Bijouterie : 9 novembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/20061

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Bijouterie : 9 novembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/20061

9 novembre 2023
Cour d’appel de Paris
RG
21/20061

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 3

ARRET DU 09 NOVEMBRE 2023

(n° , 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 21/20061 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEVZJ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 4 novembre 2021 – Tribunal judiciaire de Paris (18ème chambre, 2ème section) – RG n° 19/00098

APPELANTE

S.A.R.L. RESTAURANT SELF SERVICE [Adresse 4]

Immatriculée au R.C.S. de Paris sous le n°542 039 607

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de Paris, toque : K0065

Assisté de Me Jean-Pierre BLATTER, avocat au barreau de Paris, toque : P0441

INTIMEE

S.C.I. FONCIERE [R]

Immatriculée au R.C.S. de Paris sous le n° 451 283 550

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Eric ALLERIT, avocat au barreau de Paris, toque : P0241

Assistée de Me Simon MOREL, cabinet BRAULT & ASSOCIES, avocat au barreau de Paris, toque J82, collaborateur de Me Elodie MARCET, avocate au barreau de Paris, cabinet BRAULT & ASSOCIES

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 26 septembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre

Mme Sandra Leroy, conseillère

Mme Marie Girousse,conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre

Greffier, lors des débats : Mme Sandrine Stassi-Buscqua

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre et par Sandrine Stassi-Buscqua, greffière, présente lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte sous seing privé en date du 1er décembre 2008, la SCI [Adresse 2], aux droits de laquelle se présente la société Foncière [R], a donné à bail en renouvellement à la société Restaurant self service [Adresse 4], divers locaux dépendant d’un immeuble sis [Adresse 2] à [Localité 5], à usage de « commerce de restaurant self service avec consommation sur place ou à emporter », pour une durée de neuf années à compter rétroactivement du 1er janvier 2008, expirant le 31 décembre 2016, et ce, moyennant un loyer annuel en principal de 33.076,75 euros.

Suivant acte d’huissier du 21 novembre 2016, la société Restaurant self service [Adresse 4] a signifié à la bailleresse une demande de renouvellement de bail, dans les mêmes termes et conditions que le bail expiré, à compter du 1er janvier 2017, renouvellement que la société Foncière [R] a refusé par acte extrajudiciaire du 24 novembre 2016, tout en offrant le paiement d’une indemnité d’éviction.

Par ordonnance de référé rendue le 27 mars 2018 par le président du tribunal de grande instance de Paris, Monsieur [X] [U] a été désigné en qualité d’expert, aux fins de donner son avis sur les montants de l’indemnité d’éviction et de l’indemnité d’occupation, lequel a déposé son rapport le 28 février 2020.

Par acte d’huissier du 20 décembre 2018, la SCI Foncière [R] a fait assigner la société Restaurant self service [Adresse 4] devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins essentielles de voir fixer l’indemnité d’occupation à la somme annuelle en principal de s 62.000 euros et condamner la société locataire au paiement d’une indemnité d’occupation à compter du 1er janvier 2017 jusqu’à la libération effective des locaux.

Par jugement du 4 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :

– constaté que, par suite de la délivrance de la demande de renouvellement délivrée le 21 novembre 2016 par la société Restaurant self service [Adresse 4], le bail liant, d’une part, la société Foncière [R] et, d’autre part, la société Restaurant self service [Adresse 4] et portant sur les locaux situés [Adresse 2] à [Localité 5], a pris fin le 31décembre 2016 à minuit ;

– dit que ce refus de renouvellement a ouvert droit pour la société Restaurant self service [Adresse 4], au paiement d’une indemnité d’éviction et qu’elle est redevable d’une indemnité d’occupation du 1er janvier 2017 jusqu’à son départ effectif des lieux ;

