Blog dénigrant la marque de son ancien employeur : les conditions de la contrefaçon

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Blog dénigrant la marque de son ancien employeur : les conditions de la contrefaçon
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Publier un Blog dénigrant son ancien employeur connu sous la marque déposée de la société (correspondant à la dénomination sociale), n’emporte pas contrefaçon.

En l’espèce, les noms de domaine litigieux comprenant le signe Delubac, dont il est constant qu’ils ont été réservés et exploités par un ancien salarié, ne proposent aucun produits ni services et ne sont pas utilisés dans la vie des affaires.

En outre, le nom de domaine “www.harcelement-ambiance.com” ne reproduit pas le signe Delubac
Il en résulte que les demandes de la banque Delubac du fait de l’usage sans juste motif de la marque Delubac alléguée de notoirement connue, apparaissent mal fondées.

Au surplus, si la banque Delubac justifie avoir porté plainte pour diffamation et dénonciation calomnieuse sur le fondement notamment des articles 29, alinéa 1er et 32, alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la chambre du tribunal saisie n’est pas saisie de ces prétentions et aucune décision n’est communiquée par les parties à ce titre.

En outre, à supposer que les faits invoqués par la banque Delubac puissent être qualifiés d’atteinte à ses droits de la personnalité, ce qu’elle n’invoque toutefois pas, le caractère mensonger de ces faits, allégué par la demanderesse, n’est pas démontré, de sorte que la mauvaise foi de l’ex salarié n’est pas établie

Dans ces conditions, la banque Delubac apparaît également mal fondée à mettre en cause la responsabilité de la société OVH.

Pour rappel, l’article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle dispose:“Ne constitue pas une contrefaçon mais engage la responsabilité civile de son auteur l’usage dans la vie des affaires, pour des produits ou des services, non autorisé par le titulaire d’une marque notoirement connue au sens de l’article 6 bis de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle:

1) D’un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est notoirement connue;

2) D’un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est notoirement connue, s’il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d’association du signe avec la marque;

3) D’un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque est notoirement connue, si cet usage du signe, sans juste motif, tire indûment profit du caractère distinctif ou de la notoriété de la marque, ou leur porte préjudice.”

Est considérée comme notoire la marque connue d’une large fraction du public concerné, élargi au territoire national ou à une partie substantielle du territoire en tenant compte de l’ancienneté de la marque, de l’intensité de son usage, de l’importance des investissements promotionnels et publicitaires qui lui sont consacrés, et de l’ampleur de la diffusion des produits et services couverts par la marque.

Selon l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

L’article 1241 du même code précise que chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

Aux termes de l’article L. 45-2 du code des postes et des communications électroniques:“Dans le respect des principes rappelés à l’article L. 45-1, l’enregistrement ou le renouvellement des noms de domaine peut être refusé ou le nom de domaine supprimé lorsque le nom de domaine est:

1) Susceptible de porter atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ou à des droits garantis par la Constitution ou par la loi;

2) Susceptible de porter atteinte à des droits de propriété intellectuelle ou de la personnalité, sauf si le demandeur justifie d’un intérêt légitime et agit de bonne foi;

3) Identique ou apparenté à celui de la République française, d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales ou d’une institution ou service public national ou local, sauf si le demandeur justifie d’un intérêt légitime et agit de bonne foi.

Le décret en Conseil d’État prévu à l’article L. 45-7 et les règles d’attribution de chaque office d’enregistrement définissent les éléments permettant d’établir un usage de mauvaise foi et l’absence d’intérêt légitime.

Le refus d’enregistrement ou de renouvellement ou la suppression du nom de domaine ne peuvent intervenir, pour l’un des motifs prévus au présent article, qu’après que l’office d’enregistrement a mis le demandeur en mesure de présenter ses observations et, le cas échéant, de régulariser sa situation.

En outre, l’office d’enregistrement supprime ou transfère sans délai à l’autorité compétente le nom de domaine sur injonction de l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation en application du c du 2o de l’article L. 521-3-1 du code de la consommation.»

Résumé de l’affaire : La Banque Delubac, établissement bancaire français, détient plusieurs marques et noms de domaine. M. [D] [P], employé de la banque depuis avril 2023, a été licencié en octobre 2023 après avoir dénoncé des manquements de la banque. Suite à cela, il a créé plusieurs sites internet jugés diffamatoires par la banque, qui a alors engagé des poursuites pour faire cesser leur exploitation et obtenir le transfert des noms de domaine. La banque a déposé des plaintes pour diffamation et dénonciation calomnieuse. M. [D] a contesté les demandes de la banque, tandis que la société OVH, hébergeur des sites, a également demandé à être déboutée de toutes les accusations. Les parties ont formulé des demandes de dommages-intérêts et de frais de justice, et l’affaire a été plaidée en mai 2024, avec une décision attendue en septembre 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

25 septembre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n°
23/15948
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le
Expédition exécutoire délivrée à :
– Maître Bonaldi, vestiaire B936
– Maître Dubreuil, vestiaire C808
Copie certifiée conforme délivrée à :
– Maître Pardo, vestiaire K170

3ème chambre
3ème section

N° RG 23/15948 –
N° Portalis 352J-W-B7H-C3RDE

N° MINUTE :

Assignation du :
08 et 11 décembre 2023

jour fixe

JUGEMENT
rendu le 25 Septembre 2024
DEMANDEUR

S.C.S. BANQUE DELUBAC & CIE
[Adresse 3]
[Localité 1]

représentée par Maître Olivier PARDO de la SELAS OPLUS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #K0170

DÉFENDEURS

S.A. OVH GROUPE
[Adresse 4]
[Localité 5]

S.A.S. OVH
[Adresse 4]
[Localité 5]

représentées par Maitre Marie-Laure BONALDI, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #B0936 et par Maître Viviane GELLES de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de LILLE, avocat plaidant

Décision du 25 septembre 2024
3ème chambre 3ème section
N° RG 23/15948 – N° Portalis 352J-W-B7H-C3RDE

Monsieur [K] [D] [P]
[Adresse 2]
[Localité 6]

représenté par Maitre Béatrice DUBREUIL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0808

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjoint
Anne BOUTRON, vice-présidente
Linda BOUDOUR, juge

assistés de Lorine MILLE, greffière,

DEBATS

A l’audience du 30 mai 2024 tenue en audience publique, avis à été donné aux avocats que la décision serait rendue le 25 septembre 2024

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

La société en commandite simple Banque Delubac et Cie (ci-après “la banque Delubac”) est un établissement bancaire français.
Elle est titulaire :- de la marque française verbale DELUBAC n°4496347 déposée le 31 octobre 2018 en classes 9, 16, 35, 36, 38 et 41.
– de la marque française semi figurative BANQUE DELUBAC & CIE n°4496598 déposée le 2 novembre 2018 en classes 9, 16, 35, 36, 38 et 41.

La banque Delubac a également enregistré les noms de domaine “delubac.fr” le 18 février 1998 et “delubac.com” le 22 février 1998.
La société OVH est spécialisée dans l’offre de services et d’infrastructures Internet et a pour société mère la société OVH groupe.
M. [D] [P] été embauché à compter du 17 avril 2023par la banque Delubac et le 21 septembre 2023, la banque Delubac a engagé une procédure de licenciement à son encontre, ce qui a été suivi de l’envoi de sa part de courriers électroniques à la directrice des ressources humaines de la banque, à l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) et à la direction régionale interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités d’Ile-de-France (DRIEETS IDF), visant à dénoncer des manquements sociaux ou règlementaires qu’il impute à la banque. M. [D] [P] s’est vu notifier son licenciement par courrier recommandé du 20 octobre 2023.
La banque Delubac a déposé deux plaintes avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruction du tribunal judiciaire de Paris, les 18 et 25 octobre 2023, la première relative à des faits de diffamation publique envers un particulier, la seconde des faits de dénonciation calomnieuse, tentative de chantage et violation du secret professionnel.
Le 26 octobre 2023, M. [D] a créé les sites internet www.banque-delubac.com ; www.affaires-delubac.com et www.harcelement-ambiance.com, hébergés par la société OVH.
Estimant que ces sites portent atteinte à ses droits de marque et que leur contenu constitue une campagne de dénigrement à son encontre, la banque Delubac a, par courrier de son conseil du 7 novembre 2023, mis en demeure M. [D] [P] de procéder sous 72 heures à l’arrêt de l’exploitation de ces sites, leur suppression et au transfert des noms de domaine à son bénéfice.
Le même jour, la banque Delubac a mis en demeure la société OVH de procéder sous 72 heures à la suppression de ces sites et au transfert des noms de domaine à son bénéfice.
Ces mises en demeure étant restées vaines, la banque Delubac a, par actes de commissaire de justice des 8 et 11 décembre 2023, fait assigner à jour fixe les sociétés OVH et OVH groupe d’une part et M. [D] [P] d’autre part à l’audience du 30 mai 2024.
Le 1er janvier 2024, l’organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) a rendu une décision par laquelle elle ordonne M. [D] [P] de transférer le nom de domaine “banque-delubac.com” à la banque.
En exécution de l’ordonnance du juge des référés du 16 janvier 2024 (RG 23/59045), la société OVH a confirmé que M. [P] [D] est le titulaire des noms de domaine «banque-delubac.com » et «harcelement- ambiance.com ».
L’affaire a été plaidée le 30 mai 2024 et mise en délibéré au 25 septembre 2024.
PRETENTIONS DES PARTIES

