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ARRÊT N°
R.G : N° RG 20/03467 – N° Portalis DBVH-V-B7E-H4O3
CJP
TRIBUNAL PARITAIRE DES BAUX RURAUX D’ALES
10 décembre 2020
RG :51-19-0007
[P]
C/
[F]
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
2ème chambre section B
ARRÊT DU 14 JUIN 2022
APPELANT :
Monsieur [E] [P]
né le 29 Août 1961 à [Localité 11]
[Adresse 12]
[Localité 1]
Comparant en personne,
assisté de Me Guilhem NOGAREDE de la SELARL GN AVOCATS, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉE :
Madame [O] [F]
née le 11 Juillet 1956 à [Localité 14]
[Adresse 13]
[Localité 1]
[Localité 2]
Comparante en personne,
assistée de Me Périne FLOUTIER, avocat au barreau de NIMES
Statuant en matière de baux ruraux après convocations des parties par lettres simples et lettres recommandées avec avis de réception du 14 février 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Chantal JACQUOT-PERRIN, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Nicole GIRONA, Présidente de Chambre
Mme Chantal JACQUOT-PERRIN, Conseillère
Mme Elisabeth GRANIER, Conseillère
GREFFIER :
Mme Véronique LAURENT-VICAL, Greffière, lors des débats et Mme Véronique PELLISSIER, lors du prononcé de la décision
DÉBATS :
à l’audience publique du 12 Avril 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 14 Juin 2022
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel ;
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Madame Nicole GIRONA, Présidente de Chambre, le 14 Juin 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour
Suivant acte sous seing privé en date du 1er juin 1993, M. [R] [L] a donné à bail à ferme à M. [E] [P] diverses parcelles sur la commune de [Localité 1] (30) cadastrées section A n° [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 10].
Suivant acte authentique en date du 6 août 2007, Mme [N] [L] et M. [Z] [L], héritiers de feu M. [R] [L], ont vendu à Mme [O] [F] diverses parcelles dont celles données à bail à M. [E] [P]. La parcelle cadastrée section A n° [Cadastre 3] a, ensuite, été vendue à un tiers.
Par requête reçue le 12 septembre 2019 au tribunal judiciaire d’instance d’Alès, Mme [O] [F] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux d’Alès, et a fait convoquer M. [E] [P] aux fins de voir, en substance, prononcer la résiliation du bail à ferme, outre une condamnation au paiement de la somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts aux fins de remise en état des lieux.
Par jugement contradictoire en date du 10 décembre 2020, le tribunal paritaire des baux ruraux d’Alès a :
-prononcé la résiliation du bail à ferme conclu par acte sous-seing privé le 1er juin 1993 et renouvelé le 1er juin 2011 et au titre duquel M. [E] [P] prend à bail à ferme à Mme [O] [F] les parcelles sises sur la commune de [Localité 1] et cadastrée section A n° [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 10],
-ordonné à M. [E] [P] de libérer lesdites parcelles,
-dit qu’à défaut pour M. [E] [P] d’avoir libéré les lieux après signification du jugement, il sera procédé à son expulsion et à celle de tous les occupants de son chef avec l’assistance de la force publique et d’un serrurier si nécessaire,
-condamné M. [E] [P] à payer à Mme [O] [F] la somme de 800 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,
-débouté les parties de toutes autres demandes différentes, plus amples ou contraires au présent dispositif.
Suivant déclaration en date du 24 décembre 2020, M. [E] [P] a interjeté appel du jugement rendu en toutes ses dispositions.
L’affaire a été appelée à l’audience du 12 avril 2022.
A cette audience, M. [E] [P], en sa qualité d’appelant, assisté de son conseil, expose ses prétentions et moyens et s’en rapporte à ses conclusions en date du 30 mars 2022 pour le surplus.
