Bijouterie : 19 mai 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 21/06231

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Bijouterie : 19 mai 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 21/06231

19 mai 2022
Cour d’appel de Paris
RG
21/06231

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 2

ARRÊT DU 19 MAI 2022

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/06231 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEBDU

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Juillet 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 20/00856

APPELANTE

S.A.S. CASTY DEPLHES

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Véronique DE LA TAILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : K0148

INTIME

Monsieur [E] [O]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par Me Sophie ETCHEGOYEN, avocat au barreau de PARIS, toque : D1227

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 30 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame LAGARDE Christine, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur FOURMY Olivier, Premier président de chambre

Madame ALZEARI Marie-Paule, présidente

Madame LAGARDE Christine, conseillère

Greffière lors des débats : Mme CAILLIAU Alicia

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile

– signé par Olivier FOURMY, Premier président de chambre et par CAILLIAU Alicia, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [E] [O] a été engagée dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée par la société Casty-Delphes (ci-après ‘la Société’) à compter du 1er août 2014 en qualité de directrice de boutique adjointe, statut cadre, niveau 1 échelon 1.

La convention collective applicable est celle de l’horlogerie bijouterie.

En juin, juillet et septembre 2019, la Société a mis en demeure sa salariée de justifier de son absence ou de reprendre son poste.

En octobre 2019, le conseil de Mme [O] a indiqué à la Société qu’il convenait de licencier sa cliente ou de mettre en place une rupture conventionnelle, au motif que cette dernière lui a indiqué qu’elle a été contrainte de quitter son poste subissant le harcèlement constant du ‘cousin’ de la présidente de la société.

Le 1er juillet 2020, Mme [O] a informé son employeur de ce qu’elle entendait reprendre son poste de directrice adjointe, sous réserve de l’avis du médecin du travail avec lequel un rendez-vous était fixé le 2 juillet 2020, et sous réserve d’avoir la confirmation de ce que M. [F] [X] (le ‘cousin’) ne sera pas autorisé à se rendre sur son lieu de travail.

Mme [O] a été placée en arrêt maladie du 20 juillet 2020 au 2 septembre 2020 par son médecin traitant, le docteur [J].

Le 8 septembre 2020, lors de la visite de reprise effectuée en téléconsultation, le médecin du travail, le docteur [Z] [I] a renseigné une « attestation de suivi » et a conclu à une « reprise possible à un autre poste : poste administratif ou poste d’accueil ».

Le 9 septembre 2020, la Société a convié sa salariée à se présenter dans ses locaux pour lui expliquer les modalités de reprise de travail et un second rendez-vous a été fixé le 18 septembre 2020.

Le 17 septembre 2020, Mme [O] a été placée en arrêt maladie jusqu’au 4 octobre 2020 par le docteur [Y].

Le 22 Septembre 2020, Mme [O] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris en sa formation de référé en application de l’article L.4624-7 du code du travail afin qu’il soit jugé que la décision rendue par la médecine du travail à l’issue de la visite de reprise du 8 septembre 2020 s’analyse en un avis d’inaptitude à son poste, en suggérant des propositions de reclassement, en dépit de sa formalisation sur une attestation de suivi.

Par ordonnance avant dire droit du 28 octobre 2020, le conseil de prud’hommes a ordonné une mesure d’instruction confiée à un médecin inspecteur du travail en la personne du docteur [B].

Ce dernier a rendu son rapport le 20 mai 2021 aux termes duquel il conclut qu’ « à la date de l’expertise, (…) Madame [E] [O] est inapte à son poste de directrice adjointe de boutique parisienne dans la société SAS CASTY DELPHES. Son état de santé ne permet pas l’accueil de public dans les boutiques parisiennes. Un poste administratif au siège de la société ou un poste de directrice adjointe dans une boutique de province pourraient lui être proposé ».

Le 23 juin 2021, le conseil de prud’hommes de Paris a rendu un jugement en procédure accélérée au fond dont le dispositif est le suivant :

« Dit que l’avis du médecin inspecteur du travail du 20 mai 2021 se substituant à l’avis du médecin du travail du 08 septembre 2020, Madame [E] [O] est déclarée inapte au poste de directrice adjointe de boutique parisienne, mais apte à un poste administratif ;

Dit que la consignation de 200 € reste à la charge de la SAS CASTY DELPHES ;

Déboute pour le surplus des demandes ;

Condamne la SAS CASTY DELPHES aux dépens ».

La société Casty-Delphes a interjeté appel de la décision le 8 juillet 2021.

PRÉTENTIONS

Par conclusions transmises par RPVA le 7 octobre 2021, la société Casty-Delphes demande à la cour de :

« DIRE que le rapport d’expertise du Docteur [B] du 20 mai 2021 ne permet pas au Conseil d’être éclairé utilement sur l’aptitude physique de Mme [O] ;

CONSTATER que l’avis du médecin du travail du 8 septembre 2020 s’analyse en un avis d’aptitude ;

CONSTATER que Madame [O] n’établit aucun élément laissant présumer un harcèlement de la part de la société CASTY-DELPHES ;

Par conséquent,

INFIRMER le jugement du Conseil de prud’hommes de Paris rendu le 23 juin 2021 en ce qu’il a :

DIT que l’avis médical du 20 mai 2021, établi par le Docteur [B], se substitue à l’avis médical du 8 septembre 2020 ;

DIT que Mme [O] est inapte au poste de Directrice adjointe de Boutique parisienne mais apte à un poste administratif ;

DIT que la consignation de 200 Euros est à la charge de la société CASTY-DELPHES ;

DIT que les dépens sont à la charge de la société CASTY-DELPHES.

Et statuant à nouveau :

DEBOUTER Madame [O] de toutes ses demandes,

En tout état de cause,

CONDAMNER Madame [O] à verser à la société CASTY-DELPHES la somme de 3.000 Euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile outre les dépens de la procédure et frais d’expertise ».

Par ordonnance du 3 février 2022, il a été prononcé l’irrecevabilité des conclusions déposées par Mme [O].

La clôture a été prononcée le 25 février 2022.

Il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées et visées ci-dessus pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties conformément aux dispositions de l’article 455 du code procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes de la Société tendant à voir ‘constater’

Il n’y a pas lieu de répondre aux demandes tendant à voir ‘constater’ qui ne constituent pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile en ce qu’elles rappellent les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes et sont dépourvues d’effet juridictionnel.

Sur la conclusion du rapport d’expertise

La Société fait en particulier valoir que :

– dès décembre 2017, Mme [O] a manifesté sa volonté d’ouvrir un restaurant à [Localité 6] et a sollicité une rupture conventionnelle ce qui lui a été refusé ;

– à compter du 3 juin 2019, sa salariée ne s’est plus présentée à son poste et a entamé une activité de restauration sous l’enseigne ‘Le Gang des Mamies’, activité qu’elle continue d’exercer à ce jour ;

– le rapport d’expertise ne permet pas d’apporter un éclaircissement utile sur l’état de santé de Mme [O] et ne saurait se substituer à l’avis médical du 8 septembre 2020 alors que l’expert :

a rencontré des difficultés pour rendre son rapport

s’est contenté de faire un rappel imprécis et au conditionnel des dires de Mme [O] sans faire référence à aucun indice permettant de laisser supposer une situation de harcèlement 

n’a pas tenu compte des propositions de reclassement faites au cours de l’étude de poste à laquelle Mme [O] n’était pas présente

a ignoré les éléments qu’elle a versés démontrant que Mme [O] a une activité de restauration en contact direct avec la clientèle ce qui démontre qu’elle n’a pas été l’objet d’un harcèlement.

Sur ce,

Selon l’article L. 4624-7 du code du travail :

« I. Le salarié ou l’employeur peut saisir le conseil de prud’hommes selon la procédure accélérée au fond d’une contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale en application des articles L. 4624-2, L. 4624-3 et L. 4624-4. Le médecin du travail, informé de la contestation par l’employeur, n’est pas partie au litige.

II. Le conseil de prud’hommes peut confier toute mesure d’instruction au médecin inspecteur du travail territorialement compétent pour l’éclairer sur les questions de fait relevant de sa compétence. Celui-ci, peut, le cas échéant, s’adjoindre le concours de tiers. À la demande de l’employeur, les éléments médicaux ayant fondé les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail peuvent être notifiés au médecin que l’employeur mandate à cet effet. Le salarié est informé de cette notification.

III. La décision du conseil de prud’hommes se substitue aux avis, propositions, conclusions écrites ou indications contestés. »

Il doit être rappelé que l’avis contesté « attestation de suivi » du 8 septembre 2020 est ainsi exprimé : « reprise possible à un autre poste : poste administratif ou poste d’accueil ».

Aux termes de son rapport d’expertise, le docteur [B] a conclu :

« Après avoir reçu et examiné Madame [E] [O] ;

Après avoir étudié le dossier médical en Santé du Travail de monsieur Madame [E] [O] ;

Après avoir effectué l’étude de poste et des conditions de travail au SAS CASTRY DELPHES le 12/03/2021 ;

A la date de l’expertise, je conclus que Madame [E] [O] est inapte à son poste de directrice adjointe de boutique parisienne dans la société SAS CASTY DELPHES . Son état de santé ne permet pas l’accueil de public dans les boutiques parisiennes. Un poste administratif au siège de la société ou un poste de directrice adjointe dans une boutique de province pourraient lui être proposé ».

En l’espèce, la cour relève que si le médecin expert a rencontré des difficultés pour avoir été atteint du Covid 19 et avoir accumulé du retard, cette circonstance n’est pas de nature à remettre en cause ses conclusions.

S’agissant des ‘incohérences’ critiquées par la Société, force est de constater qu’il s’agit dans le « rappel des faits et discussion » du rapport, de propos et de présentation des faits par Mme [O] elle-même, le médecin expert reprenant les dires de cette dernière ce qui explique l’emploi du mode conditionnel.

Pour autant, si l’expert indique que « l’état de santé global de Madame [E] [O] ne permet pas le maintien à son poste de directrice adjointe dans une boutique parisienne de la Société DELPHY-DELPHES, et ce, en partie en lien avec les événements déclencheurs qu’elle estime être du harcèlement de la part d’un individu présent fréquemment dans les boutiques parisiennes », il doit être observé que «  l’état de santé global » de Mme [O] n’est pas décrit, et que « les événements déclencheurs » relatés par cette dernière ne sont aucunement établis.

L’expert ajoute encore que « Il est impossible dans ces circonstances de pouvoir organiser un aménagement, une transformation ou une adaptation du poste de travail décrit par la fiche de poste et précisé par l’étude de poste et intégrant le lieu de travail.

Madame [E] [O] présente donc une contre-indication médicale à réintégrer son ancienne boutique mais également les autres boutiques de la région parisiennes par le fait que les appréhensions se sont étendues à l’accueil de public en région parisienne, la clientèle de ces boutiques est devenue pour elle agressive. En conséquence, Madame [E] [O] est médicalement inapte son poste de directrice adjointe dans les boutiques parisiennes.

Un poste administratif au siège parisien ou un poste d’encadrement de boutique en province peuvent lui être proposé ».

Cependant, il ressort tant de l’extrait Kbis du 2 septembre 2020 que des procès-verbaux d’huissier, et il n’a pas été contesté dans le cadre de la procédure, que Mme [O] est la présidente de la SAS NJN exerçant sous l’enseigne commerciale ‘Le Gang des Mamies’ dont la date de commencement de l’activité de bar restaurant est fixée au 17 juin 2019 . Le restaurant se situe [Adresse 3] et Mme [O] a des relations directes avec la clientèle de son restaurant, élément de nature à interroger la cour sur ‘l’appréhension’ ressentie par Mme [O] concernant l’accueil de public en région parisienne.

De plus, l’expert qui a procédé à l’étude de son poste a rappelé les missions qui sont confiées à Mme [O] :

« – installation des vitrines chaque jour et retrait chaque soir

– vérification du coffre et de la caisse

– vérification des stocks

– lecture des mails pour suivre les instructions données par la ou les marques (par exempte pour savoir quel produit mettre en avant)

– réponse aux mails des clients

– encadrement de l’équipe

– accueil, la relation client et la vente, la réponse aux questions techniques

– nettoyage

– tâches administratives et la gestion des stocks.

Il y a peu de réunion des équipes. Des mises au point informelles de l’équipe ont lieu au cours de la journée.

Globalement, l’ambiance de l’équipe parait bonne ».

Force est de constater que l’impossibilité, selon lui, pour Mme [O] d’être maintenue à son poste, réside dans le seul fait de l’existence « d’événements déclencheurs » (que Mme [O]) estime être du harcèlement de la part d’un individu présent fréquemment dans les boutiques parisiennes », ‘événements déclencheurs’ dont l’existence n’est pas établie, Mme [O] ne pouvant s’établir des preuves à elle-même en arguant de faits non corroborés par d’autres éléments extrinsèques.

En outre, il y a lieu de relever qu’à la question « procéder à l’examen clinique de Madame [E] [O] », si l’expert a indiqué dans ses conclusions « avoir reçu et examiné » cette dernière, aucun développement n’a été mentionné à ce titre.

De plus, à la question « Déterminer l’état de santé du salarié concerné, et relater les constatations médicales en indiquant si elles justifient les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail », force est de constater qu’aucune ‘constatation médicale ‘ n’a été relatée.

Il résulte des considérations qui précèdent que le rapport du médecin expert n’est pas de nature à éclairer le conseil de prud’hommes sur les questions de fait relevant de sa compétence de sorte que l’avis du médecin expert ne devait pas être substitué à celui du médecin du travail de sorte que le jugement dont appel mérite infirmation.

La décision rendue par le médecin du travail à l’issue de la visite de reprise de Mme [O] le 8 septembre 2020 s’impose aux parties en ce qu’il a conclu à une «  reprise possible à un autre poste : poste administratif ou poste d’accueil », de sorte que la cour décide que Mme [O] est inapte à son poste de travail mais apte à un poste administratif ou poste d’accueil.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile  

Mme [O], qui succombe, supportera les entiers dépens de première instance et d’appel comprenant les frais d’expertise et sera condamnée à payer à la Société une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, pour l’ensemble de la procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Paris en date du 23 juin 2021, en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et ajoutant,

Décide que Mme [E] [O] est inapte à son poste de travail mais apte à un poste administratif ou poste d’accueil ;

Condamne Mme [E] [O] aux entiers dépens de première instance et d’appel comprenant les frais d’expertise ;

Condamne Mme [E] [O] à payer à la société Casty-Delphes la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La Greffière, Le Président,

 


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