Par conclusions notifiées le 29 mai 2024, la banque Delubac demande au tribunal de :
Déclarer la Banque Delubac & Cie recevable en ses demandes, fins et conclusions ;

Y faisant droit,

Ordonner à Monsieur [D] [P], à la société OVH groupe, à la société OVH de procéder à la suppression des sites internet www.affaires-delubac.com; www.harcelement-ambiance.com sous astreinte de 5000 euros par jour de retard, par site internet et par infraction constatée à compter de la signification du présent jugement;

Ordonner le transfert à la Banque Delubac & Cie des noms de domaine www.affaires-delubac.com ; www.harcelement-ambiance.com et ce sous astreinte de 500 € par jour de retard, par site internet et par infraction constatée, passé un délai d’un mois après la signification du présent jugement ;

Condamner solidum Monsieur [D] [P], la société OVH groupe, la société OVH à verser à titre de dommages-intérêts en réparation des fautes commises :
– la somme de 50 000 € au titre du site internet www.banque-delubac.com
– la somme de 50 000 € au titre du site internet www.affaires-delubac.com
– la somme de 50 000 € au titre du site internet www.harcelement-ambiance.com

En tout état de cause,

Débouter les sociétés OVH et OVH groupe et Monsieur [K] [D] [P] de toutes leurs demandes fins et conclusions,

Condamner in solidum Monsieur [D] [P], la société OVH groupe, la société OVH à verser à la Banque Delubac & Cie la somme de 25 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner in solidum Monsieur [D] [P], la société OVH groupe, la société OVH aux entiers dépens de l’instance, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile

Par conclusions notifiées le 28 mai 2024, M. [D] [P] demande au tribunal de :
Débouter la Banque Delubac & Cie de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions à à son encontre

Condamner la Banque Delubac & Cie à lui verser 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l’instance.

Par conclusions notifiées le 3 mai 2024, les sociétés OVH groupe et OVH demandent au tribunal de :
Débouter la Banque Delubac des demandes qu’elle présente à l’encontre de la société OVH groupe

Condamner la Banque Delubac à verser à la société OVH groupe 10.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la procédure abusive engagée à son encontre

Condamner la Banque Delubac à verser à la société OVH groupe 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les frais et dépens de l’instance

Juger que la responsabilité de la société OVH n’est pas engagée en qualité de bureau d’enregistrement

Juger que la responsabilité de la société OVH n’est pas engagée en qualité d’hébergeur

Débouter la Banque Delubac de l’ensemble de ses demandes présentées à l’encontre de la société OVH ;

Subsidiairement,

Constater que la Banque Delubac ne justifie pas du préjudice subi ni de son lien avec la faute reprochée à la société OVH

Constater que la Banque Delubac ne justifie pas de la pertinence d’une condamnation in solidum

Débouter la Banque Delubac de l’ensemble de ses demandes indemnitaires présentées à l’encontre de la société OVH