L’appelant souhaite voir la cour réformer la décision querellée et, statuant à nouveau,
-sur la demande de résiliation du bail, débouter Mme [O] [F] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions comme étant injustifiées,
-subsidiairement, avant dire droit, désigner tel expert agricole qu’il plaira à la cour avec pour mission notamment de décrire l’état sanitaire et culturel actuel des parcelles louées, de dire si elles présentent des signes de dégradations et d’en déterminer les causes et de dire si les parcelles sont correctement entretenues au point de vue agricole,
-sur la demande de dommages-intérêts, confirmer la décision déférée et débouter Mme [O] [F] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions de ce chef comme étant injustifiées,
-en tout état de cause, condamner Mme [O] [F] aux entiers dépens, outre paiement de la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de son appel, M. [E] [P] fait valoir :
-que son activité professionnelle est basée sur la production biologique de châtaignes, légumes divers dont oignons doux des Cévennes et myrtilles et d’un élevage d’ânes et de moutons ; qu’il dispose de 90 ha de parcours et de landes mis à disposition par des voisins, dont l’accès ne peut se faire que par le chemin et les parcelles exploitées en fermage appartenant initialement à M. [R] [L] ; que ces parcelles contiennent deux bergeries, permettant d’abriter les ânes et de stocker les oignons, une partie de la châtaigneraie et de petits traversiers qu’il exploite avec les autres parcelles mises à disposition par d’autres propriétaires ;
-que, depuis que Mme [O] [F] a fait l’acquisition des parcelles qu’il loue, elle multiplie les démarches infructueuses pour obtenir la rupture du bail à ferme ;
-que les motifs retenus par les premiers juges pour prononcer la résiliation du bail sont à eux seuls impropres à entraîner la résiliation, dès lors qu’il n’est pas établi que les agissements incriminés sont de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds, ce qui suppose que les manquements évoqués causent effectivement un préjudice à l’exploitation et affectent la valeur des biens loués ou sont susceptibles de lui nuire à terme ; que c’est, ainsi, à tort que les premiers juges ont considéré que le fermier n’avait pas alerté son bailleur sur la nécessité de procéder à des travaux incombant au bailleur, et ce, alors que des courriers (non réclamés) ont été adressés ; que c’est, également, à tort qu’il a été considéré que les châtaigneraies ne seraient pas normalement exploitées, et ce, alors que les certificats ECOCERT pour les années 2012 à 2022 attestent qu’il exploite une production de châtaignes et de marrons conformément à la réglementation biologique européenne et que les rapports d’audit annuels, dont les contrôles sont réalisés sur site, ne relèvent aucune non conformité ; que cette certification apporte la preuve objective, émanant d’un organisme indépendant, qu’il respecte notamment « la protection de l’environnement et du climat, garantit la conservation de la fertilité des sols, le maintien de la biodiversité, le respect des cycles naturels et du bien-être animal … » ;
-que ni le défaut d’entretien, ni le défaut d’exploitation, ni la mise en péril du fonds agricole ne sont valablement établis par Mme [O] [F] ; qu’en dehors du procès-verbal de constat d’huissier, qui n’est assorti d’aucune analyse agricole de l’état des terrains et qui ne démontre pas en quoi les éléments constatés seraient de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds, il n’est produit aucun élément de preuve sérieux ; que seule l’analyse d’un expert agricole permettrait d’éclairer la cour à ce titre ; que les éléments produits par la bailleresse, antérieurs au 1er juin 2011, date du renouvellement du bail, ne pourront être retenus conformément à l’article L411-53 du code rural et de la pêche maritime ;
-que s’agissant du défaut d’entretien du bâti, les dispositions du code rural interdisent de mettre à la charge du preneur l’obligation d’effectuer les grosses réparations, tels que celles relatives aux murs de soutènement et aux clôtures ; que de la même manière, toutes les réparations rendues nécessaires du fait notamment de la vétusté et de la force majeure sont à la charge du bailleur ; qu’en l’espèce, les dégradations invoquées sont nullement liées à un défaut d’entretien, mais à la vétusté et à la configuration même des lieux et que c’est donc de mauvaise foi que la bailleresse lui fait grief d’être à l’origine de la dégradation des murs de soutènement, de la bergerie et des murets alors que ceux-ci subissent la poussée de la montagne et de l’érosion ; qu’au surplus des travaux ont été réalisés dans les bâtiments ;
-que s’agissant de débroussaillage et de la présence de végétation sauvage, il ne peut être ignoré qu’il y a toujours une époque où la végétation est luxuriante et plus dense, soit après le printemps ; que le nettoyage des parcelles se fait, de manière régulière, avant le ramassage des châtaignes ; que contrairement à ce qui est soutenu les châtaigniers sont entretenus et la certification ECOCERT en atteste ; que le recours au feu est rare et n’a présenté aucun risque pour l’exploitation et le voisinage ;
-qu’en cause d’appel, il verse aux débats un rapport établi par un expert agricole, M. [I] [J], duquel il résulte que les ‘biens affermés, et qui sont exploités, sont dans un état d’entretien normal et que le certificat ECOCERT ne serait pas délivré si la gestion technique n’était pas bonne’ ;
-que le moyen de l’intimée relative au défaut de cheptel est inopérant, dès lors que les courriers de la bailleresse attestent de la présence d’ânes ; qu’en outre, l’élevage n’est pas sa seule activité agricole ;
-qu’enfin, alors que le bailleresse lui fait divers griefs fallacieux pour tenter d’obtenir son départ, elle demeure défaillante dans la démonstration d’un mise en péril du fonds agricole.
