconde fois le conseil de prud’hommes d’Albi le 16 septembre 2019 pour contester son licenciement et solliciter le versement de diverses sommes.
Par jugement du 14 octobre 2019, les deux demandes ont été jointes.
Le conseil de prud’hommes d’Albi, section encadrement, par jugement du 28 juin 2021, a :
– débouté M. [M] [D] de l’ensemble de ses demandes,
– débouté la Scea [Adresse 2] de sa demande reconventionnelle.
– condamné M. [M] [D] aux dépens.
***
Par déclaration du 20 juillet 2021, M. [A] [M] [D] a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de délai et de forme régulières.
Moyens
***
Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 28 mars 2022, M. [M] [D] [A] demande à la cour de :
– infirmer le jugement en ce qu’il l’a :
* débouté de l’ensemble de ses demandes,
* condamné aux dépens.
Statuant à nouveau
A titre principal:
– prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de la Scea [Adresse 2],
– juger que la rupture de son contrat de travail doit s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamner la Scea [Adresse 2] à lui verser :
73.169,85 euros nets de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (19,5 mois de salaire) ;
73.169,85 euros nets de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité de résultat (19,5 mois de salaire)
41.842,61 euros nets à titre de rappel d’indemnité de licenciement 2.634,68 euros à titre de rappel d’indemnité compensatrice préavis
263.47 euros au titre des congés payés afférents au préavis ,
5.403,98 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés.
A titre subsidiaire:
– condamner la Scea [Adresse 2] à lui verser :
73.169,85 euros nets de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (19,5 mois),
73.169,85 euros nets de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité de résultat (19,5 mois),
41.842,61 euros nets à titre de rappel d’indemnité de licenciement
2.634,68 euros à titre de rappel d’indemnité compensatrice préavis 263.47 euros au titre des congés payés afférents au préavis ;
5.403,98 euros à titre de reliquat d’indemnité compensatrice de congés payés.
En tout état de cause :
– débouter la Scea [Adresse 2] de l’ensemble de ses demandes,
– condamner la Scea [Adresse 2] à lui verser :
46.596,60 euros à titre de rappel des heures supplémentaires,
4.659,66 euros à titre de congés payés afférents au rappel d’heures supplémentaires,
32.869,20 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos,
3.286,92 euros à titre de congés payés afférents à la contrepartie obligatoire en repos,
826,69 euros au titre du reliquat des commissions qui lui sont dues, outre les congés payés afférents, soit 82,69 euros,
9.238,39 euros au titre du reliquat de rappel de salaire au titre du maintien de salaire pendant la période d’arrêt maladie pour accident du travail, outre les congés payés afférents, soit 923,84 euros,
22.513,80 euros à titre de dommages-intérêts relatifs au préjudice matériel et moral subi par l’appelant depuis son accident du travail du fait de l’attitude de l’employeur à son égard (6 mois de salaire),
11.256,90 euros (3 mois) à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice spécifique subi du fait du retard dans la remise des documents de fin de contrat conformes,
11.256,90 euros (3 mois) à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice spécifique subi du fait de l’absence de portabilité des régimes de prévoyance et de frais de santé,
11.256,90 euros (3 mois) à titre de dommages-intérêts au titre de la perte de chance consécutive à l’absence de portabilité des régimes de prévoyance et de frais de santé,
563,58 euros au titre du remboursement de la différence entre les sommes perçues par Pôle Emploi et les sommes qu’il aurait dû réellement percevoir si les montants déclarés par l’employeur avaient été corrects
11.256,90 euros (3 mois) à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice spécifique subi du fait de la minoration du montant de l’allocation d’aide au retour à l’emploi perçue,
3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonner la remise des documents de fin de contrat conformes à la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard,
– condamner l’intimée aux intérêts à taux légal à compter du jour du jugement,
– condamner l’intimée aux entiers dépens.
***
Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 3 janvier 2022, la Scea [Adresse 2] demande à la cour de :
– confirmer dans toutes ses dispositions le jugement,
– juger qu’elle n’a commis aucun manquement grave à ses obligations,
– débouter M. [M] [D] de sa demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail à titre principal,
-débouter M. [M] [D] de l’ensemble des demandes indemnitaires
– débouter M. [M] [D] de ses demandes :
* au titre du licenciement,
* au titre du paiement de rappels de salaire pour heures supplémentaires et contrepartie obligatoire en repos,
-à titre reconventionnel, condamner M. [M] [D] à lui payer la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
***
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance en date du 26 mai 2023.
