Bijouterie : 31 août 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/04784

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Bijouterie : 31 août 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/04784

31 août 2022
Cour d’appel de Paris
RG
20/04784

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRACASSE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRÊT DU 31 AOÛT 2022

(n° , 2 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/04784 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCETM

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Septembre 2019 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F 19/00758

APPELANTE

Madame [C] [X] [V]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Dahbia MESBAHI, avocat au barreau de PARIS, toque : E0706

INTIMÉE

SASU LOUIS PION

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Jérôme DANIEL, avocat au barreau de PARIS, toque : G0035

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 24 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Françoise SALOMON, présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme Françoise SALOMON, présidente de chambre

Mme Valérie BLANCHET, conseillère

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

– signé par Madame Françoise SALOMON, présidente et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat du 18 octobre 1999, la société Goldy a engagé Mme [X] [V] en qualité de vendeuse. La salariée a été promue responsable par avenant du 27 aout 2003. Le 2 octobre 2003, son contrat de travail a été transféré à la société Europa Quartz, aux droits de laquelle vient la société Louis Pion, entité du Groupe Galeries Lafayette. La salariée exerçait en dernier lieu les fonctions de responsable du corner Louis Pion situé au sein des Galeries [Adresse 5].

La société emploie 708 salariés et applique la convention collective nationale du commerce de détail de l’horlogerie bijouterie du 17 décembre 1987.

Convoquée le 6 avril 2017 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 18 avril, avec mise à pied conservatoire, la salariée a été licenciée pour faute grave par lettre recommandée du 21 avril suivant.

Contestant le bien-fondé de son licenciement, elle a saisi la juridiction prud’homale le 28 janvier 2019.

Par jugement du 26 septembre 2019, le conseil de prud’hommes de Paris l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes et a rejeté la demande de l’employeur au titre de ses frais irrépétibles.

Le 17 juillet 2020, la salariée a interjeté appel de cette décision, dont la lettre de notification était revenue avec la mention ‘destinataire inconnue’.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 8 avril 2022, l’appelante demande à la cour d’infirmer le jugement du conseil de prud’hommes et, statuant à nouveau :

– à titre principal, de juger son licenciement nul, d’ordonner sa réintégration sous astreinte de 250 euros par jour de retard et de condamner la société intimée au paiement de 172 938 euros de rappel de salaire, outre 17 293,80 euros au titre des congés payés afférents,

– subsidiairement, de condamner l’intimée au paiement des sommes de :

– 8 646,90 euros d’indemnité compensatrice de préavis et 864,69 euros au titre des congés payés afférents,

– 1 173 euros de rappel de salaire pendant la période de mise à pied et 117,30 euros au titre des congés payés afférents,

– 14 889, 64 euros d’indemnité de licenciement,

– 69 175,20 euros de dommage et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– en tout état de cause, de condamner la société au paiement de 10 000 euros en réparation du préjudice moral compte tenu des circonstances brutales et vexatoires de la rupture et 3 600 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 22 avril 2022, l’intimée sollicite la confirmation du jugement entrepris et le versement de 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.

La clôture de l’instruction est intervenue le 10 mai 2022 et l’audience a été fixée à l’audience du 24 mai.

MOTIFS

Sur la demande de nullité du licenciement

La salariée soutient que son licenciement serait nul et privé d’effet, au motif que la lettre de licenciement émane de la directrice Talents et Développement Responsable du Groupe Galeries Lafayette, et non d’un représentant de l’employeur.

L’employeur affirme que l’auteur de la lettre de licenciement avait le pouvoir de licencier la salariée.

Le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, et non pas nul, lorsque le signataire de la lettre de licenciement n’a pas le pouvoir de licencier le salarié ou lorsqu’il est étranger à l’entreprise.

En l’occurrence, l’employeur verse aux débats la délégation de pouvoir consentie le 6 avril 2017 à Mme [E] ‘dans le cadre de ses fonctions de Directeur des Talents et du Développement Responsable (…) À l’effet de, au nom et pour le compte de la Société, négocier et signer les ruptures de contrats et les protocoles transactionnels concernant le personnel Louis Pion’. La directrice des talents de la société mère était donc compétente pour signer la lettre de licenciement de la salariée d’une filiale, et cette lettre n’émane pas d’une personne étrangère à la société. La cour confirme le jugement en ce qu’il a dit la procédure régulière et a débouté la salariée de ses demandes de nullité de son licenciement et de réintégration.

Sur le bien-fondé du licenciement

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

L’employeur qui invoque la faute grave doit en rapporter la preuve.

En l’occurrence, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est rédigée ainsi :

‘Le 9 février 2017, Madame [O] [T], placée sous votre autorité, nous a alertés concernant des agissements fréquents et répétés de votre part pouvant caractériser une situation de harcèlement moral.

Conformément aux règles du Code Éthique en vigueur au sein du Groupe Galeries Lafayette, le Comité Éthique a été saisi.

Une enquête a été diligentée à laquelle le Médecin référent du groupe Galeries Lafayette a participé.

Madame [T] a été entendue et a confirmé au Comité Éthique les agissements qu’elle vous reprochait.

Le Comité Éthique a également entendu une autre salariée placée sous votre autorité, Madame [B] : celle-ci a aussi dénoncé des agissements de même nature de votre part à son égard.

Vous avez vous-même été entendue par le Comité Éthique le 24 mars 2017, afin que vous puissiez vous expliquer et faire part de votre position sur les faits dénoncés par ces salariés.

Cette enquête a permis de mettre en lumière certains de vos agissements qui pourraient caractériser une situation de harcèlement moral, qui s’est manifestée de la façon suivante :

Propos et comportements déshumanisants et humiliants

À titre d’exemple, vous auriez subitement et sans motif cessé de saluer, le matin et le soir, Madame [T] (‘)

Vous auriez, également, fait des remarques désobligeantes à Madame [T] à propose de son âge (‘)

Madame [T] nous a, aussi, indiqué que vous lui auriez intimé de requérir votre autorisation avant de pouvoir boire ou aller aux toilettes.

Injonctions paradoxales et humiliantes

À titre d’exemple, vous auriez ordonné à Madame [B] de coller des tickets de vente dans un cahier ‘au millimètre près’ ; ce qui est de nature à caractériser une instruction visant à ‘infantiliser’ voire humilier Madame [B] dans l’exercice de ses fonctions.

Pratiques d’isolement et de différence de traitement injustifiées

À titre d’exemple, vous auriez, à plusieurs reprises, changé les jours de travail ainsi que les horaires de Madame [T] et ce sans raison justifiée. Vous lui auriez, également, refusé le droit de prendre une pause après 6 heures de travail continu, et ce en violation des dispositions légales en vigueur.

Pratiques punitives et disproportionnées

À titre d’exemple, vous auriez insisté auprès de la Direction des Ressources Humaines de l’entreprise pour infliger un avertissement à Madame [T] parce qu’elle serait arrivée en retard à 2 reprises, le 1er et le 26 décembre 2016 et qu’elle aurait, le 7 décembre 2016, quitté son poste de travail après avoir constaté une erreur dans la caisse sans en chercher la cause. Madame [T] vous a pourtant expliqué que son premier retard était dû au fait que son rendez-vous médical s’était prolongé en raison d’examens complémentaires à effectuer, ce dont elle vous aurait tenue informée. Madame [T] vous a remis ultérieurement un justificatif médical indiquant le motif de ce retard et l’heure à laquelle elle avait dû quitter l’hôpital.

En ce qui concerne son deuxième retard, il est apparu que les relevés de pointage démontrent que Madame [T] est arrivée à l’heure le jour en question.

Enfin, en ce qui concerne ‘ses’ erreurs de caisse du 17 décembre 2016, il est apparu que les erreurs de caisse n’étaient pas de son fait mais, en réalité, du vôtre.

Étant précisé que Madame [T] a été contrainte de quitter son poste de travail sans pouvoir vérifier l’origine et l’imputabilité de ces erreurs car la politique du magasin oblige les salariés à quitter leur stand à 20h30.

Malgré les protestations de Madame [T] et la démonstration par elle que les griefs n’étaient ni fondés ni justifiés, vous avez décidé de maintenir cet avertissement.

Informée de cette situation la Directrice générale a décidé d’annuler cet avertissement totalement injustifié.

Vos agissements répétés ont eu des conséquences sur l’état de santé des Madame [T], qui s’est plaint d’un stress important, de difficultés pour dormir et d’un état de dépression.

Vos fonctions et responsabilités de Manager impliquent pourtant une exemplarité en matière de respect des droits et de la dignité des personnes et nous estimons que votre attitude constitue une violation de vos obligations de loyauté à notre égard et de respect à l’égard des salariés placés sous votre autorité.

Vous avez méconnu les dispositions du Règlement Intérieur de l’Entreprise, celles du Code Éthique et vos obligations contractuelles les plus essentielles (…)’.

La salariée conteste la matérialité des griefs et dénie toute valeur probante au rapport du comité d’éthique, dont elle conteste la composition. Elle fait état du caractère difficile de l’une des salariées placées sous son autorité.

L’employeur rappelle que le médecin référent fait partie du comité éthique et affirme justifier de la réalité des fautes reprochées à la salariée.

Conformément au principe de la liberté de la preuve en matière prud’homale, le rapport de l’enquête interne, à laquelle recourt l’employeur, informé de possibles faits de harcèlement sexuel ou moral dénoncés par des salariés et tenu envers eux d’une obligation de sécurité lui imposant de prendre toutes dispositions nécessaires en vue d’y mettre fin et de sanctionner leur auteur, peut être produit par l’employeur pour justifier la faute imputée au salarié licencié. Il appartient au juge, dès lors qu’il n’a pas été mené par l’employeur d’investigations illicites, d’en apprécier la valeur probante, au regard le cas échéant des autres éléments de preuve produits par les parties.

Au cas d’espèce, l’employeur verse aux débats :

– un certificat médical attestant que Mme [T], placée sous l’autorité de la salariée, s’est rendue à une consultation médicale le 1er décembre 2016,

– deux mails de Mme [T], le premier indiquant qu’elle arriverait en retard à son travail, le médecin l’ayant reçue avec retard, et le second, daté du 8 décembre 2016, informant le manager de son retard et lui exposant que la salariée a refusé de prendre l’attestation du médecin et les raisons pour lesquelles elle a laissé un post-it sur un planning non signé,

– un document intitulé ‘compte-rendu des investigations du comité éthique’, document confidentiel, ni daté ni signé, et sur lequel la composition du comité n’est pas précisée.

Ce document se borne à reprendre les déclarations de Mme [T] et d’une autre vendeuse, Mme [B]. Il précise que le comité a reçu ces deux salariées, leur N+2 et la salariée en présence du médecin référent et conclut ainsi : ‘le comité éthique ainsi que le docteur [S] émettent un avis unanime de reconnaissance de faits de harcèlement moral sur au moins 2 employés (Mme [T] [O] et Mme [B] [P]) de la part de Mme [C] [X] (…)

L’employeur a l’obligation de faire cesser ce trouble au plus vite et de protéger les victimes de harcèlement.’

Il détaille ensuite les pratiques reprochées à la salariée, lesquelles sont reprises mot pour mot dans la lettre de licenciement, et précise : ‘A noter : l’attitude du manager en cours d’entretien a été déterminante. Il est noté :

– Une absence de remise en question par le manager

– Le refus de reconnaître une erreur même si la preuve intangible lui en est rapportée

– Une incompréhension de la demande d’explications.’

La salariée relève à juste titre que la troisième salariée présente sur le corner n’a pas été entendue par le comité. Elle verse aux débats des mails et attestations qui établissent, d’une part, ses compétences professionnelles et managériales, et notamment l’attestation d’une vendeuse présente sur un stand à proximité immédiate et, d’autre part, les difficultés rencontrées tout au long de la relation professionnelle avec Mme [T], tant par sa hiérarchie que par des clients. Elle justifie également qu’elle n’avait pas le pouvoir de la sanctionner.

La cour relève que l’employeur affirme sans en justifier avoir annulé l’avertissement notifié à Mme [T] et qu’il ne produit aucun élément matériel relatif aux autres griefs reprochés à la salariée, ni même l’alerte émise par Mme [T] peu après l’avertissement qui lui a été notifié.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, la cour retient que l’employeur n’établit pas la réalité des fautes reprochées à la salariée et dit son licenciement sans cause réelle et sérieuse, par infirmation du jugement.

Sur les conséquences financières de la rupture

La rémunération brute moyenne mensuelle de la salariée s’élève à 3 584 euros, selon le calcul sur trois mois.

Compte tenu de ses demandes, la cour condamne l’employeur à lui payer :

– 1 173 euros de rappel de salaire pendant la mise à pied injustifiée, outre 117,30 euros au titre des congés payés afférents,

– 8 646,90 euros d’indemnité compensatrice de préavis et 864,69 euros au titre des congés payés afférents,

– 14 889,64 euros d’indemnité de licenciement.

En application des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, la salariée peut prétendre au paiement d’une indemnité ne pouvant être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu de son ancienneté (plus de 17 ans), de son âge lors de la rupture (50 ans) et du fait qu’elle a retrouvé rapidement un emploi moins bien rémunéré, la cour lui alloue 40 000 euros de dommages-intérêts.

Sur la demande de dommages-intérêts en raison des circonstances entourant le licenciement

Le salarié justifiant, en raison du caractère brutal ou vexatoire de son licenciement, d’un préjudice distinct de la perte de l’emploi, peut prétendre à des dommages-intérêts.

Compte tenu des circonstances entourant le licenciement de l’intéressée, et notamment des modalités de l’enquête menée par le comité éthique, et du préjudice moral en résultant, la cour lui alloue 1 000 euros de dommages-intérêts.

Sur les autres demandes

Il convient de rappeler que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception, par l’employeur, de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes, et les créances indemnitaires à compter de la présente décision.

L’équité commande d’allouer à la salariée la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’employeur, qui succombe, supportera les dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

– Confirme le jugement en ce qu’il a débouté Mme [X] [V] de sa demande de nullité du licenciement ;

– L’infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

– Dit le licenciement de Mme [X] [V] sans cause réelle et sérieuse ;

– Condamne la société Louis Pion à payer à Mme [X] [V] les sommes de :

– 1 173 euros de rappel de salaire pendant la mise à pied ;

– 117,30 euros au titre des congés payés afférents,

– 8 646,90 euros d’indemnité compensatrice de préavis ;

– 864,69 euros au titre des congés payés afférents ;

– 14 889,64 euros d’indemnité de licenciement ;

– 40 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– 1 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait des circonstances entourant le licenciement ;

– Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception, par la société Louis Pion, de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter de l’arrêt ;

– Condamne la société Louis Pion à verser à Mme [X] [V] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamne la société Louis Pion aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

 


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