Bijouterie : 24 janvier 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/01137

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Bijouterie : 24 janvier 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/01137

24 janvier 2023
Cour d’appel de Paris
RG
20/01137

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 11

ARRET DU 24 JANVIER 2023

(n° , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/01137 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBNL3

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Décembre 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 18/0372

APPELANT

Monsieur [S] [X]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Alexia SEBAG, avocat au barreau de PARIS, toque : B0774

INTIMEE

SAS CARTIER

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Pascal GASTEBOIS, avocat au barreau de PARIS, toque : R188

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,

Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,

Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, et par Madame Victoria RENARD, Greffière présente lors de la mise à disposition.

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat à durée indéterminée en date du 21 novembre 2011, M. [S] [X], né le 12 mai 1979, a été embauché par la SAS Cartier Parfums-Lunettes en qualité de gestionnaire Supply Chain Europe, statut cadre, niveau 4, échelon 2 en application de la convention collective de la bijouterie, de la joaillerie et de l’orfèvrerie.

Bénéficiant du dispositif de mobilité interne applicable au sein du groupe Richemont, M. [X] a intégré la SAS Cartier, par contrat à durée indéterminée le 2 octobre 2015 en qualité de Responsable des opérations commerciales, statut cadre niveau 5 échelon 2, à compter du 1er janvier 2016 avec reprise de son ancienneté au 21 novembre 2011.

Par courrier remis en main propre le 29 mars 2017, la société Cartier a convoqué M. [X] à un entretien préalable à son licenciement fixé le 19 avril 2017 avant de lui notifier le 4 mai 2017 son licenciement pour insuffisance professionnelle avec dispense d’exécution du préavis de trois mois.

A la date du licenciement, M. [X] avait une ancienneté de 5 ans et 5 mois et la société occupait à titre habituel plus de 10 salariés.

Contestant son licenciement et réclamant divers dommages-intérêts, outre une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [X] a saisi le 27 avril 2018 le conseil de prud’hommes de Créteil, qui par jugement du 19 décembre 2019, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :

– Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse’;

– Condamne la société Cartier à verser à M. [X] les sommes suivantes’:

* 20.000 euros à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement’;

* 700 euros au titre de l’article 700 du CPC

– Déboute M. [X] du surplus de ses demandes’;

– Déboute la société Cartier de sa demande reconventionnelle’;

– Condamne la société Cartier aux dépens.

Par déclaration du 10 février 2020, M. [X] a interjeté appel du jugement rendu par le conseil de prud’hommes, notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception le 16 janvier 2020.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 20 octobre 2022, M. [X] demande à la cour de’:

– Dire que l’appel de M. [X] est recevable et bien fondé ;

– Reformer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Paris le 19 décembre 2019 en ce qu’il a :

Condamné la SAS Cartier à verser à M. [X] la somme de 20.000 euros à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Débouté M. [X] de sa demande d’indemnité pour violation de l’obligation d’adaptation;

Débouté M. [X] de sa demande d’indemnité pour abus de droit ;

Débouté M. [X] de sa demande d’indemnité pour rupture brutale et vexatoire ;

Et, Statuant de nouveau,

– Constater que la société Cartier n’a pas respecté son obligation d’adaptation et de formation à l’égard de M. [X] ce qui a causé un préjudice à ce dernier et doit donner lieu à réparation et indemnisation par la société Cartier’;

– Constater que la société Cartier a sciemment omis d’instaurer une période probatoire au contrat de travail de M. [X] ce qui a causé un préjudice à ce dernier et doit donner lieu à réparation et indemnisation par la société Cartier’;

– Constater que la société Cartier a commis un abus de droit en maintenant sciemment M. [X] à un poste qu’il n’était pas, selon la société Cartier, capable de tenir, ce qui a causé un préjudice à ce dernier et doit donner lieu à réparation et indemnisation par la Cartier’;

En conséquence :

– Condamner la société Cartier à verser à M. [X] la somme de 59.182,40 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et correspondant à 16 mois de salaires’;