Encore plus subsidiairement

Condamner M. [D] à garantir la société OVH de toutes condamnations qui seraient prononcées à l’égard de cette dernière

En tout état de cause,

Condamner la partie qui succombe à verser à la société OVH 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers frais et dépens de l’instance

MOTIVATION

Sur la mise en cause de la société OVH groupe

Moyens des parties

La société OVH groupe conclut à sa mise hors de cause au motif qu’elle est la holding du groupe OVH, dépourvue d’activité opérationnelle et n’est pas l’hébergeur des sites litigieux.
La banque Delubac oppose que la société OVH groupe a pour nom commercial OVH Cloud qui est référencé sur internet comme étant une société d’hébergement et que les bas de pages des sites www.banque-delubac.com, www.affaires-delubac.com et www.harcelement-ambiance.com indiquent que la société OVH, qui a le même siège social, en est l’hébergeur.
M. [D] [P] n’a pas conclu sur ce point.
Réponse du tribunal

En l’occurrence, il ressort des conclusions de la banque Delubac (page 25) que la responsabilité de la société OVH groupe est poursuivie en qualité d’hébergeur des sites litigieux. Or les sites litigieux portent la mention “Site hébergé par ovh [Adresse 4] [Localité 5] France”. La société OVH groupe n’est ainsi pas désignée comme hébergeur, ni OVH Cloud, nom commercial de la société OVH groupe, de sorte que sa mise en cause par la société banque Delubac en qualité d’hébergeur n’est pas justifiée. Il convient en conséquence de débouter la banque Delubac de ses demandes à son égard.
Sur l’atteinte à la marque notoirement connue

Moyen des parties

La banque Delubac fait valoir que la marque « DELUBAC » est notoirement connue, car la banque existe depuis 1924, est une institution financière indépendante employant près de 300 salariés, offrant des services bancaires spécialisés, et qu’elle est titulaire des marques et des noms de domaine enregistrés à son nom. Elle soutient que les noms de domaine “banque-delubac.com” et “affaires-delubac.com” sont identiques ou semblables, au point de prêter à confusion à sa marque notoire. Elle ajoute que M. [D] [P] n’a aucun droit sur les noms de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache et que le nom de domaine “harcelement-ambiance.com” dirige vers un site destiné à lui porter atteinte. Elle fait valoir que les noms de domaine litigieux ont été utilisés de mauvaise foi par M. [D] [P] dès lors qu’ils hébergent des propos destinés à la dénigrer. Elle conteste la qualité de lanceur d’alerte de M. [D] [P] et souligne qu’il a été condamné à de multiples reprises par l’OMPI pour des actes de cybermalveillance.
La banque Delubac estime de plus que la société OVH a engagé sa responsabilité en sa qualité d’hébergeur, faute d’avoir procédé aux vérification sur l’étendue réelle des droits des éditeurs de site, notamment sur la propriété des marques. Elle soutient qu’elle a aussi manqué à son obligation de résultat pour ne pas avoir supprimé, ni transféré les noms de domaine litigieux nonobstant sa mise en demeure à cet effet en date du 9 novembre 2023.

M. [D] [P] reconnait avoir procédé à l’enregistrement des noms de domaine litigieux et être l’éditeur des sites y relatifs. Il conteste toute responsabilité au motif qu’il est un lanceur d’alerte victime et témoin de harcèlement moral. Il soutient que la demande relative au nom de domaine « banque-delubac.com » est sans objet dès lors que le transfert ordonné par l’OMPI a été effectué. Il conteste par ailleurs la notoriété de la marque “DELUBAC” et souligne que les noms de domaine litigieux ne sont pas utilisés dans la vie des affaires ni utilisés pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée. Il indique également que le nom de domaine “harcelement-ambiance.com” ne comporte pas la marque de la demanderesse. Il fait valoir que les contenus des sites litigieux ne sont pas manifestement illicites, s’inscrivant dans le cadre de la liberté d’expression d’un lanceur d’alerte et souligne que le site «affaires-delubac.com » ne fait que publier des liens vers des articles de presse toujours en ligne à ce jour. Les sociétés OVH et OVH groupe font valoir que la demande relative au nom de domaine «banque-delubac.com » est sans objet dès lors que le transfert ordonné par l’OMPI a été effectué le 26 janvier 2024. Elles s’en remettent à la décision du tribunal quant à l’appréciation du bien-fondé des demandes de transfert des noms de domaine “www.affaires-delubac.com” et “www.harcelement-ambiance.com”. Elles contestent toute responsabilité en ce qu’elles ne sont que des intermédiaires techniques auxquels s’applique un principe de neutralité et estiment en outre que la banque Delubac ne justifie pas de la notoriété alléguée de sa marque. Elles soulignent de plus que l’OMPI a jugé, dans sa décision du 1er janvier 2024, que M. [D] [P] disposait d’un intérêt légitime sur le nom de domaine « affaires-delubac.com ». Elles font également valoir que seuls les contenus présentant un caractère manifestement illicite sont susceptibles d’engager la responsabilité des hébergeurs faute de réaction de l’hébergeur à la suite d’une demande de retrait, ces contenus s’entendant de l’apologie des crimes de guerre, provocation d’actes de terrorisme ou encore contenus à caractère pédopornographique, mais non de cas de diffamation ou dénigrement.
Réponse du tribunal