Mme [O] [F], en sa qualité d’intimée et d’appelante sur incident, assistée de son conseil, expose ses prétentions et moyens et s’en rapporte à ses conclusions en date du 8 avril 2022 pour le surplus.
L’intimée demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu’il l’a déboutée de sa demande d’astreinte et de sa demande indemnitaire et, statuant à nouveau, au visa des articles L411-31 du code rural et de la pêche maritime, 1724, 1726, 1728 et 1766 du code civil, 146 du code de procédure civile et L131-1 du code des procédures civiles d’exécution, de :
-débouter M. [E] [P] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
-prononcer la résiliation du contrat de bail et ordonner à M. [E] [P] de libérer les parcelles données à bail, si besoin avec l’assistance de la force publique et d’un serrurier, et ce, sous astreinte de 300 € par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir,
-condamner M. [E] [P] à lui porter et payer la somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi, notamment aux fins de remise en état des lieux (bergerie, murets, élagage des châtaigniers, débroussaillage’),
-condamner le même à lui porter et payer la somme de 3 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d’appel.
Mme [O] [F] expose :
-qu’elle a, depuis l’acquisition des parcelles, adressé de nombreux courriers à M. [E] [P] pour mettre en exergue les défauts d’entretien et le mettre en demeure de respecter l’obligation d’entretien qui lui incombe ; que l’ancien propriétaire des parcelles avait déjà eu l’occasion de mettre le preneur en demeure de procéder à l’entretien des parcelles, notamment de débroussailler autour des immeubles bâtis ; que les rares fois où il a procédé à un entretien, c’est en ayant recours au feu, sans surveillance, si bien que les pompiers ont du intervenir ;
-que si le procès-verbal de constat d’huissier du 14 juin 2019 a été établi hors la présence du preneur, c’est uniquement en raison du refus de celui-ci d’accompagner l’huissier de justice ;
-que l’état de ruine de la bergerie et des murets et vu la végétation luxuriante qui s’est imposée sur la propriété, il est évident que les agissements et le défaut d’entretien de M. [E] [P] compromettent la bonne exploitation du fonds puisqu’ils causent un préjudice à l’exploitation et affectent la valeur des biens loués ;
-que c’est à juste titre que le tribunal a estimé que la certification ECOCERT ne peut en aucune manière préjuger de l’obligation d’entretien à laquelle est soumis le fermier dans le cadre du bail rural ; que vu l’état de la châtaigneraie sur les parcelles qu’elle loue à M. [E] [P], il est évident que ce dernier produit des châtaignes sur ses autres parcelles ; que dans un courrier en date du 21 juin 2019, M. [E] [P] indiquait lui-même qu’il avait réalisé l’élagage des châtaigniers « il y a plusieurs années », ce qui explique l’état de la châtaigneraie ; que les attestations et pièces produites par l’appelant ne permettent pas de remettre en cause les manquements qui lui sont reprochés ; que c’est au jour de la demande de résiliation que les manquements du preneur doivent être appréciés et que, dès lors, l’état des lieux non contradictoire établi le 14 novembre 2021 par M. [I] [J], soit plus de deux années après l’introduction de la présente procédure, ne saurait valablement contrarier les constations faites par l’huissier de justice le 14 juin 2019 ; qu’il résulte, par ailleurs, des déclarations du preneur que les parcelles en cause (26 a 21 ca) ne constituent pas un outil de travail pour M. [E] [P], mais uniquement un accès aux autres parcelles mises à sa disposition qui s’étendent sur 90 ha, ce qui explique l’état d’abandon ;