***
Il est fait renvoi aux écritures pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
Motivation
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande en rappel de salaire pour heures supplémentaires
Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1 , du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs
acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.
Enfin, selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.
Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, si le juge retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue et fixe les créances salariales s’y rapportant.
A l’appui de sa demande M.[M] [D] produit:
– trois attestations émanant de salariés de la SCEA , Mme [S], M.[Z], M.[I] indiquant que ses journées de travail se terminaient entre 19h et 21h, M.[Z] gardien du château précisant que M.[M] [D] ramenait les clés du véhicule de service parfois à 21H.
– des attestations de clients précisant qu’il lui arrivait de leur livrer du vin entre 12h et 14h et après 19h.
-des agendas papier des années 2015, 2016 et 2017 qu’il présente comme plus complets que les agendas électroniques en ce qu’ils détaillent l’ensemble des tâches quotidiennes qu’il devait réaliser.
– des relevés d’heures sur les années 2015 à 2017 précisant les heures de début et de fin de journée de travail.
Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à la SCEA [Adresse 2] de fournir les éléments utiles à la détermination des heures de travail réellement accomplies par le salarié.
L’employeur fait valoir que la demande en rappel de salaire n’est recevable que sur la période de trois ans précédant la saisine du conseil de prud’hommes le 15 octobre 2018 . Il ajoute que le salarié a cessé toute activité à compter du 18 janvier 2018 jusqu’à la déclaration d’inaptitude le 16 octobre 2018 et ne peut réclamer d’heures supplémentaires sur les périodes non travaillées. Il produit les agendas électroniques de 2015 à 2017 faisant apparaître que le salarié était en repos un lundi sur deux , et qu’il ne travaillait pas le samedi et le dimanche. Il dénie la valeur probante des agendas papier produits par le salarié, soutenant que les mentions manuscrites qu’ils comportent ont été ajoutées par le salarié pour les besoins de la cause après la naissance du litige. Il dénie la force probante du témoignage de Mme [S] qui ne ferait que rapporter les propos du salarié. Il soutient également que les livraisons chez des clients entre 12et 14h ou après 19h étaient rares et que le salarié effectuait principalement les déplacements pendant ses heures de travail. Il ajoute que les tableaux de paye établis par l’expert comptable établissent que les salariés recevaient paiement des heures supplémentaires effectuées ou les récupéraient, qu’il en aurait été de même pour M.[M] [D] s’il en avait effectuées. Il considère que le salarié travaillait tout au plus en alternance une semaine sur deux 42h50 et 34h, ce qui correspond à 13heures supplémentaires par mois.
La cour relève que l’employeur ne conteste pas que le salarié , en sa qualité de cadre, bénéficiait d’une large autonomie et ne relevait pas de l’horaire collectif . Pour autant aucun forfait n’a été contractuellement fixé par les parties et l’employeur ne produit aucun document justifiant du temps travaillé par le salarié. Au vu de la multiplicité et l’importance des tâches dévolues au salarié, des témoignages concordants de salariés attestant de journées de travail prenant fin entre 19h et parfois 21h, outre les échanges de mails produits attestant de l’envoi et la réception de messages électroniques en dehors des heures ouvrables ainsi que pendant les weekends, la cour a acquis la conviction que le salarié a effectué des heures supplémentaires non payées.
La demande est donc recevable sur la période de trois ans précédant la saisine du conseil de prud’hommes du 15 octobre 2015 au 15 octobre 2018, étant observé qu’aucune heure supplémentaire n’a été accomplie pendant l’arrêt d’activité du salarié du 18 janvier 2018 au 16 octobre 2018, date de déclaration d’inaptitude.