L’article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle dispose:“Ne constitue pas une contrefaçon mais engage la responsabilité civile de son auteur l’usage dans la vie des affaires, pour des produits ou des services, non autorisé par le titulaire d’une marque notoirement connue au sens de l’article 6 bis de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle:
1) D’un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est notoirement connue;
2) D’un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est notoirement connue, s’il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d’association du signe avec la marque;
3) D’un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque est notoirement connue, si cet usage du signe, sans juste motif, tire indûment profit du caractère distinctif ou de la notoriété de la marque, ou leur porte préjudice.”

Est considérée comme notoire la marque connue d’une large fraction du public concerné, élargi au territoire national ou à une partie substantielle du territoire en tenant compte de l’ancienneté de la marque, de l’intensité de son usage, de l’importance des investissements promotionnels et publicitaires qui lui sont consacrés, et de l’ampleur de la diffusion des produits et services couverts par la marque.
Selon l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
L’article 1241 du même code précise que chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
Aux termes de l’article L. 45-2 du code des postes et des communications électroniques:“Dans le respect des principes rappelés à l’article L. 45-1, l’enregistrement ou le renouvellement des noms de domaine peut être refusé ou le nom de domaine supprimé lorsque le nom de domaine est:
1) Susceptible de porter atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ou à des droits garantis par la Constitution ou par la loi;
2) Susceptible de porter atteinte à des droits de propriété intellectuelle ou de la personnalité, sauf si le demandeur justifie d’un intérêt légitime et agit de bonne foi;
3) Identique ou apparenté à celui de la République française, d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales ou d’une institution ou service public national ou local, sauf si le demandeur justifie d’un intérêt légitime et agit de bonne foi.
Le décret en Conseil d’État prévu à l’article L. 45-7 et les règles d’attribution de chaque office d’enregistrement définissent les éléments permettant d’établir un usage de mauvaise foi et l’absence d’intérêt légitime.
Le refus d’enregistrement ou de renouvellement ou la suppression du nom de domaine ne peuvent intervenir, pour l’un des motifs prévus au présent article, qu’après que l’office d’enregistrement a mis le demandeur en mesure de présenter ses observations et, le cas échéant, de régulariser sa situation.
En outre, l’office d’enregistrement supprime ou transfère sans délai à l’autorité compétente le nom de domaine sur injonction de l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation en application du c du 2o de l’article L. 521-3-1 du code de la consommation.»