-qu’il appartient au fermier d’alerter le bailleur de la nécessité de procéder aux grosses réparations afin de préserver l’immeuble ; que si M. [E] [P] l’avait informée des désordres affectant les immeubles, elle aurait immédiatement entrepris les grosses réparations nécessaires afin de sauvegarder son patrimoine ; que M. [E] [P] s’est, au surplus, octroyé le droit d’entreprendre des grosses réparations sans autorisation préalable ;
-qu’en outre, M. [E] [P] qui est éleveur d’ânes ne garnit les parcelles d’aucun cheptel ; qu’également, il n’use pas les parcelles de manière raisonnable, en ayant recours au feu ;
-qu’enfin, l’astreinte est justifiée pour permettre la bonne exécution de l’arrêt ; que la demande en condamnation à des dommages et intérêts a pour objectif de compenser le préjudice économique et financier qui résulte du défaut d’entretien des parcelles et du défaut d’information de l’état des bâtis.
Il est expressément renvoyé aux conclusions déposées par les parties pour un exposé complet de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS :
Il résulte de l’article L411-31 2° du code rural et de la pêche maritime que le bailleur peut demander la résiliation du bail s’il justifie notamment d’agissements du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds, notamment le fait qu’il ne dispose pas de la main-d”uvre nécessaire aux besoins de l’exploitation.
Par ailleurs, l’article 1766 alinéa 1 du code civil dispose que, si le preneur d’un héritage rural ne le garnit pas des bestiaux et des ustensiles nécessaires à son exploitation, s’il abandonne la culture, s’il ne cultive pas raisonnablement, s’il emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée, ou, en général, s’il n’exécute pas les clauses du bail, et qu’il en résulte un dommage pour le bailleur, celui-ci peut, suivant les circonstances, faire résilier le bail.
Au visa de ces dispositions, le tribunal paritaire des baux ruraux a considéré démontré l’absence d’entretien des parcelles louées, l’absence d’exploitation de la châtaigneraie et l’absence d’information du bailleur sur les travaux à réaliser sur le bâti et a estimé que ces éléments sont de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds, dont la valeur est dépréciée.
Il est constant que la résiliation n’est possible que s’il y a péril pour l’exploitation du fonds et le fonds lui-même. En ce sens, ne sont pas sanctionnés directement les manquements du preneur aux obligations nées de son contrat, ces manquements ne devenant des motifs de résiliation que s’ils ont ‘compromis la bonne exploitation du fonds’.
En l’espèce, trois manquements sont mis en exergue par la bailleresse à l’encontre de M. [E] [P], à savoir un défaut d’entretien des terres, une absence d’exploitation (châtaigneraie et absence d’ânes) sur les parcelles louées et un défaut d’information des désordres affectant les bâtis.
Au soutien de sa demande, Mme [O] [F] verse au dossier un procès-verbal de constat d’huissier de justice établi hors la présence de M. [E] [P], bien que celui-ci ait été convié à y participer, le 14 juin 2019, des courriers adressés au preneur, une lettre adressée le 5 avril 2005 par l’ancienne bailleresse à M. [E] [P] lui demandant de procéder au débroussaillage des parcelles louées et plusieurs attestations.
Le procès-verbal de constat d’huissier met essentiellement en évidence la présence de ronces et végétations sauvages qui envahissent les parcelles, un sol couvert de branches sèches par endroits et de pailles à d’autres, des déjections animales et certains châtaigniers secs, déracinés et dont l’un a toutes les branches coupés jusqu’au tronc. L’huissier de justice ajoute que les murets de pierre sèches sont tombés et que les pierres jonchent le sol. Concernant la bergerie, l’huissier de justice relève la présence de renforts en béton à l’intérieur du bâtiment, ainsi qu’au-dessus de la porte d’accès, la présence de lierres et branches sèches de lierres qui envahissent une partie du mur en pierre de la bergerie. Des photographies accompagnent ces constatations.
