5 mai 2022
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
18/19418
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-4
ARRÊT AU FOND
DU 05 MAI 2022
N° 2022/
CM/FP-D
Rôle N° RG 18/19418 – N° Portalis DBVB-V-B7C-BDOVS
[A] [H]
C/
SASU MONTBLANC FRANCE
Copie exécutoire délivrée
le :
05 MAI 2022
à :
Me Sandrine COHEN-SCALI, avocat au barreau de GRASSE
Me Pascale PENARROYA-
LATIL, avocat au barreau d’AIX-EN-
PROVENCE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CANNES en date du 29 Novembre 2018 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 16/00590.
APPELANTE
Madame [A] [H], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Sandrine COHEN-SCALI, avocat au barreau de GRASSE
INTIMEE
SASU MONTBLANC FRANCE prise en la personne de son représentant légal, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Pascale PENARROYA-LATIL, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,
et par Me Pascal GASTEBOIS, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 Février 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Catherine MAILHES, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre
Madame Frédérique BEAUSSART, Conseiller
Madame Catherine MAILHES, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Mai 2022.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 05 Mai 2022
Signé par Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre et Madame Françoise PARADIS-DEISS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Mme [H] (la salariée) a été embauchée par la société Montblanc France (la société) selon contrat à durée indéterminée le 4 mai 2009, en qualité de vendeuse, statut employé, niveau 3 échelon 2 pour un salaire de 1800 euros bruts sur 13 mois et 151,67 heures mensuelles outre une prime d’objectif boutique fixée par la direction et pouvant atteindre un montant maximum de 5800 euros bruts au prorata temporis par année fiscale complète.
La convention collective applicable est celle de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie, cadeaux dans une société qui compte plus de 11 salariés.
A la suite du départ du directeur du magasin Montblanc de [Localité 3] en novembre 2015, une nouvelle directrice a pris ses fonctions en mars 2016.
Par courrier du 8 septembre 2016, la salariée a été convoquée un entretien préalable à un éventuel licenciement pour le 16 septembre 2016 au siège social parisien.
La salariée qui a été en arrêt de travail du 13 septembre 2016 jusqu’au 27 septembre 2016 inclus, ne s’est pas présentée à l’entretien préalable.
Par courrier du 21 septembre 2016, la salariée a été licenciée pour insuffisance professionnelle, avec dispense de préavis.
Selon requête du 14 décembre 2016, Mme [H] a saisi le conseil de prud’hommes de Cannes en contestation du licenciement et a sollicité de ce dernier la condamnation de la société Montblanc France à lui verser des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, des dommages-intérêts pour préjudice distinct, un rappel de salaire pour la période de novembre 2015 à février 2016 outre l’indemnité de congés payés afférente, une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre la délivrance sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir de l’attestation pôle emploi rectifiée, l’exécution provisoire et la condamnation de la société aux entiers dépens.
La société s’est opposée aux demandes de la salariée, subsidiairement a demandé de limiter le montant de l’indemnité de licenciement et dommages et intérêts, et a sollicité à titre reconventionnel la condamnation de cette dernière à lui verser une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Par jugement du 29 novembre 2018, le conseil de prud’hommes de Cannes a :
débouté Mme [H] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
débouté la société Montblanc France de ses demandes reconventionnelles,
dit que chaque partie conservera à la charge de ses dépens.
Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 10 décembre 2018, Mme [H] a régulièrement interjeté appel aux fins de réformation du jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande visant à dire et juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, de sa demande de condamnation de la société Montblanc France à lui payer la somme de 40’000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, de sa demande de condamnation de la société Montblanc France à lui verser la somme de 10’000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice distinct, de sa demande de condamnation de la société Montblanc France à lui verser la somme de 892,44 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période de novembre 2015 à février 2016 outre la somme de 89,24 euros au titre des congés payés y afférents, de sa demande de condamnation de la société Montblanc France à lui délivrer sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir, l’attestation pôle emploi rectifiée, de sa demande de condamnation de la société Montblanc France à lui payer la somme de 2000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, de sa demande de condamnation de la société Montblanc France aux entiers dépens et en ce qu’il a dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe de la cour le 22 mars 2021, Mme [H] demande à la cour d’infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 29 novembre 2018 par le conseil de prud’hommes de Cannes et statuant à nouveau de :
dire et juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
condamner la société Montblanc France à lui verser les sommes suivantes :
40’000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
10’000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice distinct, licenciement brusque et vexatoire,
892,44 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période de novembre 2015 à février 2016 outre la somme de 89,24 euros au titre des congés payés y afférents,
ordonner à la société Montblanc France de lui délivrer sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir, l’attestation pôle emploi rectifiée,
condamner la société Montblanc France à lui payer la somme de 5000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
condamner la société Montblanc France aux entiers dépens,
débouter la société Montblanc France de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions.
Selon ses dernières conclusions remises au greffe de la cour le 21 mai 2019, la société Montblanc France demande à la cour de :
sur le licenciement,
principalement,
constater, dire et juger que le licenciement de Mme [H] a une cause réelle et sérieuse,
confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [H] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
subsidiairement,
limiter la condamnation un montant qui ne saurait excéder l’équivalent de 6 mois de salaire, soit la somme de 10’800 euros,
sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire,
principalement,
confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [H] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire,
subsidiairement,
réduire à une somme symbolique, soit l’euro symbolique la demande de réparation de Mme [H],
sur la demande de rappel de salaire et les congés payés y afférents,
confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [H] de sa demande à ce titre,
en toute hypothèse,
débouter Mme [H] de toutes ses demandes,
débouter Mme [H] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
condamner Mme [H] à lui payer la somme de 3000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
condamner Mme [H] aux entiers dépens.
La clôture des débats a été ordonnée le 14 juin 2021. L’affaire a fait l’objet d’un arrêt de réouverture des débats sans révocation de l’ordonnance de clôture et a été de nouveau évoquée à l’audience du 14 février 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l’exécution du contrat de travail
La salariée fait grief au jugement de la débouter de sa demande de rappel de salaire sur la période de novembre 2015 à mars 2016, en faisant valoir qu’elle a occupé temporairement le poste de directrice de boutique, depuis le départ de l’ancien directeur et jusqu’à arrivée de la nouvelle directrice, sans avenant au contrat de travail et sans modification de sa rémunération.
La société qui conclut à la confirmation, soutient que la salariée ne rapporte pas la preuve qu’elle aurait accompli les missions d’une responsable de magasin, lesquelles étaient réparties entre le directeur retail et le retail opérations manager pendant la période d’absence de responsable.
Il appartient à la salariée qui prétend à la modification temporaire de sa qualification, d’en rapporter la preuve.
Le seul fait que le poste de responsable de magasin soit resté vacant lors de la période de novembre 2015 à mars 2016 est insuffisant à démontrer que la salariée a occupé temporairement ce poste dès lors qu’il y avait deux autres salariées au sein de la boutique, sa collègue Mme [E] et un certain [D], qu’elle ne s’est pas retrouvée seule au regard de l’unique planning de février 2016, versé aux débats pour la période considérée, que le ‘retail opérations manager Mont-blanc France’, M. [V], assurait un suivi constant de la situation de la boutique de [Localité 3] comme il ressort de son courriel du 17 décembre 2015.
La salariée sera déboutée de toute demande de rappel de salaire et d’indemnité de congés payés afférente à ce titre. Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé sur ce chef.
Sur la rupture du contrat de travail
1/ Sur les motifs du licenciement
Pour contester le jugement entrepris en ce qu’il l’a déboutée de sa demande tendant à dire que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, la salariée fait valoir que :
*sur l’insuffisance professionnelle,
– le port de l’uniforme n’était imposé ni par la convention collective nationale ni par contrat de travail ni même par le règlement intérieur ; elle portait toujours une tenue noire soignée et élégante en conformité avec son obligation de tenue correcte conforme à l’image de la société résultant du règlement intérieur ; en l’absence de vestiaire au sein de la boutique, la société ne peut imposer le port d’un uniforme ;
– elle a toujours adopté une attitude adaptée aux standards de la société envers la clientèle, contestant avoir réprimandé un client, s’agissant de faits non étayés par la société ; les faits du 15 septembre 2016 sont postérieurs à l’engagement de la procédure et ne sont pas prouvés, indiquant démontrer les rapports excellents qu’elle entretenait avec la clientèle ;
– la baisse de résultat alléguée est infondée ; le chiffre d’affaires qu’elle réalisait personnellement a cru au cours des trois derniers exercices et les résultats enregistrés par les autres salariés de la boutique de [Localité 3] étaient inférieurs aux siens ; elle avait atteint ses objectifs pour l’année fiscale 2015/2016 ; les tableaux réalisés par la société qui ne sont justifiés par aucune pièce comptable, ne sont pas probants ;
– la contestation des termes du compte-rendu d’entretien de performance annuelle 2016 est inhérent à sa liberté d’expression et conteste toute manifestation d’agressivité à l’encontre de sa supérieure hiérarchique ;
– la société ne date pas les faits relatifs à la visite médicale ; lors de la visite médicale du 2 février 2016, pour un rendez-vous fixé à 15h30, elle a fait savoir après deux heures d’attente en salle d’attente au secrétariat qu’elle devait partir pour reprendre son poste de travail au sein de la boutique à un moment où la boutique de [Localité 3] était dépourvue de directrice et qu’elles étaient deux à y travailler ; la médecine du travail a fixé un nouveau rendez-vous et ne s’est pas plainte de son comportement ;
* sur le non-respect des consignes de sécurité et des procédures
– ce reproche est en contradiction avec son évaluation annuelle 2015/2016 ; elle n’a jamais refusé de se conformer aux règles de sécurité mais a agi avec les moyens qui lui étaient donnés par la société ;
– le grief tiré de ce qu’elle ne se déplacerait pas jusqu’à l’entrée du magasin pour ouvrir la porte d’entrée n’est pas justifié et cette obligation est en contradiction avec l’existence d’un bouton pressoir situé derrière la caisse ; l’existence d’un sous-effectif imputable à l’entreprise la met dans l’impossibilité d’aller ouvrir la porte lorsqu’elle est occupée à une transaction ou en communication avec un client, la société ne respectant pas même l’une des cinq règles selon laquelle une vendeuse ne doit jamais rester seule en boutique ;
– le reproche tiré de l’installation des vitrines après l’heure d’ouverture au public n’est pas étayé et est en contradiction avec les règles que la société a établies lui imposant de ne jamais mettre en place ou enlever les produits des vitrines pendant les heures d’ouverture de la boutique ;
* la cause réelle de son licenciement réside dans la volonté de l’entreprise d’intégrer au sein de la boutique de [Localité 3] une salariée en provenance de la boutique de [Localité 4] qui avait été fermée tout en maintenant le même effectif de trois salariés.
La société soutient que le comportement inadapté de la salariée est établi, qu’il nuit à la qualité de son travail et à son image d’employeur, que ses mauvais résultats sont établis puisqu’elle a vendu moins de produits que la responsable de magasin et moins de produits que le stagiaire en juin et juillet 2016, qu’ils caractérisent une insuffisance professionnelle quantitative, et que malgré les rappels des consignes de sécurité effectués en mars 2016, la responsable RH a de nouveau constaté des manquements de celle-ci en mai 2016.
Aux termes de la lettre de licenciement du 21 septembre 2016, il est reproché à la salarié une insuffisance professionnelle de la façon suivante :
‘Non-respect des procédures et consignes de sécurité
L’exercice de vos fonctions suppose le respect des règles de sûreté et de sécurité applicable au sein de notre maison et précisément au sein de la boutique dans laquelle vous travaillez.
Or, nous avons été au regret de constater plusieurs manquements de votre part à ces consignes. En premier lieu, il est apparu à plusieurs reprises, que vous continuez à ouvrir aux clients depuis l’accueil sans aller, comme les consignes l’indiquent, ouvrir depuis la porte. Nous vous avons déjà alerté verbalement sur ce point, sans que vous n’ayez pris en compte nos remarques.
Mais encore, et cela achetait la gravité des faits énoncés ci-dessus, il s’avère que vous continuez à installer les vitrines après l’heure d’ouverture au public.
Les conséquences de ses erreurs, aurait pu mettre en péril le point de vente, votre sécurité et celle du personnel de ménage et engendrer le vol tant de produits que de matériel.
Ces comportements sont d’autant plus déplorables que les consignes de sécurité vous ont été rappelées plusieurs fois, sont affichés en boutique et on fait l’objet d’une remise individuelle à chaque salarié. Les procédures de sécurité permettent d’assurer la sécurité des valeurs des personnes et il n’est malheureusement pas acceptable que vous refusiez de vous y conformer.
Insuffisance professionnelle qualitative
Par ailleurs, nous avons noté depuis plusieurs mois une dégradation de votre implication dans vos ventes et dans vos discours et attitudes face à notre clientèle.
Notamment vous aviez commandé un produit pour un client, qui vous a finalement appelé afin de vous prévenir qu’il avait acheté ce produit dans une autre boutique. Vous vous êtes alors permis de le réprimander et de lui indiquer qu’il n’aurait pas dû acheter ce produit ailleurs. Cette attitude est totalement contraire aux attentes de notre maison, en matière d’accompagnement et de fidélisation de la clientèle.
Ce comportement envers la clientèle n’est pas isolé, puisque le 15 septembre, une cliente de notre site e-commerce nous a téléphoné pour se plaindre du très mauvais accueil que vous lui aviez réservé lorsqu’elle est venue récupérer son colis la semaine précédente.
A fortiori, vous avez eu un comportement inacceptable vis-à-vis du service de santé au travail, lors d’une visite médicale à laquelle vous deviez vous conformer. Le médecin du travail s’est dit surpris par votre comportement et nous avions été contactés par son service administratif pour nous en faire part.
Il est regrettable qu’à chaque fois que nous vous nous alertant sur votre comportement, vous prétendez que vous allez faire l’effort alors qu’en réalité vous persistez dans cette attitude d’opposition.
En tout état de cause, il apparaît que vous ne portez pas votre uniforme lorsque la directrice de la boutique est absente alors que cette règle vous avait bien été rappelée et que vous avez d’ailleurs si un document relatif au grooming en boutique il y a quelques semaines.
De plus, ce manque d’implication se traduit notamment dans les résultats de votre dernier entretien de performance annuelle. Vous atteignez difficilement la moitié des objectifs qui vous est demandé de réaliser et la tendance montre que ces résultats se dégradent d’année en année.
En effet, vous montrez constamment une résistance au changement et après 7 années passées au sein de la maison, vous n’êtes toujours pas en mesure de comprendre les attentes du client et l’implication nécessaire à votre rôle de conseiller et de fidélisation de la clientèle.
En outre, vous avez contesté les termes inscrits au sein de votre entretien de performance annuelle au titre de l’année 2016, et souhaitez les modifier, alors qu’ils sont le résultat de vos échanges avec votre responsable.
Nous relevons donc une situation d’insuffisance persistante et ceux en dépit de l’aide et de l’accompagnement de votre hiérarchie et qu’aucune amélioration ne peut être espérée dans la mesure où vous n’adhérez pas à la politique de notre société.
Pour rappel, nous vous avions alerté lors d’un rendez-vous en mai 2016 en présence de votre directrice de boutique et de votre responsable RH sur la nécessité de changer de comportement et d’être vigilante quant au respect des consignes de sécurité suite à un passage de votre département sûreté.
En conséquence, compte tenu de ce qui précède, nous sommes contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour insuffisance professionnelle (…)’
Le caractère non disciplinaire du licenciement n’est pas contesté.
Si l’employeur est juge des aptitudes professionnelles de son salarié et de son adaptation à l’emploi, pour constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, l’insuffisance professionnelle doit être caractérisée par des faits objectifs et matériellement vérifiables. La preuve est partagée en matière de licenciement pour cause réelle et sérieuse, mais il incombe à l’employeur d’apporter au juge des éléments objectifs à l’appui des faits qu’il invoque comme propres, selon lui, à caractériser l’insuffisance professionnelle dont il se prévaut, le doute profitant au salarié.
L’insuffisance professionnelle se définit comme l’incapacité objective, non fautive et durable, d’un salarié à accomplir correctement la prestation de travail pour laquelle il est employé, c’est-à-dire conformément à ce qu’on est fondé à attendre d’un salarié moyen ou ordinaire, employé pour le même type d’emploi et dans la même situation.
-a- sur le respect des procédures et consignes de sécurité
Le reproché lié à l’installation des vitrines après l’heure d’ouverture au public est en contradiction avec la consigne qui lui a été rappelée le 4 avril 2016 au sein de la note ‘les cinq règles du jeu’ qu’elle a signée, selon laquelle il est demandé aux salariés de ‘ne jamais mettre en place ou enlever les produits des vitrines pendant les heures d’ouverture de la boutique’. Ce fait ne serait donc être constitutif d’un non-respect des consignes de sécurité et des procédures ni même révélateur d’un manque d’implication dans l’exécution de celles-ci.
Il ressort des courriel et attestation de M. [R] et M. [U] qui ne sont pas utilement contestés, que lors de leur venue dans la boutique le 22 mars 2016, des anomalies tenant à la sécurité et à la sûreté avaient été constatées dans la gestion des clés (laissées sur le placard, laissées visibles en caisse, double de la clé du coffre cachée dans le meuble de la caisse), au niveau de l’accueil du client (le personnel ne se rendant pas à la porte pour ouvrir, accueillir le client et appréhender le risque) et il avait été noté que la porte du ‘back office’ donnant une vue sur le coffre non verrouillé s’y trouvant, était toujours ouverte, qu’un point avec le personnel avait alors été fait, au cours duquel Mme [H] avait montré un vif mécontentement et du désintérêt sur ces sujets, et que M. [U] lui avait alors notifié que ces consignes devaient être mises en application à compter du 22 mars mais que le 23 mars, il était de nouveau constaté que les clefs et badges de celle-ci étaient sur le placard de l’espace de vente au niveau de la caisse, que la porte du back office était ouverte et que le coffre était ouvert avec les clés dessus, qu’un rappel strict des règles élémentaires de sûreté.
Toutefois, il ressort des commentaires du manager issus du formulaire de performance annuelle 2015/2016 établi par Mme [T], et postérieur au mois de mai 2016, que la salariée sait fonctionner en autonomie et en respectant les consignes de sécurité. Le manque d’implication portant sur les consignes et procédures de sûreté et de sécurité n’est donc pas établie.
-b- sur le comportement
* sur la dégradation de ses discours et attitudes face à la clientèle
La société n’apporte aucun élément étayant le fait que la salariée ait réprimandé un client ou aurait émis un quelconque reproche pour avoir acheté le produit commandé dans une autre boutique ni celui qu’une cliente de l’e-commerce se serait plainte du très mauvais accueil qu’elle lui aurait réservé lorsqu’elle est venue récupérer son colis le 15 septembre 2016, alors même qu’il ressort des attestations de clients versées aux débats par la salariée qu’elle était très agréable, patiente, toujours de bon conseil, que le client se sentait considéré. L’insuffisance liée à la dégradation des discours et attitudes face à la clientèle n’est donc pas établie.
*sur le comportement à l’égard de la supérieure hiérarchique
La société reproche un comportement déplacé à l’égard de sa supérieure hiérarchique en exigeant de modifier les observations qu’elle avait indiqué sur le compte-tenu d’entretien annuel pour l’année 2016 au titre de l’appréciation des qualités professionnelles de la salariée.
Les pièces versées aux débats démontrent que c’est le formulaire de performance établi par le supérieure J [X] que la salariée n’a pas été signé mais non le dernier, qu’elle a signé, établi par C. [T] en 2016 et évaluant les objectifs de 2015/2016, permettant néanmoins de corroborer la version de l’employeur, non utilement contestée par la salariée.
*sur le comportement vis-à-vis du service de santé au travail
Il est constant que la salariée n’a pas honoré le rendez-vous de la médecine du travail initialement fixé le 2 février 2016, qu’elle a quitté en invoquant le retard du médecin du travail. Toutefois contrairement à ce que prétend la salariée, elle n’avait aucun impératif professionnel puisque le planning de février 2016 démontre que les deux autres vendeuses étaient présentes jusqu’à 19 heures ce jour. Le fait est avéré.
*sur le port de l’uniforme
La cour ne trouve dans les pièces du dossier aucun élément établissant que la salariée avait l’obligation de porter un uniforme, le contrat stipulant uniquement que la salariée s’engage à porter en toute circonstance, une tenue correcte et de bon aloi, la note ‘les 5 règles du jeu’ signée le 4 avril 2016, visant une charte grooming sans qu’elle soit produite aux débats, ni que les tenues que la salariée portaient dénotent une absence d’implication dans son travail.
Ce fait ne saurait donc être retenu au soutien de l’absence d’implication ou d’adhésion aux demandes de son employeur.
-c- sur la baisse des résultats
Selon les formulaires de performance des deux dernières années que la salariée a atteint 58% de ses objectifs 2014/2015 et 56% de ceux de l’année 2015/2016, soit plus que la moitié.
L’analyse standard annexée à chacun d’eux fait toutefois apparaître une augmentation du chiffre d’affaires de la salariée et une augmentation corrélative du volume d’affaire qu’elle a réalisé, contredisant le manque d’implication invoqué par l’employeur, étant précisé que les indicateurs de performance qu’il verse pour les mois de juin à août 2016 sont partiels et ne sauraient donc avoir valeur de preuve de la baisse des résultats invoquée.
En définitive, l’absence de signature du formulaire d’évaluation 2015, le fait d’avoir demandé à sa supérieure hiérarchique de modifier son appréciation outre le fait de ne pas avoir honoré la visite médicale périodique du médecin du travail en février 2016 sont insuffisants pour établir l’insuffisance professionnelle de la salariée reposant sur un manque d’implication dans son travail et un manque d’adhésion au discours de l’employeur.
Le licenciement pour insuffisance professionnelle est en conséquence dépourvu de cause réelle et sérieuse et le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a débouté la salariée de cette demande.
2/Sur la demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
La salariée dont le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, qui avait une ancienneté de 7 ans dans une entreprise d’au moins 11 salariés, a droit en application des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Le salaire des six derniers mois s’est élevé à la somme de 16.158,82 euros, soit à une somme mensuelle moyenne de 2693,13 euros.
Agée de 51 ans au moment de la rupture, après 7 années de service, la salarié est restée sans emploi pendant plus d’une année et n’a retrouvé que des emplois précaires à compter du mois d’avril 2018. Elle justifie ainsi d’un préjudice permettant de lui allouer une indemnité de 18.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse que la société sera condamnée à lui verser.
Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il l’a déboutée de cette demande.
Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement brusque et vexatoire
La salariée soutient qu’ il est indéniable que la rupture des relations contractuelles s’est déroulée dans un contexte brusque et vexatoire (pour elle), laquelle a mis sa force de travail au profit de la société (…)pendant plus de 7 ans sans que ses différents responsables n’aient jamais eu à redire de la qualité de sa prestation de travail, qu’elle a largement explicité la situation et démontré qu’aucun fait ne pouvait valablement lui être reproché et que la société n’a jamais cherché à obtenir ses explications (sic), qu’elle a subi un préjudice moral distinct de celui résultant de la rupture puisqu’elle souffre d’une syndrome anxio-dépressif.
Pour s’opposer à cette demande et conclure à la confirmation, l’employeur dénie tout caractère brutal et vexatoire au licenciement et soutient que la salariée ne caractérise pas ces circonstances, qu’elle a respecté les délais légaux de procédure tant entre l’envoi de la lettre de convocation et l’entretien préalable que dans l’envoi de la lette de licenciement, qu’elle ne justifie pas plus avoir subi un préjudice distinct de celui de la rupture.
La salariée ne caractérise pas au soutien de cette demande autonome, l’existence de circonstances vexatoires ni même brusques dans le licenciement, étant noté que l’employeur a observé un délai de 7 jours ouvrables après la présentation de la lettre de convocation à l’entretien préalable et l’entretien, et un délai de 4 jours ouvrables pour expédier la lettre de licenciement. Elle sera donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.
Le jugement entrepris sera confirmé sur ce chef.
Sur les autres demandes
En l’absence de toute somme allouée au titre des salaires des douze derniers mois ou des indemnités de fin de contrat, il n’y a pas lieu à ordonner la délivrance d’une attestation Pôle emploi rectifiée.
En application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail, la cour ordonne d’office le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à la salariée, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnité de chômage.
Il convient de rappeler que les sommes allouées par la cour sont exprimées en brut.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
La société succombant sera condamnée aux entiers dépens de l’appel et de première instance. Elle sera en conséquence déboutée de sa demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a partagé les dépens.
L’équité commande de faire bénéficier la salariée des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et de condamner en conséquence la société à lui verser une indemnité de 3.000 euros au titre de l’ensemble des frais irrepétibles de première instance et d’appel.
Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a débouté la salariée de toute demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile;
Dans la limite de la dévolution,
Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme [H] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire, de sa demande de rappel de salaire et indemnité de congés payés afférente, de sa demande tendant à ordonner à la société Montblanc France de lui délivrer sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir, l’attestation pôle emploi rectifiée ;
Infirme le jugement entrepris sur le surplus de la dévolution ;
Statuant à nouveau dans cette limite,
Déclare sans cause réelle et sérieuse le licenciement de Mme [H] ;
Condamne la société Montblanc France à verser à Mme [H] la somme de 18.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Ordonne d’office en application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail, le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à la salariée, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnité de chômage ;
Rappelle que les sommes allouées par la cour sont exprimées en brut ;
Condamne la société Montblanc France aux entiers dépens de première instance ;
Y ajoutant,
Condamne la société Montblanc France à verser à Mme [H] une indemnité de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour l’ensemble de la première instance et de l’appel ;
Déboute la société Montblanc France de sa demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Montblanc France aux entiers dépens d’appel.
LE GREFFIERLE PRESIDENT