2 juin 2022
Cour d’appel de Douai
RG n°
20/00912
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 02/06/2022
****
N° de MINUTE :
N° RG 20/00912 – N° Portalis DBVT-V-B7E-S457
Jugement (N° 11-19-0617)
rendu le 27 décembre 2019 par le tribunal d’instance d’Arras
APPELANTS
Monsieur [R] [E]
né le 13 décembre 1967 à [Localité 4]
Madame [B] [G] épouse [E]
née le 11 novembre 1957 à [Localité 6]
demeurant ensemble [Adresse 1]
[Localité 3]
représentés par Me Bernard Franchi, membre de la SCP Processuel, avocat au barreau de Douai
assistés de Me Sonia Houzé, avocat au barreau d’Amiens
INTIMÉE
La SARL bijouterie Flinois
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Marie-Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai
assistée de Me Pierre-Henry Fournier, membre de la SCP Fournier & Associés, avocat au barreau de Marseille, substitué à l’audience par Me Marie-Laure Delfau de Belfort, avocat au barreau de Marseille
DÉBATS à l’audience publique du 10 mars 2022 tenue par Christine Ssimon-Rossenthal magistrat chargé d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine verhaeghe
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Christine Simon-Rossenthal, présidente de chambre
Emmanuelle Boutié, conseiller
Céline Miller, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 02 juin 2022 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Christine Simon-Rossenthal, présidente et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 03 février 2022
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Rappel des faits et de la procédure
Le 5 juillet 2018, Monsieur [R] [E] a confié pour intervention une montre de femme de marque Poiray à la bijouterie Flinois. La montre a été perdue et n’a pas pu être restituée à Monsieur [E].
Le 18 août 2018, la bijouterie a offert de la remplacer par une montre de même marque. Monsieur [E], non satisfait de cette proposition, a sollicité à titre d’indemnisation le règlement de la somme de 5 500 euros.
Par courrier du 22 septembre 2018, la société Flinois a informé Monsieur [E] de ce qu’il serait contacté par l’expert de son assurance.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 septembre 2018, Monsieur [E] a porté sa demande à la somme de 6 150 euros, exposant notamment que la montre proposée en remplacement ne correspondait pas au modèle qui lui avait été confié.
Par acte d’huissier délivré le 3 mai 2019, Monsieur [E] et Madame [G], épouse [E], ont assigné la SARL Flinois aux fins de la voir condamner à leur payer la somme de 7 830 euros à titre de dommages intérêts.
Par jugement 27 décembre 2019, le tribunal d’instance d’Arras a :
– condamné la SARL Flinois à payer à Monsieur [E] et Madame [E] la somme de 1 800 euros avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;
– débouté les époux [E] du surplus de leurs demandes de dommages et intérêts ;
– condamné in solidum les époux [E] à payer la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens et dit n’y avoir lieu à l’exécution provisoire.
Les époux [E] ont interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 28 janvier 2021, ils demandent à la cour de réformer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– condamné la SARL Flinois à payer à Monsieur [E] et Madame [E] la somme de 1 800 euros avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;
– débouté les époux [E] du surplus de leurs demandes de dommages et intérêts ;
– condamné in solidum les époux [E] à payer la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné in solidum les époux [E] aux dépens ;
Statuant à nouveau,
– confirmer le jugement en ce qu’il a retenu le principe de responsabilité à l’égard de la société Flinois ;
– infirmer le jugement en ce qu’il a débouté les concluants de leurs demandes et a limité à la somme de 1 800 euros le montant de la condamnation prononcée à l’encontre de la SARL Flinois ;
– condamner la SARL Flinois au paiement de la somme de 7 830 euros à titre de dommages et intérêts, décomposés comme suit :
. préjudice matériel : 4 530 euros,
. préjudice moral : 800 euros,
. préjudice administratif : 500 euros,
. dommages et intérêts pour mauvaise foi : 800 euros,
. préjudice de jouissance : 1 200 euros ;
– condamner la SARL Flinois à leur payer la somme de 8 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers frais et dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 17 mars 2021, la SARL Flinois demande à la cour de :
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a rejeté la demande des époux [E] de se voir octroyer le prix d’une montre neuve en dédommagement d’une montre d’occasion ;
– débouter Monsieur [R] [E] et Madame [B] [E] de leur demande tendant à se faire octroyer le prix d’une montre neuve en réparation de la perte d’une montre d’occasion ;
– infirmer le jugement déféré en ce qu’il a alloué à Monsieur et Madame [E] une indemnité de 1 800 euros dont il n’est pas prouvé qu’elle correspond à la valeur de la montre litigieuse d’occasion au moment du sinistre et dans l’état où cet objet se trouvait ;
– juger que Monsieur [R] [E] et Madame [B] [E] ne prouvent pas conformément à la loi les faits nécessaires au succès de leurs prétentions ;
– débouter Monsieur [R] [E] et Madame [B] [E] de leur demande d’octroi d’une indemnité en réparation de la perte de la montre déposée ;
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté Monsieur [R] [E] et Madame [B] [E] de leurs autres demandes relatives, à un préjudice moral, administratif, pour mauvaise foi et de jouissance ;
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné Monsieur [R] [E] et Madame [B] [E] à payer à la SARL Flinois une somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens et les condamner à lui payer une indemnité de procédure de 8 000 euros ainsi qu’aux dépens qui comprendront le coût du procès-verbal de constat de Me [K] Huissier du 30 septembre 2020.
Par conclusions du 8 février 2022, la SARL Flinois demande à la cour de rejeter des débats la pièce n° 26 communiquée par les époux [E] le 2 février 2022 (constat d’huissier en date du 17 mars 2021).
La clôture de l’instruction est intervenue par ordonnance du 3 février 2022.
SUR CE,
Sur l’exception d’irrecevabilité de pièce
Il ressort du bordereau de communication de pièces annexé aux conclusions des époux [E] et du bordereau de communication de pièces en date du 14 décembre 2021 que la pièce n° 26 n’est pas mentionnée. Cette pièce ne figure pas dans le dossier de plaidoirie déposé par les époux [E]. Dès lors, il convient de constater que cette pièce n’est pas produite aux débats de sorte que la demande de rejet est sans objet.
Sur l’indemnisation du préjudice lié à la perte de la montre
Les époux [E] sollicitent l’indemnisation de leur préjudice matériel à hauteur de la somme de 4 530 euros. Ils ont valoir que la valeur de remplacement de la montre est établie par la maison Poiray à 4 400 euros outre le prix du bracelet à 130 euros ; que la structure de la montre était en parfait état et que son fonctionnement a été confirmé par le bijoutier ; qu’elle présente un parfait état à l’exception de la vis manquante qui a entraîné une désolidarisation de la barre d’accroche du bracelet ; que l’attention du dépositaire quant à l’état général de la montre est attestée par la mention d’une rayure sur le verre à 2 heures et que si d’autres détériorations étaient visibles et si la structure était atteinte, des mentions auraient été portées sur le bon de dépôt ; que le bon de confié ne comporte pas de signature ni d’accord sur la description de l’objet lequel est présumé déposé en parfait état à l’exception de la réparation sollicitée ; que la société Flinois tente de leur imposer les limites de sa responsabilité contractuelle.
La société Flinois expose qu’il résulte de la fiche devis, de la fiche SAV et de la photographie de la montre prise en la présence de M. [E], que l’objet était d’occasion, en mauvais état, tant du point de vue de son usure que de sa détérioration ; qu’elle a proposé, à titre amiable, à M. [E], le remplacement de l’objet déposé par une montre neuve de la même collection correspondant à la montre de Mme [E], à savoir une montre Première en or jaune et acier, avec un cadran nacre, avec un bracelet au choix de celle-ci, ce qu’a refusé M. [E], celui-ci indiquant préférer être indemnisé suivant la valeur de remplacement qu’il fixait à 3 990 euros porté ensuite à 4 400 euros, outre le coût du bracelet et des dommages et intérêts à hauteur de 1 500 euros ce qui l’a conduite à déclarer le sinistre auprès de son assureur.
Elle indique que le cabinet EPCA, mandaté par son assureur, a sollicité en vain auprès de M. [E] la facture d’achat de la montre et des renseignements sur la date d’achat de celle-ci en vue de procéder à son évaluation.
Elle souligne que la réparation en argent ne peut équivaloir qu’à la valeur de remplacement de l’objet au jour du sinistre et que c’est par rapport à la valorisation ressortant du marché de l’occasion en août 2018 que doit être effectuée l’évaluation de l’indemnité devant revenir aux époux [E] ; que le tribunal a alloué aux époux [E] la somme de 1 800 euros en faisant la moyenne des valeurs constituées par des annonces internet de montres d’occasion en bon état, estimant qu’il n’était pas possible de se référer à la photo de la montre pour affirmer qu’elle était en mauvais état et que ce soit la montre déposée par M. [E] alors que figure sur la photo le numéro de la fiche SAV.
Ceci étant exposé, la société Flinois ne conteste pas sa responsabilité contractuelle en tant que dépositaire de la montre en ce qui concerne la perte de celle-ci.
En application de l’article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts à raison de l’inexécution de l’obligation.
Le principe de la responsabilité civile est de rétablir l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu. Ce principe de réparation intégrale du dommage ne doit conduire ni à une perte, ni à un profit pour la victime
En l’espèce, compte tenu du bon de dépôt de la montre et de la photographie prise de celle-ci dont, contrairement à ce qu’à retenu le premier juge, il est établi qu’il s’agit bien de la montre déposée, la photographie versée aux débats par la société Flinois portant le même numéro que le fiche SAV versée aux débats par les époux [E], à savoir le numéro 3057454 ainsi que du numéro de fond de boîte A81017, la maison Poiray a établi que la montre déposée était une montre plaqué or sur acier, fond nacre qui n’est plus commercialisée actuellement, la montre ayant dû être achetée entre 10 et 20 ans auparavant. Les appelants ne produisent pas la facture d’achat de la montre qui aurait permis de dater précisément l’achat qui ne peut, en tout état de cause, être postérieur à l’année 2001, année d’anniversaire de leur mariage au cours duquel M. [E] indique avoir acheté la montre, précisant qu’ils se sont mariés en 1991. L’ancienneté de la montre est dès lors de 17 ans minimum.
La photographie de la montre et le bon de dépôt permettent de constater que la montre était effectivement usagée, le boîtier plaqué or étant de couleur inégale, le cadre fortement jauni par endroits et le verre présentant des rayures à 2 heures. Si, contrairement à ce que soutiennent les appelants, il n’est pas justifié que le bijoutier a confirmé l’état de fonctionnement de la montre, la société Flinois ne rapporte pas la preuve qu’elle ne fonctionnait pas, la montre ayant été déposée pour remise en état du boîtier.
En l’état de ces éléments, il ressort des différentes annonces internet produites par l’intimée que la valeur de remplacement de la montre (bracelet compris) peut être établie à hauteur de la somme de 1 800 euros, somme qu’a retenue le premier juge et qui correspond aux offres de prix pour une montre de ce type, d’occasion, les époux [E] ne pouvant solliciter en réparation de leur préjudice une somme correspondant à la valeur à neuf d’une montre équivalente.
Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
Sur la demande de dommages et intérêts complémentaires
Les époux [E] sollicitent l’allocation des sommes de 800 euros en réparation de leur préjudice moral, celle de 500 euros en réparation du préjudice administratif, celle de 800 euros pour mauvaise foi et celle de 1 200 euros en réparation du préjudice de jouissance.
M. [E] fait valoir qu’il a acquis la montre à la bijouterie Howard aux Sablons à [Localité 5] pour les 10 ans de mariage du couple et qu’il s’agit d’une montre bijou qui présente une certaine valeur et une valeur sentimentale.
Les époux [E] font valoir que l’attitude conciliante et courtoise initiale qu’ils ont eue s’est modifiée lorsque des informations de la société Poiray ont permis de constater l’attitude frauduleuse de la société Flinois sur le choix du modèle de montre.
M. [E] invoque un temps de gestion alourdi de plusieurs heures. Les appelants invoquent une perte de jouissance constituée par les bracelets interchangeables acquis par Mme [E] au fil des ans, permettant d’adapter la montre à toutes les tenues ou tous les événements.
La société Flinois fait valoir que l’achat par les époux [E] de bracelets ne démontre pas que la montre était en état de fonctionnement et esthétiquement correcte ni que les bracelets étaient destinés à la montre déposée.
Ceci étant exposé, les appelants ne justifient pas de l’attitude prétendument frauduleuse de la société Flinois dans le choix de la montre qu’ils ont proposée en remplacement de la montre perdue, dont le modèle serait de qualité inférieure, dans la mesure où la société Flinois a d’une part reconnu sa responsabilité et d’autre part proposé sans délai une montre neuve de la même collection correspondant à la montre de Mme [E], à savoir une montre Première en or jaune et acier, avec un cadran nacre, avec un bracelet au choix de celle-ci, ce qu’ont refusé les époux [E] qui faisaient valoir l’impossibilité de remplacer la montre au regard du contexte particulier et de la motivation de son acquisition alors qu’ils sollicitaient par ailleurs une indemnisation de la valeur à neuf de la montre, outre des dommages et intérêts et qu’ils augmentaient par la suite le quantum de leurs demandes.
Même si les appelants versent aux débats des factures d’achat de bracelets, ils ne justifient pas plus en appel qu’en première instance, de la valeur sentimentale de la montre ni de leur préjudice moral, s’abstenant notamment de produire aux débats la facture d’achat de sorte qu’il est impossible d’établir que M. [E] l’ait achetée pour les dix ans de mariage du couple. M. [E] ne produit pas d’éléments de nature à démontrer l’étendue du temps passé dans des démarches administratives. Ils ne justifient pas de la réalité d’un préjudice de jouissance, d’autant que si les époux [E] avaient accepté l’offre amiable d’indemnisation de la société Flinois constituée par l’offre d’une montre Poiray neuve alors que l’indemnisation qui leur a été allouée par le tribunal et qui sera confirmée par le présent arrêt est inférieure à la valeur de la montre proposée initialement, ils auraient pu bénéficier d’une montre équivalente sans délai et utiliser les bracelets achetés.
Le jugement entrepris sera dès lors confirmé en ce qu’il a débouté les époux [E] de leurs demandes de dommages et intérêts complémentaires.
La décision déférée sera confirmée sur les dépens et sur l’article 700 du code de procédure civile.
Les époux [E] succombant en leur appel seront condamnés solidairement aux dépens de la présente procédure et déboutés de leur demande d’indemnité de procédure. Ils seront condamné in solidum, sur ce fondement, à payer à la société Flinois la somme de 4 000 euros.
Il est précisé que le coût du procès-verbal de constat de Me [K], huissier, du 30 septembre 2020 supporté par la société Flinois est une somme entrant dans le cadre des frais irrépétibles visés à l’article 700 du code de procédure civile non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne solidairement Monsieur [R] [E] et Madame [B] [G] épouse [E] aux dépens d’appel ;
Déboute Monsieur [R] [E] et Madame [B] [G] épouse [E] de leur demande d’indemnité de procédure ;
Condamne in solidum Monsieur [R] [E] et Madame [B] [G] épouse [E] à payer à la société Flinois la somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Le greffier,La présidente,
Delphine Verhaeghe.Christine Simon-Rossenthal.