Bijouterie : 21 septembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/08453

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Bijouterie : 21 septembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/08453

21 septembre 2022
Cour d’appel de Paris
RG
20/08453

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 3

ARRET DU 21 SEPTEMBRE 2022

(n° 210 , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/08453 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CB6Y5

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Mai 2020 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Paris – RG n° 17/00703

APPELANTE

S.A.R.L. CRISTAL FASHION

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux

immatriculée au RCS de THONON LES BAINS sous le numéro 483 315 578

ayant son siège social : [Adresse 1]

représentée par Me Mickaël RUBINSOHN, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

Société EDISSIMMO, société civile de placement immobilier à capital variable prise en la personne de ses représentants légaux

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 337 596 530

ayant son siège social : [Adresse 2]

représentée par Me Sandra OHANA de l’AARPI OHANA ZERHAT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Monsieur Gilles BALAY, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Gilles BALAY, Président de chambre

Madame Sandrine GIL, Conseillère

Madame Sophie MACE, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffière, lors des débats : Madame Claudia CHRISTOPHE

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Gilles BALAY, Président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

*****

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte sous seing privé du 29 juillet 2013, la société Edissimmo a donné à bail à la société Cristal Fashion un local à usage commercial dépendant de la [Adresse 4], portant le n° CF3, pour y exploiter une activité de : ‘bijouterie, vente d’accessoires de mode, accessoires de maison, articles de décoration et horlogerie’, sous l’enseigne ‘Swarovski’.

Par acte sous seing privé du 22 juillet 2015, la société Edissimmo a également donné à bail à la société Cristal Fashion un local à usage commercial dépendant de la même zone, portant le n° D3, pour y exploiter une activité de ‘bijouterie, vente d’accessoires de mode, accessoires de maison, articles de décoration, horlogerie et stylos’ sous l’enseigne ‘Stella Showroom’.

Par acte d’huissier du 9 janvier 2017, la société Cristal Fashion a assigné la société Edissimmo aux fins de constater notamment que le contrat de bail commercial du 22 juillet 2015 a été conclu sous conditions suspensives tacites qui n’ont jamais été respectées par le bailleur, de dire que le loyer n’est pas déterminé faute de réalisation des conditions suspensives tacites et d’ordonner, avant dire droit, une expertise judiciaire en vue de déterminer la valeur locative réelle et ajuster le loyer en fonction du résultat de l’expertise.

Par ordonnance du 4 juillet 2019, le juge de la mise en état a rejeté les demandes de communication de pièces et de dommages et intérêts de la société Cristal Fashion ainsi que la demande de provision de la société Edissimmo.

Par jugement en date du 26 mai 2020, le tribunal judiciaire de Paris a:

– Rejeté les demandes de la société Cristal Fashion visant à la fixation rétroactive du loyer et au remboursement du trop-perçu de loyers des deux baux;

– Rejeté la demande d’expertise judiciaire de la société Cristal Fashion;

– Rejeté la demande visant à constater l’acquisition de la clause résolutoire insérée au bail commercial du 29 juillet 2013 portant sur le local n° CF3

– Rejeté les demandes de résiliation judiciaire des deux baux commerciaux;

– Rejeté les demandes d’expulsion et de condamnation au paiement d’une indemnité d’occupation;

– Condamné la société Cristal Fashion à payer à la société Edissimmo la somme de 81.097,34€ correspondant à l’arriéré locatif au 30 octobre 2019 du local n° D3, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision;

– Condamné la société Cristal Fashion à payer à la société Edissimmo la somme de 71.287,13€ TTC, correspondant à l’arriéré locatif au 30 octobre 2019 du local n° CF3, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision;

– Rejeté le surplus des demandes;

– Ordonné l’exécution provisoire de la décision;

– Rejeté les demandes sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile;

– Condamné la société Cristal Fashion aux dépens, en application de l’article 696 du Code de procédure civile.

Par déclaration du 2 juillet 2020 , la société Cristal Fashion a interjeté appel de ce jugement.

Par ses conclusions déposées le 4 janvier 2021, la société Edissimmo a interjeté appel incident de ce même jugement.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le18 mai 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Vu les conclusions déposées le 16 mai 2022, par lesquelles la société Cristal Fashion, appelante, demande à la Cour de :

– Infirmer le jugement du Tribunal judiciaire de Paris du 26 mai 2020 en ce qu’il a :

– Rejeté les demandes de la société Cristal Fashion visant à la fixation rétroactive du loyer et au remboursement du trop-perçu de loyers des deux baux,

– Rejeté la demande d’expertise judiciaire de la société Cristal Fashion,

– Condamné la société Cristal Fashion à payer à la société Edissimmo la somme de 81.097,34€ correspondant à l’arriéré locatif au 30 octobre 2019 du local n° D3, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision,

– Condamné la société Cristal Fashion à payer à la société Edissimmo la somme de 71.287,13€ TTC, correspondant à l’arriéré locatif au 30 octobre 2019 du local n° CF3, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision;

– Rejeté le surplus des demandes,

– Condamné la société Cristal Fashion aux dépens, en application de l’article 696 du Code de procédure civile.

Statuant à nouveau

– Constater que la société Edissimmo a manqué à ses obligations contractuelles prévues dans les baux commerciaux conclus avec le représentant légal de la société Cristal Fashion les 29 juillet 2013 et 21 juillet 2015;

– Constater que les projets énoncés dans ce même contrat n’ont jamais été réalisés;

– Constater que le contrat de bail commercial a été conclu sous conditions suspensives tacites qui n’ont jamais été respectées par la société Edissimmo;

– Constater les manoeuvres dolosives de la société Edissimmo;

– Dire et juger que le terme de la réalisation de ces conditions suspensives est échu sans qu’elles soient réalisées;

– Dire et juger que le loyer n’est pas déterminé faute de réalisation des conditions suspensives tacites;

– Fixer rétroactivement le loyer à mai 2014 à hauteur de 1.500€ par mois, HT et HC, soit 4.500€ par trimestre HT et HC;

– Condamner la société Edissimmo au paiement du trop-perçu des loyers soit 30.000€ HT pour Stella Showroom et 55.500€ HT pour [X], soit 85.000€ HT au total, à actualiser au jour de la décision;

– Condamner la société Edissimmo à verser à la société Cristal Fashion la somme de 50.000€ à titre de dommages et intérêts;

– Condamner la société Edissimmo à verser à la société Cristal Fashion la somme de 6.000€ au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile;

– Condamner la société Edissimmo aux entiers dépens de l’instance;

A titre subsidiaire

– Ordonner, et avant dire droit, une expertise judiciaire en vue de déterminer la valeur locative réelle et ajuster le loyer en fonction du résultat de l’expertise;

– Fixer provisoirement, avant dire droit et dans l’attente des résultats de l’expertise, le loyer à hauteur de 1.500€ par mois, HT et HC, soit 4.500€ par trimestre HT et HC.

Vu les conclusions déposées le 7 avril 2022, par lesquelles la société Edissimmo, intimée à titre principal et appelante à titre incident, demande à la Cour de :

– Débouter la société Cristal Fashion de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

– Confirmer le Jugement en ce qu’il a :

– Rejeté les demandes de la société Cristal Fashion visant à la fixation rétroactive du loyer et au remboursement du trop-perçu de loyers des deux baux,

– Rejeté la demande d’expertise judiciaire de la société Cristal Fashion,

– Condamné la société Cristal Fashion à payer à la société Edissimmo la somme de 81 097,34 € TTC correspondant à l’arriéré locatif au 30 octobre 2019 du local n°D3, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision,

– Condamné la société Cristal Fashion à payer à la société Edissimmo la somme de 71 287,13 € TTC correspondant à l’arriéré locatif au 30 octobre 2019 du local n°CF3, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision,

– Condamné la société Cristal Fashion aux dépens, en application de l’article 696 du Code de procédure civile

– Infirmer le Jugement en ce qu’il a :

– Rejeté la demande visant à constater l’acquisition de la clause résolutoire insérée au bail commercial du 29 juillet 2013 portant sur le local n°CF3,

– Rejeté les demandes de résiliation judiciaire des deux baux commerciaux,

– Rejeté les demandes d’expulsion et de condamnation au paiement d’une indemnité d’occupation,

– Rejeté les demandes sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Statuant à nouveau

Le local exploité sous l’enseigne Stella Showroom:

– Actualiser le montant de la condamnation et condamner la société Cristal Fashion au paiement de la somme de 142.546,10 € TTC, correspondant à l’arriéré locatif au 6 avril 2022,avec intérêts aux taux légal à compter de la signification de la présente décision;

Le local exploité sous l’enseigne Swarovski:

– Actualiser le montant de la condamnation et condamner la société Cristal Fashion au paiement de la somme de 170.465,50 € TTC, correspondant à l’arriéré locatif au 6 avril 2022,avec intérêts aux taux légal à compter de la signification de la présente décision;

– Constater le jeu de la clause résolutoire à effet au 20 décembre 2018 et ordonner enconséquence l’expulsion de la société Cristal Fashion ainsi que celle de tous occupants

de son chef, au besoin avec le concours de la force publique et l’aide d’un serrurier, du local àusage commercial portant le n°CF3 qu’elle exploite sous l’enseigne Swarovski dans l’ensemble immobilier dénommé [Adresse 3];

A titre subsidiaire

– Prononcer la résiliation judiciaire du bail consenti à la société Cristal Fashion, pour fautes graves de la société Cristal Fashion et ordonner en conséquence l’expulsion de la société Cristal Fashion ainsi que celle de tous occupants de son chef, au besoin avec le concours de la force publique et l’aide d’un serrurier, du local à usage commercial portant le n° CF3 qu’elle exploite sous l’enseigne Swarovski dans l’ensemble immobilier dénommé [Adresse 3];

– Dire que la société Edissimmo pourra procéder à l’enlèvement et au déménagement des objets mobiliers garnissant le local CF3 exploité sous l’enseigne Swarovski, soit dans l’immeuble, soit chez un garde-meubles, au choix de la demanderesse, aux frais, risques et périls de la société Cristal Fashion;

– Condamner la société Cristal Fashion à payer à la société Edissimmo une indemnité d’occupation mensuelle égale au double du loyer mensuel acquitté à l’expiration du bail et augmenté des charges et taxes en sus jusqu’au jour où les lieux auront été restitués au bailleur, à compter du 20 décembre 2018 et jusqu’à la reprise du local par le bailleur;

En tout état de cause

– Condamner la société Cristal Fashion à verser à la société Edissimmo la somme de 10.000€ au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile dans le cadre de la procédure de première instance;

– Condamner la société Cristal Fashion à verser à la société Edissimmo la somme de 5.000€ au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile dans le cadre de la présente procédure d’appel.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.

MOTIFS DE L’ARRÊT

En application de l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

Il n’y a pas lieu, en application de cette disposition, de statuer sur les demandes de constat ou de « dire et juger ».

Sur la prétention d’une fixation rétroactive du loyer et sur la demande en paiement d’un trop-perçu

Aux termes de l’article 1103 du Code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

En l’espèce, le bail commercial consenti par acte du 29 juillet 2013 portant sur les locaux figurant en annexe sous la désignation CF 3 a été consenti moyennant un loyer variable additionnel et un loyer minimum garanti, sans aucune condition suspensive, avec une clause d’actualisation selon la variation de l’indice BT 01 ; la seule condition suspensive stipulée concerne le bail lui-même conclu sous la réserve d’obtention par le preneur d’une ou plusieurs offres définitives de prêt. Il n’est pas prétendu que cette condition ne se serait pas réalisée, les parties ayant exécuté ce contrat de bail sans réserve depuis son entrée en vigueur ; d’ailleurs plusieurs stipulations particulières portent sur la durée du bail, un abattement temporaire du loyer, une franchise, de sorte qu’aucun événement lié au développement du programme prévisionnel de l’ensemble immobilier n’a été considéré par les parties comme une condition de leur engagement ou de la détermination du loyer.

Les mêmes observations peuvent être faites à propos du bail consenti le 21 juillet 2015, portant sur les locaux figurants en annexe sous la désignation D 3, y ajoutant que la société locataire a signé ce 2e bail en connaissance de cause du développement du programme immobilier depuis 2 ans.

Le loyer convenu s’impose aux parties, il a été déterminé sans condition, de sorte que la société locataire n’est pas fondée en sa demande de fixation rétroactive du loyer à un montant inférieur, se prévalant d’une condition suspensive inexistante.

Sur la demande de dommages intérêts

Aux termes de l’article 1719 du Code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, de faire jouir paisiblement de la chose le preneur pendant la durée du bail.

La société Cristal Fashion demande la condamnation de la société Edissimo à lui payer la somme de 50’000 € à titre de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de garantir une jouissance paisible des lieux. Elle lui reproche en particulier de n’avoir pas rempli son obligation de maintenir un environnement commercial favorable en raison d’un taux de vacance des commerces très élevé qui lui serait directement imputable.

La société Cristal Fashion ne développe pas cet argument, et ne se réfère en particulier à aucune clause particulière des contrats de bail. Si l’exposé préalable se réfère de façon explicite au développement du programme immobilier, selon un calendrier permettant légitimement d’espérer un développement de la commercialité, cette information n’était accompagnée d’aucun engagement du bailleur.

L’article 18. 1 du contrat du 22 juillet 2015 se réfère aux opérations d’animation et publicité, non pas pour en faire une obligation à la charge du bailleur, mais pour exprimer le consentement du preneur à participer financièrement à de telles campagnes.

En l’absence d’obligation particulière stipulée au bail, le bailleur n’a pas d’obligation générale de maintenir un environnement commercial favorable, sauf son obligation très générale de bonne foi dans l’exécution du contrat. Aucun élément ne vient démontrer la mauvaise foi alors qu’à l’inverse le bailleur produit diverses pièces de nature à démontrer que le programme [Adresse 3] donne satisfaction à de nombreux commerçants, même si d’autres se plaignent d’un développement trop lent de la zone, d’un nombre de commerces fermés trop importants, et un retard dans la construction du cinéma, laquelle ne faisait l’objet d’aucun engagement contractuel particulier.

La demande de dommages-intérêts, fondée sur un manquement à l’obligation de garantir une jouissance paisible, n’est ainsi pas fondée.

Sur demande de remboursement d’un trop-perçu sur le fondement du dol

Aux termes de l’article 1130 du Code civil, le dol vicie le consentement lorsqu’il est établi que sans lui, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Le caractère déterminant du dol s’apprécie au regard des personnes et des circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.

Aux termes de l’article 1137 du même code, le dol est défini comme le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des man’uvres ou des mensonges ou par dissimulation intentionnelle d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie.

Il est admis que la victime d’un dol a le choix de ne pas demander l’annulation du contrat mais d’obtenir la réparation du préjudice correspondant à la perte de chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses.

En l’espèce, la société Cristal Fashion ne demande pas la nullité du contrat ; sa demande de dommages-intérêts déjà évoquée, pour un montant de 50’000 €, avait pour objet la réparation du préjudice consécutif au manquement du bailleur à garantir le développement commercial du programme immobilier.

Dans le paragraphe consacré au développement du moyen tiré de l’existence d’un dol, la société appelante prétend établir le préjudice en résultant par la différence entre le loyer et qu’elle a payé et le montant par elle estimé de la valeur locative, inférieure, des lieux loués.

Cela revient à considérer que si elle n’avait pas été trompée par le bailleur, elle n’aurait pas accepté de s’engager pour le montant du loyer qui a été convenu dans le contrat de bail.

Le dol ne se présume pas ; la société Cristal Fashion affirme qu’elle n’aurait pas signé les baux commerciaux en sachant que le cinéma prévu dans l’ensemble immobilier ne verrait pas le jour avant plusieurs années, puisqu’il vient d’être livré en 2021 plus de 7 ans après ce qui avait été initialement prévu ; mais d’une part les contrats litigieux ne comportent aucun engagement au sujet de la construction du cinéma, qui ne relève d’ailleurs pas de la maîtrise d’ouvrage du bailleur, et si l’exposé initial mentionne que le programme prévisionnel comprend la création d’un multiplexe cinématographique de 5 salles, il s’agissait d’une information exacte, en aucun cas mensongère. Il n’est nullement démontré que la société Edissimmo, au jour de la signature du contrat, avait connaissance du fait que ce cinéma, prévu au programme immobilier, ne serait pas immédiatement construit.

Il résulte des constatations qui précèdent que la société Cristal Fashion a pu être influencée dans son consentement par la perspective de l’implantation d’un cinéma, synonyme d’une meilleure commercialité de la zone, sans pour autant qu’elle démontre l’existence de man’uvres dolosives destinées à la tromper à ce sujet, ou la dissimulation intentionnelle d’une information déterminante de son consentement.

La demande de dommages et intérêt reposant sur la prétention d’un dol n’est donc pas fondée.

Sur la demande subsidiaire d’expertise judiciaire et d’un loyer provisionnel

La demande d’une mesure d’instruction avant dire droit pour établir la valeur locative des lieux est sans objet, dans la mesure où le loyer a été fixé librement par les parties dans le contrat, et que la question de la valeur locative n’aura d’intérêt qu’au cours d’une procédure de renouvellement du bail ou de révision du loyer.

De même est sans objet la demande de fixation d’un loyer provisionnel, en dehors de toute procédure judiciaire de fixation du loyer.

Sur la demande de résiliation du bail portant sur le local D3

La société Edissimmo ne soutient pas ses demandes de résiliation judiciaire du bail portant sur le local D3 et ne sollicite pas d’indemnité d’occupation.

La disposition du jugement entrepris ayant rejeté cette demande doit en conséquence être confirmée.

Sur la demande de résiliation par acquisition de la clause résolutoire du bail portant sur le local CF 3

Aux termes de l’article 145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai. Les juges saisis d’une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l’article 1343-5 du Code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n’est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l’autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

En l’espèce, par acte extrajudiciaire du 19 novembre 2018, la société Edissimmo a fait signifier à la société Cristal Fashion un commandement de payer la somme de 46’339,42 € TTC dans le délai d’un mois ; cet acte visait la clause résolutoire du contrat de bail, intégralement reproduite et produisait en annexe le détail de la dette locative arrêtée au 13 novembre 2018.

La simple constatation que ce commandement a été signifié en cours de procédure de première instance, le tribunal ayant été saisi par une assignation du 9 janvier 2017 près de 2 années auparavant, d’un litige portant sur le montant du loyer dont la société locataire voulait obtenir qu’il soit fixé judiciairement de manière rétroactive à un montant inférieur à celui convenu, mais pouvant correspondre à la valeur locative, n’est pas de nature à établir la mauvaise foi de la société Edissimmo.

En effet, il était légitime que le bailleur exige le paiement du loyer contractuellement convenu, nonobstant la contestation soulevée, par ailleurs peu sérieuse, sans attendre l’issue de procédures judiciaires ayant déjà duré de nombreux mois, et destinées à durer encore de nombreux mois, en l’état des recours exercés dont le caractère dilatoire peut être relevé.

Il appartenait à la société locataire d’exécuter son obligation principale de payer le loyer, sans attendre le résultat de la procédure judiciaire qu’elle a engagée.

Il n’est pas contesté que la somme visée dans le commandement de payer, justifiée par le décompte annexé, n’a pas été intégralement payée dans le mois suivant le commandement, et cela résulte en outre des relevés de comptes postérieurs qui ne sont pas contestés.

Il y a lieu de constater en conséquence l’acquisition de la clause résolutoire le 20 décembre 2018, après avoir relevé que la société Cristal Fashion ne demande pas la suspension des effets de la clause résolutoire à l’appui d’une demande de délais de paiement.

À défaut de libération volontaire des lieux, l’expulsion de la société Cristal Fashion est justifiée et doit être ordonnée, au besoin avec le concours de la force publique et d’un serrurier.

En revanche, la demande spéciale d’enlèvement des objets mobiliers garnissant les lieux n’est pas fondée, en l’absence d’éléments laissant supposer une obstruction aux opérations expulsion; le sort des meubles sera suffisamment réglé par l’application éventuelle des dispositions des articles L 433-1 et L 433-2 du code des procédures civiles d’exécution.

Sur l’indemnité d’occupation

L’article 21 du contrat de bail stipule que « dans l’hypothèse où le preneur se maintiendrait sans droit ni titre dans les locaux loués après la résiliation du bail, le preneur devra au bailleur une indemnité d’occupation mensuelle égale au double du loyer mensuel acquitté à l’expiration du bail, chaque mois commencé étant du, sans préjudice de tous droits à dommages et intérêts au profit du bailleur ».

D’une part, la société Cristal Fashion s’est maintenue dans les lieux jusqu’à ce jour de bonne foi, la résiliation du bail n’ayant pas été constatée, ni judiciairement prononcée.

D’autre part, la clause litigieuse s’analyse en une clause pénale dont le caractère excessif permet la réduction par le juge en application de l’article 1231-5 du Code civil.

Il convient en l’espèce de modérée la pénalité excessive en réduisant l’indemnité d’occupation mensuelle au montant du dernier loyer contractuel, augmenté des charges et taxes.

Sur la dette locative

En demandant l’infirmation des dispositions du jugement entrepris l’ayant condamnée à payer à la société Edissimmo les sommes de 81’097,34 € pour le local D3 et de 71’287,13 € pour le local CF 3, la société Cristal Fashion ne critique pas le jugement, ne conteste pas sa dette, sauf sa réclamation déjà évoquée de remboursement d’un trop-perçu de loyer dont elle demandait la fixation judiciaire rétroactive à un montant inférieur.

La société Edissimmo est bien fondée à solliciter une condamnation actualisée pour chacun des baux litigieux.

Pour le local exploité sous l’enseigne Stella Showroom correspondant à l’emplacement D3, elle sollicite le paiement d’une somme de 142’546,10 € TTC correspondant à l’arriéré locatif arrêté au 6 avril 2022, pour lequel elle produit un décompte actualisé relatant les opérations au débit et au crédit depuis le 20 janvier 2020.

Pour le local exploité sous l’enseigne Swarovski correspondant à l’emplacement CF 3, elle sollicite le paiement d’une somme de 170’465,50 € TTC correspondant à l’arriéré locatif arrêté au 6 avril 2022, pour lequel elle produit également un décompte actualisé.

La société Cristal Fashion ne conteste pas ce décompte, ne prétend pas qu’il comprendrait l’appel de sommes indues ou qu’il omettrait de prendre en compte au crédit certains paiements.

Il sera fait droit à la demande pour les montants sollicités, paraissant conformes au contrat et en l’absence de contestation d’une part, pour les loyers et charges exigibles au 20 décembre 2018, et à titre d’indemnité d’occupation à compter de cette date.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En application de l’article 696 du code de procédure civile, la société Cristal Fashion supportera les dépens de première instance et d’appel.

En équité, par application de l’article 700 du même code, elle doit être condamnée à indemniser la société Edissimmo de ses frais non compris dans les dépens, exposés à l’occasion de la première instance et de l’instance d’appel, en lui payant la somme de 7500 €.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire en dernier ressort,

Infirme partiellement le jugement rendu le par le tribunal judiciaire de Paris le 26 mai 2020,

Le confirme en ce qu’il a rejeté les demandes de la société Cristal Fashion visant à la fixation rétroactive du loyer et au remboursement du trop perçu de loyer des deux baux, ainsi que la demande d’expertise, et l’a condamnée aux dépens,

Le confirme en ce qu’il a rejeté la demande de résiliation judiciaire du bail portant sur le local D3, devenue sans objet, et les demandes subséquentes d’expulsion et de paiement d’une indemnité d’occupation pour ce local,

Le réforme pour le surplus, statuant à nouveau, et y ajoutant:

Déboute la société Cristal Fashion de sa demande de dommages-intérêts, et de fixation d’un loyer provisionnel,

Constate la résiliation au 20 décembre 2018, par acquisition de la clause résolutoire, du bail du 29 juillet 2013 portant sur le local CF 3 dans lequel la société Cristal Fashion exploite un commerce sous l’enseigne Swarovski, situé dans l’ensemble immobilier dénommé [Adresse 3], ainsi que celle de tous occupants de son chef, au besoin avec le concours de la force publique et d’un serrurier,

Dit qu’en cas d’expulsion, il sera procédé pour les meubles laissés dans les lieux le cas échéant suivant les dispositions des articles L 433-1 et L 433-2 du code des procédures civiles d’exécution,

Juge que la fixation par l’article 21 du contrat de bail du montant de l’indemnité d’occupation s’analyse comme une clause pénale, et ordonne la réduction de la pénalité en fixant l’indemnité d’occupation due à compter du 20 décembre 2018 pour le local CF3 au montant du dernier loyer contractuel, augmenté des taxes et des charges,

Condamne la société Cristal Fashion à payer à la société Edissimmo au titre des loyers et charges du local D3 arrêtés au 6 avril 2022, la somme de 142’465,50 € TTC,

Condamne la société Cristal Fashion à payer à la société Edissimmo au titre des loyers et charges du local CF3 arrêtés au 19 décembre 2018, et à titre d’indemnité d’occupation pour la période du 20 décembre 2018 au 6 avril 2022, la somme de 170’465,50 € TTC,

Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 26 mai 2020 à concurrence du montant des condamnations prononcées par le tribunal, et à compter du présent arrêt pour le surplus,

Condamne la société Cristal Fashion à payer à la société Edissimmo une indemnité d’occupation égale au montant du dernier loyer contractuel augmenté des taxes et des charges, pour la période postérieure du 6 avril 2022 jusqu’à la libération effective des lieux,

Condamne la société Cristal Fashion à payer à la société Edissimmo la somme de 7500 € en indemnisation de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel,

La condamne aux dépens de première instance et d’appel.

LA GREFFIERE LE PRESIDENT

 


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