Au vu de l’ensemble des éléments produits par les parties , et tenant compte de l’écart constaté entre les agendas électroniques et les agendas manuscrits versés aux débats de part et d’autre, la demande en rappel de salaire formée par le salarié présente un caractère excessif ; la cour évaluant les heures supplémentaires accomplies sur une moyenne de 6 heures supplémentaires par semaine, sur la base du salaire de base avec les majorations à 25% :
-en 2015: 1303,90 euros,
– en 2016 : 5 632,85 euros
-en 2017: 5 632,85 euros
-en 2018: 240,70 euros
TOTAL 12810,30 euros
La SCEA [Adresse 2] sera donc condamnée à payer au salarié un rappel de salaire de 12 810,30 euros outre l’indemnité de congés payés de 1281,03 euros.
Sur la contrepartie obligatoire en repos
Le nombre d’heures d’heures supplémentaires effectuées par le salarié excédant le contingent annuel de 220 heures prévu par l’article L3121-30 du code du travail en 2016, 2017, il convient de faire droit à la demande du salarié fondée sur l’article L3121-38 au titre de la contrepartie obligatoire en repos à hauteur 2 006 euros.
Sur la demande de rappel de commissions
En application de l’article 5 de son contrat de travail le salarié perçoit 10% du montant hors taxe facturé et encaissé.
Le salarié soutient que les commissions ont cessé de lui être versées à compter de son arrêt maladie, ce qui a motivé une lettre de réclamation le 28 mai 2018. La cour constate à la lecture de ses bulletins de salaire que le salarié a perçu au titre des commissions la somme de 3 650,98 euros en mai 2018, outre 990,56 euros en août 2018 et 990,56 euros en septembre 2018, 479,30 euros en octobre 2018. L’état récapitulatif des commissions produit par l’employeur en pièce 47 depuis janvier 2015 ne suscite aucune critique précise de l’employeur et il n’est justifié d’aucune créance du salarié à ce titre. Cette demande sera donc écartée.
Sur la demande de résiliation
Lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d’autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée. C’est seulement dans le cas contraire qu’il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur.
Il appartient à M. [M] [D] d’établir la réalité des manquements reprochés à l’employeur.
Il lui appartient également d’établir que ces manquements sont d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
A l’appui de sa demande de résiliation du contrat de travail, M. [M] [D] invoque un manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité tenant à une surcharge de travail durable qui a entrainé une dégradation de son état de santé. Il fait ainsi état d’une multiplicité de tâches, dont certaines ne relevaient pas de sa fonction, et d’une durée du travail excessive qu’il évalue à 50 heures par semaine, et qui sont à l’origine du malaise survenu le 15 janvier 2018 pris en charge au titre d’un accident du travail.
Le salarié, qui assurait une fonction de responsable commercial, expose qu’il exerçait notamment les tâches inhérentes à la commercialisation du vin, impliquant notamment les tâches suivaantes:
les mises en bouteilles, les relations avec la clientèle et les transporteurs, l’établissement des bons de livraison, les commandes des étiquettes avec vérification des informations légales, la préparation et la livraison des commandes avec établissement des documents correspondant aux palettes et documents douaniers, la gestion informatique de la mise en bouteille, les factures et le suivi des paiements, la gestion des commandes de cartons et des expéditions, la gestion des stocks, la saisie des tarifs sur logiciel.
Il fait également état des tâches informatiques suivantes:
la gestion du réseau informatique et des serveurs, les mises à jour des logiciels, les procédures de sauvegarde, la maintenance et le dépannage, la gestion des publications sur le site internet, la mise en place et la gestion d’une boutique en ligne au quotidien, la gestion du fichier clients, la recherche des réglementations en vue de l’exportation, la gestion de la téléphonie et la réception internet avec mise en place du réseau Wifi .
Outre des tâches plus occasionnelles :
l’entretien de la voiture de service, la réception de groupes d’importateurs, chauffeur pour le gérant, participation à des manifestations (marché de Noël et festival des lanternes, réunions du syndicat viticole parfois en dehors de heures ouvrables).
L’employeur objecte que le salarié ne l’a jamais alerté sur une surcharge de travail , notamment lors de l’entretien annuel de janvier 2017 et observe que celui-ci a participé au repas de fin d’année 2017 et à la remise d’un cadeau aux gérants, ce qu’il n’aurait pas fait si ses conditions de travail étaient si intolérables. Il produit le témoignage d’un salarié M.[F] [L] qui décrit un employeur toujours à l’écoute de ses employés, ainsi qu’une attestation de Mme [V], ex salariée qui fait état de son incompréhension face à l’attitude M.[D] qui entretenait une relation proche, pérenne et de qualité avec le gérant.
Il produit un document unique d’évaluation des risques psycho-sociaux attestant du respect de ses obligations et indique qu’il n’a été alerté ni par le médecin du travail ni par l’inspection du travail sur la situation de M.[M] [D] .
***
En application de l’article L 4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, ces mesures comprenant notamment des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation, la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
La cour relève que la multiplicité des tâches décrites par le salarié , dont certaines allaient bien au-delà de la fonction de responsable commercial, est confortée par le témoignage précis de Mme [S] et n’est du reste pas remise en cause de façon sérieuse par l’employeur . Le volume d’activité qu’implique cette activité est manifestement incompatible avec un horaire de trava formée par le salarié à laquelle elle fait droit partiellement.
Les témoignages de Mme [S], M.[Z] et M.[B] [I], salariés qui ont travaillé dans la SCEA [Adresse 2], attestent de façon concordante que les journées de travail de M.[M] [D] se prolongeaient après 19h, parfois 20h, 21h et plus tard et que, selon M.[Z], pour les cadres comme M.[M] [D] et lui ,les heures supplémentaires étaient un ‘sujet était plus difficile à aborder avec la direction’ qui estimait qu’avec un bon salaire le cadre ne pouvait en réclamer.
Le courriel adressé par Mme [S] à l’employeur dès le 28 novembre 2014 , dans lequel elle dénonce en termes précis une charge de travail excessive, avec des journées de travail pouvant atteindre 10h, et décrit une situation de stress (‘au bord de la crise de nerf’) sur la période de forte activité d’avril à septembre , établit que l’employeur avait été alerté par l’un de ses salariés plus de trois ans avant les doléances de M.[M] [D], sur la charge de travail élevée supportée par certains salariés. Le seul fait que le salarié n’ait pas alerté son employeur sur une charge de travail élevée et qu’il n’ait saisi ni le médecin du travail ni l’inspection du travail de ses griefs contre l’employeur ne saurait le priver de la possibilité de faire valoir ses droits à l’égard de ce dernier ; ce d’autant que l’existence de relations anciennes et personnelles proches entre le salarié et l’employeur , décrites par ce dernier, était de nature à rendre plus difficile la dénonciation par l’intéressé de ses conditions de travail.
Les divers témoignages précis de salariés précités et de cinq clients décrivant la forte implication de M.[M] [D] dans son travail et ses déplacements fréquents chez eux pour des livraisons après 19h ou entre 12h et 14h , ne sont pas utilement contrebattus par les attestations produites par l’employeur qui demeurent imprécises sur le travail fourni par le salarié. Ainsi Mme [V] ne fournit aucune indication sur l’organisation du travail de l’appelant . Quant à M.[F] [L], il n’a travaillé au sein de la SCEA que d’avril 2007 à septembre 2009 et n’a pas travaillé avec M.[M] [D] lorsque celui-ci a commencé à exercer des fonctions de responsable commercial. M.[O], quant à lui, exerce des fonctions de chef de culture et d’oenologue directeur dont les tâches sont distinctes de celles revendiquées par l’appelant.
Par ailleurs les listes de mails produites par le salarié sur les années 2015 , 2016 et 2017 révèlent que les rapports d’activité hebdomadaire étaient quasi systématiquement adressés par le salarié au gérant le vendredi entre 19h30 et 21H , que l’employeur adressait des messages électroniques au salarié certains samedis et dimanches ou en semaine le soir (après 20h) ou tôt le matin avant 8h, notamment lorsque le gérant était en déplacement à l’étranger (entre 4h et 6h).
Quant aux relevés kilométriques produits par l’employeur et aux agendas électroniques du salarié, ils mettent en évidence que le salarié était amené de façon récurrente à travailler le lundi, alors qu’il aurait dû bénéficier de récupération un lundi sur deux.
La réalité d’une surcharge de travail durablement supportée par le salarié est donc amplement établie par l’ensemble des éléments convergents et probants susévoqués. L’employeur avait nécessairement connaissance des conditions de travail du salarié qu’il cotoyait quotidiennement et avec lequel il communiquait régulièrement , y compris en dehors des heures ouvrables.
