6 septembre 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/06016
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 4
ARRET DU 06 SEPTEMBRE 2023
(n° 298 , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/06016 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCLXX
Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Août 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de PARIS – RG n° F17/05425
APPELANTE
S.A.S. MESSIKA GROUP
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Karen AZRAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0067
INTIME
Monsieur [Z] [H]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Sabine MOUGENOT, avocat au barreau de PARIS, toque : K0191
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre
Madame Anne-Gaël BLANC, Conseillère
Madame Florence MARQUES, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Justine FOURNIER
ARRET :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
La société Messika group a pour activité principale le négoce de diamants et la fabrication de bijoux.
M. [Z] [H], né en 1965, a été engagé par la société Messika group, selon contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er février 1995 en qualité de chef comptable.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie et activités qui s’y rattachent.
A compter du 2 janvier 2013, M. [Z] [H] a travaillé selon un forfait annuel de 218 jours.
Le 8 septembre 2016, M. [Z] [H] a été mis en arrêt de travail, ‘en raison d’un syndrome d’épuisement professionnel’ prolongé plusieurs fois jusqu’au 3 février 2017.
L’attestation de suivi du médecin du travail faisant suite à un examen du 9 février 2017, mentionne : ‘Reprise de l’activité professionnelle en temps partiel thérapeutique (50%), le matin, horaires à préciser avec l’employeur’.
Par lettre recommandée avec accusé réception du 15 février 2017, la société Messika group a adressé un courrier au médecin du travail lui indiquant que ‘l’aménagement du poste de M. [H] en mi-temps était incompatible avec les responsabilités qu’impliquent ses fonctions de chef comptable’.
A la suite d’une seconde visite médicale du 22 février 2017, le même praticien a noté sur son attestation de suivi : ‘état de santé compatible avec le poste de travail’.
M. [Z] [H] a repris ses fonctions le lendemain le 23 février 2017.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 février 2017, l’employeur a proposé au salarié une modification de son contrat de travail dans les termes suivants :
‘Passage d’une convention de forfait en jours, qui ne nous semble pas adaptée à votre emploi en application à compter du 1er avril 2017 d’une durée du travail de 35 heures selon les horaires suivants :
Du lundi au vendredi de 9 heures à 13 heures et de 14 heures à 17 heures.
Votre rémunération demeure inchangée.
Vous comprendrez que compte tenu du syndrome d’épuisement professionnel dont vous vous plaignez et de notre obligation de sécurité et même si nous le contestons, nous préférons par précaution mesurer avec le plus de précision possible votre temps de travail.
Nous vous notifions également pour la même raison une interdiction formelle et absolue d’effectuer des heures supplémentaires.
Par ailleurs, nous constatons, malgré nos multiples relances, qu’il vous reste encore 41 jours de congés payés non pris acquis au titre de la période de référence 2014-2016 (14 jours 2014/2015 – 27 jours 2015-2016).
Nous vous demandons de solder ces congés avant fin avril 2017.
A défaut, ces congés seront définitivement perdus.
Vous disposez d’un délai d’un mois à compter de la présentation de la présente lettre pour accepter la modification de contrat proposée.
Si vous ne vous manifestez pas pendant ce délai, vous serez réputé avoir refusé cette modification et nous serions contraints d’en tirer les conséquences.
Si vous acceptez la modification, nous vous soumettrons un avenant à votre contrat de travail’.
Par courrier remis en mains propres en date du 29 mars 2017, M. [Z] [H] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 6 avril 2017, ‘avec dispense d’activité jusqu’à la fin de la procédure’ en vue d’un éventuel licenciement.
Celui-ci a été notifié au salarié par lettre datée du 14 avril 2017 dans les termes suivants :
‘ Nous faisons suite à notre entretien préalable du 6 avril dernier et avons le regret de vous informer que nous avons pris la décision de vous licencier pour le motif suivant :
Nécessité pour notre entreprise de fixer votre durée du travail effective afin d’assurer un suivi rigoureux de celle-ci.
Vous avez été embauché par notre Société le 01 /02/1995.
Vous avez exercé en dernier lieu les fonctions de Chef comptable.
Vous releviez du forfait annuel en jours depuis le 2 janvier 2013.
Vous avez été placée en arrêt maladie qualifié de professionnelle le 08/09/2016.
Vous avez sollicité en date du 08/09/2016, auprès de la CPAM une demande de reconnaissance de maladie professionnelle, provoquée selon vous par « un syndrome d’épuisement professionnel».
N’ayant jamais été alertés d’aucune manière sur un problème relatif à vos conditions de travail, nous avons fermement contesté cette demande auprès de la CPAM.
A l’issue de vos arrêts de travail, le médecin du travail en date du 9février 2017, a d’abord conclu que vous étiez apte à reprendre votre poste à mi-temps thérapeutique. Nous avons alors indiqué au médecin du travail que le mi-temps thérapeutique n’était pas compatible avec votre poste.
Par un avis du 22 février 2017, le médecin du travail vous a finalement déclaré apte sans réserve à reprendre votre poste à temps complet. Cet avis n’a, à notre connaissance, jamais été contesté par vos soins. Le 23 février 2017, vous avez repris vos fonctions au sein de notre entreprise.
Connaissance prise de votre déclaration à la CPAM, il nous est apparu que la durée du travail au forfait tel qu’appliquée pourrait être source de difficultés. C’est ainsi que, sans aucunement souscrire à votre appréciation des faits, il nous a semblé indispensable de ne plus vous voir appliquer un forfait annuel en jours dans le cadre duquel vous affirmiez avoir travaillé de manière excessive et de fait, dans des conditions peu propices à un contrôle effectif de notre part.
Pour couper court à toute polémique, nous vous avons proposé une modification de votre contrat de travail et à compter du 29 mars 2017, d’être employé aux 35 heures effectives, du lundi au vendredi de 9 heures à 13 heures et de 14 heures à 17 heures. Votre rémunération demeurant inchangée.
En effet, compte tenu du syndrome d’épuisement professionnel que vous avez déclaré, le retour à un temps de travail prédéterminé et fixe nous est apparu indispensable au déroulement serein et sécurisé de vote activité après votre retour.
Vous disposiez d’un délai d’un mois à compter de la présentation de notre lettre (le 28 février2017) pour accepter la modification de contrat proposée.
Nous vous avions indiqué que si vous ne vous manifestiez pas pendant ce délai, vous seriez réputé avoir refusé cette modification et nous serions contraints d’en tirer les conséquences.
Vous avez, par l’intermédiaire de votre avocat, refusé la modification de contrat proposée au motif que nous devions plutôt adapter la charge de travail et non la durée du travail.
Un tel argument n’a pas manqué de nous étonner dans la mesure où il ne vous appartient pas de vous faire juge du contenu des mesures que nous envisageons pour assurer le cas échéant, les conditions de travail de nos salariés. En revanche, nous avons retenu que cette modification n’engendrait aucune conséquence sur votre vie privée ou même professionnelle.
Pour ces raisons, nous ne comprenons pas votre refus d’accepter une modification utile et peu contraignante pour vous. Même si nous contestons formellement la présentation des faits à la CPAM faites par vos soins, comme nous le lui avons notifié, pour éviter la survenance d’un tel risque, ce qui est de notre responsabilité, il nous est apparu proportionné au but recherché et conforme aux intérêts de l’entreprise de mesurer au plus juste votre temps de travail.
En outre, le forfait annuel en jours n’est pas indispensable à vos fonctions car vos horaires peuvent parfaitement être prédéterminés dans la mesure où vous êtes totalement intégré au service comptabilité.
Nous vous rappelons que nous sommes tenus d’assurer la sécurité de nos salariés. Vous vous êtes plaint de subir, de notre fait, un syndrome d’épuisement professionnel. Au titre de notre obligation de sécurité, il nous a semblé indispensable, sans reconnaître pour autant les faits que vous avez dénoncés, de contrôler vos horaires de travail. Or, ce contrôle des horaires n’est pas compatible avec le forfait annuel en jours.
Ainsi, en refusant d’accepter de revenir sur ce statut, vous nous empêchez d’assurer un suivi étroit de votre temps de travail indispensable désormais pour assurer votre sécurité au travail.
C’est dans ce contexte, que par courrier remis en main propre le 29 mars 2017, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement et nous vous avons dispensé d’activité jusqu’à l’issue de la procédure, vous précisant que cette période vous serait rémunérée.
Au cours de cet entretien, qui s’est tenu le 6 avril 2017 et au cours duquel vous étiez assisté par Madame [R], représentante du personnel, nous vous avons indiqué les motifs pour lesquels nous envisagions votre licenciement. De votre côté, vous avez notamment indiqué que le fait de vous demander de travailler 35 heures était de notre part une volonté de vous contrôler. Ce qui est effectivement le cas, puisque nous devons veiller à votre santé et cela passe par un contrôle strict de vos horaires.
Nous ne pouvons que prendre acte de votre refus de travailler 35 heures par semaine selon des horaires définis. Nous ne pouvons bien entendu vous imposer une modification de votre contrat de travail.
De ce fait, et après réflexion, nous avons décidé de vous notifier votre licenciement, qui prendra effet à la date d’envoi de cette lettre. Votre préavis d’une durée de trois mois débutera à la date de présentation de la présente lettre par les services postaux.
Nous vous informons que nous vous dispensons d’effectuer cette période de préavis qui vous sera néanmoins normalement rémunérée’.
A la date du licenciement, M. [Z] [H] avait une ancienneté de 22 ans et 1 mois et la société Messika group occupait à titre habituel plus de dix salariés.
Contestant la rupture, M. [Z] [H] a saisi le 11 juillet 2017 le conseil de prud’hommes de Paris, aux fins d’annulation de l’avertissement du 20 mars 2017 et d’obtenir condamnation de la partie adverse à lui payer les sommes suivantes ;
– 104.968 suros d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 26.242 suros de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité ;
– 4.373,67 suros de dommages et intérêts pour avertissement injustifié ;
– 13.121 suros, dommages et intérêts pour violation du droit électoral ;
– 3.000 suros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts,
– exécution provisoire au titre de l’article 515 du code de procédure civile,
– dépens.
A titre reconventionnel, la société Messika group a sollicité la condamnation de M. [Z] [H] aux dépens, ainsi qu’à lui verser 3.000 euros en vertu des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 21 août 2020, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le juge départiteur a :
– condamné la société Messika group à payer à M. [Z] [H] la somme de 100.000 suros d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– ordonné le remboursement par la société Messika group des indemnités de chômage versées à M. [Z] [H] dans la limite de six mois d’indemnités,
– dit que les intérêts dus pour une année entière produiront intérêt,
– condamné la société Messika group au paiement d’une somme de 2.000 suros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté M. [Z] [H] du surplus de ses demandes,
– débouté la société Messika group de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamné aux dépens.
Par déclaration du 22 septembre 2020, la société Messika group a interjeté appel de cette décision, qui lui avait été notifiée le 25 août 2020.
Dans ses dernières conclusions remises au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 16 juin 2021, l’appelante demande à la cour d’infirmer partiellement la décision déférée en ce qu’il l’a condamnée et statuant à nouveau sur ces points de débouter M. [Z] [H] de l’ensemble de ses demandes, fins et
– condamner M. [Z] [H] à régler à la société Messika group la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [Z] [H] aux entiers dépens.
Dans ses uniques conclusions remises au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 16 mars 2021, l’intimé demande à la cour d’infirmer partiellement le jugement en ce qu’il a rejeté certaines de ses prétentions qu’il reprend en cause d’appel, à savoir :
– condamner la société Messika group à payer à M. [Z] [H] :
* 26.242 euros de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité ;
* 4.373,67 euros de dommages et intérêts pour avertissement injustifié ;
* 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– avec intérêts au taux légal à compter de la saisine et capitalisation des intérêts.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 15 novembre 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 7 mars 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
La cour n’est pas saisie de la demande du salarié rejetée par le premier juge relative au dommages-intérêts pour violation du droit électoral.
Sur l’avertissement du 20 mars 2017
Soutenant que la lettre du 20 mars 2017 constituait un avertissement lui reprochant des absences de quelques heures en cours de journée, M. [Z] [H] estime que cette sanction n’est pas justifiée, puisque du fait du forfait jours auquel il était soumis, il n’était astreint à aucun horaire.
La société Messika group objecte que le salarié n’a demandé dans ses conclusions d’appel, que la condamnation de la société à lui payer la somme de 4 373,67 euros pour avertissement injustifié, mais n’a pas frappé d’appel le rejet de la demande d’annulation de l’avertissement, de sorte qu’il ne pourrait demander de dommages-intérêts pour avertissement injustifié.
Dés lors que par l’effet de l’absence de demande d’annulation de l’avertissement, la décision prise par le juge départiteur qui a estimé que la lettre du 20 mars 2017 ne constituait par un avertissement et qu’il n’y avait pas lieu à annulation est définitive.
Par suite, la demande de dommages-intérêts pour avertissement nul ne saurait prospérer.
2 : Sur le licenciement
2.1 : Sur la cause du licenciement
La lettre de licenciement fait grief au salarié d’avoir refusé une modification du contrat de travail qui ne présentait aucun inconvénient pour lui et qui lui a été proposé, à réception le 9 janvier 2017 de la demande par le salarié de la reconnaissance de son syndrome d’épuisement professionnel comme maladie professionnelle, alors qu’aucune plainte antérieure ne laissait deviner. L’employeur soutient qu’il était contraint compte tenu du contexte de proposer à M. [Z] [H] une modification de son contrat de travail préservant davantage sa santé physique ou mentale, par le retour à la semaine de 35 heures sans forfait jours, le salaire demeurant inchangé. En effet, la société Messika group souligne que c’était la seule solution puisque le forfait jours ne permettait pas de contrôler de façon suffisamment stricte le rythme de travail trop important adopté par l’intéressé, alors que le contexte était inquiétant pour la santé du salarié qui refusait de prendre ses congés, qui continuait de travailler pendant ses congés, qui manifestait une addiction au travail tandis que la CPAM lui avait reconnu une Affection longue durée. L’employeur estime que cette situation anormale n’était pas liée à une trop importante charge de travail.
Celui-ci objecte que l’avis d’aptitude délivré par le médecin du travail signifie que la modification du contrat de travail n’était pas nécessaire et que les modalités légales et conventionnelles de contrôle du travail d’un salarié soumis au forfait auraient dû permettre d’éviter la dégradation de son état de santé.
Sur ce
L’attestation de suivi du médecin du travail du 22 février 2017 mentionne ‘Etat de santé compatible avec le poste de travail’ et ‘A revoir en mai 2017″.
Aux termes de l’article L. 4624-6 du code du travail, l’employeur est tenu de prendre en considération l’avis et les indications ou les proposions émis par le médecin du travail en application des articles L. 4624-2 à L 4624-4. En cas de refus l’employeur fait connaître par écrit au travailleur et au médecin du travail les motifs qui s’opposent à ce qu’il y soit donné suite.
Aux termes de l’article 4624-7 du même code le salarié ou l’employeur peut saisir le conseil des prud’hommes selon la procédure accélérée au fond d’une contestation portant sur les avis et conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale en application des articles L. 4624-2, L. 4624-3 et L. 4624-4.
Dés lors que l’employeur n’a pas fait connaître par écrit au médecin du travail le motif qui s’oppose selon lui à l’avis litigieux ou qu’il n’a pas saisi le conseil des prud’hommes selon la procédure accélérée au fond d’une contestation conformément à ces textes, il était tenu de s’y conformer.