– Condamner la société Cartier à verser à M. [X] la somme de 20.000 euros au titre des dommages-intérêts pour violation de son obligation d’adaptation’;

– Condamner la société Cartier à verser à M. [X] la somme de 20.000 euros pour abus de droit’;

– Condamner la société Cartier à verser à M. [X] la somme de 10.000 euros au titre de dommages-intérêts pour rupture brutale et vexatoire’;

– Condamner la société Cartier à verser à M. [X] la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 11 octobre 2022, la société Cartier demande à la cour de :

Sur le bien-fondé du licenciement,

A titre principal,

– Juger que le licenciement de M. [X] repose sur une cause réelle et sérieuse’;

En conséquence,

– Infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 19 décembre 2019′;

Statuant à nouveau,

– Débouter M. [X] de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse’;

A titre subsidiaire et si, par extraordinaire, la cour d’appel de Paris ne retenait pas la cause réelle et sérieuse’;

– Juger que M. [X] ne rapporte pas la preuve d’un préjudice permettant de lui allouer une indemnité supérieure aux 6 mois de salaire prévus à l’article L. 1235-3 du code du travail’;

En conséquence,

– Limiter à 6 mois de salaire l’indemnité qui serait allouée à M. [X], soit la somme de 22.193,40 euros’;

Sur le respect de l’obligation d’adapter le salarie à l’évolution de son emploi,

A titre principal

Juger que SC n’a commis aucune violation de son obligation d’adapter le salarié à l’évolution de son emploi,

En conséquence,

Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 19 décembre 2019 en ce qu’il a débouté M. [X] de sa demande de dommages et intérêts pour violation de l’obligation d’adaptation’;

A titre subsidiaire et si, par extraordinaire, la cour d’appel de Paris retenait une violation de l’obligation d’adapter le salarié à l’évolution de son emploi’;

Juger que M. [X] ne rapporte pas la preuve du préjudice qu’il allègue’;

En conséquence,

Limiter le montant de la condamnation à une somme symbolique, soit l’Euro symbolique’;

Sur l’absence d’abus de droit,

A titre principal,

– Juger que la société Cartier n’a commis aucun abus de droit,

En conséquence,

– Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 19 décembre 2019 en ce qu’il a débouté M. [X] de sa demande de dommages et intérêts pour abus de droit’;

– Débouter M. [X] de sa demande de dommages et intérêts pour abus de droit’;

A titre subsidiaire et si, par extraordinaire, la cour d’appel de Paris retenait un abus de droit,

– Juger que M. [X] ne rapporte pas la preuve du préjudice qu’il allègue’;

En conséquence,

– Limiter le montant de la condamnation à une somme symbolique, soit l’euro symbolique’;

Sur l’absence de caractère brutal et vexatoire du licenciement,

A titre principal

– Juger que les circonstances du licenciement de M. [X] ne sont ni brutales ni vexatoires’;

En conséquence,

– Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 19 décembre 2019 en ce qu’il a débouté M. [X] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire’;

A titre subsidiaire et si, par extraordinaire, la cour de céans jugeait le licenciement brutal et vexatoire,

– Juger que M. [X] ne rapporte pas la preuve du préjudice qu’il allègue’;

En conséquence,

Limiter le montant de la condamnation à une somme symbolique, soit l’euro symbolique’;

En tout état de cause

– Débouter M. [X] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;

– Condamner M. [X] à verser à la société Cartier la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile’;

– Condamner M. [X] aux dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 26 octobre 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 22 novembre 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement

Pour infirmation de la décision entreprise, la société Cartier soutient essentiellement que le licenciement de M. [X] est justifié, qu’elle a respecté son obligation d’adaptation et n’a commis aucun abus de droit à l’encontre de son salarié.

Pour confirmation sur le principe et réformation du quantum de l’indemnité allouée, M. [X] réplique que l’insuffisance professionnelle n’est pas caractérisée ; que l’indemnité allouée est inférieure au montant prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable ; que cette indemnité devra en tout état de cause être supérieure à 6 mois de salaire eu égard au préjudice subi.