Le malaise dont le salarié a été victime sur le lieu de travail le 15 janvier 2018 a donné lieu à une prise en charge par la CPAM au titre de la législation sur les accidents du travail. Les prescriptions médicamenteuses d’anxiolytiques et antidépresseurs dont le salarié a bénéficié à compter de cette date de façon continue jusqu’en septembre 2018 avec prolongation depuis la constatation de l’inaptitude , ainsi que les constatations médicales de syndrome dépressif par épuisement professionnel , tel qu’elles résultent notamment d’un courrier du psychiatre, le Dr [K], du 12 juillet 2018, attestent d’une détérioration de l’état de santé morale du salarié en lien avec son activité professionnelle intense.
L’employeur dont l’attention avait déjà été attirée par une salariée Mme [S] dès 2014 sur le surmenage lié à sa surcharge de travail – salariée qui a été déclarée inapte par la médecine du travail le 23 mai 2018 – ne justifie d’aucune disposition prise en vue de protéger la santé des salariés et de prévenir les risques psychosociaux.
A cet égard le document unique d’évaluation des risques que produit l’employeur n’est pas daté et ne comporte aucune disposition en lien aves les risques psycho sociaux.
Il a par ailleurs manqué gravement à l’obligation de sécurité envers Monsieur [M] [D] en s’abstenant de vérifier sa charge de travail , ce qui a eu une incidence sur ses conditions de travail et sa santé, le salarié ayant été déclaré inapte le 16 octobre 2018.
Ces manquements graves et répétés à l’obligation de sécurité ayant entraîné une dégradation de l’état de santé de M. [M] [D] justifient le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail, emportant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse au 21 décembre 2018.
Sur les conséquences financières de la résiliation
Sur la base du salaire fixe et de la rémunération variable perçue sur la période de 12 mois précédant l’arrêt de travail du 18 janvier 2018, il convient de prendre en compte le salaire mensuel de référence retenu par le salarié à hauteur de 3 752,30 euros.
La résiliation est prononcée après la déclaration d’inaptitude du salarié le 16 octobre 2018 consécutive à l’accident du travail survenu le 18 janvier 2018, l’arrêt de travail concomitant de l’accident ayant été prolongé sans interruption jusqu’à la déclaration d’inaptitude . Le salarié est donc fondé à recevoir sur le fondement de l’article L1226-14 du code du travail une indemnité compensatrice d’un montant égal à l’indemnité compensatrice de préavis ainsi qu’une indemnité spécifique de licenciement égale , sauf disposition conventionnelle plus favorable , au double de l’indemnité de l’indemnité prévue par l’article L1234-9.
Il ressort du reçu pour solde de tout compte que le salarié a perçu:
– une indemnité compensatrice de préavis de 4 869,92 euros correspondant à deux mois de salaire
– une indemnité de licenciement de 57 143,06 euros
Il sera donc alloué au salarié la somme de 41 842,61 euros à titre de complément d’indemnité de licenciement doublée outre la somme de 2 634,68 euros à titre de complément d’indemnité équivalente à l’indemnité compensatrice de préavis.
Aucune indemnité de congés payés n’est due sur cette dernière indemnité qui n’a pas de nature salariale.
Le salarié bénéficiait d’une ancienneté importante de 28 ans dans une entreprise employant moins de 11 salariés. Il peut prétendre en application de l’article 1235-3 du code du travail à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse entre 3 et 19,5 mois de salaire.
En réparation du préjudice économique et moral subi par le salarié du fait de la rupture de son contrat de travail il est justifié de lui allouer la somme de 45 027 ,60 euros équivalent à 12 mois de salaire.
Sur l’obligation de sécurité
M.[M] [D] ne justifie pas d’un préjudice distinct de celui résultant du manquement à l’obligation de sécurité qui fonde sa demande en résiliation du contrat de travail , et le préjudice résultant de l’accident de ce chef est donc écartée.
Sur le reliquat de congés payés
Il ressort du bulletin de salaire du mois de novembre 2018 que le salarié a reçu à titre de régularisation des congés payés sur la période de 1er juin 2015 au 31 mai 2017 la somme de 2311,39 euros conformément au décompte établi par l’expert comptable le 7 août 2018.
Le salarié totalisait en décembre 2018 53 jours de congés non pris et a reçu à ce titre la somme de 3345,63 euros selon le reçu pour solde de tout compte . Le salarié a donc été rempli de ses droits , et la demande formée par le salarié sur la base d’un bulletin de salaire de décembre 2018 erroné et rectifié par un second bulletin du mois concerné, sera écartée.
Sur le maintien de salaire
L’article 3 de la convention collective des exploitations agricoles du Tarn prévoit une garantie du maintien du salaire en cas d’arrêt de travail pour maladie ou accident du travail: ‘le salarié perçoit l’équivalent de son salaire net d’activité en cumulant le remboursement de la MSA et les indemnités journalières versées par la CPCEA dès le 1er jour d’arrêt de travail pour accident du travail.’
Il est établi par un relevé de la MSA (pièce 26 salarié) que l’employeur a perçu de cet organisme la somme de 18 756,91 nette de CSG et CRDS, et n’a reversé au salarié que la somme de 10 292,77 euros selon bulletins de salaire ( pièce 46 employeur) sur la période du 16 janvier au 30 juin 2018, ce qui représente un salaire mensuel moyen de 1 871,41 euros au lieu de la rémunération mensuelle intégrant la rémunération variable pour un montant mensuel total de 2 798,94 euros. Il est dû en conséquence au salarié la somme de 8 464,14 euros.
Sur les autres demandes indemnitaires
Le salarié ne justifie pas que les manquements reprochés à l’employeur au titre du maintien de la rémunération pendant l’arrêt maladie procèdent d’une intention de nuire.
Par ailleurs il ne démontre pas l’existence d’un lien de causalité direct entre le manquement tenant au maintien partiel de sa rémunération pendant son arrêt maladie et la rupture anticipée de son contrat de location de véhicule Lexus. De même il n’est pas établi que les manquements reprochés à l’employeur ont privé le salarié d’un départ en vacances qui avait été médicalement autorisé, de sorte que la demande en réparation d’un préjudice occasionné de ce chef au salarié et aux membres de la famille de l’intéressé est injustifiée .
Le surplus des demandes indemnitaires n’est pas étayé par des éléments précis et n’est accompagné d’aucun moyen développé dans les conclusions du salarié , il sera rejeté.
Sur les frais et dépens
La SCEA [Adresse 2], partie principalement perdante, supportera les entiers dépens de première instance et d’appel.
M.[M] [D] est en droit de réclamer l’indemnisation des frais non compris dans les dépens qu’il a dû exposer à l’occasion de cette procédure. La SCEA [Adresse 2] sera donc tenue de lui payer la somme de 3000 euros en application des dispositions de l’article 700 al.1er 1° du code de procédure civile.
Le jugement entrepris est infirmé en ses dispositions concernant les frais et dépens de première instance.
La SCEA [Adresse 2] est déboutée de sa demande formée au titre des frais et dépens.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement , contradictoirement, en dernier ressort
Infirme le jugement déféré
Statuant à nouveau
Ordonne la résiliation du contrat de travail de M.[M] [D] aux torts de la SCEA [Adresse 2] à effet au 21 décembre 2018
Condamne la SCEA [Adresse 2] à payer à M.[A] De Senat [D] :
– 12 810,30 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires
– 1281,03 euros à titre d’indemnité de congés payés correspondante
– 2 006 euros à titre de contrepartie obligatoire en repos
– 200,60 euros à titre de congés payés afférents à la contrepartie obligatoire en repos,
– 41 842,61 euros à titre de complément d’indemnité de licenciement
– 2 634,68 euros à titre de complément d’indemnité équivalente à l’indemnité compensatrice de préavis
– 8 464,14 euros au titre du maintien de rémunération pendant l’arrêt de travail
– 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Rejette toute autre demande
Condamne la SCEA [Adresse 2] aux entiers dépens de première instance et d’appel
Le présent arrêt a été signé par S. BLUM », présidente et C. DELVER, greffière.
LA GREFFI’RE LA PR »SIDENTE
C. DELVER S. BLUM »