De plus, l’avis du médecin du travail n’était donné que de manière temporaire, puisque le praticien prévoyait de revoir le salarié trois mois plus tard.
Enfin le régime du forfait permet à l’employeur de préserver la santé et la sécurité du salarié, puisque notamment :
– l’article L. 3121-46 du Code du travail prévoit l’organisation d’un entretien annuel portant sur la charge de travail ou l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, sans préjudice d’autres entretiens du même ordre quand cela apparaît nécessaire,
– l’article 72 de l’avenant du 31 janvier 2014 à la convention collective dispose : ‘afin d’assurer une bonne répartition du temps de travail sur l’année, en aucun cas un mois ne peut comporter plus de cinq jours de travail hebdomadaire en moyenne sur le mois. L’organisation du temps de travail devra donc tenir compte de l’obligation de prendre la plupart du temps un repos hebdomadaire de deux jours. Si une répartition de l’activité certaines semaines sur 6 jours n’est pas exclue, sous réserve qu’elle ne conduise pas à un temps de travail déraisonnable, en aucun cas le dimanche ne peut être travaillé, sauf dérogation exceptionnelle accordée dans les conditions légales. Le forfait en jours s’accompagne d’un contrôle de jours travaillés, au moyen d’un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées travaillées ainsi que la qualification des jours non travaillés. Si à l’issue de chaque trimestre le décompte fait ressortir un nombre de jours travaillés trop conséquent, il appartiendra au responsable d’en examiner les raisons et d’adapter, si besoin, la charge de travail ou au salarié de modifier son l’organisation de travail.
Par suite le refus opposé par le salarié à la modification du contrat de travail qui lui était proposée ne saurait être considéré comme un abus de droit.
Il suit de ces observations que le licenciement doit être déclaré dénué de cause réelle et sérieuse.
2.2 : Sur les conséquences financières du licenciement à l’égard de M. [Z] [H]
M. [Z] [H] sollicite la confirmation du jugement en ce qu’il lui a accordé la somme de 1 00 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en invoquant la reconnaissance par la CPAM d’une affection longue durée, son hospitalisation du 9 au 16 avril 2018 pour cette pathologie et le fait qu’il n’a toujours pas retrouvé d’emploi.
La société Messika group répond que son arrêt maladie s’est prolongé au-delà du licenciement jusqu’au 30 mai 2018, qu’il ne prouve pas qu’il est toujours sans emploi, ni qu’il a recherché effectivement un emploi.
Sur ce
Aux termes de l’article L 1235-3 du Code du travail, dans sa version applicable à l’époque de la rupture, il est octroyé au salarié qui n’est pas réintégré une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
M. [Z] [H] produit pour justifier de son préjudice un bulletin d’hospitalisation du 9 avril au 16 avril 2018, une attestation de Pôle Emploi du 30 mai 2018 établissant son inscription auprès de cet organisme depuis le 17 juillet 2017, période au cours de laquelle il a reçu 143 allocations journalières et une autre faisant état de son indemnisation en mars 2020 et des courriels échangés dans le cadre de recherches d’emploi d’août 2017 à mars 2020.
Il ne justifie pas d’une période de chômage continue depuis la rupture, nonobstant des réponses à des offres d’emplois, qui peuvent n’être que de pure forme.
Compte tenu notamment de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [Z] [H], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, il ya lieu de lui allouer, en application de l’article L 1235-3 du Code du travail dans sa rédaction applicable à la date de la rupture, une somme de 50 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
2.3 : Sur le remboursement des indemnités de chômage par Pôle-Emploi
En application de l’article L 1235-4 du Code du travail, il sera ordonné le remboursement par l’employeur à Pôle-Emploi des indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de six mois à compter du jour de son licenciement, dès lors qu’il ne s’agit pas du licenciement d’un salarié de moins de deux ans d’ancienneté opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés.
3 : Sur le manquement à l’obligation de sécurité
M. [Z] [H] sollicite l’allocation de la somme de 26 242 euros en réparation du manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité, en ce qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protège sa santé physique et mentale.
La société Messika group oppose que le salarié ne peut se plaindre sérieusement d’un manquement à l’obligation de sécurité tout en ayant refusé une modification du contrat de travail destinée à le faire moins travailler. Elle ajoute que la charge de travail du salarié n’était pas excessive, même si son addiction au travail le poussait à être présent dans l’entreprise. L’employeur veut pour preuve de ses dires l’absence de reconnaissance par le médecin du travail et la CPAM d’une maladie professionnelle consistant dans le syndrome dépressif invoqué par l’intéressé. Enfin l’employeur conteste le préjudice revendiqué par M. [Z] [H] au titre du prétendu manquement.
Sur ce
En vertu de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité en matière de protection de la santé physique et mentale de ses préposés. Il doit mettre en oeuvre des mesures nécessaires pour garantir la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés, à savoir tant des actions de prévention que l’organisation de moyens adaptés et l’amélioration des situations existantes. Il doit assurer l’effectivité des mesures tendant à identifier, prévenir et gérer les situations pouvant avoir un impact négatif sur la santé du salarié.
L’article L.4121-2 prévoit que l’employeur met en oeuvre ces mesures sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : éviter les risques, évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités, combattre les risques à la source, adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé, tenir compte de l’état d’évolution de la technique, remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l’article L. 1142-2-1, prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle et donner les instructions appropriées aux travailleurs.
M. [Z] [H] a été placé en arrêt maladie pour épuisement professionnel, le 8 septembre 2016 prolongé jusqu’au 3 février 2017.
Un certificat de la psychologue qui le suivait à l’hôpital [3] constate qu’il est venu la consulter pour un syndrome de dépression réactionnelle à un épuisement professionnel, lié à son addiction au travail caractérisé par un surinvestissement matériel et émotionnel, du perfectionnisme chronophage et un désinvestissement de sa vie personnelle.
Il n’apparaît pas que l’employeur ait pris les mesures préventives nécessaires en amont de la détérioration de l’état de santé du salarié pour prévenir celle-ci et notamment ait procédé à l’entretien au moins annuel prévu par l’article L. 3121-46 du Code du travail précité. Indépendamment de la question de la charge de travail, cette mesure eût permis de traiter ce problème en amont puisque l’intéressé était soumis au forfait depuis 2013.
Ce manquement justifie l’allocation de la somme de 15 000 euros.
Sur les intérêts et l’application de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
Les sommes allouées, toutes de nature indemnitaire, porteront intérêts à compter du présent arrêt. Il sera ordonné la capitalisation des intérêts courus pour une année entière ainsi qu’il l’est demandé, dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.
Il est équitable au regard de l’article 700 du code de procédure civile de condamner la société Messika group qui succombe à payer à M. [Z] [H] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et celle de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel.
La société Messika group sera pour le même motif déboutée de ses prétentions au titre des frais irrépétibles et condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe et en dernier ressort ;
SE DÉCLARE non saisie des demandes de M. [Z] [H] en annulation de l’avertissement et de dommages-intérêts pour violation du droit électoral ;
Pour le surplus, CONFIRME le jugement déféré sauf sur les demandes en paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour manquement à l’obligation de sécurité et sur les intérêts ;
DIT que les sommes allouées porteront intérêts à compter du présent arrêt et ordonne la capitalisation des intérêts courus pour une année entière dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.
Statuant à nouveau ;
CONDAMNE la société Messika group à payer à M. [Z] [H] les sommes suivantes :
– 50 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 15 000 euros de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité ;
Y ajoutant ;
CONDAMNE la société Messika group à payer à M. [Z] [H] la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel ;
REJETTE la demande de la société Messika group en paiement d’une indemnité au titre des frais irrépétibles d’appel ;
CONDAMNE la société Messika group aux dépens d’appel.
La greffière, Le président.