20 mars 2023
Cour d’appel de Nancy
RG n°
22/00406
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D’APPEL DE NANCY
Première Chambre Civile
ARRÊT N° /2023 DU 20 MARS 2023
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/00406 – N° Portalis DBVR-V-B7G-E5UK
Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de NANCY,
R.G.n° 17/01196, en date du 17 septembre 2021,
APPELANTE :
Madame [M] [Y]
exerçant sous le nom commercial PICARD ANTIQUITES
pour ce domiciliée [Adresse 3]
Représentée par Me Pascal BERNARD de la SCP D’AVOCATS PASCAL BERNARD NICOLETTA TONTI, avocat au barreau de NANCY
INTIMÉES :
S.A. ALBINGIA, prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 2]
Représentée par Me Ariane MILLOT-LOGIER de l’AARPI MILLOT-LOGIER, FONTAINE & THIRY, avocat au barreau de NANCY
Désistement du 21.06.22 à son égard
S.A. ALLIANZ IARD, ès qualité d’assureur de la société PEGASE SECURITE, prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 1]
Représentée par Me Amandine THIRY, avocat au barreau de NANCY, avocat postulant
Plaidant par Me Noël DALUS, avocat au barreau de PARIS
S.A.R.L. PEGASE SECURITE, prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 7]
Représentée par Me Amandine THIRY, avocat au barreau de NANCY, avocat postulant
Plaidant par Me Noël DALUS, avocat au barreau de PARIS
S.A. AXA FRANCE IARD, prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 5]
Représentée par Me Nicole VILMIN de la SCP VILMIN CANONICA REMY ROLLET, avocat au barreau de NANCY
Désistement du 21.06.22 à son égard
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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Me [I] [V], ès qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de L’ASSOCIATION FOIRE ET SALONS INTERNATIONAUX, domiciliée [Adresse 4]
Non représentée, bien que la déclaration d’appel et les conclusions de l’appelante lui aient été régulièrement signifiées par acte de Me [T] [O], huissier de justice à [Localité 6], en date du 24 mars 2022, délivré à domicile
Désistement du 21.06.22 à son égard
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Mélina BUQUANT, Conseiller, Présidente d’audience chargée du rapport, et Madame Claude OLIVIER-VALLET, Magistrat honoraire,
Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Guerric HENON, Président de Chambre,
Madame Mélina BUQUANT, Conseiller,
Madame Claude OLIVIER-VALLET, Magistrat honoraire,
selon ordonnance de Monsieur le Premier Président en date du 4 Janvier 2023
A l’issue des débats, le Président a annoncé que l’arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 20 Mars 2023, en application de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 20 Mars 2023, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
signé par Monsieur Guerric HENON, Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;
EXPOSÉ DU LITIGE
Entre le jeudi 26 mars et le lundi 30 mars 2015, l’association Foire et Salons Internationaux de [Localité 6] a organisé le 39ème Salon des antiquaires et d’art contemporain, au parc des expositions situé [Adresse 8].
La société Aloha, antiquaire spécialisé, la société Riondet, spécialiste du bijou ancien, et Madame [M] [Y], exerçant sous le nom commercial Picard Antiquités, ont chacune réservé un emplacement auprès de l’association Foire et Salons Internationaux de [Localité 6].
Dans la nuit du 28 au 29 mars 2015, les trois exposants ont été victimes d’un vol avec effraction commis sur leurs stands respectifs, ayant donné lieu à l’ouverture d’une information judiciaire.
Par actes d’huissier du 29 mars 2017, la SARL Aloha, la SARL Riondet et Madame [M] [Y] ont fait assigner l’association Foire et Salons Internationaux de [Localité 6], l’assureur dommages de celle-ci, la SA Albingia, et la SARL Pégase Sécurité assurant le gardiennage de nuit, aux fins de voir engager leur responsabilité et obtenir réparation du préjudice subi.
Par acte d’huissier du 11 mai 2017, la SA Albingia a attrait à l’instance la Compagnie Allianz Iard, en sa qualité d’assureur de la société Pégase Sécurité, et la société AXA France, en sa qualité d’assureur responsabilité civile de l’association Foire et Salons Internationaux de [Localité 6].
L’association Foire et Salons Internationaux de [Localité 6] ayant fait l’objet d’une liquidation judiciaire selon jugement du 11 mars 2019, les demanderesses ont, par acte d’huissier du 4 octobre 2019, attrait le mandataire liquidateur, Maître [I] [V], à l’instance.
Ces procédures, du fait de leur connexité, ont été jointes.
Par jugement contradictoire du 17 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Nancy a :
– débouté la SARL Pégase Sécurité de sa fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir,
– condamné la SARL Pégase Sécurité et la société Allianz Iard, in solidum, à payer à la société Riondet la somme de 89115,80 euros,
– condamné la SARL Pégase Sécurité et la société Allianz Iard, in solidum, à payer à Madame [Y] la somme de 5961,27 euros,
– condamné la SARL Pégase Sécurité et la société Allianz Iard, in solidum, à payer à la société Aloha la somme de 1150 euros,
– condamné la société Albingia à payer à la SARL Riondet la somme de 2850 euros,
– condamné in solidum la SARL Pégase Sécurité et la société Allianz Iard aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Gossin et Horber,
– condamné in solidum la SARL Pégase Sécurité et la société Allianz Iard à payer à la SARL Riondet, à Madame [Y] et à la SARL Aloha la somme de 2500 euros chacune, au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la SARL Pégase Sécurité à payer la somme de 1500 euros à l’association Foire et Salons Internationaux de [Localité 6], prise en la personne de son mandataire liquidateur, Maître [I] [V], et ce au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
– condamné in solidum la SARL Pégase Sécurité et la société Allianz Iard à garantir la SA Albingia des condamnations prononcées à son encontre,
– ordonné l’exécution provisoire du jugement.
Pour statuer ainsi, le tribunal a relevé que la responsabilité contractuelle de l’association Foire et Salons Internationaux de [Localité 6] ne pouvait être engagée, celle-ci ayant satisfait à son obligation de sécurité.
Il a dit que Madame [Y] et la SARL Aloha ne pouvaient prétendre à la garantie de son assureur dommage, la société Albingia, dès lors qu’elles n’avaient pas respecté les conditions particulières du contrat d’assurance, conditionnant la garantie au dépôt des articles dans un coffre-fort fermé à clef durant les heures de fermeture de la foire au public. La société Riondet quant à elle ayant satisfait à cette obligation, le tribunal a condamné la société Albingia à la garantir dans la limite de 2850 euros, après déduction de la franchise.
Il a rejeté les demandes visant à obtenir la garantie de la société AXA France dès lors que la responsabilité de son assurée, l’association Foire et Salons Internationaux de [Localité 6], n’avait pas été retenue.
Le tribunal a relevé que l’objet du contrat conclu entre l’association Foire et Salons Internationaux de [Localité 6] et la société Pégase Sécurité étant la sécurité du site d’exposition et donc celle des exposants, les demandeurs, biens que tiers au contrat, étaient fondés à se prévaloir des manquements de la société de sécurité pour établir la faute délictuelle, propre à engager la responsabilité de celle-ci. Il a en outre jugé que les demandeurs étaient bien fondés à agir directement contre l’assureur, la compagnie Allianz Iard, celle-ci garantissant la responsabilité civile de la société Pégase Sécurité, notamment les dommages causés aux tiers.
Le tribunal a retenu l’existence de telle faute, caractérisée d’une part par l’absence de mise à disposition d’un maître-chien – alors qu’il s’agissait de la prestation contractuellement convenue – et du ‘dilettantisme’ de l’agent de sécurité en poste la nuit du vol, qui était sorti du bâtiment à de multiples reprises et y avait fait pénétrer un ami avec lequel, notamment, il avait joué avec un gyropode dans l’enceinte de l’espace d’exposition. Le tribunal a retenu l’existence d’un lien de causalité, estimant que le dommage ne serait pas survenu sans les fautes de la société, consistant dans un défaut de surveillance du verrouillage des accès (et notamment les portes par lesquelles les auteurs étaient passées) et sans l’absence du chien qui n’aurait pas manqué de détecter la présence d’un intrus resté dans les lieux pour ouvrir une porte depuis l’intérieur (p15). Il a ensuite considéré que la société de sécurité n’était tenue que d’une obligation de moyen, que le préjudice indemnisable n’était constitué que d’une perte de chance de 50 % de ne pas subir le vol en raison des fautes commises (p18).
Sur la réparation, le tribunal a observé que l’action pénale engagée à l’encontre du ou des auteurs du vol ne faisait pas obstacle à ce qu’une action civile soit engagée à l’encontre de la société Pégase Sécurité et de son assurance pour les manquements constatés et que ces dernières soient condamnées, celles-ci étant le cas échéant subrogées dans les droits des demandeurs à l’encontre des auteurs du vol.
S’agissant du ‘préjudice matériel indemnisable’ de Madame [Y], le tribunal l’a fixé à la somme de 8250,90 euros, correspondant à la valeur des bijoux volés selon les justificatifs produits aux débats. Il a refusé d’inclure dans ce préjudice matériel les frais de réservation du stand et les frais d’hôtellerie, considérant que ces frais auraient en tout état de cause été engagés par Madame [Y] et ne résultaient pas du vol.
S’agissant du ‘préjudice financier’, estimant que si la marge attendue du fait de la vente des objets volés constituait un préjudice incertain, en ce qu’il dépend de la réalisation de ventes espérées, le préjudice n’en demeurait pas moins indemnisable au titre de la perte de chance de réaliser ces ventes, et donc de réaliser une marge bénéficiaire, justifiant que soit appliqué au montant des bijoux volés un coefficient de 50%. Dans la mesure où Madame [Y] démontrait avoir réalisé un coefficient de marge moyen de l,89 sur ses achats en 2014, le montant de la marge appliquée à la totalité des marchandises volées a été fixé à la somme de 7343,30 euros, soit un préjudice financier de 3671,65 euros après application du coefficient de 50 % correspondant à la perte de chance.
Appliquant à ces sommes un coefficient de 50 % lié à la perte de chance de ne pas subir le vol, il a accordé à Madame [Y] une indemnisation de 5961,27 euros (8259,90/2 + 3671,65/2).
S’agissant de sa demande d’indemnisation pour préjudice moral, le tribunal l’a rejetée au motif que les faits de vol commis à son préjudice avaient été perpétrés de nuit, hors la présence du vendeur, et qu’un tel risque était inhérent à toute activité de revente d’articles de bijouterie-joaillerie dont on ne peut ignorer qu’ils suscitent la convoitise des voleurs.
Le tribunal a ainsi condamné la société Pégase Sécurité, in solidum avec la société Allianz Iard, à indemniser entre autres Madame [Y] à hauteur de la somme ainsi fixée.
Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 17 février 2022, Madame [Y] a relevé appel de ce jugement.
Par conclusions reçues le 22 mars 2022, Madame [Y] a déclaré se désister de son appel, mais uniquement dans ses rapports avec la SA AXA France Iard, Maître [V] ès qualités de mandataire judiciaire de l’association Foire et Salons Internationaux, et la SA Albingia.
Par ordonnance du 21 juin 2022, le conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Nancy a constaté l’extinction de l’instance à l’égard de la SA AXA France Iard, Maître [V] ès qualités de mandataire judiciaire de l’association Foire et Salons Internationaux et la SA Albingia, et condamné Madame [Y] aux frais de l’instance éteinte.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d’appel sous la forme électronique le 14 octobre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Madame [Y] demande à la cour de :
– lui donner acte de son désistement d’appel à l’encontre des intimés suivants :
* AXA France Iard,
* Maître [V] ès qualités de mandataire judiciaire de l’Association Foire et Salons Internationaux,
* Albingia SA,
– confirmer la décision rendue par le tribunal judiciaire de Nancy en date du 17 septembre 2021 en ce qu’elle a condamné la SARL Pégase Sécurité et la société Allianz Iard in solidum à indemniser l’entier préjudice subi par Madame [Y],
– infirmer la décision rendue par le tribunal judiciaire de Nancy en date du 17 septembre 2021 en ce qu’elle a condamné la SARL Pégase Sécurité et la société Allianz Iard in solidum à indemniser Madame [Y] exerçant sous le nom commercial Picard Antiquités à hauteur de 5961,27 euros,
– condamner en conséquence la SARL Pégase Sécurité et la société Allianz Iard in solidum à payer à Madame [Y] exerçant sous le nom commercial Picard Antiquités la somme totale de 16859,87 euros se décomposant comme suit :
* Préjudice matériel : 8250,90 euros,
* Préjudice financier : 6608,97 euros,
* Préjudice moral : 2000 euros,
Total : 16859,87 euros,
– dire que ces sommes porteront intérêt à compter de la décision à intervenir,
– condamner la SARL Pégase Sécurité et la société Allianz Iard à lui verser la somme de 3000 euros en application de l’article 700 et outre les entiers dépens.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d’appel sous la forme électronique le 21 novembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SARL Pégase Sécurité et la SA Allianz Iard demandent à la cour, au visa des articles 1147 et 1315 du code civil de :
A titre principal,
– infirmer le jugement déféré en ce qu’il :
* les a condamnées in solidum à payer à Madame [Y] la somme de 5961,27 euros,
* les a condamnées in solidum aux dépens,
* les a condamnées in solidum à payer à Madame [Y] la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
* débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Statuant à nouveau,
– débouter Madame [Y] des demandes formées à leur égard,
A titre subsidiaire,
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il :
* les a condamnées in solidum à payer à Madame [Y] la somme de 5961,27 euros,
* a débouté Madame [Y] de l’ensemble de ses demandes,
En tout état de cause,
– condamner Madame [Y] à verser la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Madame [Y] aux dépens.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 10 janvier 2023.
L’audience de plaidoirie a été fixée le 23 janvier 2023 et le délibéré au 20 mars 2023.
À l’audience, le justificatif du désistement dans l’instance sur intérêts civils évoqué dans le corps des conclusions ne figurant pas dans le dossier de plaidoirie remis, le conseil de Madame [Y] a été autorisé à le verser en délibéré ; il a adressé le 24 janvier 2023 une note en délibéré.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Vu les dernières conclusions déposées par Madame [Y] le 14 octobre 2022 et par la SARL Pégase Sécurité et la SA Allianz Iard le 21 novembre 2022, et visées par le greffe auxquelles il convient de se référer expressément en application de l’article 455 du code de procédure civile ;
Vu la clôture de l’instruction prononcée par ordonnance du 10 janvier 2023 ;
S’agissant de la note en délibéré adressée à la cour, le conseil de Madame [Y] y a indiqué que le désistement évoqué dans ses conclusions n’avait pas été adressé à la juridiction pénale avant le jour de l’audience de plaidoirie de la présente procédure. L’ensemble des pièces et moyens soulevés dans cette note ne font pas partie du périmètre de l’autorisation de produire une note en délibéré et seront donc exclus des débats
Il apparaît que l’appel est limité à l’indemnisation de Madame [Y] par la société de sécurité chargée du gardiennage de nuit – dont la faute n’est pas contestée à hauteur d’appel – et de son assureur sur les points suivants :
– le risque de double indemnisation en raison des poursuites civiles exercées contre l’auteur du vol,
– la limitation de l’indemnisation à hauteur d’une perte de chance de ne pas subir le vol (résultant implicitement de la demande de Madame [Y] qui sollicite l’indemnisation de l’intégralité du préjudice résultant du vol),
– l’importance du coefficient de la perte de chance de réaliser une marge commerciale,
– le préjudice moral.
En particulier en sont pas contestés :
– les fautes de la SARL Pégase Sécurité dans l’exécution de ces missions, engageant sa responsabilité délictuelle vis-à-vis de Madame [Y] pour la réparation du préjudice qui en est découlé,
– le montant du préjudice matériel résultant du vol subi par l’appelante, arrêté au prix d’achat des bijoux, soit 8250,90 euros,
* Sur l’engagement de la responsabilité de la SARL Pégase Sécurité
Ainsi que cela a été rappelé, la faute de la SARL Pégase Sécurité dans l’exécution des missions qui lui avait été contractuellement confiées par l’association Foire et Salons Internationaux de [Localité 6] n’est pas contestée, de même que cette faute engage la responsabilité délictuelle de cette société envers les tiers au contrat pour le préjudice subi par ceux-ci et causé par cette faute.
Madame [Y] rappelle dans ses conclusions la motivation du tribunal qui a notamment énoncé :
* qu’il ressortait de l’instruction que l’agent de sécurité mis à disposition par la société de sécurité à compter de 21 h 55 était sorti à plusieurs reprises à l’extérieur du bâtiment pour fumer et accueillir un ami vers 4 heures du matin, avec qui il avait discuté et joué avec un gyropode à l’intérieur du local d’exposition,
* que le jugement correctionnel avait rappelé que les auteurs du vol avaient fracturé une chaîne verrouillant un portail puis la porte du hall préalablement débloquée depuis l’intérieur,
*qu’enfin, le contrat stipulait la présence d’un maître chien, or seul un veilleur, sans animal, avait été mis à disposition.
L’exactitude de ces considérations résulte des pièces produites à hauteur de cour.
Le tribunal a, de manière fondée, rappelé d’une part que la présence d’un agent de sécurité avait précisément pour but de s’assurer que les accès du bâtiment étaient toujours verrouillés, en particulier les accès principaux dont fait partie le hall ; d’autre part que la présence d’un chien aurait pu permettre de découvrir le maintien dans les lieux d’un ou de plusieurs voleurs après le départ du public au moment de la fermeture, pour ouvrir la porte du hall en question (laquelle devait être ouverte depuis l’intérieur).
Il convient d’ajouter, sur l’incidence de l’absence de chien, que sa présence était de nature à permettre de détecter et de mettre en fuite le ou les auteurs pendant qu’ils pillaient les stands.
Sur les circonstances du cambriolage, cinq stands de la foire, situés à des emplacements éloignés les uns des autres, ont été victimes du ou des cambrioleurs et l’instruction a permis de mettre en évidence des actes de repérage et de préparation du celui-ci. Il ressort également d’un article de presse qu’a été soustrait un coffre-fort contenant plusieurs dizaines de bijoux. En outre, les trois personnes mises en examen des faits – dont deux ont bénéficié d’une relaxe – ont été identifiées non sur la base des investigations du service en charge de l’enquête, mais grâce à des informations et un rapprochement émanant d’un autre service enquêteur qui les avaient préalablement mis sous surveillance dans le cadre d’une autre procédure. L’ensemble de ces considérations démontrent que ce cambriolage était l’oeuvre de personnes aguerries et organisées.
Les fautes caractérisées par le tribunal à l’encontre de la société de sécurité ont facilité la réalisation du cambriolage et l’ensemble des circonstances ci-dessus rappelées permettent de retenir qu’elles ont fait perdre à Madame [Y] une chance de 50 % de ne pas subir de vol.
En raison de ce qui précède, il convient de confirmer le jugement qui a retenu une perte de chance de ne pas subir le dommage de 50 %.
** Sur l’existence d’un préjudice indemnisable (risque de double indemnisation)
Il est justifié par les pièces versées aux débats que l’instance sur intérêts civils faisant suite aux décisions ayant statué sur l’action pénale était toujours en cours au jour de l’ordonnance de clôture de la mise en état, ayant fait l’objet d’un renvoi à l’audience sur intérêts civils du 5 décembre 2022, ce qui permet de retenir que Madame [Y] n’a pas été indemnisée par l’unique personne condamnée pour le vol dont elle a été victime.
En outre, celui-ci est intégralement responsable du dommage, alors que la SARL Pégase Sécurité et son assureur ne doivent répondre que d’une perte de chance de ne pas subir de la cambriolage. Madame [Y] dispose donc d’un intérêt à poursuivre son action contre l’auteur du vol dès lors que son droit à indemnisation contre les sociétés intimées est cantonné à l’indemnisation d’une perte de chance.
En dernier lieu, la SARL Pégase Sécurité est, sur le plan de l’obligation à la dette, co-responsable avec le condamné d’une partie de l’indemnisation, de telle sorte que Madame [Y] a un intérêt à poursuivre les sociétés intimées et, pour répondre au moyen de la double indemnisation, si le condamné s’avérait à l’avenir en capacité de régler les sommes dues à la victime en indemnisation de son préjudice, la SARL Pégase Sécurité et son assureur seraient subrogés dans les droits de Madame [Y] à hauteur des sommes payées à cette dernière.
Il s’ensuit que le moyen tenant à l’absence de préjudice indemnisable en raison d’une indemnisation par l’auteur du vol n’est pas caractérisé.
*** Sur le préjudice subi
– Sur le préjudice matériel
La perte financière résultant de la disparition des bijoux selon leur valeur d’achat de 8250,90 euros n’est pas contestée.
Tel n’est pas le cas de l’indemnisation qu’a retenue le tribunal à hauteur de 50 % de réaliser, lors de la revente de ces bijoux, une marge commerciale d’un coefficient de 1,89 sur les achats – ce taux de marge (représentant 89 % du prix d’achat) étant celui habituellement réalisé par Madame [Y], tel que cela ressort de l’attestation de son expert-comptable et n’est pas critiqué à hauteur de cour, les intimés contestant à titre principal l’existence de ce préjudice et concluant subsidiairement à la confirmation de la décision et l’appelante réclamant l’application d’un taux de perte de chance de 90 %.
Contrairement à ce que soutiennent la SARL Pégase Sécurité et son assureur, la disparition des bijoux prive Madame [Y] de la possibilité de réaliser une marge commerciale lors de leur revente – que ce soit sur le salon ou lors d’une transaction ultérieure – et l’existence d’un préjudice à ce titre est certaine.
S’agissant de son chiffrage, il ressort du dépôt de plainte que Madame [Y] exerce son activité de commerçante experte en antiquité et en bijoux anciens en son nom propre depuis 1984. Le bon fonctionnement d’une telle activité nécessite pour sa pérennité que le commerçant réalise de manière régulière une marge commerciale relativement conséquente sur les objets qu’il revend, étant précisé que les transactions peuvent être plus ou moins bénéficiaires selon le type d’objet, s’agissant d’objets rares susceptibles d’attirer plus ou moins l’attention de la clientèle, et que le commerçant, pour limiter la durée de conservation, peut être amené, pour les objets qui trouvent plus difficilement preneur, à minorer le prix de revente et donc à limiter sa marge.
Ces éléments conduisent à retenir que la perte de chance de réaliser son taux de marge moyen de 1,89 est importante et s’établit à 75 %.
Le préjudice résultant de la perte de chance de réaliser une marge commerciale s’élève donc à : 8250,90 x 0,89 x 0,75 = 5507,50 euros.
Le préjudice matériel résultant du vol subi par Madame [Y] se monte donc à 8250,90 + 5507,50 = 13758,40 euros.
La SARL Pégase et son assureur la SA Allianz Iard n’étant tenues d’indemniser que le préjudice résultant de la perte de chance de 50 % de ne pas subir ce cambriolage, il convient donc de les condamner à payer à Madame [Y] la somme de 6879,20 euros (13758,40/2).
Le jugement sera infirmé en ce sens.
– Sur le préjudice moral
Le tribunal a débouté Madame [Y] de sa demande à ce titre, relevant que les faits avaient été perpétrés de nuit, hors sa présence et qu’un tel risque était inhérent à toute activité de revente d’article de bijouterie qui attire la convoitise des voleurs.
À hauteur de cour, elle fait valoir à l’appui de sa demande avoir subi un préjudice moral résultant des délais à se battre pour obtenir une indemnisation et de l’état de stress et de choc émotionnel dans lequel elle s’est trouvée le lendemain du vol en découvrant qu’elle ne pourrait plus travailler sur le salon et que la police relevait les empreintes sur son stand, attisant la curiosité des visiteurs.
Aucune pièce (attestation d’un psychologue, certificat médical, témoignage) n’établit la réalité du préjudice dont il est demandé l’indemnisation, de telle sorte qu’il y a lieu de confirmer le jugement qui l’a déboutée de sa demande.
**** Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Il convient de confirmer le jugement qui a condamné les sociétés intimées aux dépens, outre le paiement de 2500 euros à Madame [Y] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Les dépens seront laissés à la charge des sociétés intimées, l’appelante étant partiellement reçue en son recours.
Il y a lieu de condamner la SARL Pegase Sécurité et la SA Allianz Iard in solidum à une somme qu’il est équitable de fixer 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés à hauteur d’appel.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nancy en date du 17 septembre 2021 en ce qu’il a débouté Madame [Y] de sa demande en indemnisation d’un préjudice moral, statué sur les dépens et condamné in solidum la SARL Pégase Sécurité et la société Allianz Iard à payer à Madame [Y] la somme de 2500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
L’infirme en ce qu’il a condamné la SARL Pégase Sécurité et la société Allianz Iard, in solidum, à payer à Madame [Y] la somme de 5961,27 euros,
Statuant à nouveau sur ce point et y ajoutant,
Exclut des débats le contenu de la note en délibéré adressée le 24 janvier 2023 qui excède l’autorisation relative à la seule production du désistement sur intérêts civils intervenu avant l’ordonnance de clôture,
Condamne la SARL Pégase Sécurité et la société Allianz Iard, in solidum, à payer à Madame [Y] la somme de 6879,20 euros (SIX MILLE HUIT CENT SOIXANTE-DIX-NEUF EUROS ET VINGT CENTIMES),
Condamne la SARL Pégase Sécurité et la société Allianz Iard, in solidum aux dépens d’appel,
Condamne la SARL Pégase Sécurité et la société Allianz Iard, in solidum, à payer à Madame [Y] la somme 1000 euros (MILLE EUROS) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Guerric HENON, Président de chambre à la Cour d’Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Signé : C. PERRIN.- Signé : G. HENON.-
Minute en dix pages.