Bijouterie : 15 juin 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/04526

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Bijouterie : 15 juin 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/04526

15 juin 2023
Cour d’appel de Rouen
RG
21/04526

N° RG 21/04526 – N° Portalis DBV2-V-B7F-I6CE

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 15 JUIN 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 03 Novembre 2021

APPELANTE :

Madame [L] [R]

[Adresse 1]

[Localité 5]

présente

représentée par Me David VERDIER de la SELARL VERDIER MOUCHABAC, avocat au barreau de l’EURE

INTIMEE :

S.A. MAISON CLIO BLUE

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Claire-Marie CHARRIER, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 10 Mai 2023 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

M. GUYOT, Greffier

DEBATS :

A l’audience publique du 10 Mai 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 15 Juin 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 15 Juin 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [L] [R] a été engagée par la SA Clio Blue, spécialisée dans le commerce d’articles d’horlogerie et de bijouterie en qualité de vendeuse démonstratrice par contrat à durée déterminée de remplacement du 8 novembre 2014 puis par contrat à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2015.

Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective nationale de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie et activités qui s’y rattachent.

À compter du 1er septembre 2016, le contrat de travail a été transféré à la SA Maison Clio Blue, Mme [R] étant, parallèlement, promue au poste de responsable de la communication et des relations presse.

Le licenciement pour cause réelle et sérieuse a été notifiée à la salariée le 18 septembre 2017.

Par requête du 28 février 2019 ayant donné lieu à un désistement d’instance en raison d’une erreur sur l’identité de l’employeur, puis requête du 25 août 2020, Mme [R] a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen en contestation de son licenciement et paiement de rappels de salaire et indemnités.

Par jugement du 3 novembre 2021, le conseil de prud’hommes a déclaré irrecevable l’action de Mme [R] et l’a condamnée à payer à la société Maison Clio Blue la somme de 50 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Mme [R] a interjeté appel de cette décision le 29 novembre 2021.

Par conclusions remises le 4 avril 2023, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des moyens, Mme [R] demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, déclarer son action recevable, débouter la société Maison Clio Blue de toutes ses demandes, en conséquence, condamner la société Maison Clio Blue à lui payer la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts, à titre principal, pour licenciement nul, ou à titre subsidiaire, en réparation du préjudice subi du fait de la mise en oeuvre abusive et discriminatoire de la clause de mobilité dans un contexte de harcèlement moral, outre la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens.

Par conclusions remises le 17 mai 2022, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des moyens, la société Maison Clio Blue demande à la cour de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, y ajoutant, condamner Mme [R] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens avec distraction.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 13 avril 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I – Sur la recevabilité de l’action

La société Maison Clio Blue conclut à la prescription de l’action de la salariée en application de l’article L. 1471-1 du code du travail dans sa version applicable qui fixe le délai de constatation de la rupture du contrat de travail à deux ans. Elle ne conteste pas le fait que toute demande liée à un harcèlement ou une discrimination se prescrit par cinq ans mais soutient que pour appliquer ce délai, il faut que les notions de harcèlement ou de discrimination soient retenues, ce qui ne peut être le cas en l’espèce.

En réponse, Mme [R] fait valoir que son licenciement étant fondé sur la mise en oeuvre harcelante et discriminatoire de la clause de mobilité de son contrat de travail, son action, tendant à voir reconnaître la nullité de son licenciement sur cet argument, se prescrit donc par cinq ans, de sorte qu’elle est parfaitement recevable. À titre subsidiaire, elle formule une demande de dommages et intérêts indépendante de la nullité de la rupture de son contrat de travail qui est incontestablement soumise au délai de prescription quinquennal.

Aux termes de l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond pour défaut de droit d’agir tel la prescription.

Aux termes de l’article L. 1471-1 du code du travail dans sa version issue de la loi n°2018-217 du 29 mars 2018 applicable au présent litige eu égard à la date de l’acte introductif d’instance, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.

Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.

Les deux premiers alinéas ne sont toutefois pas applicables aux actions en réparation d’un dommage corporel causé à l’occasion de l’exécution du contrat de travail, aux actions en paiement ou en répétition du salaire et aux actions exercées en application des articles L. 1132-1, L. 1152-1 et L. 1153-1. Elles ne font obstacle ni aux délais de prescription plus courts prévus par le présent code et notamment ceux prévus aux articles L. 1233-67, L. 1234-20, L. 1235-7, L. 1237-14 et L. 1237-19-8, ni à l’application du dernier alinéa de l’article L. 1134-5.

Enfin, en application de l’article 2224 du code civil, l’action en paiement de dommages et intérêts pour harcèlement moral ou discrimination se prescrit par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit à connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, étant précisé que le point de départ de ce délai de prescription de droit commun doit être fixé à la date du dernier acte pouvant être qualifié d’harcelant ou discriminant.

En l’espèce, Mme [R] soutient que son licenciement est intervenu dans un contexte de harcèlement moral et discriminatoire dont il constitue le dernier acte participant de cette situation. Dès lors, le point de départ du délai de prescription, commun aux deux actions, principale et subsidiaire, doit être fixé au jour du licenciement, soit le 18 septembre 2017.

En outre, contrairement à ce que soutient la société Maison Clio Blue, conformément à l’application de l’alinéa 3 de l’article L. 1471-1 sus-visé, les deux actions sont soumises au même délai de prescription quinquennale, puisqu’il s’agit de deux actions exercées en application des articles L. 1132-1, L. 1152-1 et L. 1153-1 du code du travail.

Le délai de prescription ayant commencé à courir le 18 septembre 2017, son action introduite le 25 août 2020, n’est pas prescrite.

En conséquence, par jugement infirmatif, il convient de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la société Maison Clio Blue tirée de la prescription des actions principale en nullité du licenciement pour harcèlement moral et discriminatoires et subsidiaire en dommages et intérêts pour réparation du préjudice subi en raison de ce comportement.

II – Sur le harcèlement moral et discriminatoire

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L’article L. 1152-2 du même code dans sa version applicable à la présente espèce dispose qu’aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

En vertu de l’article L. 1132-1 du code du travail dans sa version applicable à la présente espèce, aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi nº 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m’urs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

Il résulte de ces dispositions que pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail, et, dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

S’agissant de la discrimination, il appartient également au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En l’espèce, au soutien de son action, Mme [R] fait valoir que la mise en oeuvre de la clause de mobilité de son contrat de travail s’est déroulée dans des conditions qui caractérisent un harcèlement moral et discriminatoire, puisqu’il s’agit d’une mesure de représailles décidée à la suite du mail qu’elle a adressé à son supérieur hiérarchique le 5 juillet 2017 aux termes duquel elle se plaignait de harcèlement moral et évoquait la possibilité d’une rupture conventionnelle.

Pour étayer ses allégations, elle verse aux débats le courriel qu’elle a adressé le 5 juillet 2017 à M. [W] [N], le président de la société Maison Clio Blue, qui est rédigé comme suit :

‘Hier, je suis venue au showroom à ta demande.

A peine arrivée, tu as hurlé sur moi, pendant près de 15 minutes, de plus en plus fort et de plus en plus violemment, d’abord devant [Z], puis devant [B], et ce en présence des huit autres personnes qui travaillaient au showroom hier. Etant donné l’absence totale de mur à l’intérieur du showroom, tout le monde t’a entendu. Les mots ‘merde’ et ‘tu ne sers à rien’ ont été prononcés. Tu m’as dénigrée publiquement et je me sens humiliée et non respectée ce qui est particulièrement difficile à vivre.

Tu avais déjà hurlé sur moi le jeudi 1er juin au showroom, devant [B], également en présence de toutes les personnes qui travaillaient au showroom ce jour-là.

Je n’accepterai plus cela car cela constitue des agissements répétés de harcèlement moral selon l’article 1152-1 du code du travail et une atteinte à ma dignité.

Hier soir, [D] m’a informé par téléphone que tu souhaitais me proposer une rupture conventionnelle. Si tel est le cas, je souhaite recevoir cette proposition par écrit afin d’éviter tout contentieux ou mauvaise interprétation.

J’ai, par ailleurs, questionné l’inspection du travail sur la procédure à suivre dans le cas d’une rupture conventionnelle, et il est impératif qu’un entretien ait lieu entre l’entreprise et le salarié. À ce jour, je n’ai reçu aucune convocation et je ressens donc une pression très importante psychologiquement.

Enfin, j’ai envoyé, le 29 mai dernier, un mail adressé à [D] et [Z], concernant ma demande de congés d’été. [Z] m’a répondu ne pas vouloir statuer et te transférer le mail. Il t’a été transféré le 6 juin dernier. À ce jour, je suis toujours sans réponse. Je te rappelle que ma demande était de 14 jours du 14 août au 1er septembre 2017. Merci de bien vouloir me donner ton retour sur mes congés cette semaine.’

M. [N] a répondu trois heures plus tard en ces termes :

‘Je fais suite à ton mail de ce jour. Il convient de ne pas confondre à mon sens harcèlement moral et constat qu’il n’est plus possible de poursuivre notre relation contractuelle comme auparavant. Ces derniers mois ont mis en évidence l’impossibilité d’exécuter tes fonctions à distance au regard du poste occupé alors que toutes les relations presse et communication sont centralisées sur [Localité 4] ainsi que la présence de notre direction à [Localité 4]. C’est ce que je t’ai indiqué en substance hier; ton interprétation totalement exagérée ne trompe personne.

Je n’entend donc nullement rompre ton contrat alors même que notre groupe a grandement besoin d’une responsable des relations presse et d’une communication efficace. En revanche, je te propose parallèlement une mobilité sur [Localité 4] à compter du 1er septembre prochain, conformément aux termes du contrat.’

C’est ainsi que le 6 juillet 2017, la société Maison Clio Blue a adressé à Mme [R] un courrier l’informant de la mise en oeuvre de sa clause de mobilité géographique et par suite de sa mutation dans les locaux parisiens de la société à compter du 4 septembre 2017.

Cette décision était motivée comme suit : ‘Au regard des fonctions que vous exercez au sein de la société et du recul que nous avons dorénavant sur le poste de responsable de la communication et des relations presse que vous occupez depuis un an, nous faisons le constat qu’il n’est plus possible que vous exécutiez votre prestation de travail à distance. D’une part les relations presse et communication sont centralisées sur [Localité 4] de sorte que votre éloignement pose de réelles difficultés en terme d’organisation, de disponibilité et de réactivité. D’autre part, les membres de la direction sont également à [Localité 4] et il apparaît aujourd’hui indispensable que vous exerciez vos fonctions à leurs côtés dans l’intérêt de la société’.

Avant même la réception de ce courrier, le 7 juillet 2017, Mme [R] justifie avoir répondu à l’évocation de la clause de mobilité par M. [N] dans son mail du 5 juillet précédent, en lui indiquant qu’au regard du travail qu’elle avait fourni en un an (refonte du site internet, création d’une image de marque qualitative, l’évolution des interactions sur les réseaux sociaux et des référencements internet) sans qu’aucun objectif ne lui ait été fixé, ni aucun entretien réalisé pour faire le point sur son poste, elle ne comprenait pas que soit évoquée ‘l’impossibilité à exercer ses fonctions’. Elle faisait également observer qu’évoquer la mise en oeuvre d’une clause de mobilité dans un délai inférieur à deux mois alors qu’elle élève seule ses deux enfants en bas âge et sans aucun entretien préalable qu’elle sollicitait en conséquence avant toute décision, portait une atteinte disproportionnée à sa vie personnelle et familiale.