Selon l’article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles’; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi l’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

L’insuffisance professionnelle peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement lorsqu’elle repose sur des éléments précis, objectifs et imputables au salarié. Le juge apprécie le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur en formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.

En l’espèce, la lettre de licenciement qui circonscrit les limites du litige est ainsi rédigée :

‘… Les faits qui vous sont reprochés sont les suivants :

– Une répétition d’erreurs dans le traitement d’informations chiffrées.

En premier lieu, le rôle du Responsable des opérations commerciales est essentiel pour permettre à la Maison un juste pilotage de son activité en France, dans un environnement complexe et marqué par une clientèle volatile. Or nous constatons un réel manque de suivi de votre part du chiffre d’affaires et de profondes difficultés à comprendre et analyser les données chiffrées. Ce manque d’investissement se traduit notamment par de nettes difficultés à effectuer les estimations hebdomadaires de chiffre d’affaires relevant de votre responsabilité. Le rapport mensuel, diffusé à la manufacture et reprenant les faits marquants du mois, ne comprend aucune analyse ni alerte. Votre réticence à communiquer avec les équipes retail ne vous permet pas de proposer des prévisions des ventes fiables et argumentées.

Votre Manager vous a pourtant alerté à de nombreuses reprises sur les problématiques de remontées erronées d’informations et le nécessaire travail en équipe (ex : mail de plainte de votre collaboratrice [M] [D] du 31 janvier 2017). Votre Manager vous a, à ces occasions, précisé les attentes et les solutions à mettre en oeuvre afin de remplir correctement cette tâche. A titre d’exemple, en décembre 2016 la Marque vous demandait d’organiser un retour au plus vite concernant les wholesalers. Un mois plus tard, vous n’aviez toujours pas traité le sujet et avez finalement répondu sans impliquer l’équipe. Les informations étaient incomplètes et non argumentées et vous avez mis en porte à faux votre équipe France qui s’est plainte de votre attitude.

– Une absence de gestion efficiente du stock et d’implication dans les sujets à fort enjeu.

Nous notons également qu’au cours de l’année écoulée, vous n’avez pas traité sérieusement le sujet des forecasts (prévisions d’achat et de vente) comme établi dans votre fiche de poste et rappelé dans votre entretien annuel de performance. Nous constatons que vous êtes régulièrement dans l’incapacité d’indiquer s’il faut ou non retourner les produits à la manufacture au regard des stocks, ou encore commander des réassorts afin d’éviter les ruptures produits. Par exemple, au mois de décembre 2016 puis au mois d’avril 2017, vous avez établi des prévisions sans concerter l’équipe commerciale, avec pour conséquence des ruptures de stocks à hauteur de plus de 150 pièces sur les références du Top 10 en France. Vous mettez ainsi à risque tout le travail de l’équipe France.

En tant que responsable des opérations commerciales, vous devez identifier les situations à risques et mettre en oeuvre des mesures correctives. Dans une optique d’amélioration continue, nous attendons de vous des retours d’expérience et la mise en oeuvre de process et supports adaptés. Cependant, force est de constater que vous n’êtes pas force de proposition auprès de votre Manager. Malheureusement, nous constatons un manque d’anticipation récurent, qui conduit l’équipe à traiter les sujets à votre place, et dans l’urgence. Nous avons reçu plusieurs plaintes de l’équipe France portant sur les conséquences de votre désengagement. Nous avons également reçu des plaintes de boutiques internes et de clients externes.

Nous notons également que vous n’avez pas participé, malgré les sollicitations de votre Manager, à la préparation et au soutien du plan stratégique bien que cette collaboration relève de vos responsabilités. Malgré encore une fois les jalons posés par votre Manager pour vous aider à construire votre partie du plan stratégique (approvisionnement et SAV) vous ne lancez aucune actions et votre équipe a été contrainte de se substituer à vous, là encore dans l’urgence, et soutenir le plan stratégique auprès du Headquarter à votre place.