– fixé à la somme globale de 477.778,75 euros outre les frais de licenciement sur justificatifs, le montant de l’indemnité d’éviction, due par la société Foncière [R] à la société Restaurant self service [Adresse 4] qui se décompose ainsi :

indemnité principale : 416.162,50 euros ;

indemnités accessoires :

frais de remploi: 41.616,25 euros ;

frais de déménagement: 12.000 euros ;

trouble commercial: 5.500 euros ;

frais administratifs et juridiques : 2.500 euros ;

frais de licenciement: sur justificatifs,

– fixé le montant de l’indemnité d’occupation due par la société Restaurant self service [Adresse 4] à la somme annuelle de 63.000 euros, outre les taxes et les charges ;

– dit que cette indemnité d’occupation sera indexée au premier janvier de chaque année à compter du 1er janvier 2018, sur l’indice trimestriel des loyers commerciaux publié par l’INSEE, l’indice de base étant le dernier indice paru à la date du 1er janvier 2017 ;

– ordonné la compensation entre le montant de l’indemnité d’éviction et celui de l’indemnité d’occupation, à hauteur de la plus faible créance ;

– condamné la société Foncière [R] à payer à la société Restaurant self service [Adresse 4] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné la société Foncière [R] aux dépens, en ce compris le coût de l’expertise ordonnée en référé et confiée à Monsieur [X] [U], et dit qu’ils pourront être recouvrés dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile ;

– dit n’y avoir lieu d’ordonner l’exécution provisoire de la décision ;

– débouté les parties de toutes demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration du 18 novembre 2021, la société Restaurant self service [Adresse 4] a interjeté appel partiel du jugement.

Par conclusions déposées le 3 avril 2022, la SCI Foncière [R] a interjeté appel incident partiel du jugement.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Aux termes de ses conclusions signifiées le 26 avril 2022, la société Restaurant self service [Adresse 4], appelante à titre principal et intimée à titre incident, demande à la cour de :

– infirmer le jugement rendu le 4 novembre 2021 par la 18ème chambre – 2ème section du tribunal judiciaire de Paris, sauf en ce qu’il a condamné la SCI Foncière [R] aux dépens de la première instance, en ce compris le coût de l’expertise, et à verser à la S.A.R.L. Restaurant self service [Adresse 4] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

– débouter la S.C.I. Foncière [R] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

– fixer l’indemnité principale d’éviction à la somme de 465 981,25 euros ;

– fixer les indemnités accessoires aux sommes de :

frais de remploi : 46.598,13 euros ;

frais de désinstallation et déménagement : 21.000 euros ;

frais de réinstallation : 149.504,40 euros ;

trouble commercial : 5.500 euros ;

– fixer l’indemnité d’éviction due par la S.C.I. Foncière [R] à la S.A.R.L. Restaurant self service [Adresse 4] la somme de 688.966,78 euros ;

– juger que les frais de licenciement seront dus sur justificatifs ;

– fixer l’indemnité d’occupation annuelle à la somme de 46.658,58 euros à compter du 1er janvier 2017 et subsidiairement à 50.400 euros à compter du 1er janvier 2017 jusqu’au 14 mars 2020 puis à 46.658,58 euros à compter du 15 mars 2020 ;

– ordonner la compensation entre le montant de l’indemnité d’éviction et celui de l’indemnité d’occupation ;

– condamner la S.C.I. Foncière [R] aux dépens de l’instance en ce compris le coût lié à l’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire et à sa dénonciation, qui pourront être recouvrés directement par Maître Etevenard en ce qui la concerne, conformément à l’article 699 du code de procédure civile, et à payer à la S.A.R.L. Restaurant self service [Adresse 4] la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du même code.

Aux termes de ses conclusions signifiées le 26 juin 2023, la SCI Foncière [R], intimée à titre principal et appelante à titre incident, demande à la cour de :

– débouter la Société Restaurant self service [Adresse 4] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

– infirmer le jugement déféré en ce qu’il a fixé à la somme de 477.778,75 € l’indemnité d’éviction globale et condamné la Société Foncière [R] au paiement de la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Et, statuant à nouveau :

– fixer l’indemnité d’éviction globale à la somme de 313.200 euros en retenant, en outre, pour les différents postes d’indemnités accessoires, les montants suivants :

31.320 euro au titre des frais de remploi ;

5.500 euros au titre du trouble commercial ;

0 euro au titre des frais de réinstallation ;

2.500 euros au titre des frais administratifs et commerciaux ;

12.000 euros au titre des frais de déménagement ;

0 euro au titre des travaux non amortis ;

les frais de licenciement du personnel sur justificatifs ;

À titre subsidiaire, sur les frais de réinstallation :

– déduire 50 % du montant de la demande au titre du nécessaire amortissement des installations, d’une part, et déduire la part de la TVA incluse dans les devis adverses, d’autre part ;

En tout état de cause :

– infirmer la condamnation intervenue au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– infirmer la condamnation intervenue au titre des dépens ;

– confirmer le jugement déféré sur les autres points ;

– rappeler que les rappels d’indemnité d’occupation produiront intérêts au taux légal (applicable aux créances non-professionnelles) à compter de l’acte introductif de première instance, anatocisme et majoration (CMF art. L. 313-3) en sus ;

– ordonner le partage des dépens.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties. Cependant, pour une meilleure compréhension du présent arrêt, leur position sera succinctement résumée.

SUR CE,

Sur le montant de l’indemnité d’éviction

Sur l’indemnité principale

Aux termes de l’article L. 145-14 du code de commerce, « le bailleur doit payer au locataire évincé une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement […, laquelle] comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre. »

Les conséquences de l’éviction s’apprécie in concreto au regard de la possibilité pour le locataire de conserver son fonds de commerce sans perte de clientèle importante, auquel cas l’indemnisation prend la forme d’une indemnité de transfert, ou de la perte du fonds de commerce, auquel cas l’indemnisation prend la forme d’une indemnité de remplacement.

Cette appréciation implique dans un premier temps d’étudier les caractéristiques du bail s’agissant de sa destination, des clauses usuelles ou exorbitantes de droit commun y incluses, et des locaux s’agissant de leur implantation, de leur emplacement, de leur aménagement, et de leur commercialité, ce que le tribunal a opéré par motifs détaillés que la cour adopte et auxquels il est renvoyé.

Il n’est pas contesté que l’éviction de la société Restaurant self service [Adresse 4] entraînera la perte du fonds de commerce et, qu’en conséquence, l’indemnité d’éviction principale doit être estimée en fonction de la valeur marchande du fonds de commerce, laquelle est au minimum équivalente à la valeur du droit au bail dans l’hypothèse d’un fonds de commerce à faible rentabilité ou déficitaire.

En l’espèce, les parties ne contestent pas que seule la méthode dite du droit au bail peut être valablement retenue au regard de la faible rentabilité du fonds de commerce. Elles ne contestent pas davantage que l’évaluation de la valeur du fonds de commerce doit s’apprécier par la méthode par approche du chiffre d’affaires. En l’espèce, le tribunal s’est basé sur les données 2015 à 2017 pour retenir un chiffre d’affaires moyen de 410.275 euros H.T, auquel il a appliqué un pourcentage de 80 %, soit une valeur estimée du fonds de commerce de 330.000 euros.

La bailleresse discute l’absence de prise en compte des années 2020 et 2021.

La cour constate que le preneur verse une attestation comptable du chiffre d’affaires au titre de la période du 1er octobre 2017 et 1er juin 2018 inclus 367.042 euros, les liasses fiscales des années 2019 et 2020 dont il ressort un chiffre d’affaires respectivement de 410.056 euros et 253.469 euros. Il en ressort que le chiffre d’affaires 2018 en ce qu’il ne couvre pas l’exercice comptable de l’année n’est pas pertinent, que le chiffre d’affaires de 2019 est sensiblement identique aux années de référence retenues par le tribunal et que les chiffres d’affaires 2020, versé aux débats, et 2021 ne peuvent être considérés comme significatifs au regard de l’impact majeur de la crise sanitaire sur l’activité économique au cours de ces deux années.

La cour retient que les parties ne discutent pas sérieusement la valeur du fonds de commerce déterminée par le premier juge sur la base du chiffre d’affaires moyen hors-taxes sur les années 2015 à 2017 à savoir la somme de 410.275 € à laquelle a été appliqué un pourcentage de 80 %, soit une valeur de 330.000 €.

Concernant la valeur vénale du droit au bail, les parties s’opposent, d’une part, sur le coefficient de pondération appliquée à la cuisine, sur la valeur locative de marché et sur le coefficient de situation retenue tant par l’expert que par le premier juge.

L’appelante expose : :

sur le différentiel de loyer, que la valeur locative de marché des locaux au 1er janvier 2017 sera fixée au regard d’une valeur locative unitaire de 925 euros par mètre carré pondéré ;

sur la pondération, que le coefficient appliqué à la cuisine n’a pas été fixé ; qu’au regard de la charte, il faut distinguer le terme « annexe » de celui de « cuisine » ; qu’il est d’usage de la valoriser avec un coefficient de 0,5 dès lors qu’elle est essentielle à l’exploitation de l’activité du preneur ; qu’une surface pondérée totale de 111,55 mètres carrés devra être retenue ;

sur le coefficient de situation, que le coefficient correspondant à la valeur de marché de 925 euros par mètre carré pondéré, comme retenue en l’espèce, est celui de 7,5 et non celui de 6,5 ; qu’un coefficient de situation de 7 devra a minima être retenu, aboutissant à la somme de 465.981,25 euros.

L’intimée oppose :

sur la pondération de la cuisine, que l’expert a apporté une réponse « laconique » à ses réclamations au sens de l’article 276 du code de procédure civile ; que tout local qui n’est pas affecté à la réception du public ne peut que constituer une annexe ; qu’aucun local ne peut échapper à l’application de la charte qui a vocation à gouverner la méthode de pondération de la totalité des locaux soumis à expertise ; que la zone litigieuse, représentant près de 25 % de la surface brute du rez-de-chaussée, occupe un espace qui, rapporté à la capacité du restaurant de 85 couverts, excède assez largement les nécessités qu’induit l’exploitation d’un tel commerce, ce qui justifie un coefficient de pondération de 0,3 et le cas échéant une surface pondérée totale de 106 m2P ;

sur le prix unitaire, que celui-ci est fondé sur des références datant d’il y a plus de six ans et relatives à des commerces de téléphonie, de bijouterie et/ou à des locaux de 40 m2P de surface, voire 20 m2P ; que l’étude de références adaptées et actualisées conduit à un prix moyen de 800 euros / m2P, et à une valeur locative de 84.400 euros ;

sur le coefficient de situation, que le différentiel à retenir est de 48.185 euros ; que le coefficient de 6,5 devra être retenu, conformément à ce qu’a retenu M. l’expert [U], ce qui aboutit à une valeur de 313.200 euros.

En l’espèce, le preneur fait grief, pour la première fois en cause d’appel, au tribunal d’avoir appliqué le coefficient de 0,4 à la cuisine comme proposé par l’expert considérant qu’il convient d’appliquer un coefficient de 0,5 s’agissant d’une surface essentielle à l’exploitation de l’activité. Le bailleur oppose que la cuisine en ce qu’elle n’est pas une zone accessible au public doit être pondérée comme un local annexe et ne peut déroger à la charte.

Les recommandations rappelées dans la charte de l’expertise immobilière, qui constituent les références adoptées de façon usuelle tant par l’ensemble des professionnels de l’immobilier commercial que par les instances judiciaires dans le cadre de la fixation de la valeur locative des baux commerciaux, doivent trouver application à tous les locaux et à toutes les activités commerciales, ce qui justifie que la cuisine soit considérée et traitée comme « local annexe ». Contrairement à ce que soutient le bailleur, c’est à bon droit que le tribunal a entériné la pondération maximale proposée par l’expert à 0,4 compte-tenu de la dimension de la cuisine de 27,50 m², soit pratiquement 25 % de la surface brute du rez-de-chaussée ce qui constitue un avantage certain à l’exploitation d’une activité de restauration fût-elle en libre service dès lors que les plats sont cuisinés et/ou dressés sur place, ce qui n’est pas discuté. Ainsi c’est à bon droit que le tribunal a retenu une surface pondérée totale des lieux loués arrondie à 108,80 m²B.

Le bailleur fait grief au tribunal d’avoir fixé le prix unitaire à 925 €/m² motifs prix de l’ancienneté des références ou de l’absence de comparaison possible des locaux cités en termes de surfaces ou d’activité.

La valeur locative est, conformément aux dispositions de l’article L. 145-33 du code de commerce déterminée d’après les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité et les prix couramment pratiqués dans le voisinage.

Aux termes de l’article R. 145-6 du même code, les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l’intérêt que présente, pour le commerce considéré, l’importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l’attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l’emplacement pour l’activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d’une manière durable ou provisoire.

L’article R. 145-7 dispose que les prix couramment pratiqués dans le voisinage, par unité de surfaces, concernent des locaux équivalents eu égard à l’ensemble des éléments mentionnés aux articles R. 145-3 à R. 145-6 et qu’à défaut d’équivalence, ils peuvent, à titre indicatif, être utilisés pour la détermination des prix de base, sauf à être corrigés en considération des différences constatées entre le local loué et les locaux de référence.

C’est par motifs détaillés que la cour adopte et auxquels elle renvoie que le tribunal a décrit les références fournies par l’expert dans son rapport. Comme relevé par le premier juge, le bailleur ne fournit pas davantage de références devant la cour permettant de porter la contradiction à l’analyse faite par l’expert sur la base d’un panel significatif de références et de justifier le prix unitaire sollicité.

Contrairement à ce que soutient le bailleur, le premier juge ne s’est pas limité à « commenter la méthode expertale », mais a par motifs pertinents et détaillés que la cour adopte et auxquels elle renvoie, procédé à une analyse critique des arguments avancés par le bailleur tant sur le grief de l’ancienneté qu’il a considéré comme peu déterminant une seule référence d’avril 2010 étant antérieure à celles retenues par le bailleur, que sur le critère de la surface le tribunal ayant considéré être en mesure de corriger l’effet bonbonnière des petites surfaces par le large panel fourni, que sur la différence d’activité relevant que dans ces cas les locaux présentent des similitudes intéressantes en termes de surfaces ou de linéaire de vitrine.

L’analyse corrigée des références fournies par l’expert tous types de loyers confondus, compte-tenu des références récentes dans le même secteur d’activité de la restauration rapide dont les loyers s’échelonnent entre 550 et 1.355 euros, des locaux présentant des caractéristiques similaires aux locaux litigieux en termes de surface ou de linéaire de vitrine dont les loyers s’échelonnent entre 550 et 1.000 euros, de l’emplacement avec l’intérêt qu’il présente notamment par rapport à l’activité exercée et des caractéristiques propres du local, permet de confirmer le prix unitaire de 925 €/m²B.

Le montant du loyer plafonné de 36.615 euros n’étant pas discuté par les parties et la valeur locative de marché des locaux au 1er janvier 2017 étant de 100.640 euros, le différentiel entre les deux s’élève à la somme de 64.025 euros comme déterminé par le premier juge.

Il est fait grief par la locataire tant à l’expert qu’au tribunal d’avoir appliqué un coefficient de situation de 6,5 et non de 7 comme retenu par l’expert de partie et elle sollicite l’application d’un coefficient de 7,5 qui ressort de deux études menées par un expert immobilier sur les coefficients applicables aux droits d’entrée et aux droits au bail pour les prix unitaires se situant entre 801 à 999 euros.

Cependant, ces études dans leur dimension généraliste ne peuvent constituer des références pertinentes en ce qu’elles sont décorélées de la réalité du cas d’espèce, que l’expert a précisément décrit et le tribunal a pertinemment rappelé s’agissant d’un quartier central de Paris, d’un bon emplacement pour l’activité de restauration rapide exercée au regard du nombre important de bureaux, jouissant d’une bonne commercialité mais situé dans une artère secondaire et dans un environnement concurrentiel sur ce secteur d’activité ne permettant pas de considérer qu’il s’agisse d’une excellente situation. Ainsi c’est à bon droit que le tribunal a appliqué un coefficient de situation de 6,5.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a fixé la valeur du droit au bail à la somme de 416.162,50 euros [(100.640 – 36.615) x 6,5].

Sur les indemnités accessoires

L’appelante expose :

sur les frais de remploi, qu’elle sollicite un taux forfaitaire de 10 % de l’indemnité principale, soit la somme de 46.598,13 euros ;

sur les frais de désinstallation et de déménagement, que l’indemnité fixée à 12.000 euros par le tribunal est conforme aux devis produits ; que les frais de désinstallation de ses installations et notamment du self devront être ajoutés, soit la somme de 9.000 euros ;

sur les frais de réinstallation, que les lieux loués présentent un aménagement particulier puisqu’il s’agit d’un restaurant self service, lequel nécessite des équipements et installations particuliers ; qu’au sens du devis actualisé au 21 décembre 2021, l’indemnité doit être fixée à hauteur de 149.504,40 euros TTC ;

sur le trouble commercial, que la somme de 5.500 euros, correspondant à trois mois d’excédent brut d’exploitation, devra être retenue ;

sur les frais de licenciement, qu’ils seront déterminés de manière classique, sur justificatifs.

L’intimée oppose :

sur les frais de remploi, que le taux forfaitaire de 10 % de l’indemnité principale devra être retenu ;

sur le trouble commercial, que la somme de 5.500 euros devra être retenue ;

sur les frais administratifs et commerciaux, que la somme de 2.500 euros devra être retenue ;

sur les frais de déménagement, que les frais de réinstallation sont étrangers aux usages et ne pourraient être conçus que dans le cadre d’installations particulièrement techniques et onéreuses ce qui n’est pas le cas en l’espèce, au regard des frigos, meubles et présentoirs ; qu’aucune difficulté ne saurait se présenter en vue de d’installer de tels équipements ;

sur les frais de réinstallation, que les frais ne sont dus qu’en présence d’aménagements très spécifiques, ce qui n’est pas le cas de la preneuse ; qu’à titre subsidiaire, le montant demandé présenté en TTC devrait être déduit de la part de la TVA, un abattement forfaitaire minimum de 50 % devant être appliqué au titre de l’amortissement des installations.

Frais de remploi :

Ces frais comprennent les frais et droits de mutation que doit supporter le locataire évincé pour se réinstaller.

Les parties ne contestant pas le pourcentage appliqué par le tribunal, le jugement sera confirmé de ce chef et sur la valeur fixée à la somme de 41.616,25 euros.

Frais de déménagement et de désinstallation:

Comme pertinemment rappelé par le tribunal, cette indemnité a pour objet de prendre en charge les frais exposés par le preneur pour laisser le local vide de toute occupation.

Le tribunal a fixé cette indemnité sur la base d’un devis fourni par le preneur après le dépôt du rapport à la somme de 12.000 euros destinés au retrait du matériel de restauration.

En cause d’appel, le preneur sollicite que ce soit également pris en considération le coût de la désinstallation des équipements et, notamment, du self. Au soutien de sa demande, il verse un devis de la société M 68 d’un montant de 9.000 euros TTC.

Contrairement à ce que soutient le bailleur, le devis fourni ne vise aucune installation particulièrement techniques et onéreuses justifiant le recours à des professionnels spécialisés, mais concerne une prestation de dépose de matériel de cuisine (chambre froide, frigos, hotte aspirante, lave-vaisselle…) complémentaire à celle prévue dans le devis de la société N.I.T. déménagement qui concerne le mobilier de la salle du restaurant (distributeur à pain, meuble réfrigéré, meuble d’angle, meuble caisse café, meuble chauffant’).

De ce fait le jugement sera confirmé en ce qu’il a retenu un premier montant de 12.000 euros, auquel sera ajoutée la somme de 9.000 euros, soit une indemnité totale au titre des frais de déménagement à hauteur de 21.000 euros.

Frais de réinstallation

Ces frais sont destinés à indemniser le preneur des frais nécessaires à la reprise de son activité dans de nouveaux locaux.

Si l’indemnité d’éviction est destinée à indemniser le preneur de l’ensemble des préjudices subis du fait de la perte de son droit au bail, que le fonds de commerce soit déplacé ou perdu, cette indemnisation ne doit pas conduire à un enrichissement injustifié.

Dans la mesure où les aménagements garnissant le commerce sont inclus dans l’évaluation du fonds de commerce, il est d’usage qu’un abattement soit appliqué aux frais justifiées ou estimés par le locataire évincé pour sa réinstallation afin de tenir compte de la vétusté des mobiliers abandonnés, peu important qu’il s’agisse d’un mobilier spécifique ou relevant d’un concept spécifique.

Le jugement sera donc infirmé de ce chef.

Pour justifier des dépenses à engager, le preneur verse aux débats un devis actualisé de la société AV ‘ Systems d’un montant de 149.154,40 euros TTC.

Comme relevé par le bailleur, il convient de déduire de cette somme le montant de la TVA et d’appliquer un abattement forfaitaire puisque l’indemnisation doit compenser la perte des équipements perdus à leur valeur au jour de l’éviction et non pas permettre un remplacement à neuf.

En l’espèce, la SARL Restaurant self service [Adresse 4] exploite les locaux depuis 2008 mais il ressort des photographies des installations du self-service que le mobilier est en bon état d’entretien, comme relevé par l’expert dans son rapport, ce qui justifie l’application d’un abattement de 50 %.

L’indemnité à ce titre sera ainsi fixée à la somme de 74.577,20 euros.

Trouble commercial :

Ce préjudice résulte de la perte de temps générée par l’éviction et le moindre investissement dans le commerce.

Les parties ne contestent pas le montant de l’indemnité fixée par le tribunal sur la base d’une estimation à trois mois d’excédent brut d’exploitation (EBE), soit en l’espèce la somme de 5.500 euros, qui sera confirmée.

Frais administratifs

Ces frais correspondent essentiellement aux formalités accomplies auprès du registre du commerce, aux frais juridiques, frais de résiliation de contrats.

La somme de 2.500 € retenus à ce titre par le tribunal sera confirmée en absence de contestation des parties.

Frais de licenciement

Ce préjudice résulte des licenciements auxquels le preneur est obligé de procéder suite à la fermeture de son fonds de commerce.

Comme jugé par le tribunal il serait indemnisé justificatif.

L’indemnité d’éviction sera fixée à la somme de 561.355,95 euros, se décomposant ainsi :

indemnité principale : 416.162,50 € ;

indemnité accessoires :

frais de remploi : 41.616,25 € ;

frais de déménagement : 21.000 € ;

frais de réinstallation : 74.577,20 €

trouble commercial : 5.500 € ;

frais administratifs: 2.500 €

frais de licenciement : sur justificatif

soit la somme de 145.193,45 euros au titre d’indemnité accessoires.

Sur l’indemnité d’occupation

L’appelante expose que l’expert judiciaire n’a pas pris en considération les spécificités de la situation, à savoir notamment la durée de la procédure et la crise sanitaire ; que les liasses fiscales de 2020 à 2022 démontrent une baisse drastique du chiffre d’affaires ; qu’un abattement de précarité supérieur à 10 % aurait dû être retenu au regard de l’ancienneté de la procédure comme le souligne la jurisprudence (Cass. 3ème Civ., 27 nov. 1996, n° 1996-004612) ; qu’au regard de la crise sanitaire et de l’ancienneté de la procédure, un abattement de précarité de 35 % sur la valeur locative devra être appliqué ; qu’au sens de l’article 753 alinéa 3 du code de procédure civile, elle peut débattre devant la cour de l’estimation de l’expert et ce même si elle a indiqué l’accepter ; que la cour est invitée à ne statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions au sens de l’article 768 alinéa 2 du même code ; que l’indexation de l’indemnité d’occupation est une pratique désuète.

L’intimée oppose que la longueur de la procédure est partiellement imputable à l’appelante qui a interjeté appel ; que le quartier de la [Adresse 4] reste la référence absolue dans de nombreux secteurs prestigieux tels que le luxe de sorte qu’il ne connaît pas de longues périodes de vacances ; que de nombreuses restructurations ont eu lieu ; que l’indemnité d’occupation s’apprécie au jour de l’éviction, soit au 1er janvier 2017, sans prise en compte des événements postérieurs, de sorte que les événements liés à la crise sanitaire sont inopposables ; que l’indemnité d’occupation devra être actualisée au sens des articles L. 145-37 et L. 145-38 du code de commerce.

Selon l’article L. 145-28 du code de commerce, le locataire évincé a droit au maintien dans les lieux jusqu’au paiement de cette indemnité mais doit verser au propriétaire une indemnité d’occupation, calculée d’après la valeur locative et intégrant tous éléments d’appréciation.

Au cas d’espèce, les parties ne contestent pas la valeur locative en renouvellement déplafonné estimée par l’expert à la somme de 650 m² annuel, appliquée à la surface pondérée de 108,80 m² avec application d’un abattement de 1 % pour clause exorbitante de droit commun, soit un total arrondi de 70.000 euros.

Contrairement à ce que soutient le bailleur, l’indemnité d’occupation étant calculée à la valeur locative de renouvellement et non à la valeur locative de marché, il n’y a pas lieu de tenir compte des aléas économiques ou de comportement du consommateur sur le secteur d’activité considéré.

En revanche, il est d’usage que soit appliqué un abattement de précarité liée à la longue période d’incertitude qui a suivi le congé, privant le preneur d’investir et d’opérer ainsi des choix stratégiques au plan commercial en fonction de la variation et du comportement de la clientèle.

En l’espèce, le bail a pris fin au 1er janvier 2017 et il ne peut être fait grief au preneur d’avoir poursuivi la procédure dans le cadre d’un exercice normal de ses droits. En conséquence, il est justifié d’appliquer un abattement de 20 %.

Le jugement sera infirmé de ce chef et le montant de l’indemnité d’occupation sera fixé à la somme de 56.000 € par an hors taxes et hors charges.

Comme soutenu par le bailleur, c’est à bon droit que le tribunal a considéré qu’au regard du délai écoulé entre la fin du bail et l’évaluation de l’indemnité d’occupation et de l’impossibilité de procéder à la révision triennale de l’indemnité d’occupation, il convenait d’indexer cette indemnité au 1er janvier de chaque année à compter du 1er janvier 2018 sur l’indice trimestriel des loyers commerciaux publiés par l’INSEE, l’indice de base étant le dernier indice par à la date du 1er janvier 2017.

Sur la compensation

En absence de contestation des parties sur la compensation ordonnée par le tribunal, laquelle apparaît au demeurant justifiée, le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les demandes accessoires

Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

Chaque partie, succombant partiellement en cause d’appel, conservera la charge de ses propres dépens et des demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

PAR CES MOTIFS 

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort ;

Infirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 4 novembre 2021, sous le numéro RG 19/98, en ce qu’il a :

* fixé à la somme globale de 477.778,75 €, outre les frais de licenciement sur justificatifs, le montant de l’indemnité d’éviction, due par la société Foncière [R] à la société Restaurant self service [Adresse 4] qui se décompose ainsi :

– indemnité principale : 416.162,50 euros

– indemnités accessoires :

> frais de remploi : 41.616,25 euros

> frais de déménagement : 12.000 euros

> trouble commercial : 5.500 euros

> frais administratifs et juridiques : 2.500 euros

> frais de licenciement : sur justificatifs,

* fixé le montant de l’indemnité d’occupation due par la société Restaurant self service [Adresse 4] à la somme annuelle de 63.000 euros, outre les taxes et les charges ;

Le confirme pour le surplus ;

Statuant de nouveau,

Fixe à la somme globale de 561.355,95 euros le montant de l’indemnité d’éviction, se décomposant ainsi :

indemnité principale : 416.162,50 € ;

indemnité accessoires :

frais de remploi : 41.616,25 € ;

frais de déménagement : 21.000 € ;

frais de réinstallation : 74.577,20 €

trouble commercial : 5.500 € ;

frais administratifs: 2.500 €

frais de licenciement : sur justificatif ;

Fixe à la somme de 56.000 euros par an hors taxes et hors charges le montant de l’indemnité d’occupation due par la société Restaurant self service [Adresse 4] ;

Y ajoutant,

Rejette les demandes au titre de l’article 700 du code procédure civile ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens d’appel qu’elle a exposés.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


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