Mme [R] n’a eu aucune réponse à ce mail.

Après avoir adressé le 11 juillet 2017, en réponse au courrier du 6 juillet 2017, une lettre aux termes de laquelle Mme [R] indiquait ‘J’ai bien reçu votre courrier et bien qu’en arrêt maladie, je souhaite répondre de crainte vous ne preniez mon silence pour une quelconque réponse me portant préjudice, à tort, par la suite. Je ne suis actuellement pas en état de prendre une quelconque décision mais j’espère qu’à mon retour un entretien sera prévu. Un simple courrier sans entretien génère une certaine pression et de nombreux questionnements quant à mes conditions de travail.’, la salariée a, par courrier du 26 juillet 2017, contesté la régularité de la mise en oeuvre de la clause de mobilité au regard des stipulations de son contrat de travail qui définissaient son lieu de travail à [Localité 5] et des conséquences disproportionnées sur sa vie privée alors qu’il n’existait aucune urgence à modifier l’organisation de son poste et à exiger sa présence quotidienne à [Localité 4] pour réaliser exactement le même travail que celui qu’elle réalisait à [Localité 5].

Elle faisait également observer qu’elle ne pouvait, sur cette période estivale de fermeture des établissements scolaires, organiser son déménagement et la nouvelle scolarisation de ses deux enfants de 4 et 6 ans, trouver une nourrice et un logement, qu’il ne lui était pas laissé assez de temps pour s’organiser. Aux termes de ce courrier, elle sollicitait, à nouveau, un entretien pour échanger sur les conditions dans lesquelles une telle mobilité pouvait être envisagée sereinement.

A réception de ce courrier, la société Maison Clio Blue a répondu, par un courrier du 30 août 2017, qu’elle considérait que ce refus de mobilité était une inexécution des obligations contractuelles de la salariée et qu’en conséquence, elle la convoquait à un entretien préalable en vue de son licenciement fixé au 13 septembre 2017.

Etant en arrêt maladie, Mme [R] a sollicité un report de l’entretien préalable. La société Maison Clio Blue arguant de ce que l’arrêt prévoyait des possibilités de sorties, a refusé cette demande de report, l’entretien a eu lieu à la date prévue et s’en est suivi le licenciement de Mme [R] le 18 septembre 2017.

Ces faits, pris dans leur ensemble, en ce qu’ils établissent que la clause de mobilité du contrat de travail de Mme [R] a été mis en oeuvre dans un contexte d’insatisfaction de sa prestation de travail avec des critiques énoncées en public, devant ses collègues, sans aucun entretien personnel préalable fixant non seulement les objectifs de son poste de responsable communication et relation presse qu’elle occupait depuis moins d’un an et mais également évoquant avec elle les conditions dans lesquelles elle pourrait être amenée à exercer désormais ses fonctions au siège social à [Localité 4], laissent présumer l’existence d’un harcèlement moral.

Or, la société Maison Clio Blue, en ne communiquant aucune pièce au soutien de sa défense, est défaillante à rapporter la preuve, d’une part, que les critiques émises au mois de juin 2017 à l’encontre de Mme [R], dont l’existence n’est pas contestée, reposaient sur des manquements objectifs, et d’autre part, que la mise en oeuvre de la clause de mobilité, juste après que la salariée ait dénoncé cette situation d’humiliation devant ses collègues, était justifiée par des nécessités liées soit à ses fonctions, soit à l’organisation de l’activité de la société et à ses besoins, soit à tous autres éléments objectifs.

En effet, l’insatisfaction évoquée par M. [N] et les difficultés en terme d’organisation, de disponibilité et de réactivité, qui justifieraient, selon la société Maison Clio Blue, les échanges du mois de juin 2017 dénoncés par Mme [R] ainsi que la mise en oeuvre de la clause de mobilité, ne sont aucunement objectivées, étant relevé qu’il n’est pas contesté que Mme [R] n’a jamais bénéficié d’entretien individuel et de fixation d’objectifs à partir de sa prise de fonction en septembre 2016 en qualité de responsable de la communication et des relations presse.

Quant à la mise en oeuvre de la clause de mobilité, il convient de relever que l’avenant au contrat de travail du 1er septembre 2016 est rédigé comme suit :

‘Article 5 – lieu de travail

Le point d’attache habituel de la salariée est situé à [Localité 5] à domicile ou sur le corner Clio Blue du printemps de [Localité 5]. Compte tenu de ses fonctions, elle sera toutefois amenée à effectuer son travail, dans d’autres locaux ou d’autres villes.

Article 6 – clause de mobilité géographique

Compte tenu de la nature des fonctions et attributions de la salariée, de l’expérience et de la bonne connaissance de l’entreprise qu’elle aura acquises et des services qu’elle pourra ainsi apporter à l’employeur compte tenu des nécessité de son organisation et/ou de son développement, il est expressément convenu entr les parties, que le lieu de travail ou point d’attache habituel de la salarié pourra également être modifié et déplacé dans d’autres villes sur l’ensemble du territoire français.

L’employeur s’engage, dans cette hypothèse, à respecter un délai de prévenance raisonnable.’

Alors que l’employeur est parfaitement informé de la situation personnelle de Mme [R] difficilement compatible avec des allers-retours quotidiens à [Localité 4], le fait d’exiger, le 5 juillet 2017, la mise en oeuvre de cette clause de mobilité pour une mutation à [Localité 4] effective à compter du 4 septembre 2017, sans aucun entretien préalable sur les conditions d’exercice de cette nouvelle affectation, ne peut être considérée, malgré cette durée de deux mois, comme un délai de prévenance raisonnable au regard des spécificités de cette période estivale et des difficultés qu’elle génère sur le plan des inscriptions scolaires, de la recherche d’un logement et des solutions de garde d’enfants en bas âge, de surcroît, dans le contexte d’un marché locatif parisien saturé et difficilement accessible.

Faute pour la société Maison Clio Blue d’établir que les agissements invoqués par Mme [R] ne sont pas constitutifs d’un harcèlement moral et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, il convient de faire droit à la demande principale présentée par la salariée et de prononcer, conformément à l’article L. 1152-3 du code du travail, la nullité de son licenciement, en ce qu’il constitue un des actes caractérisant la situation de harcèlement moral dont elle a été victime.

Conformément à l’application de l’article L. 1235-3-1 du code du travail, eu égard au montant du salaire mensuel moyen non contesté de Mme [R] (2 628,11 euros), de son ancienneté dans l’entreprise (3 ans) et de ce qu’elle justifie avoir retrouvé un emploi stable après quelques mois de chômage, il convient d’allouer à Mme [R], à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, la somme de 16 000 euros.

Les conditions de l’article L.1235-4 du code du travail étant réunies, il convient d’ordonner le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés des indemnités chômage versées au salarié licencié dans la limite de six mois d’indemnités de chômage, du jour de la rupture au jour de la présente décision.

III – Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société Maison Clio Blue aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à Mme [R] la somme de 2 000 euros sur ce même fondement pour les frais générés tant en première instance qu’en appel et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la SA Maison Clio Blue concernant l’action principale en nullité du licenciement pour harcèlement moral et discriminatoire et l’action subsidiaire en paiement de dommages et intérêts pour harcèlement moral et discriminatoire ;

Condamne la SA Maison Clio Blue à payer à Mme [L] [R] la somme de 16 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

Ordonne le remboursement par la SA Maison Clio Blue aux organismes intéressés des indemnités chômage versées à Mme [L] [R] dans la limite de six mois d’indemnités de chômage, du jour de la rupture au jour de la présente décision ;

Condamne la SA Maison Clio Blue aux entiers dépens de première instance et d’appel ;

Déboute la SA Maison Clio Blue de sa demande au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SA Maison Clio Blue à payer à Mme [L] [R] la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La greffière La présidente

 


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