Bijouterie : 19 mai 2022 Cour d’appel de Dijon RG n° 20/00347

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Bijouterie : 19 mai 2022 Cour d’appel de Dijon RG n° 20/00347

19 mai 2022
Cour d’appel de Dijon
RG
20/00347

RUL/CH

[G] [U]

C/

S.A.S. LP CRÉATIONS prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 19 MAI 2022

MINUTE N°

N° RG 20/00347 – N° Portalis DBVF-V-B7E-FRED

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DIJON, section ENCADREMENT, décision attaquée en date du 07 Septembre 2020, enregistrée sous le n° 18/00733

APPELANT :

[G] [U]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 4]

représenté par Me Michelle PIERRARD de la SELARL ALPHA LEGIS, avocat au barreau de SAINT-MALO, et Me Marie-Hélène HETIER-DEBAURE, avocat au barreau de DIJON

INTIMÉE :

S.A.S. LP CRÉATIONS prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Florent SOULARD de la SCP SOULARD-RAIMBAULT, avocat au barreau de DIJON, et Me Véronique COTTET EMARD de la SELAS FIDAL, avocat au barreau du JURA

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 12 Avril 2022 en audience publique devant la Cour composée de :

Olivier MANSION, Président de chambre, Président,

Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,

Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,

qui en ont délibéré,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Kheira BOURAGBA,

ARRÊT rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Kheira BOURAGBA, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

La société LP CRÉATIONS, située sur le site de [Adresse 5], est une société du groupe Dalloz relevant de la division bijouterie.

Au 30 avril 2018, elle comptait 44 salariés.

M. [G] [U] a initialement été embauché par la société Etablissements Henry DENYS par contrat de travail à durée indéterminée à effet du 30 août 1996, en qualité de représentant de commerce selon le statut défini par les articles L.751-1 et suivants du code du travail et de la convention collective des représentants de commerce du 3 octobre 1975.

Les conditions de rémunération du salarié ont été modifiées par un contrat de travail à durée indéterminée conclu le 1er juillet 1998.

Plusieurs avenants ont été par la suite régularisés entre les parties entre 2006 et 2011 relatifs aux conditions d’exercice de son activité (secteur géographique, détachement auprès d’une autre société du groupe, conditions de rémunération).

Courant juin 2018, la société LP CRÉATIONS a entrepris une réorganisation commerciale conduisant à un projet de licenciement collectif pour motif économique concernant six postes.

M. [U] a été convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception du 22 juin 2018 à un entretien préalable à un éventuel licenciement économique fixé au 3 juillet suivant.

Le 12 juillet 2018, M. [U] a informé son employeur de son refus de tous les reclassements proposés et de son adhésion au contrat de sécurisation professionnelle (CSP).

Aux termes d’un courrier recommandé avec accusé de réception de l’employeur adressée à M. [U], la rupture du contrat de travail est intervenue à la date du 24 juillet 2018 à l’issue du délai de réflexion consécutif à l’acceptation du CSP.

Par requête du 22 novembre 2018, M. [U] a saisi le conseil de prud’hommes de Dijon afin de faire juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et en tirer toutes conséquences indemnitaires, et dire que le contrat de sécurisation professionnelle n’ayant pas de cause, il est fondé à prétendre au paiement d’une indemnité de préavis et des congés payés afférents.

Par jugement du 7 septembre 2020, le conseil de prud’hommes de Dijon a jugé le licenciement pour motif économique fondé sur une cause réelle et sérieuse et débouté M. [U] de l’ensemble de ses demandes.

Par déclaration formée le 2 octobre 2020, M. [U] a relevé appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières écritures du 7 février 2022, il demande de :

– réformer le jugement déféré en ce qu’il a déclaré que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse et l’a débouté de l’intégralité de ses demandes et l’a condamné aux dépens,

– juger que les différents écrits remis par l’employeur avant son adhésion au contrat de sécurisation professionnelle, complétés par son courrier du 18 juillet 2018, émis en réponse de sa demande de précision des motifs du licenciement, sont insuffisamment motivés comme ne mentionnant pas les conséquences sur l’emploi ou le contrat de travail du salarié de la réorganisation ou des difficultés économiques mentionnés par l’employeur dans ces différents écrits,

– juger que l’employeur ne rapporte pas la preuve de ce que le procès-verbal de réunion des délégués du personnel du 11 juin 2018 aurait été porté à la connaissance du salarié avant le 12 juillet 2018, date de son adhésion au CSP,

à titre principal,

– juger que faute d’énonciation suffisante du motif de licenciement, celui-ci est irréfragablement dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié ayant formé une demande de précision du motif auprès de son employeur dans les conditions prévues à l’article L.1235-2 du code du travail,

subsidiairement,

– juger que le motif matériel du licenciement argué par l’employeur est faux, l’employeur ayant fait état d’une réorganisation de l’entreprise entraînant des modifications du contrat de travail et non pas la suppression du poste de travail, la proposition de reclassement de l’employeur portant sur le même poste de travail avec un statut et une rémunération différente,

– juger que l’employeur aurait dû mettre en oeuvre la procédure prévue à l’article L.1222-6 du code du travail,

– juger que le motif causal du licenciement, tel qu’énoncé par l’employeur dans les écrits remis au salarié avant son adhésion au CSP est constitué de la réorganisation de l’entreprise et non des difficultés économiques de cette entreprise,

– juger que l’employeur ne justifie pas que cette réorganisation aurait été rendue nécessaire pour la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise sur son secteur d’activité,

dans tous les cas,

– déclarer le licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

– dire que le CSP n’ayant pas de cause, M. [U] peut prétendre au paiement de son indemnité de préavis et congés payés afférents,

– condamner l’employeur à lui payer les sommes suivantes :

* 16 309,47 euros, et subsidiairement 14 874,24 euros, à titre d’indemnité de préavis, congés payés inclus,

* 58 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

* 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouter la société LP CRÉATIONS de l’ensemble de ses prétentions, fins et conclusions plus amples ou contraires,

– la condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel, lesquels comprendront les éventuels frais d’exécution forcée.

Aux termes de ses dernières écritures du 3 mars 2022, la société LP CRÉATIONS demande de :

– juger que la rupture du contrat de travail repose sur une cause réelle et sérieuse,

– confirmer le jugement déféré dans l’intégralité de ses dispositions,

– débouter M. [U] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions, plus amples ou contraires,

– le condamner à lui payer la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel ainsi qu’aux entiers dépens d’appel, lesquels comprendront les éventuels frais d’exécution forcée,

à titre subsidiaire,

– juger que la rupture du contrat de travail repose sur une cause réelle et sérieuse,

– juger que l’insuffisance de motivation n’emporte pas absence de cause réelle et sérieuse de la rupture du contrat de travail,

– juger que l’insuffisance de motivation constitue une irrégularité de procédure dont la réparation s’effectue par le versement d’une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire brut,

– juger, en l’absence de préjudice démontré à ce titre, n’y avoir lieu à indemnisation et débouter M. [U] de toute demande,

– confirmer pour le surplus le jugement déféré dans l’intégralité de ses dispositions,

– débouter M. [U] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions, plus amples ou contraires,

– le condamner à lui payer la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel ainsi qu’aux entiers dépens d’appel, lesquels comprendront les éventuels frais d’exécution forcée,

à titre infiniment subsidiaire,

– juger que M. [U] ne justifie pas du préjudice revendiqué à hauteur de 58 000 euros au titre de la demande indemnitaire formée sur l’absence de cause réelle et sérieuse de la rupture de son contrat de travail,

– juger qu’en l’absence de préjudice démontré au-delà de l’indemnité minimale allouée par l’article L. 1235-3 du code du travail, M. [U] ne peut prétendre à une indemnisation supérieure à cette limite minimale,

– limiter l’indemnisation allouée à la somme de trois mois de salaire brut,

– juger que la moyenne des salaires bruts des douze derniers mois précédant la rupture du contrat de travail s’établit à 4 877 euros,

– limiter l’indemnisation allouée à la somme de 14 632 euros bruts,

– le débouter du surplus de sa demande indemnitaire, de sa demande au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents et de toutes ses autres demandes, fins et conclusions,

à titre plus infiniment subsidiaire,

– limiter l’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents à la somme de 14 632,56 euros bruts,

– débouter M. [U] du surplus de sa demande.

Pour l’exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I – Sur le bien fondé du licenciement pour motif économique :

M. [U] conteste la validité de son licenciement pour motif économique au motif d’une insuffisance de motivation de la lettre de licenciement, celle-ci n’explicitant pas les conséquences sur l’emploi du salarié des motifs économiques allégués.

Selon l’article L.1233-3 du code du travail, dans sa version applicable à la date du licenciement, ‘constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés […], par des mutations technologiques, par une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ou par la cessation d’activité de l’entreprise. […] ».

Selon les dispositions de l’article L.1233-16 du même code, la lettre de licenciement comporte l’énoncé des motifs économiques invoqués par l’employeur. Elle mentionne également la priorité de réembauche prévue par l’article L. 1233-45 et ses conditions de mise en oeuvre.

Il résulte de l’application de ce dernier texte que la lettre de licenciement, laquelle fixe les limites du litige, doit énoncer non seulement les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la réorganisation de l’entreprise, mais également les incidences de ces éléments sur l’emploi ou le contrat de travail du salarié licencié, étant précisé que l’énoncé d’un motif imprécis équivaut à une absence de motif.

En l’espèce, le courrier recommandé avec accusé de réception du 26 juillet 2018 par lequel la société LP CRÉATION a confirmé à M. [U] la rupture de son contrat de travail à effet au 24 juillet précédent suite à son acceptation du contrat de sécurisation professionnelle est rédigé en ces termes :

« […] LP CRÉATIONS a intégré le groupe Dalloz Frères voici quelques années et avec elle un des clients importants de la division bijouterie dont elle était un des principaux partenaires : Auchan.

Délocalisée sur [Adresse 5], la société LP CRÉATIONS a intégré les locaux de Rolot & Lemasson en 2003. Locaux qu ‘elle occupe toujours à l’heure actuelle.

Lors de la rationalisation des stratégies et des organisations internes de la division bijouterie avec notamment de la séparation des activités de sous-traitance joaillerie et de commercialisation de bijouterie, la société LP CRÉATIONS a bénéficié du transfert des ventes :

– de Charles Perroud en 2009,

– de Rolot & Lemasson en 2012,

– de Jomard en 2015.

Lors de ces transferts, l’organisation commerciale n ‘a que très peu évolué et s ‘est soldée par une érosion permanente des ventes et au maintien à son plus haut niveau d ‘une part forte d ‘activités sur les grandes surfaces alimentaires (GSA). Las, le marché de la bijouterie en plus d ‘être fortement concurrentiel, est en repli régulier et encore cette année de 1 %. Le tassement des ventes est perçu par toutes les entités de la division bijouterie. Toutefois et sur LP CRÉATIONS le tassement des ventes du détail est beaucoup plus marqué que la tendance des marchés avec un repli de plus de 11 %.

Au solde de la réorganisation interne des flux, la mission globale de LP CRÉATIONS est de commercialiser toute la bijouterie du groupe et d’approvisionner puis de distribuer les lignes de bijoux et les produits qui ne peuvent être gérés directement par les ateliers.

LP CRÉATIONS emploie au total 44 salariés, en partie situés sur un site géographique principal, des commerciaux répartis sur toute la France et quelques personnes associées à la création des produits localisés sur [Localité 6].

Depuis plusieurs années, la société LP CRÉATIONS était confrontée à des difficultés économiques principalement liées à un marché en forte baisse d activité, elle-même accompagnée d’une forte tension sur les prix de ventes.

Au sein de la division bijouterie, de 2012 à 2014, il est décidé de transférer les activités de bijouterie des sociétés Rolot et Lemasson et Charles Perroud vers la société LP CRÉATIONS. Cette hausse du volume des ventes a permis un retour à la profitabilité. Amélioration temporaire, car rapidement les ventes se sont effritées, engendrant ainsi une nouvelle fragilisation de l ‘économie de l’entreprise.

En 2015, la décision est prise de fusionner les activités de vente de LP CRÉATIONS avec celles de la société Jomard et de confier la direction commerciale de toutes les entités françaises de la division bijouterie à Mr [G] [C]. Si ceci fait que la société LP CRÉATIONS a pour un temps retrouvé son équilibre économique, il n ‘en est pas de même pour la division bijouterie traditionnelle.

Fin 2016, sur le constat de difficultés économiques persistantes, une nouvelle réorganisation de la division bijouterie est décidée par l’actionnaire du groupe. Le pilotage managérial est confié au directeur de la division joaillerie, intégration dans le pôle de la bijouterie de toutes les sociétés de commercialisation de bijoux en France (Saphir France) et mise en place d ‘un plan de modernisation et de rationalisation du fonctionnement de la même division.

En 2017, les activités de SAV de Jomard ont été transférées vers LP CRÉATIONSS et FAIR ‘BELLE et aussi le pilotage de la logistique vers LP CRÉATIONSS. Alors que dans le même temps, l’équipe Jomard a été étoffée des forces de développement de WEB TRADING et de communication.

Las, le bilan économique de l’année 2017 fut mauvais avec des pertes économiques importantes enregistrées par la division bijouterie ; le constat est que malgré la volonté de rebondir sur le marché des détaillants, cette division est toujours confrontée à une offre produits inadaptée et un processus commercial et de création en écart par rapport aux attentes des marchés. Il nous faut faire plus et mieux…

En parallèle du positionnement des entreprises du groupe déjà engagées en 2017, un programme de leanmanagement est conduit sur la division :

– Nouvelle politique de stock et de sourcing, enrichie en 2018 d ‘une politique de mise en stock de nouveautés,

– Globalisation des flux logistiques et standardisation des packagings (en cours de déploiement en mai 2018),

– Réorganisation commerciale : à mettre en ‘uvre en 2018,

– Repositionnement des marques et des produits : en cours en mai 2018,

– Rationalisation des conceptions de produits et élévation des sites off-shores de fabrication.

Ces choix induisent une modification de la répartition des rôles des entreprises et une spécialisation au sein de la division. FAIR ‘BELLE prend en charge toute l’offre mariage-fiançailles du groupe.

Le marché de la HBJO (bijouterie) est un marché en souffrance sur le territoire français. Un pouvoir d’achat en difficulté, associé à de nouvelles priorités de dépenses (loisirs, objets connectés, etc…) explique cette situation.

Au sein de la HBJO, le bijou or souffre particulièrement, dans un monde qui favorise les extrêmes avec d’une part l’arrivée massive de la bijouterie fantaisie et ses réseaux de distribution multiples et d ‘autre part le développement de la joaillerie. Le premier constat est qu’aujourd’hui l’activité bijouterie est beaucoup trop orientée hypermarchés. Le réseau de distribution qui représente 16,7 % des parts de marchés, représente aujourd’hui dans notre activité consolidée 33,9 % de notre chiffre d’affaires LP CRÉATIONSS est particulièrement exposée à ce décalage : la part de la grande distribution représente 45,7% du chiffre d’affaires Ceci est pour beaucoup un héritage du passé venu de DEVINLEC (LECLERC) et AUCHAN.

Les organisations actuelles sont construites autour de ce modèle de l’hyper avec notamment un secteur du détail historiquement relégué au second rang, y compris au niveau du management.

Dans le même temps, la place du rayon bijouterie dans la grande distribution du futur reste pleine de doutes. La grande distribution développe d’une part le système de drive et d’autre part une reconquête des centres villes avec des supermarchés de proximité (U EXPRESS, CARREFOUR MARKET PETIT CASINO, MONOP’, etc…). Sur ces deux axes de développement, le rayon bijouterie n’a plus sa place. L’avenir de notre activité et la reconquête du marché passent donc par une nouvelle organisation de la division bijouterie privilégiant le secteur du détail et les regroupements spécialisés.

Sur le principe de « l ‘union fait la force », notre marché a vu naître et/ou croître depuis dix ans d’innombrables groupements (SYNALIA, THOM EUROPE, DUNY, CORBEILLE D ‘OR, JOOR, NOUVEAUX BIJOUTIERS, AMIBIJOR etc…). L’effet de cette évolution est que la vente de nos produits se fait aujourd’hui via des achats centralisés et non plus magasin par magasin. Cette évolution de notre marché nécessite de développer la fonction de responsable grands comptes d’un côté et allège la charge du quotidien de nos vendeurs.

Aujourd’hui, le constat est que nous avons trois forces de vente qui cohabitent sur un même secteur de la France métropolitaine au sein de la division bijouterie :

– une force de vente LP CRÉATIONS

– une force de vente Fair’Belle

– une force de vente Saphir France

le tout composé, par certains groupements de cartes de 14 personnes.

Cette organisation montre :

– Des secteurs géographiques beaucoup plus gros et difficiles à couvrir efficacement. Un vendeur ne peut être efficace au-delà de quinze départements et l’idéal est entre dix et onze. Certains de nos commerciaux ont actuellement vingt-trois ou vingt-quatre départements.

– Des visites commerciales deux fois par an alors que nos concurrents sont organisés pour passer trois à quatre fois.

– Un résultat édifiant de 27 % (moyenne) de recouvrement de réseaux entre celui de Fair’Belle et celui de LP CRÉATIONSS (bijouteries ayant fait au moins 1euro de CA).

Par ailleurs dans un monde en mouvement perpétuel, les contrats de travail liés aux forces de vente du détail sont devenus trop rigides. Cela génère un millefeuille administratif complexe à gérer (règles différentes, système de rémunération très variable), exposant notamment l’entreprise à une non-maîtrise des coûts en cas de croissance du chiffre d’affaires et les commerciaux à une rémunération insuffisante en cas de baisse conjoncturelle et durable du marché.

Ainsi, la réorganisation décidée au sein de la division bijouterie vise à proposer une offre globale du groupe Dalloz qui sera portée par chacun de nos commerciaux, ceci pour développer une offre cohérente.

Ainsi, pour répondre à cette réorganisation de la division bijouterie, des secteurs affectés à des commerciaux salariés seront envisagés dans le cadre du reclassement : toutes les informations vous ont été données par courrier séparé du 3 juillet 2018.

Toutefois, vous nous avez indiqué ne pas souhaiter postuler à l’un des postes de délégué Commercial au détail France offert en reclassement, ni à aucun autre poste proposé. Vous avez conforté votre position par votre courrier LRAR n° 1A085 283 9621 6, par l’acceptation du CSP.

Nous vous informons que, conformément à l’article L.1233-45 du Code du travail, vous pourrez bénéficier en pareil cas d’une priorité de réembauchage durant un délai d’un an à compter de la date de rupture de votre contrat de travail. Pour ce faire, vous devrez nous faire part de votre désir d’user de cette priorité au cours de cette année. Cette priorité concerne les emplois compatibles avec votre qualification actuelle ou avec celle que vous viendriez à acquérir sous réserve que vous nous ayez informé de celle-ci.

Par ailleurs, nous vous informons que vous pouvez bénéficier de la portabilité du régime de prévoyance et/ou des frais de santé dans les conditions et selon les modalités énoncées dans un courrier séparé qui vous a été adressé le 25 juillet 2018.

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de nos salutations distinguées ». (pièce n° 22)

En l’espèce, s’il peut être observé que la missive de rupture détaille utilement et précisément les difficultés économiques précédemment rencontrées par l’entreprise, les moyens mis en oeuvre pour y remédier ou tenter d’y remédier ainsi que les motifs économiques actuels ayant présidé à la réorganisation de la société en 2018, il n’est en revanche aucunement fait état de l’incidence de ces éléments sur l’emploi ou le contrat de travail de M. [U].

En effet, en dehors de considérations générales (« la vente de nos produits se fait aujourd’hui via des achats centralisés et non plus magasin par magasin », « nous avons trois forces de vente qui cohabitent sur un même secteur de la France métropolitaine  » notamment) et indifférenciés par rapports aux commerciaux ( » pour répondre à cette réorganisation de la division bijouterie, des secteurs affectés à des commerciaux salariés seront envisagés dans le cadre du reclassement »), il n’est nullement fait référence à la situation particulière de M. [U], pas même pour faire état de la suppression de son poste et des raisons de ce choix.

En conséquence, en l’absence d’élément relatifs à l’incidence sur l’emploi des motifs économiques invoqués, la lettre de rupture ne répond pas à l’exigence légale de motivation.

La société LP CRÉATIONS soutient qu’il résulte du dernier alinéa de l’article L.1235-2 du code du travail qu’en cas d’irrégularité de procédure, la rupture du contrat de travail n’est pour autant pas privée de cause réelle et sérieuse, cette irrégularité étant sanctionnée par l’octroi d’une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.

Il convient néanmoins de relever que l’irrégularité résultant de l’absence ou de l’insuffisance de motivation de la lettre de licenciement caractérise une irrégularité de fond du licenciement et non une irrégularité de procédure, de sorte que cette disposition ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce.

Par ailleurs, si l’alinéa 3 du même texte prévoit qu’à défaut pour le salarié d’avoir formé auprès de l’employeur une demande en application de l’alinéa premier, l’irrégularité que constitue une insuffisance de motivation de la lettre de licenciement ne prive pas, à elle seule, le licenciement de cause réelle et sérieuse et ouvre droit à une indemnité qui ne peut excéder un mois de salaire, tel n’est pas le cas en l’espèce, M. [U] ayant formulé une telle demande le 12 juillet 2018 en même temps qu’il a adhéré au CSP. (pièce n° 21)

Dans ces conditions, le licenciement pour motif économique de M. [U] est, du seul fait de l’insuffisance de motivation de la lettre de rupture, dépourvu de cause réelle et sérieuse sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens soulevés relatifs à la pertinence des motifs économiques eux-mêmes. Le jugement déféré sera donc infirmé sur ce point.

Il se déduit par ailleurs des développements qui précèdent, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur le moyen tiré de l’insuffisance des informations communiquées au salarié sur les difficultés économiques de la société et le fait que l’employeur ne rapporterait pas la preuve qu’il lui a communiqué le procès-verbal de réunion des délégués du personnel du 11 juin 2018 avant son adhésion au CSP, qu’en l’absence de motif économique de licenciement, le contrat de sécurisation professionnelle souscrit par M. [U] n’a pas de cause.

L’employeur est donc tenu à l’obligation du préavis et des congés payés afférents, sauf à tenir compte des sommes déjà versées au salarié. Le jugement déféré sera également infirmé sur ce point.

II – Sur les demandes pécuniaires :

– Sur l’indemnité de préavis et congés payés afférents :

Sur la base d’une rémunération mensuelle moyenne de 4 958,08 euros sur les douze derniers mois précédant la rupture des relations contractuelles (juillet 2017/juin 2018) et de 5 436,49 euros au cours des trois derniers mois précédant la rupture (juin-mai-avril 2018), M. [U] sollicite une indemnité de préavis d’un montant de 16 309,47 euros (calculée sur la moyenne des trois derniers mois) et subsidiairement de 14 874,24euros (calculée sur la moyenne des 12 derniers mois), indemnité de congés payés comprise.

Pour sa part, la société LP CRÉATIONS conclut au rejet de la demande :

– à titre principal car le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,

– à titre subsidiaire car l’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents ne saurait se cumuler avec les prestations servies par Pôle Emploi et financées par elle.

A titre infiniment subsidiaire, elle conclut à une limitation de la somme dûe à 14 632,56 euros bruts correspondant à trois mois de salaires bruts, indemnité de congés payés comprise, sur la base d’un salaire mensuel moyen de 4 877,52 euros.

Dès lors que seules les sommes versées par l’employeur au salarié peuvent être déduites de la créance au titre de l’indemnité de préavis, et compte-tenu des pièces produites par les parties, il sera alloué à M. [U] la somme de 16 309,47 euros à titre d’indemnité de préavis, indemnité de congés payés comprise, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.

– Sur les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Au visa de l’article L. 1235-3 du code du travail, M. [U] sollicite la somme de 58 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Pour sa part, la société LP CRÉATIONS conclut au rejet ou tout au moins à la limitation de la demande aux motifs que M. [U] a perçu dans le cadre de la rupture de son contrat de travail une indemnité de clientèle à hauteur de 45 000 euros et qu’il a rapidement retrouvé un emploi.

Au regard de l’âge du salarié (55 ans), de son ancienneté (22 ans) et d’un salaire mensuel moyen de 4 797,07 euros (moyenne du 1er juillet 2017 au 30 juin 2018), le montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sera évalué à 45 000 euros.

Néanmoins, en application des dispositions de l’article L. 7313-13 du code du travail, en cas de rupture du contrat de travail à durée indéterminée par l’employeur, en l’absence de faute grave, le VRP a droit à une indemnité pour la part qui lui revient personnellement dans l’importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par lui.. Cette indemnité dite de clientèle s’assimile à des dommages et intérêts en ce qu’elle répare le préjudice subi par le VRP. Elle ne se cumule pas avec l’indemnité de licenciement.

M. [U] ayant perçu dans le cadre de la rupture de son contrat de travail une indemnité de clientèle à hauteur de 45 000 euros, il ne lui sera en conséquence alloué aucune somme à ce titre.

III – Sur les demandes accessoires :

Le jugement sera infirmé en ce qu’il a rejeté la demande de M. [U] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il lui sera alloué la somme de 1 500 euros en vertu de l’article 700 du code de procédure civile.

La société LP CRÉATIONS sera déboutée de sa demande à ce titre.

Celle-ci succombant au principal, elle supportera les dépens de première instance et d’appel, le jugement déféré étant informé sur ce point.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement du conseil de prud’hommes de Dijon du 7 septembre 2020 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

DIT que le licenciement de M. [G] [U] est sans cause réelle et sérieuse,

DIT que l’adhésion de M. [G] [U] au contrat de sécurisation professionnelle est dépourvue de cause,

CONDAMNE la société LP CRÉATIONS à payer à M. [G] [U] les sommes suivantes :

– 16 309,47 euros à titre d’indemnité de préavis, indemnité de congés payés comprise,

– 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

DIT n’y avoir lieu au versement d’une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, déduction faite de l’indemnité de clientèle déjà perçue,

REJETTE la demande de la société LP CRÉATIONS au titre de l’article 700 code de procédure civile,

CONDAMNE la société LP CRÉATIONS aux dépens de première instance et d’appel

Le greffierLe président

Kheira BOURAGBAOlivier MANSION

 


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