Nous regrettons ainsi que vous ne vous positionnez pas comme un interlocuteur fiable et présent vis-à-vis du Headquarter. Face à votre manque de réactivité et vos réponses insatisfaisantes, les équipes du Headquarter ne s’adressent plus à vous et se dirigent directement vers vos équipes pour obtenir des réponses.

– Des carences managériales persistantes.

Enfin, depuis votre prise de poste, vous n’assurez pas l’encadrement de votre équipe. Vos collaborateurs déplorent un manque de transparence de votre part, l’absence de fixation d’objectifs, une communication minimale sur les sujets en cours, ou un défaut de partage des fichiers, et ce malgré l’accompagnement dont vous avez bénéficié en tant que manager. L’équipe a de surcroît demandé à ce que leur travail de l’année soit évalué par votre Manager, Directeur France Jaeger-LeCoultre et non par vous du fait de votre manque de suivi de leur travail.

Ce constat est d’autant plus regrettable que dès mai 2016, votre Responsable RH de l’époque, [G] [Z], vous avait reçu afin de vous alerter et vous accompagner dans votre mode de management. Vous avez alors suivi des formations managériales proposées par le Groupe Richemont et votre manager vous a également épaulé à de multiples reprises, sans réaction de votre part. Votre Manager a organisé plusieurs entretiens avec vous afin de vous informer de ces dérives et vous proposer des plans d’actions, que vous n’avez jamais suivis alors même que vous avez reconnu ces difficultés. A chaque rendez-vous, vous réitériez pourtant votre volonté de vous reprendre.

L’ensemble des faits mentionnés ci avant constitue autant de manquements préjudiciables à la Maison dont la récurrence ne permet pas de continuer notre relation de travail dans de bonnes conditions, et nous conduit à vous notifier votre licenciement pour insuffisance professionnelle.’

Il est donc reproché à M. [X] une insuffisance professionnelle caractérisée par une répétition d’erreurs dans le traitement d’informations chiffrées, une absence de gestion efficiente du stock et d’implication dans les sujets à fort enjeu, des carences managériales persistantes.

Il résulte des éléments versés aux débats que M. [X], qui a pris ses nouvelles fonctions le 1er janvier 2016, a bénéficié d’un entretien individuel de performance le 7 mars 2016, sans fixation d’objectif mais avec la définition d’un périmètre de sa fonction, à savoir :

– coordonner les activités de « supply chain » avec la Manufacture Jaeger-LeCoultre,

– établir des prévisions trimestrielles et annuelles et être le relai de l’information auprès de son équipe,

– suivre l’activité et le chiffre d’affaires et piloter le chiffre d’affaires mensuel en réalisant des estimations hebdomadaires et en suivant mensuellement les allocations, les avoirs et ‘les confiés’,

– établir des prévisions de ventes et des analyses, piloter des gammes de produits et des cycles de vie de produits et coordonner l’affectation des produits sur les points de vente au regard des nouveautés, des assortiments stratégiques et de la stratégie marketing établie par la marque,

– participer à la préparation du plan stratégique annuel,

– être le relai des boutiques retail sur les demandes spécifiques concernant la mise à disposition des pièces,

– manager une équipe composée d’un coordinateur commercial & Merchandising et d’un assistant ADV avec la mise en place d’un plan de développement pour son équipe et la réorganisation des tâches au sein de l’équipe en lien avec l’activité commerciale.

Il était noté comme point à améliorer ‘le management’.

La société Cartier n’établit nullement, contrairement à ce qu’elle soutient dans la lettre de licenciement, que M. [X] avait été alerté dès le mois de mai 2016 de l’existence d’insuffisance notamment managériale. Les reproches sont parvenus à M. [X] fin d’année 2016 début d’année 2017, notamment par mails du 31 janvier 2017, soit après plus d’année d’exercice dans ses nouvelles fonctions. Les courriels versés aux débats sont en partie tronqués et ne permettent pas à la cour de vérifier la défaillance alléguée de M. [X] dans ses missions, étant relevé que la société Cartier ne peut exiger de son salarié la preuve de l’accomplissement de ses missions.

En outre, s’agissant de l’absence de gestion efficiente du stock, la cour relève à l’instar des premiers juges que la société Cartier se fonde uniquement sur la rédaction du courriel de M. [T] ‘Brand Manager France’ (directeur général France) à Mme [C], responsable des ressources humaines, en date du 22 mars 2017 et résumant les griefs repris dans la lettre de licenciement ainsi que sur des courriels du 31 mars au 14 avril 2017 alors que M. [X] était déjà convoqué à l’entretien préalable au licenciement. De surcroît, ces derniers

courriels n’établissent aucun manquement imputable à une insuffisance professionnelle du salarié.

De son côté, M. [X] verse aux débats des pièces sur l’organisation de réunions avec son équipe, sur la création d’un fichier de compensation pour la gestion des retours de produits en manufacture dans le cadre de l’opération Brand Recall, sur le suivi en quantité et en valeur du Brand Recall, sur la procédure à suivre et le suivi comptable.

Le manque d’implication dans les sujets à fort enjeu résulte encore du seul courriel rédigé par M. [T] du 22 mars 2017 déjà visé, sans aucun élément objectif corroborant les allégations de ce dernier.

Enfin, la société Cartier se fonde, outre sur le courriel de M. [T], mais aussi sur un courriel de M. [L] [F] au soutien de la carence managériale de M. [X] tout en affirmant, organigramme de la société à l’appui, que ce dernier avait dans son équipe deux personnes, Mme [D] et Mme [B], mais nullement M. [L] en charge du service ‘Force de vente JLC- Sales Representation’. M. [X] justifie avoir procédé à l’évaluation des deux membres de son équipe contrairement à ce que soutient la société Cartier, Mme [B] ayant même validé ladite évaluation le 30 mars 2017.

Il s’ensuit que c’est à juste titre que les premiers juges ont considéré que l’insuffisance professionnelle de M. [X] n’était pas établie et que dès lors son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En application de l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa version antérieure à l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l’une ou l’autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l’employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l’indemnité de licenciement prévue à l’article L. 1234-9.

En l’espèce, au jour du licenciement, M. [X], âgé de 39 ans, bénéficiait d’une ancienneté de plus de 5 années. Il percevait un salaire mensuel de 3.846,15 euros outre une prime de fin d’année de 2.500 euros. Il justifie avoir bénéficié des indemnités de chômage et avoir retrouvé un emploi au sein de la société Nutrimaine le 28 juin 2019 à contrat à durée indéterminée en qualité de responsable Supply Chain et ADV, après de multiples recherches. Dès lors, eu égard à l’ensemble de ces éléments, il convient, par infirmation de la décision entreprise, de lui allouer une indemnité de 35.000 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les indemnités chômage

En application de l’article L.1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles L.1235-3 et L.1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

En l’espèce, par ajout à la décision déférée, il convient d’ordonner le remboursement par la société Cartier des indemnités de chômage versées à M. [X] dans la limite de 6 mois.

Sur l’obligation d’adaptation

Pour infirmation de la décision entreprise, M. [X] soutient que les formations dont il a bénéficié ne concernaient pas le management’et qu’elles ont débuté 4 mois après sa prise de poste’; que les heures de formation étaient éparpillées ; qu’il n’a pas été’formé au process de l’entreprise.

L’employeur rétorque que M. [X] n’avait pas besoin de période d’adaptation car il s’agissait d’une évolution de poste qui s’inscrit dans la continuité de ses précédentes fonctions ; qu’il a bénéficié de plusieurs formations en management.

Au constat que M. [X] a bénéficié de plusieurs jours de formation en management ; que le salarié a retrouvé du travail en qualité de responsable Supply Chain et ADV avec un salaire de référence au mois de décembre 2020 de 4.615,35 euros, la cour retient qu’il n’est pas établi que la société Cartier a manqué à son obligation de formation et d’adaptation et en tout état de cause, que M. [X] a subi un préjudice.

En conséquence, la décision entreprise qui a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts à ce titre sera confirmée de ce chef.

Sur l’exécution de bonne foi du contrat de travail et l’abus de droit

M. [X], pour infirmation de la décision sur ce point, fait valoir que son employeur a commis délibérément un abus de droit en le laissant occuper un poste inadapté à ses responsabilités.

La société Cartier rétorque que M. [X], qui supporte la charge de la preuve, ne verse aucune pièce ni argument pertinent au soutien de cette demande et ne justifie pas l’existence d’un préjudice.

En application de l’article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail est présumé exécuté de bonne foi, de sorte que la charge de la preuve de l’exécution de mauvaise foi dudit contrat incombe à celui qui l’invoque.

En l’espèce, la société Cartier n’établit pas l’existence d’un quelconque reproche ou grief à l’encontre de M. [X] pendant près d’une année, tous les éléments allégués comme constituant une insuffisance professionnelle étant concomitants à la procédure de licenciement. En outre, elle ne justifie pas d’une mesure d’accompagnement de son salarié, contrairement à ce qu’elle soutient, eu égard aux insuffisances alléguées, ni de la recherche d’une solution en concertation avec lui alors qu’elle avait estimé qu’il devait bénéficier d’une promotion en qualité de responsable des opérations commerciales. Ces éléments caractérisent une exécution de mauvaise foi du contrat de travail qui a causé un préjudice à M. [X] que la cour évalue à la somme de 3.000 euros que la société Cartier devra verser à son salarié, par infirmation de la décision déférée.

Sur le caractère brutal et vexatoire de la rupture

M. [X] soutient en substance qu’il a été marqué et atteint par les conditions de son licenciement dont il n’a pas compris les raisons puisqu’il n’avait jamais été alerté sur lesdites insuffisances et carences avant son licenciement.

La société Cartier fait valoir’que M. [X] ne rapporte la preuve d’aucune faute qui serait de nature à caractériser des conditions brutales et vexatoires.

Au constat que M. [X] a été dispensé d’exécution de la période de préavis ; que l’ensemble des documents de fin contrat lui a été adressé par voie postale ; que ses effets personnels lui ont été envoyés à son domicile par deux colis reçus en février 2018, le conseil de M. [X] ayant dû relancer l’employeur à cet égard ; qu’en arrêt maladie du 18 avril au 14 mai 2017, il n’a pas pu saluer ses collègues ; que son licenciement a été prononcé sans alerte préalable sur les insuffisances alléguées alors qu’il avait donné totale satisfaction dans le poste précédemment occupé ; que le salarié verse aux débats un certificat médical attestant de l’existence d’un syndrôme anxio-dépressif et d’un traitement médicamenteux, la cour retient que le caractère brutal et vexatoire de la rupture est établi et que la société Cartier devra, par infirmation de la décision entreprise, réparer le préjudice causé à son salarié par le versement d’une somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur les frais irrépétibles

La société Cartier sera condamnée aux entiers dépens et devra verser à M. [X] la somme de 3.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe,

INFIRME partiellement le jugement déféré,

Statuant à nouveau et y ajoutant

CONDAMNE la SAS Cartier à verser à M. [S] [X] les sommes suivantes :

– 35.000 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 3.000 euros de dommages-intérêts en réparation de l’exécution de mauvaise foi du contrat de travail,

– 3.000 euros de dommages-intérêts en réparation du caractère vexatoire et brutal du licenciement,

RAPPELLE que les sommes à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter de la décision qui les alloue ;

CONDAMNE la SAS Cartier à rembourser à Pôle Emploi les indemnités chômage versées à M. [S] [X] dans la limite de 6 mois ;

CONFIRME le jugement pour le surplus ;

CONDAMNE la SAS Cartier aux entiers dépens ;

CONDAMNE la SAS Cartier à verser à M. [S] [X] la somme de 3.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile

La greffière, La présidente.

 


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