31 mars 2023
Cour d’appel de Douai
RG n°
21/00196
ARRÊT DU
31 Mars 2023
N° 534/23
N° RG 21/00196 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TOEY
LB / AS
AJ
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BETHUNE
en date du
13 Janvier 2021
(RG 19/00210 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 31 Mars 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANT :
M. [Y] [Z]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Stéphane SCHÖNER, avocat au barreau de BETHUNE
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 59178/02/21/009006 du 14/09/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de DOUAI)
INTIMÉE :
S.A.R.L. MASSAI-MARA
[Adresse 2]
[Localité 4] / FRANCE
représentée par Me Guillaume FRANCOIS, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS : à l’audience publique du 12 Janvier 2023
Tenue par Laure BERNARD
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Angelique AZZOLINI
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Pierre NOUBEL
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Virginie CLAVERT
: CONSEILLER
Laure BERNARD
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 31 Mars 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Séverine STIEVENARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 22 décembre 2022
M. [Y] [Z] a été engagé par la société Massai Mara par contrat de travail à durée indéterminée du 4 avril 2012 en qualité d’ouvrier à la maintenance.
La convention collective applicable est celle de l’horlogerie, bijouterie et commerce de détail.
M. [Y] [Z] a été placé en arrêt de travail pour maladie d’origine non professionnelle à compter du 22 mars 2014.
Le 12 juin 2019, M. [Y] [Z] a saisi le conseil de prud’hommes de Béthune aux fins principalement d’obtenir la condamnation de son employeur à lui payer une indemnité égale à 50 % de la mutuelle dont il aurait dû bénéficier depuis janvier 2016 et le remboursement d’un indû tenant au retrait de quatre journées de solidarité.
Par jugement rendu le 13 janvier 2021, la juridiction prud’homale a débouté M. [Y] [Z] de l’ensemble de ses demandes et l’a condamné à payer à la société Massai Mara 50 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers frais et dépens.
M. [Y] [Z] a régulièrement interjeté appel contre ce jugement par déclaration du 13 février 2021.
Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 9 mai 2021, M. [Y] [Z] demande à la cour, sur le fondement des articles L.911-1 et L.911-7 du code de la sécurité sociale, des articles L.3133-7, L.3133-11, L.3133-12, L.1132-1, L.1134-1 du code du travail, des articles 1353 et 1240 du code civil et de l’article 4.1.2 de l’accord étendu de la convention collective applicable, de :
– infirmer le jugement déféré,
– condamner l’employeur à lui payer, avec intérêt au taux légal :
– 3 313,82 euros correspondant à 50% de la mutuelle dont il aurait dû bénéficier depuis janvier 2016,
– 319,47 euros pour le retrait indû de 4 jours de solidarité,
– 1 500 euros au titre des frais irrépétibles engagés en première instance, et 3 000 euros pour ceux engagés à hauteur d’appel,
– 1 000 euros pour préjudice de discrimination sur l’état de santé,
– ordonner la capitalisation judiciaire des intérêts,
– débouter l’employeur de l’intégralité de ses demandes,
– condamner l’employeur aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 5 août 2021, la société Massai Mara demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, débouter M. [Y] [Z] de l’ensemble de ses demandes et le condamner à lui payer 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA en application de l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 22 décembre 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande de dommages et intérêts pour non respect de l’obligation de proposer une complémentaire santé
Conformément à l’article L.911-7 du code de la sécurité sociale, les entreprises dont les salariés ne bénéficient pas d’une couverture collective à adhésion obligatoire en matière de remboursements complémentaires de frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident déterminée selon l’une des modalités mentionnées à l’article L. 911-1 dont chacune des catégories de garanties et la part du financement assurée par l’employeur sont au moins aussi favorables que celles mentionnées aux II et III du présent article sont tenues de faire bénéficier leurs salariés de cette couverture minimale par décision unilatérale de l’employeur, dans le respect de l’article 11 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques ;(…). L’employeur assure au minimum la moitié du financement de la couverture collective à adhésion obligatoire des salariés en matière de remboursement complémentaire des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident.
L’article 7.1 de l’accord étendu de la convention collective applicable stipule que les entreprises relevant de cet accord devront respecter une prise en charge à hauteur, a minima, de 50% de la cotisation globale correspondant à la couverture obligatoire mise en place dans l’entreprise.
Aux termes de l’article 1353 du code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.
En l’espèce, M. [Y] [Z] a été engagé par la société Massai Mara par contrat de travail à durée indéterminée du 4 avril 2012 en qualité d’ouvrier à la maintenance.
Il a été placé en arrêt de travail pour maladie d’origine non professionnelle à compter du 22 mars 2014.
M. [Y] [Z] fait grief à son employeur de ne pas lui avoir proposé d’adhérer à sa complémentaire santé, alors qu’il en avait l’obligation.
La proposition d’adhérer à une complémentaire santé souscrite par l’employeur étant une obligation qui pèse sur celui-ci, il lui appartient de démontrer qu’il a bien respecté cette obligation.
Or, le document versé aux débats par la société Maissa Mara mentionne M. [Y] [Z] parmi les salariés susceptibles de se voir proposer l’adhésion au contrat souscrit auprès de Swiss Life mais ne précise pas qu’il a pris position quant à l’adhésion à cette mutuelle (à la différence des autres salariés pour lesquels il est indiqué de manière manuscrite soit ‘ok’, soit ‘non’), ce dont il y a lieu de déduire qu’il n’est pas rapporté la preuve que M. [Y] [Z] a été effectivement contacté et a refusé la proposition d’adhésion.
Or, malgré la suspension du contrat de travail, l’employeur restait tenu de cette obligation, aucune disposition légale ou conventionnelle ne l’exonérant de celle-ci.
Cependant, il est relevé que la prise en charge par l’employeur de la moitié des frais de cotisation de complémentaire santé exposés par ses salariés prévue à l’article L.911-7 du code de la sécurité sociale et dans l’accord du 15 décembre 2015 relatif au remboursement des frais de santé n’a vocation à s’appliquer pendant la suspension du contrat de travail que si cette période est rémunérée ou indemnisée (article 4.1.2 de l’accord). Or, M. [Y] [Z] qui était en arrêt de travail pour maladie non professionnelle depuis le 22 mars 2014 ne verse aux débats aucune pièce (aucun arrêt de travail, aucun relevé des indemnités journalières, aucun bulletin de salaire) démontrant qu’il était indemnisé ou rémunéré pendant la période litigieuse.
Ainsi, il n’est démontré l’existence d’aucun préjudice résultant du manquement de l’employeur à son obligation en matière de complémentaire santé.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a débouté M. [Y] [Z] de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.
Sur la demande de dommages et intérêts pour discrimination
M. [Y] [Z] fait valoir que la société Maissa Mara s’est abstenu de lui proposer d’adhérer à sa complémentaire santé en raison de son état de santé, et qu’il a ainsi fait l’objet d’une décision discriminatoire.
La société Maissa Mara conteste toute décision discriminatoire, faisant valoir qu’il a parfaitement respecté ses obligations en matière de complémentaire santé.
Sur ce,
Aux termes de l’article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de nomination ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, d’horaires de travail, d’évaluation de la performance, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m’urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d’un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d’autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de sa qualité de lanceur d’alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d’alerte, au sens, respectivement, du I de l’article 6 et des 1° et 2° de l’article 6-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
Lorsqu’un salarié soutient avoir été victime d’une décision discriminatoire, il lui appartient d’apporter des éléments de fait susceptibles de caractériser une situation de discrimination ; il appartient ensuite à l’employeur d’apporter des éléments objectifs justifiant que cette différence repose en réalité sur des raisons objectives.
En l’espèce l’employeur n’a pas proposé à M. [Y] [Z] d’adhérer à la complémentaire santé souscrite en application des dispositions légales et conventionnelles en vigueur.
Si la société Maissa Mara s’est crue à tort exonérée de cette obligation en raison de la suspension du contrat de travail depuis le 22 mars 2014, ce fait ne permet pas de présumer une situation de discrimination en raison de l’état de santé de M. [Y] [Z].
En conséquence, par confirmation du jugement déféré, il sera débouté de sa demande de dommages et intérêts sur ce fondement.
Sur les sommes dues au titre des journées de solidarité
Aux termes de l’article L.3133-7 du code du travail,la journée de solidarité instituée en vue d’assurer le financement des actions en faveur de l’autonomie des personnes âgées ou handicapées prend la forme :
1° D’une journée supplémentaire de travail non rémunérée pour les salariés ;
2° De la contribution prévue au 1° de l’article L. 14-10-4 du code de l’action sociale et des familles pour les employeurs.
Conformément à l’article L.3133-9 du même code, les heures correspondant à la journée de solidarité ne donnent pas lieu à contrepartie obligatoire sous forme de repos.
En l’espèce, la société Maissa Mara admet avoir retiré à M. [Y] [Z], à l’instar de ses autres salariés, quatre jours de congés payés pour compenser les quatre journées de solidarité non travaillées. Cependant, la décision de l’employeur de remplacer la journée de solidarité par un jour de congé payé légal, est contraire aux dispositions des articles L. 3133-7 et L. 3133-9 du code du travail.
Dans ces conditions, M. [Y] [Z] est bien fondé à obtenir le paiement de ces quatre jours, soit la somme de 319,47 euros.
Il sera ordonné la capitalisation des intérêts échus dus pour une année entière en application de l’article 1343-2 du code civil.
Sur les dépens et l’indemnité de procédure
Le jugement entrepris sera infirmé concernant le sort des dépens et l’indemnité procédurale.
La société Maissa Mara sera condamnée aux dépens ainsi qu’à payer à M. [Y] [Z] la somme de1 500 euros à titre d’indemnité de procédure en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
INFIRME le jugement rendu le 13 janvier 2021 par le conseil de prud’hommes de Béthune sauf en ce qu’il a débouté M. [Y] [Z] de sa demande de dommages et intérêts pour non respect des obligations en matière de complémentaire de santé et pour discrimination ;
Statuant à nouveau,
CONDAMNE la société Maissa Mara à payer à M. [Y] [Z] 319,47 euros au titre des quatre journées de solidarité décomptées de ses congés payés ;
ORDONNE la capitalisation des intérêts échus dus pour une année entière ;
CONDAMNE la société Maissa Mara aux dépens ;
CONDAMNE la société Maissa Mara à payer à M. [Y] [Z] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER
Séverine STIEVENARD
LE PRESIDENT
Pierre NOUBEL