En l’espèce, bien qu’interpellée sur ce point par les défendeurs, la banque Delubac ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de la notoriété de la marque Delubac, aucun élément ne venant notamment corroborer ses dires selon lesquels elle existerait depuis 1924, emploirait plus de 300 salariés et serait spécialisée dans l’aide aux entreprises en difficulté. Les seules pièces qu’elle verse aux débats sont un extrait Kbis (sa pièce n°1) dont il ressort qu’elle est active depuis le 3 mai 1976 (sa pièce n°1), les certificats d’enregistrement de la marque Delubac, déposée le 31 octobre 2018, et de la marque semi figurative Banque Delubac & Cie, déposée le 2 novembre 2018, et les réservations des noms de domaine “delubac.fr” et “delubac.com” en 1998, étant insuffisantes à établir la notoriété revendiquée.
Il est relevé à titre surabondant que les noms de domaine litigieux comprenant le signe Delubac, dont il est constant qu’ils ont été réservés et exploités par M. [D] [P], ne proposent aucun produits ni services et ne sont pas utilisés dans la vie des affaires. En outre, le nom de domaine “www.harcelement-ambiance.com” ne reproduit pas le signe Delubac
Il en résulte que les demandes de la banque Delubac du fait de l’usage sans juste motif de la marque Delubac alléguée de notoirement connue, apparaissent mal fondées.
Au surplus, si la banque Delubac justifie avoir porté plainte pour diffamation et dénonciation calomnieuse sur le fondement notamment des articles 29, alinéa 1er et 32, alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (ses pièces n°10 et 11), la présente chambre du tribunal n’est pas saisie de ces prétentions et aucune décision n’est communiquée par les parties à ce titre.
En outre, à supposer que les faits invoqués par la banque Delubac puissent être qualifiés d’atteinte à ses droits de la personnalité, ce qu’elle n’invoque toutefois pas, le caractère mensonger de ces faits, allégué par la demanderesse, n’est pas démontré, de sorte que la mauvaise foi de M. [P] n’est pas établie
Dans ces conditions, la banque Delubac apparaît également mal fondée à mettre en cause la responsabilité de la société OVH.
Il convient en conséquence de rejeter l’ensemble des demandes de la banque Delubac.
Sur la demande reconventionnelle de la société OVH groupe pour procédure abusive

Moyen des parties

La société OVH groupe demande la condamnation de la banque Delubac à lui verser 10 000 euros en réparation du préjudice né de la présente procédure qu’elle estime abusive à son encontre.
La banque Delubac conclut au rejet de cette demande, soulignant que les mentions portées sur les sites prêtent à confusion quant aux activités de la société OVH groupe.
M. [D] [P] n’a pas conclu sur ce point.
Réponse du tribunal

Selon l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. L’article 1241 du même code précise que chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
Ester en justice est un droit et ne dégénère en abus pouvant justifier l’allocation de dommages-intérêts que dans les cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équipollente au dol. Une telle condamnation à dommages-intérêts pour procédure abusive implique donc que soit rapportée la preuve d’une intention malicieuse du demandeur et de la conscience d’un acharnement procédural voué à l’échec.
En l’espèce, la société OVH groupe n’invoque d’autre préjudice que celui résultant de l’obligation de se défendre, qui fait l’objet d’une demande au titre des frais irrépétibles. Par conséquent, il convient de rejeter la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par la société OVH groupe.
Sur les demandes accessoires

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge de l’autre partie.
L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a lieu à condamnation.
La société banque Delubac, partie perdante, sera condamnée aux dépens de l’instance et au paiement de 5 000 euros à M. [D] [P] d’une part et aux sociétés OVH et OVH groupe d’autre part au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’exécution provisoire est de droit.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Déboute la société Banque Delubac & Cie des demandes formulées à l’encontre de la société OVH group ;

Rejette les demandes de la société Banque Delubac & Cie aux fins de:
– voir ordonner à Monsieur [D] [P], à la société OVH groupe, à la société OVH de procéder à la suppression des sites internet www.affaires-delubac.com; www.harcelement-ambiance.com sous astreinte
– voir ordonner sous astreinte le transfert à la Banque Delubac & Cie des noms de domaine www.affaires-delubac.com ; www.harcelement-ambiance.com
– voir condamner in solidum Monsieur [D] [P], la société OVH groupe, la société OVH à verser à titre de dommages-intérêts en réparation des fautes commises au itre des sites internet www.banque-delubac.com, www.affaires-delubac.com et www.harcelement-ambiance.com, ainsi qu’aux dépens et au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la société OVH groupe de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Condamne la société Banque Delubac & Cie aux dépens ;

Condamne la société Banque Delubac & Cie à payer à Monsieur [D] [P] d’une part et aux sociétés OVH et OVH groupe d’autre part 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 25 septembre 2024

La greffière Le président
Lorine Mille Jean-Christophe Gayet


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