9 novembre 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/17756
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 3
ARRET DU 09 NOVEMBRE 2022
(n° ,10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/17756 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCYOQ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Novembre 2020 – Tribunal Judiciaire de PARIS – RG n° 17/07517
APPELANTE
Mutuelle LES CUISINIERS DE FRANCE
N° SIRET 302 976 444
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065, avocat postulant
Représentée par Me Jean-pierre BLATTER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0441, avocat plaidant
INTIMEE
S.A.S. DINH VAN
N° SIRET : 420 950 024
[Adresse 1]
[Localité 7]
Représentée par Me Thierry SERRA de la SELARL SERRA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : E0280, avocat postulant
Représentée par Me Xavier BRUN, avocat au barreau de PARIS, toque : E1452, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Douglas BERTHE, conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Gilles BALAY, président
Monsieur Douglas BERTHE, conseiller
Madame Marie GIROUSSE, conseillère
qui en ont délibéré
Greffière, lors des débats : Madame FOULON
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Monsieur Gilles BALAY, président et par Anaïs DECEBAL, greffier à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
*****
FAITS ET PROCÉDURE
Le 22 janvier 2003, la société Dinh Van est devenue cessionnaire d’un fonds de commerce comprenant le droit au bail portant sur des locaux, appartenant à la Mutuelle des Cuisiniers de France et situés dans un immeuble édifié [Adresse 4] et [Adresse 3] à [Localité 10].
Après renouvellement du bail et fixation du prix du bail renouvelé à la somme de 85 800€ par an HT/HC par un arrêt du 03 février 2010 rendu par la cour d’appel de Paris, le loyer a été révisé au 22 juin 2010 pour être fixé à la somme de 95 564,31 € par an HT/HC.
Parvenu à son terme le 31 décembre 2014, le bail s’est tacitement prolongé.
Le 27 juillet 2016, la société Dinh Van a fait signifier à la Mutuelle des Cuisiniers de France une demande de renouvellement de bail à effet du 1er octobre 2016, que la bailleresse a acceptée, par acte du 12 septembre 2016, en proposant un déplafonnement et un loyer d’une somme de 202 800 € par an HT et HC.
Par exploit du 19 mai 2017, la bailleresse a fait assigner la preneuse devant le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Paris aux fins de fixation du loyer du bail renouvelé.
Par jugement mixte du 18 décembre 2017, le juge des loyers commerciaux a constaté, par l’effet de la demande de renouvellement délivrée le 27 juillet 2016 le principe du renouvellement du bail à compter du 1er octobre 2016 et désigné Mme [K] [M] en qualité d’expert aux fins essentiellement de donner son avis sur les motifs de déplafonnement et de rechercher la valeur locative des lieux loués.
Par jugement du 25 novembre 2020, le juge des loyers commerciaux a fixé à la somme de 100 158,52 € HT et HC par an le loyer du bail renouvelé à compter du 1er octobre 2016 ; dit que les intérêts au taux légal sur la différence entre le loyer provisionnel effectivement acquitté par la société Dinh Van et le nouveau loyer du bail renouvelé seront dus à la société Dinh Van par la Mutuelle des Cuisiniers de France à compter de chaque échéance exigible depuis le 1er octobre 2016 ; dit que les intérêts dus au moins pour une année entière seront capitalisés dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil ; partagé les dépens par moitié entre les parties, en ce inclus les coûts de l’expertise judiciaire confiée à Mme [M] ; dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile; rejeté toute autre demande ; ordonné l’exécution provisoire de la présente décision en toutes ses dispositions.
Par déclaration du 09 décembre 2020, la Mutuelle les Cuisiniers de France a interjeté appel partiel du jugement. Par conclusions déposées le 26 mai 2021, la société Dinh Van a interjeté appel incident partiel du jugement.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 29 juin 2022.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Vu les conclusions déposées le 16 mai 2022, par lesquelles la Mutuelle les Cuisiniers de France, appelante à titre principal et intimée à titre incident, demande à la Cour d’infirmer le jugement en ce qu’il a écarté la modification notable des facteurs locaux de commercialité ; jugé que le loyer devait être fixé par application de la règle posée par l’article L.145-34 alinéa 1er du code de commerce ; fixé le prix du bail à la somme annuelle de 100 158,52 € hors taxes et hors charges ; statué sur les intérêts ; rejeté toute autre demande ; et statuant à nouveau, fixer le prix du bail renouvelé au 1er octobre 2016 à la somme annuelle de 176 000 € hors charges et hors taxes toutes les autres clauses, charges et conditions du bail expiré demeurant inchangées, sous réserve de celles qui seraient contraires aux dispositions de la loi n°2014-626 du 18 juin 2014 et au décret n°2014-1317 du 03 novembre 2014 ; juger n’y avoir lieu à statuer sur l’application du dernier alinéa de l’article L.145-34 du code de commerce ; condamner la société Dinh Van à payer les compléments de loyers qui porteront intérêts au taux légal à compter du 19 mai 2017, date de l’assignation, pour les loyers échus avant cette date et à compter de chaque échéance contractuelle pour les loyers échus après la date de l’assignation et leur capitalisation dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil, pour ceux dus depuis plus d’un an ; dire qu’à défaut d’exercice par les parties de leur droit d’option prévu par l’article L.145-57 du code de commerce, la décision à intervenir constituera un titre exécutoire ; condamner la société Dinh Van à lui payer les dépens d’appel avec bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile ainsi qu’au paiement de la somme de 3 000 € par application de l’article 700 du même code.
Vu les conclusions déposées le 28 juin 2022, par lesquelles la société Dinh Van, intimée à titre principal et appelante à titre incident, demande à la Cour de, à titre principal, confirmer le jugement en ce qu’il a écarté la modification notable des facteurs locaux de commercialité et retenu un loyer plafonné ; fixer le montant annuel du loyer au 1er octobre 2016, date de son renouvellement à la somme de 100 158,50 € hors taxes hors charges ; condamner la Mutuelle les Cuisiniers de France à lui payer la différence entre le montant du loyer qu’elle lui a effectivement payé depuis le 1er octobre 2016, date de renouvellement de son bail et le montant du loyer ainsi fixé à la somme de 100 158,50 € par an, augmentée des intérêts légaux, à compter de chaque date d’exigibilité couru depuis le 1er octobre 2016, les intérêts dus pour plus d’une année entière étant eux-mêmes capitalisés dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil ; infirmer le jugement en ce qu’il a dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile et ordonné un partage des dépens ; à titre subsidiaire, et pour le cas où par extraordinaire, la Cour croirait devoir conclure à l’existence d’une modification des facteurs locaux de commercialité et fixer le loyer de la société Dinh Van à la valeur locative ; fixer le montant du loyer au 1er octobre 2016 à la somme de 100 360,80 € HT par an ; condamner la Mutuelle des Cuisiniers de France à payer à la société Dinh Van la différence entre le montant du loyer qu’elle lui a effectivement payé depuis le 1er octobre 2016, date de renouvellement de son bail et le montant du loyer ainsi fixé à la somme de 100 360,80 € par an, augmentée des intérêts légaux, à compter de chaque date d’exigibilité couru depuis le 1er octobre 2016, les intérêts dus pour plus d’une année entière étant eux-mêmes capitalisés dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil ; plus subsidiairement encore si par impossible la Cour devait fixer le loyer à une valeur locative supérieure de plus de 10 % au montant du dernier loyer payé par elle au titre du bail expiré, dire et juger que les dispositions de l’alinéa 4 de l’article L.145-34 alinéa 4 du code de commerce trouveraient à s’appliquer ; en tout état de cause, condamner la Mutuelle des Cuisiniers de France à lui payer la somme de 8 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile; la condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel, en ce y compris les frais et honoraires de l’expert [M], avec bénéfice de l’article 699 du même code.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
Cependant, pour une meilleure compréhension du présent arrêt, la position des parties sera succinctement résumée.
La Mutuelle les Cuisiniers de France invoque une modification notable des facteurs locaux de commercialité survenue durant le bail expiré et fait grief au jugement d’avoir exclu une telle modification.
Elle demande à la cour de retenir une valeur locative fondée sur quatre références situées [Adresse 3] (Christofle : 2 933 € en 2013 ; Zimmermann : 4 775 € en 2018 ; Caron : 3 783 € en 2015) et [Adresse 13] (Memo : 5 225 € en 2018) et des fixations judiciaires et sollicite une somme annuelle de 4 600 € par m² pondéré, aboutissant à la somme annuelle en principal de 176 000 € hors taxes et hors charges. Elle expose que la règle de détermination d’un loyer déplafonné reste celle de la fixation à la valeur locative de l’article L.145-33 du code de commerce et que la limitation de la hausse à 10 % par an est une modalité de mise en oeuvre du déplafonnement, qui n’affecte pas la fixation à la valeur locative conformément à l’avis du 9 mars 2018 rendu par la Cour de cassation.
La société Dinh Van rappelle la situation locative et les conditions essentielles du bail et affirme que l’appelante ne rapporte pas la preuve d’une modification notable des facteurs locaux de commercialité. Elle sollicite la fixation du loyer du bail à la somme de
100 158,52 €.
Subsidiairement et si la cour retenait une modification notable des facteurs locaux de commercialité, la société Dinh Van soutient que la valeur locative de son local ne saurait être fixée par référence au montant des loyers pratiqués sur l'[Adresse 4] et prétend qu’il conviendrait de retenir la somme de 540 000 € HT de loyer annuel négociés dans le cadre du renouvellement amiable du bail de la boutique de 200 m² en rez-de-chaussée et de 50 m² en sous-sol exploité par la société Zadig & Voltaire au [Adresse 2] intervenu en juillet 2014 compte tenu de la spéculation du prix des loyers dans le quartier. Elle expose que la valeur locative serait celle de 2 630 € m².
Plus subsidiairement, si la Cour devait fixer le loyer à la valeur locative et si ce dernier devait retenir une augmentation de plus de 10 % de son montant par rapport au montant du dernier loyer, la société Dinh Van solliciterait l’application des dispositions de l’alinéa 4 de l’article L.145-34 du code de commerce.
MOTIFS DE L’ARRÊT
Sur la demande de déplafonnement du loyer du bail renouvelé :
L’article L. 145-33 du code de commerce pose le principe selon lequel le montant du loyer du bail renouvelé doit correspondre à la valeur locative.
L’article L. 145-34 alinéa 1 vient toutefois encadrer la mise en oeuvre de ce principe en disposant qu’à moins d’une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L. 145-33 (caractéristiques du local considéré ; destination des lieux ; obligations respectives des parties ; facteurs locaux de commercialité), le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d’effet du bail à renouveler, si sa durée n’est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l’indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l’article L. 112-2 du code monétaire et financier, publiés par l’Institut national de la statistique et des études économiques.
S’agissant des facteurs locaux de commercialité visés à l’article L. 145-33, 4°, l’article R. 145-6 du code de commerce précise que ceux-ci dépendent principalement de l’intérêt que représente, pour le commerce considéré, l’importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l’attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l’emplacement pour l’activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d’une manière durable ou provisoire. Il appartient enfin au bailleur qui se prévaut d’une modification notable des caractéristiques du local considéré, de la destination des lieux, des obligations respectives des parties ou des facteurs locaux de commercialité, à l’appui d’une demande de déplafonnement du loyer d’en rapporter la preuve.
Il n’est pas contesté que les critères fixés aux alinéa 1° à 3° L. 145-33 n’ont pas fait l’objet d’une modification notable.
En ce qui concerne l’évolution des facteurs locaux de commercialité :
L’évolution de la population :
Au cours de la période considérée, c’est-à-dire du 1er janvier 2006 au 30 septembre 2016, il est constaté une baisse de la population de 15,26 % dans le périmètre susvisé de 400 mètres. Cette évolution quantitative de la population n’est pas contestée par les parties et ne peut constituer une évolution favorable pour l’activité exercée.
L’évolution de la fiscalité du revenu :
Sur la période considérée, il est observé une baisse de 9,79 % du nombre de foyers fiscaux imposés au sein du 8ème arrondissement, compensée néanmoins par une augmentation de 22,26 % du revenu moyen par foyer fiscal imposé.
Le premier juge a estimé que cette évolution n’était pas déterminante pour apprécier l’existence d’un éventuel motif de déplafonnement dans la mesure où la population résidant dans le 8ème arrondissement ne constitue « sans doute pas la majeure partie de la clientèle de la bijouterie DINH VAN, qui n’est pas un commerce de proximité comme le sont, par exemple, les boulangeries ou les salons de coiffure ».
Sans se prononcer sur l’existence d’une chalandise locale, la Mutuelle les Cuisiniers de France fait cependant valoir que l’évolution « qualitative », résultant de l’augmentation du revenu moyen des habitants du quartier, est un motif de déplafonnement.
La société Dinh Van fait valoir que l’augmentation du revenu nominal de la population entre 2006 et 2016 est à pondérer par l’inflation de 12,18% sur la période, ce chiffre de l’inflation ne prenant que partiellement en compte les postes les plus onéreux dans le secteur tels que le logement et les services et donc le revenu réel et disponible des ménages.
Cette érosion monétaire n’est pas contestée. L’évolution du revenu moyen par foyer fiscal imposé se considère en valeur constante soit la valeur réelle, qui traduit une évolution brute moyenne des revenus par foyer fiscal imposé de 1,04 % par année exprimée. Ce constat de l’évolution brute du revenu moyen par foyer fiscal imposé ne représente pas une évolution significative et n’est en tous cas pas de nature à démontrer une augmentation significative du revenu disponible des foyers fiscaux imposés. Ainsi, l’observation de l’augmentation revenu moyen par foyer fiscal imposé ne peut être retenue comme une évolution favorable notable pour l’activité exercée.
Statistiques de fréquentation des stations de métro :
La Mutuelle les Cuisiniers de France fait valoir que la grande majorité des chalands qui sortent de la station métro Alma-Marceau sont amenés à suivre le circuit de chalandise créé par la forte commercialité de l'[Adresse 4] même si les locaux concernés ne sont pas visibles depuis cette station.
La société Dinh Van fait valoir que le taux de fréquentation de la station de métro Alma-Marceau n’a augmenté que de 8,90% sur la période alors que le taux de fréquentation moyen des stations de métros parisiennes a lui-même augmenté de 9,8%.
La cour relève que la station de métro Franklin Roosevelt, la plus proche des lieux loués, a vu sa fréquentation baisser de 13,90 % sur la période considérée alors que la station de métro Alma-Marceau est située hors du périmètre d’observation de 400 mètres et que l’augmentation de fréquentation de cette dernière n’est pas significative. En outre, la réalité et le volume du parcours de chalandise invoqué par la Mutuelle les Cuisiniers de France n’est pas démontrée en l’espèce.
L’observation du taux de fréquentation du métro ne peut donc consister en une évolution favorable pour l’activité exercée.
La rotation des enseignes :
Le premier juge a considéré qu’au vu des éléments recueillis, il n’était pas démontré que le renouvellement des enseignes et l’extension des surfaces de vente sur l'[Adresse 4], secteur dédié de longue date au commerce de luxe, déjà richement pourvu en enseignes prestigieuses et bénéficiant d’une excellente commercialité, présenterait, par son ampleur, un caractère notable susceptible de susciter un flux de chalandise nouveau et significatif dont le commerce exploité par la société DINH VAN aurait vocation à bénéficier. Il estime par ailleurs que l’ouverture de l’extension de la boutique « DIOR » à l’angle de l'[Adresse 4] et de la [Adresse 3] (mitoyen des locaux loués) le 30 septembre 2016, soit le dernier jour du bail expiré, n’a pu avoir d’incidence favorable sur l’activité commerciale exercée au cours dudit bail et que cet événement, même s’il était constitutif d’une modification notable des facteurs locaux de commercialité, ne saurait être pris en considération pour apprécier l’existence d’un motif de déplafonnement du loyer du bail renouvelé le 1er octobre 2016.
La Mutuelle les Cuisiniers de France fait notamment valoir que l’extension de la boutique DIOR voisine a été constatée par huissier et est incontestablement intervenue dans la période observée et doit à ce titre être appréciée dans son impact sur l’évolution notable des facteurs locaux de commercialité, que par ailleurs, l’installation de commerces similaires dans la zone de chalandise créer les conditions d’une concurrence accrue et constitue la preuve de l’intérêt présenté par cette zone. Elle ajoute que les artères commerciales que constituent [Adresse 9], l'[Adresse 4], la [Adresse 14], le [Adresse 8] et la [Adresse 12] sont de renommée mondiale et représentent une destination phare pour les touristes.
La société Dinh Van fait valoir que la plupart des enseignes observées étaient déjà présentes sur zone de sorte que leur transfert dans d’autres locaux (nomadisme) ou leur extension n’est pas de nature à entraîner une modification des facteurs locaux de commercialité, que sur la période de mai 2008 à avril 2016, l’expert judiciaire n’a constaté la création d’aucun nouveau commerce et que les changements intervenus pendant cette période ont consisté à remplacer des enseignes de dimension nationales et internationales par d’autres enseignes nationales et/ou internationales, que l’enseigne DIOR JOALLERIE était déjà présente sur l'[Adresse 4] et que son agrandissement n’a pas eu sur la commercialité de l'[Adresse 4] les mêmes effets que ceux produits par l’installation d’une enseigne nouvelle.
L’attractivité touristique et le caractère luxueux des enseignes présentes sur l'[Adresse 4] n’est pas contesté. Sur la période de référence, des enseignes ont changé deux voire trois fois d’emplacement sur l'[Adresse 4], telles que EMILIO PUCCI, FENDI, ESCADA, CELINE, CHANEL et LORO PIANA. D’autres enseignes ont renforcé leur présence préexistante au moyen, soit de la multiplication du nombre de leurs points de vente, soit de l’extension des points de vente existants, telles que GIORGIO ARMANI, PRADA, LOUIS VUITTON, DIOR, CHLOE et CHANEL. En ce qui concerne les enseignes qui se sont implantées sur l'[Adresse 4], sont arrivées GIVENCHY, VERSACE, YVES SAINT LAURENT et RALPH LAUREN mais l’implantation de ces maisons de couture compense le départ d’EMMANUEL UNGARO, JEAN LOUIS SCHERRER et GIANFRANCO FERRE. Il ne résulte donc pas des éléments produits que l’orientation luxueuse de la zone soit apparue sur la période observée ni que ce phénomène se soit significativement majoré. L’extension de la boutique DIOR à proximité est intervenue au cours de la période observée et doit à ce titre être prise en compte. Il doit toutefois être remarqué une attractivité intrinsèque de cette marque concurrente en direction de sa propre clientèle qui se déplace à dessein en vue de la satisfaction de ses besoins en matière de bijouterie-joaillerie. En ce sens, le lien avec un accroissement direct et corrélatif de l’activité de la société Dinh Van n’a pas été démontré.
La stabilité qualitative et quantitative des enseignes ne constitue donc pas une évolution notable des facteurs locaux de commercialité pour l’activité exercée.
L’évolution de l’offre hôtelière :
La Mutuelle les Cuisiniers de France fait valoir qu’il existe « à l’évidence » un circuit de chalandise entre l’hôtel Marriott Champs Elysées situé à 550 mètres des locaux loués et qui a fait l’objet d’une rénovation des 192 chambres achevée à l’autonome 2009 et l’hôtel Barrière Le Fouquet’s situé à 650 mètres des locaux loués et ouvert le 25 octobre 2006, que s’il existe une référence usuelle à une zone de chalandise de 400 mètres autour des locaux loués, cette zone peut être appréciée plus différemment compte tenu du commerce exercé ou de la zone sous expertise et qu’il peut également être retenus un rayon supérieur.
La société Dinh Van fait valoir que le rayon de 1000 mètres de zone de chalandise retenu dans une jurisprudence produite par son contradicteur concernait une concession d’une marque automobile et ne démontre aucunement l’impact effectif des éléments qu’elle avance sur l’activité de la société DINH VAN.
Le premier juge a écarté à juste titre, la prise en compte de la rénovation de l’hôtel Marriott Champs-Elysées et de l’ouverture de l’hôtel Barrière le Fouquet’s en considérant, que ces deux établissements sont situés hors du périmètre d’observation de 400 mètres. En outre, même si l’étendue de la zone de chalandise est à apprécier à raison de l’activité du commerce exercé, le périmètre de 400 mètres retenu par l’expert judiciaire et le premier juge apparaît justifié s’agissant d’une bijouterie qui ne saurait être assimilée à une concession d’une grande marque automobile qui a vocation à présenter une offre sur une zone de chalandise assez large. En outre, la réalité et le volume d’un parcours des clients des hôtels cités vers les rues occupées par le local loué ne sont pas démontrés.
C ‘est également à juste titre que le premier juge a considéré que l’offre hôtelière sur le périmètre considéré n’a pas constitué une évolution majeure susceptible d’attirer, de façon significative et durable, un nouveau flux de clientèle pour le commerce considéré.
L’offre hôtelière n’a donc pas caractérisé une évolution notable des facteurs locaux de commercialité pour l’activité exercée.
Le classement de l'[Adresse 4] et de la [Adresse 3] en zone touristique internationale :
La Mutuelle les Cuisiniers de France justifit que la [Adresse 3] – dans sa partie comprise entre l'[Adresse 4] et la [Adresse 11] – est intégrée dans la zone touristique internationale dénommée « Champs-Elysées Montaigne » selon l’arrêté du 25 septembre 2015 pris en application de l’article L. 3132-24 du code du travail. Elle expose que cet arrêté permet une ouverture dominicale et le travail jusqu’à minuit, qu’ainsi le preneur ne peut faire supporter au bailleur le fait qu’il ne travaille pas tardivement ou le dimanche, ce qui relève d’un choix de gestion alors que le classement du local au sein d’une zone touristique internationale lui est favorable d’un point de vue objectif.
La société Dinh Van fait valoir qu’il ne lui appartient pas de démontrer qu’une autorisation d’ouverture le dimanche a constitué une évolution significative et notable qui doit s’apprécier in concreto.
La bijouterie n’étant pas essentiellement une activité nocturne, il ne saurait être considéré que la possibilité de travail tardif puisse objectivement bénéficier à l’activité de la société Dinh Van. Par ailleurs, l’article L. 3132-24 du code du travail – qui contraint à un repos hebdomadaire en dépit de la possibilité d’ouverture le dimanche – n’apporte pas d’évolution sur l’amplitude hebdomadaire d’ouverture mais en revanche une meilleure modularité qui constitue quant à elle une évolution favorable devant s’apprécier objectivement et en dehors des choix de gestion du preneur. Toutefois, cette modularité plus favorable ne consiste pas en une évolution suffisamment notable des facteurs locaux de commercialité.
***
En conclusion, la MUTUELLE DES CUISINIERS DE FRANCE ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d’une modification notable des facteurs locaux de commercialité de nature à justifier un déplafonnement du loyer du bail renouvelé le 1er octobre 2016. Celui-ci sera donc fixé par application des indices, conformément au principe posé par l’article L. 145-34 alinéa 1 du code de commerce et le jugement sera donc confirmé sur ce point.
Sur la fixation du loyer du bail renouvelé :
Le bail expiré a duré 10 ans et trois trimestres. Le loyer plafonné du bail renouvelé le 1er octobre 2016 s’élève par conséquent à: 85.800 € HT HC x 108,40 (indice ILC du 2ème trimestre 2016) / 92,86 (indice ILC du 3ème trimestre 2005) = 100.158,52 € par an HT et HC.
Il n’est pas contesté que la société DINH VAN s’acquitte depuis le 1er octobre 2016 d’un loyer de 25.434,47 € par trimestre, soit 101.737,88 € par an et que cette somme est supérieure au loyer plafonné dont la société DINH VAN s’avère débitrice. La cour n’ayant pas fait droit à la demande de déplafonnement du loyer, il n’y a pas lieu de statuer sur l’application des dispositions de l’article L. 145-34 dernier alinéa du code de commerce.
Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
Sur les intérêts légaux :
La Mutuelle les Cuisiniers de France fait valoir que les intérêts au taux légal ne sont dus sur les trop-perçus de loyer que depuis la date de la demande en justice, soit le 19 mai 2017 et à compter de chaque date d’exigibilité (Cass. 3 ème civ., 3 octobre 2012, n° 11-17177 ; 136 ; Cass. 3 ème civ., 18 juin 2014, n° 13-14715, Bull. civ. III, n° 86) avec capitalisation dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.
La société Dinh Van fait valoir que les intérêts au taux légal sur la différence entre le loyer provisionnel effectivement acquitté et le nouveau loyer du bail renouvelé seront dus par la MUTUELLE DES CUISINIERS DE FRANCE à compter de chaque échéance exigible depuis le 1er octobre 2016 (comme l’a considéré le premier juge) et que les intérêts échus dus au moins pour une année entière seront capitalisés dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.
Il n’est pas contesté que les intérêts échus dus au moins pour une année entière seront capitalisés dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.
Il résulte de l’article 1154 du code civil que les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s’agisse d’intérêts dus au moins pour une année entière.
Le bail ne stipulant aucune disposition particulière relativement aux intérêts échus sur les trop-perçus de loyer, l’intérêt au taux légal sur la différence entre le loyer provisionnel effectivement acquitté et le nouveau loyer du bail renouvelé doit donc courir, par l’effet de la loi, à compter de la demande en fixation du nouveau loyer, soit à compter de chaque échéance exigible depuis le 19 mai 2017. Le jugement sera donc infirmé sur ce point.
Sur le prononcé d’un titre exécutoire :
La société Dinh Van demande à la cour de dire qu’à défaut d’exercice par les parties de leur droit d’option prévu par l’article L. 145-57 du code de commerce la décision à intervenir constituera un titre exécutoire.
Elle fait valoir que le premier juge a estimé qu’il n’existe aucune nécessité juridique établie de voir mentionner, dans le dispositif de sa décision, que cette dernière constituera un titre exécutoire et sollicite l’infirmation sur ce point afin qu’à défaut d’exercice du droit d’option, la décision à intervenir constitue un titre exécutoire conformément aux dispositions des articles L. 111-2, L. 111-3 et L. 111-6 du code des procédures civiles d’exécution.
Toutefois, les dispositions légales invoquées génèrent leur propre effet obligatoire et la demande à la cour de « dire » ces effets légaux n’est pas constitutive de droit et ne saurait donc être considéré comme une prétention. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
La fixation du loyer étant faite dans l’intérêt du bailleur et du preneur, les dépens d’appel seront supportés par moitié par chacune des parties.
Par ailleurs, l’équité n’impose pas l’allocation à l’une ou l’autre des parties d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel.
Pour les mêmes motifs, la décision de première instance sera également confirmée sur la question des dépens et des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
INFIRME partiellement le jugement du 25 novembre 2020 du juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Paris en ce qu’il a dit que les intérêts au taux légal sur la différence entre le loyer provisionnel effectivement acquitté par la société DINH VAN et le nouveau loyer du bail
renouvelé seront dus à la société DINH VAN par la MUTUELLE DES CUISINIERS DE FRANCE à compter de chaque échéance exigible depuis le 1er octobre 2016,
et statuant à nouveau sur ce seul chef,
DIT que les intérêts au taux légal sur la différence entre le loyer provisionnel
effectivement acquitté par la société DINH VAN et le nouveau loyer du bail renouvelé seront dus à la société DINH VAN par la MUTUELLE DES CUISINIERS DE FRANCE à compter de chaque échéance exigible depuis le 19 mai 2017,
CONFIRME le jugement entrepris pour le surplus,
y ajoutant,
PARTAGE les dépens de l’appel par moitié entre les parties,
DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT