9 novembre 2023
Cour d’appel de Papeete
RG n°
22/00116
N° 404
MF B
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délivrée à :
– Me Guédikian,
le 09.11.2023.
Copies authentiques délivrées à :
– Me Quinquis,
– Ministère Public,
– Mme Greffier Rc,
– Mme Greffier Tmc,
le 09.11.2023.
REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D’APPEL DE PAPEETE
Chambre Commerciale
Audience du 9 novembre 2023
RG 22/00116 ;
Décision déférée à la Cour : jugement n° 2022/106, rg n° 2020 000896 du Tribunal Mixte de Commerce de Papeete du 21 mars 2022 ;
Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d’appel le 14 avril 2022 ;
Appelant :
M. [Z] [Y], né le [Date naissance 2] 1963 à [Localité 5], de nationalité française, demeurant [Adresse 3] ;
Ayant pour avocat la Selarl Jurispol, représentée par Me François QUINQUIS, avocat au barreau de Papeete ;
Intimés :
M. [N] [W], né le [Date naissance 1] 1965 au [Localité 7] en Isère, demeurant à [Adresse 6], ès-qualitès de liquidateur judiciaire de la Société Tahiti Rava Rava Pearl, inscrite au Rcs de Papeete sous le n° 99 415 B et identifié au répertoire des entreprises sous le n° 532 101 dont le siège social est sis [Adresse 4] ;
Représenté par Me Gilles GUEDIKIAN, avocat au barreau de Papeete ;
Le Ministère Public, ayant conclu ;
Son avis ayant été régulièrement notifié aux parties ;
Ordonnance de clôture du 2 juin 2023 ;
Composition de la Cour :
Après communication de la procédure au ministère public conformément aux articles 249 et suivants du code de procédure civile de la Polynésie française et après que la cause ait été débattue et plaidée en audience non publique du 14 septembre 2023, devant Mme BRENGARD, président de chambre, M. RIPOLL et Mme MARTINEZ, conseillers, qui ont délibéré conformément à la loi ;
Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;
Arrêt contradictoire ;
Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;
Signé par Mme BRENGARD, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A R R E T,
[Z] [Y] est président de la société par actions simplifiées Tahiti Rava Rava Pearl qui avait pour activité le commerce de gros d’articles d’horlogerie et de bijouterie notamment de perles.
La SAS Tahiti Rava Rava Pearl a été placée en redressement judiciaire par un jugement rendu le 14 septembre 2015 par le tribunal mixte de commerce de Papeete puis a bénéficié d’un plan de continuation le 13 février 2017 ; elle a été placée en liquidation judiciaire suivant jugement du 9 décembre 2019.
Par une requête du 1er septembre 2020, Maître [N] [W] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS Tahiti Rava Rava Pearl, a demandé au tribunal mixte de commerce de Papeete de prononcer la liquidation judiciaire de [Z] [Y] a fixé provisoirement la date de cessation des paiements de cette mesure au 26 septembre 2019, et subsidiairement, a demandé que le requis soit condamné à supporter l’intégralité du passif de la SAS Tahiti Rava Rava Pearl.
[Z] [Y] a opposé l’irrecevabilité de l’action de Maître [W] en invoquant l’irrégularité de sa convocation devant le tribunal de commerce.
Le ministère public a, conformément à l’avis du juge-commissaire, requis l’extension de la liquidation judiciaire à [Z] [Y] en personne.
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Suivant jugement n° 2022/106 rendu le 21 mars 2022 (RG 2020 000896), le tribunal a rejeté les moyens d’irrecevabilité soulevés par [Z] [Y], a prononcé la liquidation judiciaire de celui-ci, a fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 26 septembre 2019, a désigné le juge-commissaire, ainsi que Maître [W] en qualité de liquidateur, puis a condamné [Z] [Y] au paiement de d’une indemnité de procédure de 250’000 XPF.
Le tribunal a retenu,
– sur la régularité de la convocation de [Z] [Y], que le liquidateur judiciaire avait procédé à toutes les formalités nécessaires pour assigner à personne le défendeur qui, d’ailleurs, s’est fait représenter par deux avocats,
– sur la régularité de la requête, qu’elle n’était ni elliptique ni contradictoire,
– sur la requête principale du liquidateur judiciaire, que le demandeur établissait que [Z] [Y] avait utilisé la quasi-totalité de l’actif de la société à des fins personnelles ou pour favoriser une autre de ses sociétés.
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Suivant requête déposée le 14 avril 2022, [Z] [Y] a relevé appel de la décision dont il sollicite l’infirmation, et en ses dernières conclusions du 15 février 2023, il entend voir la cour, statuant à nouveau,
– juger que le tribunal de commerce n’était pas valablement saisi en ce que l’assignation ne mentionnait pas l’obligation pour son destinataire de comparaître en personne en chambre du conseil et en ce que les formalités de sa délivrance sont postérieures à la date de l’audience devant le tribunal,
– juger prescrite l’action en extension de liquidation judiciaire de la société Tahiti Rava Rava Pearl à l’égard de [Z] [Y], de même que son action en comblement de passif,
– condamner le liquidateur au paiement d’une indemnité de procédure de 500’000 XPF outre les entiers dépens.
L’appelant fait valoir,
– que, résidant depuis de nombreuses années à Hong Kong, il n’a pas reçu personnellement l’assignation et il n’a eu connaissance que d’une assignation délivrée à parquet le 26 août 2020, qui n’est pas régulière puisqu’elle ne précise pas l’obligation de comparaître en personne en chambre du conseil prévue impérativement par l’article 153 de la délibération du 15 février 1990, et que les conditions de sa délivrance ne permettent pas de s’assurer du respect du délai de distance,
– que l’assignation n’a pas été régulièrement délivrée car elle renvoyait à une audience du 23 novembre 2020 alors que la tentative de signification de l’assignation par l’huissier à Hong Kong est postérieure et date du 19 avril 2021;
– que l’article L624-3 du code de commerce concernant l’action en comblement de passif et L624- 5 concernant l’action en extension de la liquidation judiciaire, prévoit que le délai de prescription est de trois ans à compter du jugement qui arrête le plan de redressement ou à défaut de celui qui prononce la liquidation judiciaire,
– que le jugement adoptant le plan de continuation par voie de redressement a été rendu le 13 février 2017 et que même s’il a été résolu, le point de départ de la prescription reste cette date : or le liquidateur n’a introduit son action que le 1er septembre 2020.
En ses dernières conclusions du 8 mars 2023, Maître [W] ès- qualités entend voir la cour,
– déclarer irrecevable, au visa de l’article 349 du code de procédure civile, la demande tendant à voir déclarer prescrite son action contre [Z] [Y],
– à titre subsidiaire, rejeter l’exception de prescription et débouter [Z] [Y] de toutes ses demandes,
– confirmer le jugement entrepris et y ajoutant, condamner [Z] [Y] à lui verser une somme de 300’000 XPF au titre des frais irrépétibles d’appel outre les entiers dépens.
Le liquidateur soutient que :
– la prescription de l’action n’a pas été invoquée en première instance et il s’agit donc d’une demande nouvelle en appel,
– la prescription n’est pas acquise car les faits dénoncés se sont poursuivis pendant toute la durée d’exécution du plan de continuation ; or la Cour de cassation juge que dans cette hypothèse, la prescription court à compter du jugement qui, après résolution du plan en ouverture de nouvelle procédure collective, ordonne sa cession ou sa liquidation,
– au fond, [Z] [Y] a commis une faute volontaire de gestion en faisant valoir, pour bénéficier d’un plan de continuation qu’il dispose d’un stock de perles à Hong Kong livré à la société Pearl of Paradise et estimé à la somme de 967’124’382 XPF mais il a laissé subsister un passif très substantiel de 494’172’306 XPF prétendant qu’il était dans l’impossibilité de rapatrier tout ou partie de ce stock en Polynésie française, privant ainsi d’actifs la société Tahiti Rava Rava Pearl ; qu’en procédant au transfert de ce très important stock de perles à destination d’une société qu’il dirige, la société Pearl of Paradise et en refusant de les vendre pour honorer les échéances du plan contrairement à son engagement, [Z] [Y] s’est rendu coupable des faits visés à l’article L624 ‘ 5 du code de commerce.
Le 28 juin 2022 le parquet général auquel le dossier a été régulièrement transmis, a requis la confirmation du jugement entrepris.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur l’irrégularité de l’assignation :
[Z] [Y] soutient avoir été irrégulièrement convoqué devant le tribunal.
Selon l’article 36 du code de procédure civile de Polynésie française, constitue une exception de procédure tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours.
L’article 43 du code de procédure civile dispose que les irrégularités d’exploits ou d’actes de procédure ne sont cause de nullité que s’il est justifié qu’elles ont porté une atteinte certaine aux intérêts de la partie qui les invoque.
En l’espèce, [Z] [Y] ne caractérise pas le grief que lui aurait causé l’irrégularité alléguée de l’acte de procédure dont il poursuit l’annulation, étant observé qu’ainsi que l’a relevé le tribunal, l’appelant s’est fait représenter devant le tribunal par deux avocats qui ont donc pu prendre connaissance de la procédure et des faits qui lui étaient reprochés et assurer efficacement sa défense.
Dès lors, l’exception doit être rejetée sans plus ample examen
Sur la prescription de l’action :
L’article 45 du code de procédure civile définit une fin de non recevoir comme tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir tels notamment la prescription.
L’article 46 précise que les fins de non recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, de sorte que [Z] [Y] pouvait à juste titre invoquer la prescription pour la première fois en cause d’appel.
***
Le liquidateur judiciaire a invoqué en premier lieu l’article L624-5 qui régit la sanction de l’extension de la procédure collective au dirigeant comme suit :
I. ‘ En cas de redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire d’une personne morale, le tribunal peut ouvrir une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire à l’égard de tout dirigeant de droit ou de fait, rémunéré ou non, contre lequel peut être relevé un des faits ci-après :
1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres ;
2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;
3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l’intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;
(…)
II. ‘ En cas de redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire prononcé en application du présent article, le passif comprend, outre le passif personnel, celui de la personne morale.
III. ‘ La date de la cessation des paiements est celle fixée par le jugement d’ouverture du redressement judiciaire ou de la liquidation judiciaire de la personne morale.
IV. ‘ L’action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui arrête le plan de redressement de l’entreprise ou, à défaut, du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.
Le liquidateur se prévaut en second lieu des dispositions de l’article L. 624-3 du code de commerce qui définit l’action en comblement de passif, comme suit:
‘Lorsque le redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que les dettes de la personne morale seront supportées, en tout ou en partie, avec ou sans solidarité, par tous les dirigeants de droit ou de fait, rémunérés ou non, ou par certains d’entre eux.
L’action se presociété Tahiti Rava Rava Pearlrit par trois ans à compter du jugement qui arrête le plan de redressement ou, à défaut, du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.’
(…)
***
La prescription suppose un examen du fond du litige dont les parties propose une interprétation contraire :
– la société appelante soutient que la prescription triennale a couru depuis le jugement ayant adopté le plan de continuation le 13 février 2017, si bien que l’action introduite par Maître [W] le 1er septembre 2020 est prescrite,
– le liquidateur de la SAS Tahiti Rava Rava Pearl affirme que le délai triennal pour agir n’a couru qu’à partir du 9 décembre 2019, date du jugement de liquidation judiciaire car les faits litigieux se sont poursuivis pendant le plan de continuation.
Ceci étant, le tribunal a prononcé la liquidation judiciaire de la société Tahiti Rava Rava Pearl au vu des éléments constants suivants :
– le redressement judiciaire a été prononcé par jugement du 14 septembre 2015,
– le plan a été adopté par jugement du 13 février 2017 rendu après plusieurs renouvellements de la période d’observation pour permettre au débiteur de proposer un projet,
– le plan prévoyait le paiement de 100% du passif en 10 années par 20 échéances semestrielles de 5%,
– le 26 septembre 2019, la CPS a saisi le tribunal en vue de prononcer la résolution du plan non exécuté par le débiteur,
– selon le rapport du commissaire à l’exécution du plan du 11 octobre 2019, la société Tahiti Rava Rava Pearl avait réglé 4 échéances semestrielles soit 97 604 880 XPF mais était déjà en retard à cette date, d’un semestre et du reliquat de l’échéance du troisième semestre,
– le transfert de la majorité de son stock de perles à Hong Kong a été effectué par décision unilatérale de la société et les dirigeants ne pouvaient ignorer le contexte économique sauf à ce qu’ils ‘se soient montrés totalement imprévoyants’,
– une dette nouvelle à l’égard de la CPS a été constituée après le démarrage du plan démontrant l’incapacité structurelle de la société de supporter à la fois les échéances du plan et la charge financière de l’activité sociale courante.
La cour note que dans son rapport établi le 11 octobre 2019 le commissaire à l’exécution du plan, M. [J] [X] indiquait que le retard de paiement des échéances fixées dans le plan adopté par le tribunal de commerce était d’autant plus problématique que le dirigeant ne répondait pas aux relances qui lui étaient adressées. Il préconisait donc l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire.
L’ensemble de ces éléments viennent conforter les conclusions du mandataire judiciaire selon lesquelles des fautes ont été commises par la direction de l’entreprise depuis le jugement ayant arrêté le plan et elles ont entraîné le prononcé de la liquidation judiciaire de la société.
Il en résulte que c’est à bon droit que le tribunal a considéré que le délai de prescription de l’action en paiement des dettes sociales fondées sur une faute commise par le dirigeant social depuis le jugement ayant arrêté le plan, a couru à compter du prononcé de la liquidation judiciaire motivé par cette faute, soit depuis le 9 décembre 2019 de sorte que la requête introductive d’instance du 1er septembre 2020 était déposée dans le délai triennal légal et donc recevable.
-Sur le bien-fondé de l’action en extension de la liquidation judiciaire de la personne morale, à son dirigeant,
L’appelant ne produit pas d’élément matériel pertinent ou nouveau qui serait de nature à justifier sa critique de la décision de première instance.
Or, d’après les pièces produites aux débats, M. [Y] a bénéficié d’un plan de continuation sur ses affirmations selon lesquelles il disposait d’un stock de perles à Hong Kong livré à la société Pearls of Paradise évalué à dire d’expert, à 967 124 382 XPF. Cette créance à l’égard de la société Pearls of Paradise a été confirmée par le rapport du commissaire aux comptes effectué sur les comptes de la société Tahiti Rava Rava Pearl de l’exercice 2013.
Pour autant, le plan a été résolu car les échéances prévues n’étaient pas respectées et en raison du passif qui s’aggravait.
Il a cherché à s’exonérer de sa responsabilité en soutenant que le déplacement du stock à Hong Kong ne constituait pas un détournement d’actifs mais tendait à la constitution d’un stock de première qualité en vue de la création d’une place mondiale du marché de la perle, et il estime que le tribunal ne lui a pas laissé de temps suffisant en prononçant la liquidation de la société le 9 décembre 2019 ; cependant, il a déjà été rappelé que la juridiction commerciale avait pris en compte ses demandes de renvoi, et en tout état de cause, il n’a pas relevé appel du jugement de liquidation judiciaire.
Et en tout état de cause, étant le dirigeant de la société Pearls of Paradise bénéficiaire desdites opérations, il a favorisé cette entreprise au détriment de la société Tahiti Rava Rava Pearl à l’égard de laquelle il a donc commis une faute de gestion ayant entraîné l’aggravation du passif conduisant irrémédiablement, compte tenu de son montant exhorbitant, à la liquidation judiciaire de l’entreprise.
En conséquence, le jugement doit être confirmé : M. [Y] sera donc débouté de toutes ses prétentions et condamné aux frais du procès sur le fondement des articles 406 et 407 du code de procédure civile de Polynésie française.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant contradictoirement et en dernier ressort ;
Vu l’appel de M. [Z] [Y],
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Vu les articles 406 et 407 du code de procédure civile de Polynésie française,
Condamne en outre M. [Y] aux dépens d’appel, ainsi qu’au paiement d’une indemnité de procédure d’appel de 200 000 XPF à Maître [W] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Tahiti Rava Rava Pearl.
Prononcé à Papeete, le 9 novembre 2023.
Le Greffier, Le Président,
signé : M. SUHAS-TEVERO signé : MF BRENGARD