7 juillet 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
19/09173
Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 8
ARRET DU 07 JUILLET 2022
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/09173 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CARNW
Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Juin 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 19/00437
APPELANTE
Madame [I] [J]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Aurélien WULVERYCK, avocat au barreau de PARIS, toque : J091
INTIMÉE
SARL CHATEAU EUPHORIE W.L.L venant aux droits et obligations de la SARL CHATEAU EUPHORIE
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Patrick CHADEL, avocat au barreau de PARIS, toque : P0105
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Corinne JACQUEMIN, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Nathalie FRENOY, présidente
Madame Corinne JACQUEMIN, conseillère, rédactrice
Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée
Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– signé par Madame Emmanuelle DEMAZIERE,vice-présidente placée pour Mme Nathalie FRENOY, présidente empêchée, et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Madame [I] [J] a été engagée par la sarl Château Euphorie dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée à temps partiel du 1er février 2015 en qualité de vendeuse.
La convention collective applicable à la relation de travail est celle relative à la bijouterie, joaillerie et orfèvrerie.
Le 8 novembre 2018, la société Château Euphorie convoquait Mme [J] à un entretien préalable fixé au 15 novembre suivant avant de la licencier pour motif économique le 23 novembre 2018.
La salariée a accepté le 15 novembre 2018 le contrat de sécurisation professionnelle (CSP) qui lui avait été proposé.
Contestant son licenciement, Mme [J] a, par acte du 18 janvier 2019, saisi le conseil de prud’hommes de Paris afin de faire valoir ses droits.
Par jugement du 4 juin 2019, notifié aux parties par lettre du 12 juillet 2019, le conseil de prud’hommes de Paris a débouté Mme [J] de l’ensemble de ses demandes et la sarl Château Euphorie de sa demande présentée au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Mme [J] a été enfin condamnée aux dépens.
Mme [J] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 3 septembre 2019.
Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 24 février 2020, l’appelante demande à la cour d’infirmer le jugement déféré et de :
– juger que le licenciement est sans cause réelle ni sérieuse,
– condamner la partie défenderesse aux sommes de :
* 3 079,82 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
* 307,98 euros bruts à titre de congés payés afférents,
* 30 000 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
* 10 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,
* 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– laisser les dépens à la charge de la partie intimée.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 11 mars 2022, la société Château Euphorie W.L.L précise qu’elle vient aux droits et obligations de la sarl Château Euphorie en vertu d’une transmission universelle de patrimoine ayant entraîné la radiation de celle-ci le 7 décembre 2021 et demande à la cour de :
– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Paris en ce qu’il a considéré que le licenciement économique de Mme [J] était parfaitement justifié, qu’elle ne rapportait pas la preuve d’avoir subi un préjudice moral et en ce qu’il était inéquitable de faire droit à sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouter intégralement Mme [J] de ses demandes,
– la condamner à lui verser à la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 15 mars 2022 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 13 mai 2022.
Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu’aux conclusions susvisées pour l’exposé des moyens des parties devant la cour.
SUR QUOI
Sur le licenciement
Mme [J] fait valoir que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse dès lors qu’elle n’a reçu aucune information, avant d’accepter le CSP, quant au motif économique, n’ayant pas été destinataire d’un quelconque document écrit contenant les motifs à l’appui de la décision de l’employeur.
La société Château Euphorie W.L.L répond que l’employeur peut faire part de l’information sur le caractère écononomique du licenciement dans la lettre qu’il est tenu d’adresser au salarié lorsque le délai dont dispose le salarié pour faire connaitre sa réponse à la proposition de contrat de sécurisation professionnelle expire après le délai d’envoi de la lettre de licenciement.
Elle précise avoir donné toutes les informations utiles dans la lettre de licenciement du 23 novembre 2018, soit avant l’expiration du délai permettant à Mme [J] d’accepter le CSP qui expirait le 6 décembre 2018.
Il est de principe que la rupture du contrat de travail résultant de l’acceptation par le salarié d’un contrat de sécurisation professionnelle (CSP) doit avoir une cause économique réelle et sérieuse ; l’appréciation de cette cause ne peut résulter que des motifs énoncés par l’employeur.
De plus, lorsque la rupture du contrat de travail résulte de l’acceptation par le salarié d’un contrat de sécurisation professionnelle, l’employeur doit en énoncer le motif économique soit dans le document écrit d’information sur le contrat de sécurisation professionnelle remis obligatoirement au salarié concerné par le projet de licenciement, soit dans la lettre qu’il est tenu d’adresser au salarié, lorsque le délai dont dispose ce dernier pour faire connaître sa réponse à la proposition de contrat de sécurisation professionnelle expire après le délai d’envoi de la lettre de licenciement imposé par les articles L. 1233-15 et L. 1233-39 du code du travail.
Enfin, lorsqu’il n’est pas possible à l’employeur d’envoyer cette lettre avant l’acceptation par le salarié de la proposition de convention, il suffit que le motif économique soit énoncé dans tout autre document écrit remis ou adressé à celui-ci au plus tard au moment de son acceptation.
En l’espèce, Mme [J] a adhéré au CSP le 15 novembre 2018 (pièce de la salariée n° 9).
Le fait qu’elle disposait d’un délai de 21 jours pour faire connaître sa réponse après l’entretien préalable au cours duquel les documents d’adhésion au CSP lui ont été remis, soit jusqu’au 6 décembre 2018, est sans incidence sur l’obligation pour l’employeur de remettre au salarié les informations nécessaires sur le motif économique énoncé.
Ainsi, l’employeur, reconnaissant que l’information n’est parvenue à la salariée que le jour de l’envoi de la lettre de licenciement du 23 novembre 2018 qui comportait la mention au demeurant sommaire suivante : ‘Comme nous vous l’avons indiqué lors de l’entretien du 15 novembre 2018, le motif de notre décision est le suivant : baisse du chiffre d’affaires et du résultat au cours de ces dernières années et déficit à l’issue du bilan de l’année 2017 entrainant la suppression de votre poste’ (pièce 10 de la société), n’apporte la preuve qui lui incombe de ce que cette information a été portée à la connaissance de Mme [J] le 15 novembre 2018.
Au surplus, lorsque le délai dont dispose le salarié pour faire connaitre sa réponse à la proposition de contrat de sécurisation professionnelle expire après le délai d’envoi de la lettre de licenciement, l’employeur peut faire part de l’information sur le caractère écononomique du licenciement dans la lettre qu’il est tenu d’adresser au salarié; en l’espèce, le délai imparti à Mme [J] pour faire connaître sa réponse quant au CSP expirait le 6 décembre 2018, soit avant le délai qu’avait l’employeur pour adresser sa lettre de licenciement qui était d’un mois après la tenue de l’entretien préalable, soit le 8 décembre 2018.
Dans ces conditions, faute pour l’employeur d’avoir notifié par écrit à la salariée le motif de la rupture au plus tard avant son acceptation du CSP, le licenciement de Mme [J] est dépourvu de cause réelle et sérieuse, sans qu’il y ait lieu d’examiner les moyens subsidiaires tirés du défaut de motif économique et de reclassement.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur les conséquences financières
Il est dû à la salariée une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et une indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents.
S’agissant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
La situation de Mme [J] relève des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction postérieure à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, applicable au présent litige. Elle peut donc prétendre, alors que la société Château Euphorie W.L.L comporte plus de onze salariés et au vu de son ancienneté de 3 ans et 10 mois, à une indemnité comprise entre trois et quatre mois de salaires bruts.
Eu égard à la rémunération qui lui était versée ( 1 539,91 euros brut ), à son âge au moment du licenciement (39 ans) et compte tenu de sa situation après le licenciement, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer les dommages-intérêts dus à l’intéressée en réparation de la perte de son emploi, à la somme de 6 000 euros.
Par infirmation du jugement déféré, la société Château Euphorie W.L.L est condamnée au paiement de cette somme.
S’agissant de l’indemnité compensatrice de préavis :
En l’absence de motif économique de licenciement, le contrat de sécurisation professionnelle n’a pas de cause et l’employeur est alors tenu à l’obligation du préavis et des congés payés afférents, sauf à tenir compte des sommes déjà versées.
Conformément aux dispositions des articles L. 1233-67 et L. 1233-69 du code du travail, le salarié qui adhère au CSP voit son contrat rompu à l’issue du délai pour prendre position et ne bénéficie pas en principe de l’indemnité compensatrice de préavis, l’employeur pour sa part contribuant au financement du CSP par un versement représentatif de l’indemnité compensatrice de préavis dans la limite de trois mois de salaires majoré de l’ensemble des cotisations et contributions obligatoires afférentes.
Cette rupture du contrat de travail, qui ne comporte ni préavis ni indemnité compensatrice de préavis ouvre droit à l’indemnité prévue à l’article L.1234-9 du code du travail et à toute indemnité conventionnelle qui aurait été due en cas de licenciement pour motif économique au terme du préavis ainsi que, le cas échéant, au solde de ce qu’aurait été l’indemnité compensatrice de préavis en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse et après défalcation du versement de l’employeur représentatif de cette indemnité mentionnée au 10° b) de l’article L. 1233-68 du même code.
Mme [J] peut prétendre à une indemnité correspondant à deux mois de salaire en application de la convention collective applicable, soit la somme de 3 079,82 euros brute, outre celle de 307,98 euros brute au titre des congés payés afférents, sous réserve des sommes déjà versées le cas échéant.
Le jugement entrepris est également infirmé en ce qu’il a débouté la salariée de cette demande et la société Château Euphorie W.L.L est condamnée au paiement de ces deux sommes, sous la réserve indiquée.
Sur les dommages-intérêts pour préjudice moral
Mme [J], qui ne justifie d’aucun préjudice complémentaire à celui d’ores et déjà indemnisé au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral.
Le jugement est, par substitution de motifs, confirmé sur ce point.
Sur les indemnités de chômage
L’article L. 1235-4 du code du travail, dans sa version applicable à l’espèce, énonce :
« Dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.
Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.»
En application de ces dispositions, il y a lieu d’ordonner d’office le remboursement par l’employeur aux organismes concernés du montant des indemnités de chômage versées à Mme [J] dans la limite de trois mois.
Sur les autres demandes
Le jugement est infirmé en ce qu’il a mis à la charge de Mme [J] les dépens et confirmé en ce qu’il a débouté la société Château Euphorie de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
Compte tenu de la solution apportée au litige, les dépens de première instane et d’appel seront mis à la charge de la société Château Euphorie W.L.L .
De plus, l’équité commande d’allouer à Mme [J] une somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
INFIRME le jugement déféré, sauf en ce qu’il a :
– débouté Mme [I] [J] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,
– débouté la société Château Euphorie de sa demande en paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DIT le licenciement de Mme [I] [J], prononcé par la société Château Euphorie devenue la société Château Euphorie W.L.L, dépourvu de cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la société Château Euphorie W.L.L, immatriculée à Doha (Qatar) sous le n° 75712, prise en la personne de ses représentants légaux, à payer à Mme [I] [J] les sommes suivantes :
– 6 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 3 079,82 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 307,98 euros brut au titre des congés payés afférents,
DIT que ces deuxdernières sommes sont dues sous réserve des sommes déjà versées le cas échéant à ce titre,
ORDONNE le remboursement par la société Château Euphorie W.L.L. aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à Mme [I] [J] dans la limite de trois mois d’indemnités,
DIT qu’une copie certifiée conforme du présent arrêt sera adressée par le greffe par lettre simple à la direction générale de Pôle Emploi conformément aux dispositions de l’article R. 1235-2 du code du travail,
CONDAMNE la société Château Euphorie W.L.L. à payer à Mme [I] [J] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Château Euphorie W.L.L. aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER P/ LA PRÉSIDENTE EMPÊCHÉE