De prime abord, il convient de relever, comme souligné par l’appelant, que ces constatations sont faites sur les parcelles louées en juin 2020, soit à la fin du printemps et donc à une période où la végétation est nécessairement abondante. Mme [O] [F] n’a pas réitéré lesdites constatations à une autre période de l’année et ne permet ainsi pas à la cour de constater que l’envahissement par la végétation, tel que qualifié par l’huissier de justice, est constant toute l’année et depuis plusieurs années. Également, il convient de relever que, si l’huissier instrumentaire constate que certains châtaigniers paraissent en mauvais état, il ne précise pas combien de châtaigniers se trouvent sur la parcelle et combien sont effectivement mal en point et si cet état est incompatible avec la production de fruits. Quant à la présence de déjections animales, il n’est pas indiqué en quoi, sur une exploitation agricole dont l’activité est notamment l’élevage d’ânes, cette constatation démontre un mauvais entretien du fonds. Enfin, s’agissant du bâti, l’huissier instrumentaire relève uniquement la présence de renfort, que la bailleresse indique avoir fait poser compte tenu de l’état du bâtiment, et la présence de lierre sur une seule partie du mur. Aucune autre constatation technique n’est faite quant l’état général du bâtiment, quant à la nécessité de procéder de manière urgente à des réparations pour assurer sa pérennité et quant aux travaux réalisés par le locataire lui-même.
Ainsi, si cette pièce justifie de la nécessité de procéder à un débroussaillage des parcelles et de l’état de vétusté du bâti, elle demeure à elle seule insuffisante à démontrer que l’exploitation du fonds est compromise du fait des agissements ou manquements du preneur. Contrairement à ce que les premiers juges ont retenu, ce procès-verbal ne permet pas de démontrer que les parcelles louées sont « dépourvues d’entretien ». La lecture des courriers échangés entre les parties démontrent effectivement que la bailleresse, mais également l’ancienne bailleresse, estime le débroussaillage insuffisant puisque plusieurs rappels ont été adressés au preneur, pour autant, il n’est démontré par aucune des pièces versées par Mme [O] [F] que cet entretien n’est jamais réalisé par le preneur et surtout il n’est pas établi que ce débroussaillage insuffisant compromet la bonne exploitation du fonds au sens de l’article L411-31 du code rural et de la pêche maritime susvisé.
Si la certification ECOCERT ne suffit effectivement pas à démontrer l’entretien assuré par le preneur précisément sur les parcelles litigieuses, M. [E] [P], exploitant par ailleurs plusieurs autres parcelles de surface bien plus importante, elle demeure cependant un élément d’une exploitation réalisée dans le respect de diverses normes, dont la protection de l’environnement et donc le respect et l’entretien des sols et végétaux. M. [E] [P] justifie au surplus que des audits sont réalisés chaque année sur site et notamment sur les parcelles appartenant à Mme [O] [F].
En outre, l’appelant verse au dossier un rapport établi par un expert agricole, dont la visite des lieux est intervenue certes de manière non contradictoire et postérieurement à l’introduction de la présente procédure, mais qui met cependant en évidence un entretien normal des parcelles affermées. L’expert confirme également, comme le soutient l’appelant, que les châtaigneraies sont nettoyées deux à trois mois avant le ramassage des châtaignes, ce qui peut expliquer l’absence de débroussaillage des parcelles en juin.
En second lieu, les pièces versées au dossier par Mme [O] [F], demanderesse dans la procédure, ne permettent pas davantage de considérer, comme le fait la décision entreprise, que M. [E] [P] n’exploite pas les terres louées. Rien, en effet, à la lecture de ce procès-verbal ne permet de dire que les châtaigniers présents sur les parcelles ne produisent pas de fruits et que ceux-ci ne sont pas ramassés par le preneur. De la même manière, il ne peut être reproché l’absence de cheptel sur lesdites parcelles, alors, d’une part, que l’huissier de justice constate la présence de déjections animales et, d’autre part, que l’activité d’élevage d’ânes ne constitue pas la seule activité de M. [E] [P] et qu’il dispose de plusieurs autres parcelles sur lesquelles ces animaux peuvent se trouver. En outre, les attestations versées par l’intimée, ainsi que les courriers adressés par celle-ci démontrent qu’à une époque des ânes ont été placés sur lesdites parcelles et que la bailleresse s’en plaignait estimant que ceux-ci causaient des dommages.
Enfin, s’agissant du bâti, c’est à bon droit que le tribunal paritaire des baux ruraux a constaté qu’il n’était pas établi que le locataire ne satisfaisait pas à son obligation d’entretien et a relevé que l’état de l’immeuble, lequel est très ancien et subit la poussée de la montagne et l’érosion, ce qui ne saurait être reproché à M. [E] [P]. Mme [O] [F] reproche, en revanche, à M. [E] [P] de ne pas l’avoir avertie de la nécessité de renforcer le bâtiment et d’avoir ainsi contribuer à sa dégradation. Le premier juge a estimé qu’il s’agissait d’un manquement de la part du preneur.
S’il résulte effectivement du dossier que Mme [O] [F] semble avoir constaté en décembre 2018 la détérioration d’un mur de pignon de la grande bergerie et la nécessité de procéder à de gros travaux, il convient de souligner que la bailleresse a nécessairement pu réaliser l’état de vétusté des bâtis lorsqu’elle en a fait l’acquisition en 2007 et que cet état de vétusté est manifestement ancien puisque le bail signé en 1993 stipule déjà que les « bergeries sont louées en l’état, sans possibilité de demander au propriétaire d’effectuer des travaux ». En outre, l’importance des travaux à réaliser, et leur tardiveté, résultent uniquement des déclarations de Mme [O] [F] et de ses courriers et sont dès lors insuffisamment démontrés. De son coté, M. [E] [P] produit une attestation rédigée par M. [A] [K], architecte, lequel mentionne que les murs et les toits des bâtiments sont sains. Force est dès lors de constater que Mme [O] [F] est défaillante à démontrer que la bonne exploitation du fonds est compromis par les défaillances du preneur.
Enfin, quant au recours à l’écobuage évoqué par la bailleresse, s’il apparaît démontré qu’il est mal contrôlé par M. [E] [P], il n’est en revanche pas établi, ni même indiqué, les conséquences que cette pratique a eu sur les parcelles louées.
Fort de ces éléments, il convient de retenir que Mme [O] [F] ne justifie pas d’agissements du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds et donc de solliciter la résiliation du bail à ferme.
Il n’apparaît au surplus pas opportun de faire droit à la demande de désignation d’un expert judiciaire formulée par M. [E] [P], la charge de la preuve pesant sur Mme [O] [F], demanderesse à la résiliation, et une mesure d’instruction ne pouvant être ordonnée en vue de suppléer la carence d’une partie dans l’administration de la preuve.
Pour les mêmes motifs que ceux évoqués plus avant et que ceux retenus par le premier juge, il convient de débouter Mme [O] [F] de sa demande de condamnation à des dommages et intérêts, celle-ci étant défaillante dans la démonstration d’un préjudice.
*
Mme [O] [F] qui succombe dans toutes ses demandes sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
Pour ces mêmes motifs, la décision entreprise sera réformée en ce qu’elle a condamné M. [E] [P] à payer à Mme [O] [F] une indemnité au titre des frais irrépétibles de première instance.
L’équité commande, en revanche, de condamner Mme [O] [F] à payer à M. [E] [P] la somme de 2 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement rendu le 10 décembre 2020 par le tribunal paritaire des baux ruraux d’Alès en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau,
Déboute Mme [O] [F] de sa demande de résiliation du bail à ferme conclu par acte sous seing privé le 1er juin 1993 et renouvelé le 1er juin 2011 au profit de M. [E] [P] et de toutes ses demandes subséquentes,
Dit n’y avoir lieu à ordonner une expertise judiciaire,
Déboute Mme [O] [F] de sa demande de condamnation à des dommages et intérêts,
Déboute Mme [O] [F] de sa demande de condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [O] [F] à payer à M. [E] [P] la somme de 2 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel,
Condamne Mme [O] [F] aux dépens de première instance et d’appel.
Arrêt signé par Madame GIRONA, Présidente et par Madame PELLISSIER, Greffière.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE