15 septembre 2022
Cour d’appel de Rennes
RG n°
19/07406
7ème Ch Prud’homale
ARRÊT N°399
N° RG 19/07406 – N° Portalis DBVL-V-B7D-QH4J
SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE
C/
Mme [D] [K] épouse [L]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 15 SEPTEMBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère, Faisant fonction de Président de Chambre
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Hervé KORSEC, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 13 Juin 2022 devant Madame Liliane LE MERLUS et Madame Isabelle CHARPENTIER, magistrats tenant seuls l’audience en la formation double rapporteur, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
En présence de Madame MEUNIER, médiateur judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 15 Septembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTE :
SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE représentée en la personne de son président, Madame [G] [H]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Marine ADAM de la SELARL CHEVALLIER ET ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de BREST
INTIMÉE :
Madame [D] [K] épouse [L]
née le 15 Juillet 1961 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Jean-Christophe CADILHAC, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de QUIMPER
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [D] [K] épouse [L] a été embauchée par la SA HYPER RALLYE, devenue la SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE, selon un contrat à durée indéterminée en date du 24 octobre 1983, en qualité d’employée de libre service. Elle exerçait les fonctions d’employée au rayon alimentaire, puis les fonctions de mise en rayon au rayon textile.
Les relations entre les parties étaient régies par la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.
À compter du 15 septembre 2006, Mme [L] a été placée en arrêt maladie, pris en charge, entre septembre 2006 et janvier 2013, au titre de la législation sur les risques professionnels.
Le 03 janvier 2013, le médecin du travail a déclaré Mme [L] apte avec restriction dans le cadre d’un poste à temps partiel ne comportant pas de mouvement d’élévation des bras au-delà du plan des épaules, ni de mouvements répétitifs latéraux des bras.
À compter du mois de janvier 2013, la salariée a repris son activité professionnelle au sein de l’espace bijouterie du supermarché et dans le cadre d’un temps partiel de 18 heures par semaine, selon les préconisations du médecin du travail.
En mai 2016 l’espace bijouterie a été supprimé suite à une restructuration du supermarché, et Mme [L] a été affectée en caisse, toujours à temps partiel, en juin 2016.
À compter du 13 juillet 2016 et jusqu’au 10 septembre 2017, Mme [L] a été à nouveau placée en arrêt maladie.
La CPAM a refusé la prise en charge au titre de la légalisation sur les risques professionnels.
Mme [L] a été placée en invalidité 2ème catégorie à compter du 11 septembre 2017 et en a avisé l’employeur qui a repris son attache aux fins de connaître sa position quant à une éventuelle reprise du travail.
Par courrier du 06 octobre 2017, Mme [L] a invité l’employeur à organiser, avec le médecin du travail, une visite de reprise.
À l’issue de la visite de reprise en date du 03 novembre 2017, le médecin du travail a déclaré la salariée inapte à son poste, et, après étude de poste, a précisé qu’aucun poste de reclassement n’avait été identifié dans le magasin de [Localité 6].
Le 28 décembre 2017, la SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE a proposé deux postes de reclassement à Mme [L], un situé à [Localité 7] et l’autre à [Localité 8].
Compte tenu de l’éloignement géographique, la salariée a refusé les propositions par courrier en date du 10 janvier 2018.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 07 février 2018, Mme [L] s’est vue notifier un licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
***
Contestant la rupture de son contrat de travail, Mme [L] saisi le conseil de prud’hommes de Quimper le 23 mai 2018 et a formé à l’audience les demandes suivantes :
– Déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse faute pour l’employeur d’avoir satisfait à son obligation de reclassement;
En conséquence :
– Condamner la SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE à lui régler les sommes suivantes :
– 1 614,36 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis
– 161,43 euros net à titre de congés payés sur préavis
– 16 143 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– 1 500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
– Condamner la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE aux entiers dépens en ce compris les éventuels frais d’exécution forcée de la décision à intervenir;
– Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir en toutes ses dispositions.
La SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE a demandé au conseil de :
– Débouter [D] [L] de toutes ses demandes;
– Condamner [D] [L] aux dépens et à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement de départage en date du 14 octobre 2019, le conseil de prud’hommes de Quimper a :
– Dit que le licenciement de [D] [L] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
– Condamné la SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE à payer à [D] [L] les sommes suivantes :
– 1 614,36 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis
– 161,43 euros net à titre de congés payés sur préavis
– 16 143 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts légaux à compter de la demande en justice;
– Dit que les sommes à caractère non salarial porteront intérêts légaux à compter de la décision;
– Dit qu’en vue d’une éventuelle application des dispositions de l’article R.1454-28 du code du travail, le salaire mensuel à prendre en compte est de 807,18 euros;
– Rejeté toutes demandes plus amples ou contraires;
– Condamné la SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE aux dépens et à payer à [D] [L] une indemnité de 1 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens;
– Ordonné l’exécution provisoire.
***
La SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE a régulièrement interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 12 novembre 2019.
En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 29 avril 2020,
la SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE demande à la cour de :
– Infirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de QUIMPER le 14 octobre 2019 en ce qu’il a:
« Dit le licenciement de [D] [L] dépourvu de cause réelle et sérieuse;(…)
– Condamné la SAS Distribution Casino France à payer à Madame [D] [L] les sommes suivantes:
– 1 614,36 C brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 161,43 C brut à titre de congés payés sur préavis,
– 16 143,00 C net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– Condamné la SAS Distribution Casino France aux dépens et à payer à [D] [L] une indemnité de 1 500,00 € au titre des frais non compris dans les dépens (…) ».
Statuant à nouveau :
– Dire et juger que la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE a satisfait à son obligation de reclassement et que, dès lors, le licenciement de Madame [D] [L] est justifié par une cause réelle et sérieuse;
En conséquence:
– Débouter Madame [D] [L] de sa demande en paiement d’une indemnité compensatrice de préavis, ainsi que de congés payés afférents;
– Débouter Madame [D] [L] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
– Débouter Madame [D] [L] de sa demande formulée au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile;
– La condamner à verser à la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE la somme de 2 500,00 € au titre des frais irrépétibles;
– Débouter Madame [D] [L] de toutes ses éventuelles demandes complémentaires, fins et conclusions;
– La condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel.
En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 02 avril 2020,
Mme [L] demande à la cour d’appel de :
Vu le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Quimper en date du 14 octobre 2019;
Vu l’appel interjeté à son encontre par la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE:
– Dire et juger la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE mal fondée en son appel.
En conséquence:
– Confirmer en toutes ses dispositions, le jugement querellé ;
– Débouter la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
– La condamner à régler à Madame [L] une indemnité de 5 000 € par application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu’aux entiers dépens.
***
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 31 mai 2022.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l’exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions susvisées qu’elles ont déposées et soutenues à l’audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La société appelante critique le premier juge en ce qu’il a retenu, au terme d’une analyse qu’elle estime pour le moins critiquable, qu’elle ne justifiait pas avoir sérieusement et loyalement satisfait à son obligation de reclassement interne, au seul motif que la fiche emploi compétences mentionnait la possibilité d’aménager le poste d’employé commercial et se référait à l’accord Handicapte groupe, en se fondant sur ledit accord, dont il ne disposait même pas, préjugeant ainsi de son contenu et en ignorant manifestement les termes mêmes de l’avis d’inaptitude querellé.
Mme [L] réplique que de nombreuses embauches ont été effectuées au cours de la période de novembre 2017 à mars 2018, sans que le registre du personnel ne permette de connaître précisément les postes concernés’; que, s’agissant du poste d’employé commercial, si les postes proposés correspondaient effectivement à ce poste, elle aurait pu remplir certaines missions’; que pour les tâches les plus physiques la fiche technique évoque des possibilités d’aménagement de 2 ordres’: technique et organisationnel, sur lesquels le médecin du travail aurait pu émettre un avis, s’il avait été sollicité, et préciser qu’elle était inapte à un poste d’employée commerciale, comme il a précisé qu’elle était inapte à un poste administratif et à un poste de cariste’; que l’accord Handicapte groupe Casino atteste de la volonté forte de mener une politique d’intégration, de maintien dans l’emploi et d’accompagnement des personnes en situation de handicap et notamment des titulaires d’une pension d’invalidité réduisant au moins des deux tiers leur capacité de gain comme c’était son cas, qu’il prévoit également l’accompagnement du salarié en cours de procédure de reclassement suite à inaptitude, et suite à licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement, mais que force est de constater qu’en l’espèce aucun accompagnement ne lui a été proposé.
***
Le registre d’entrée et de sortie du personnel versé aux débats permet de vérifier que les postes sur lesquels la société a procédé aux recrutements visés par l’appelante concernent exclusivement des postes d’employé(e) commercial(e), qui constituent du reste, en nombre, le principal emploi existant au sein de l’établissement, s’agissant d’un supermarché.
Or, Mme [L] était elle-même employée commerciale, cet emploi étant polyvalent, comme il ressort de la fiche de poste d’employé commercial à dominante libre-service. Il y a lieu de prendre en considération, s’agissant de ce poste, les missions et tâches, et non, comme le fait Mme [L], les compétences requises au poste qui ne peuvent être examinées de manière abstraite et détachée des tâches et missions afférentes au poste.
Le médecin du travail a considéré qu’elle était inapte à son poste, qui consistait, au moment où il s’est prononcé, en des tâches de caissière.
Avant de rendre son avis d’inaptitude, il a procédé à une étude de poste et a pris connaissance de l’ensemble des postes existant dans l’entreprise, répertoriés dans une fiche d’entreprise à jour. En pleine connaissance de ces postes, il a expressément mentionné, au-delà de l’inaptitude de la salariée à tenir une caisse, qu’elle était également inapte au poste de mise en rayon, inapte au travail dans les rayons poissonnerie, boucherie, fruits et légumes, traiteur. Balayant de la sorte l’ensemble des postes correspondant à un emploi d’employé commercial de libre-service au sein de l’établissement, il a exclu ce faisant la compatibilité de l’état de Mme [L] avec un poste d’employée commerciale.
Il a également exclu l’aptitude à tenir un poste administratif ou de cariste, de sorte qu’effectivement, il a été amené à considérer qu’aucune solution de reclassement n’était identifiée dans le magasin de [Localité 6].
A la différence des examens antérieurs, qui l’avaient conduit à préconiser des aménagements’: affectation de Mme [L], qui ne pouvait plus effectuer de manutention impliquant une élévation au-delà des épaules ou des mouvements répétitifs des bras, à un poste à la boutique «or’», puis, suite à la fermeture de celle-ci, à un poste de caissière à temps très partiel, les expériences infructueuses aux postes existants et la réduction de la capacité résiduelle aboutissant à l’exclusion de tous types de fonctions, dont celles d’employé commercial de libre-service, qu’elles impliquent des tâches administratives ‘ou
des tâches de manutention aidée par un matériel d’aide à la manutention et d’élévation (comme en dispose un cariste), puisque la salariée, dont le temps de travail était déjà très réduit, était inapte aussi bien à un poste administratif qu’à un poste de cariste, ne permettaient plus de maintenir, comme antérieurement, une aptitude par le biais d’aménagements, ce qui a conduit à l’avis d’inaptitude.
L’accord Handicapte groupe, produit aux débats en cause d’appel, s’il souligne la volonté de favoriser le maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap ou titulaires d’une pension d’invalidité, ne met à la charge de l’employeur aucune obligation particulière qui aille au-delà des obligations légales en matière d’aménagement de poste (or en l’espèce les conclusions du médecin du travail excluaient une telle possibilité), seulement une obligation, au titre de l’accompagnement du salarié en cours de recherche de reclassement suite à une inaptitude, de proposer au salarié une formation, en e-learning, pour permettre le réentraînement au travail.
Mme [L] a reçu, en application de cet accord, une proposition de e-learning, qu’elle a déclinée.
Il n’est en conséquence pas caractérisé de manquement de l’employeur à son obligation de rechercher sérieusement et loyalement un reclassement interne en faveur de Mme [L], en l’absence de poste disponible compatible avec les préconisations du médecin du travail au sein du magasin de [Localité 6], étant précisé qu’il n’est pas contesté qu’il a satisfait par ailleurs à son obligation de recherche de reclassement au sein du groupe et de consultation des délégués du personnel au sujet du reclassement de la salariée et des postes pouvant lui être proposés.
Le licenciement de Mme [L] pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement repose donc bien sur une cause réelle et sérieuse et le jugement, qui l’a retenu sans cause réelle et sérieuse et a condamné l’employeur aux conséquences de la rupture, doit être en conséquence infirmé en l’ensemble de ses dispositions.
Il n’est pas inéquitable, en considération de la situation respective des parties, de laisser à la société appelante la charge de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel.
Mme [L], qui succombe, sera déboutée de sa propre demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et condamnée aux dépens de première instance, en infirmation du jugement, ainsi qu’aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS:
La Cour,
INFIRME le jugement entrepris,
STATUANT à nouveau sur les chefs infirmés, et y ajoutant,
DIT le licenciement de Mme [D] [K] épouse [L] fondé sur une cause réelle et sérieuse,
DEBOUTE Mme [D] [K] épouse [L] de l’ensemble de ses demandes, comprenant les frais irrépétibles,
DEBOUTE la SAS Distribution Casino France de sa demande au titre des frais irrépétibles,
CONDAMNE Mme [D] [K] épouse [L] aux dépens de première instance et d’appel.
Le Greffier Le Conseiller
Faisant Fonction de Président