14 octobre 2022
Cour d’appel de Toulouse
RG n°
21/01083
14/10/2022
ARRÊT N°2022/429
N° RG 21/01083 – N° Portalis DBVI-V-B7F-OAU2
AB/AR
Décision déférée du 05 Février 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MONTAUBAN ( F18/00122)
[F]
[X] [H]
C/
S.A.S. LES CHAMANES
CONFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le 14 10 22
à Me Julien FONTANINI
Me Pierre JULHE
CCC A POLE EMPLOI
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 2
***
ARRÊT DU QUATORZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT DEUX
***
APPELANT
Monsieur [X] [H]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représenté par Me Pierre JULHE de la SELARL BEDRY- JULHE-BLANCHARD ‘BJB’, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMEE
S.A.S. LES CHAMANES
venant aux droits de la SASU CHAMANES FRANCE prise en la personne de son représentant légal, domicilié ès qualités audit siège sis [Adresse 1]
Représentée par Me Julien FONTANINI, avocat au barreau de TARN-ET-GARONNE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant C.BRISSET Présidente et A. BLANCHARD, conseillère, chargées du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
C. BRISSET, présidente
A. PIERRE-BLANCHARD, conseillère
F. CROISILLE-CABROL, conseillère
Greffier, lors des débats : A. RAVEANE
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par C. BRISSET, présidente, et par A. RAVEANE, greffière de chambre
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. [X] [H] a été embauché selon contrat à durée indéterminée par la SA Nature, à effet du 8 novembre 2004, en qualité de directeur commercial, cadre indice 40 (position B) .
La convention collective applicable à l’entreprise est celle de la Bijouterie, Joaillerie, Orfèvrerie.
L’activité de la société Nature a été reprise par la SAS Chamanes France, M. [H] ayant été transféré dans cette entité le 1er janvier 2015. Cette société fait partie d’un groupe Les Chamanes dirigé par M. [C] [B] et sa famille, les unités de production et le groupe de direction étant situés aux Philippines.
A la fin de la relation contractuelle avec la société Chamanes France, M. [H] occupait un poste de directeur commercial, Niveau 7, Echelon 4, sa rémunération moyenne était de 7 686, 46 euros pour 169 heures. Il était basé à [Localité 5].
M. [H] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 16 avril 2018.
Par courrier du 27 avril 2018, M. [H] a été licencié pour insuffisance professionnelle.
Le 31 mai 2018, M. [H] a saisi le conseil de prud’hommes de Montauban aux fins de contester son licenciement, d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices et le paiement de ses heures supplémentaires et des congés payés y afférents et des indemnités en découlant.
Par jugement du 5 février 2021, le conseil de prud’hommes de Montauban a :
– jugé que le licenciement de M. [X] [H] pour insuffisance professionnelle est sans cause réelle et sérieuse.
En conséquence :
– condamné la société Chamanes France prise en Ia personne de son représentant légal à payer à M. [H] :
* 88 394,29 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement injustifié,
* 1 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux dépens,
– dit que la société Chamanes France devra rectifier les bulletins de paie et attestation pôle emploi,
– débouté M. [H] de ses autres demandes,
– débouté la société Chamanes France de l’ensemble de ses demandes.
M. [H] a relevé appel de ce jugement le 8 mars 2021, dans des conditions de forme et de délai non discutées, en énonçant dans sa déclaration d’appel les chefs critiqués.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 2 décembre 2021, auxquelles il est expressément fait référence, M. [H] demande à la cour de :
– débouter la société Les Chamanes France de son appel incident à l’encontre du jugement du 5 février 2021 et de l’intégralité de ses demandes,
– confirmer le jugement du 5 février 2021 en ce qu’il a :
*jugé que le licenciement de M. [X] [H] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
* condamné la société Chamanes France à payer à M. [H] la somme de 88 394,29 euros à titre de dommages et intérêts,
* condamné la société Chamanes France à payer à M. [H] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
– juger que les condamnations prononcées à l’encontre de la société Chamanes France par le jugement du 5 février 2021 sont opposables à la société Les Chamanes venant aux droits de la société Chamanes France,
– réformer le jugement du 5 février 2021 pour le surplus,
En conséquence :
– condamner la société Les Chamanes venant aux droits de la société Chamanes France à payer à M. [H] les sommes suivantes :
– 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale et vexatoire du contrat de travail,
– 116 294,12 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires, outre la somme de 11 629,41 euros au titre des congés payés y afférents, en ce compris la majoration pour les heures travaillées les dimanches,
– 83 404,65 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos,
– 46 118,76 euros, à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,
– condamner la société Les Chamanes venant aux droits de la société Chamanes France à remettre à M. [H] ses bulletins de paye rectifiés pour la période de mai 2015 à avril 2018, faisant apparaître les sommes dues à titre d’heures supplémentaires, ainsi qu’une attestation pour le pôle emploi et ses documents sociaux, sous astreinte de 150 euros par jour de retard,
– condamner la société Les Chamanes venant aux droits de la société Chamanes France à payer à M. [H] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’en tous les dépens.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 13 janvier 2022, auxquelles il est expressément fait référence, la SAS Chamanes venant aux droits de la SASU Chamanes France demande à la cour de :
– confirmer le jugement du 5 février 2021 en ce qu’il a :
* débouté M. [H] de sa demande de 10 000 euros au titre de dommages et intérêts pour ‘rupture brutale’,
* débouté M. [H] de sa demande de 128 149,05 euros brut au titre de rappel d’heures supplémentaires,
* débouté M. [H] de sa demande de 12 814, 90 euros brut au titre des congés payés sur heures supplémentaires,
* débouté M. [H] de sa demande de 92 370, 42 euros brut au titre de la contrepartie obligatoire en repos relative aux heures supplémentaires,
* débouté M. [H] de sa demande de 46 118, 76 euros de dommages et intérêts pour travail dissimulé,
– infirmer le jugement du 5 février 2021 en ce qu’il a :
* jugé que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
* condamné la SAS Chamanes France à 88 394, 29 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* condamné la société Chamanes France au paiement de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
* condamné la société Chamanes France à rectifier les bulletins de paie et l’attestation pôle emploi.
Statuant à nouveau :
-juger que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,
-annuler la condamnation de la société Les Chamanes à 88 394, 29 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamner M. [H] au paiement de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance,
– débouter M. [H] de l’ensemble de ses demandes (10 000 euros pour rupture brutale et vexatoire, 116 294, 12 euros (et 11 629, 41 euros de congés afférents) de rappel d’heures supplémentaires, 83 404, 65 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos, 46 118, 76 euros pour travail dissimulé, modification des documents sociaux (sous astreinte de 150 euros par jour de retard),
– à titre subsidiaire, si la Cour devait condamner la société Les Chamanes au paiement d’heures supplémentaires, fixer la condamnation à 21 653, 36 euros brut (y compris congés payés),
– à titre subsidiaire, si la cour devait condamner la société Les Chamanes au paiement de la majoration 30% pour travail du dimanche, fixer la condamnation à 2 311, 46 euros brut (y compris congés payés),
– à titre subsidiaire, si la cour devait condamner la société Les Chamanes à des dommages au paiement de la contrepartie en repos pour dépassement du contingent, fixer la condamnation à 7 872, 31 euros brut,
– condamner M. [H] au paiement de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la présente instance, ainsi qu’aux frais et dépens.
MOTIFS :
Sur le licenciement pour insuffisance professionnelle :
Il résulte des articles L. 1232-1 et L. 1232-6 du code du travail que le licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse et résulte d’une lettre de licenciement qui en énonce les motifs.
En vertu de son pouvoir de direction, l’employeur peut décider de licencier un salarié pour des faits relevant d’une insuffisance professionnelle, et donc en l’espèce pour une inaptitude non fautive du salarié à exercer de façon satisfaisante, conformément aux prévisions contractuelles, les fonctions qui lui ont été confiées. Si l’employeur est juge des aptitudes professionnelles de son salarié et de son adaptation à l’emploi et si l’insuffisance professionnelle peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, elle doit cependant être caractérisée par des faits objectifs et matériellement vérifiables.
En cas de litige reposant sur un licenciement��notifié pour cause réelle et sérieuse en raison d’un motif personnel, telle que l’insuffisance professionnelle, les limites en sont fixées par la lettre de licenciement. Le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
En l’espèce, M. [H] a été licencié pour insuffisance professionnelle le 27 avril 2018 par courrier motivé comme suit :
‘Vous occupez les fonctions de Directeur commercial.
Nous vous rappelons, à toutes fins utiles, les fonctions de Directeur commercial :
-participe à l’élaboration de la stratégie commerciale du groupe,
– applique et fait appliquer la stratégie commerciale du groupe,
– analyse les remontées terrain issues de la force commerciale afin d’identifier les évolutions du marché, le positionnement de l’entreprise sur ce marché et les besoins spécifiques liés au développement produits,
– détermine les volumes de produits à lancer selon ses estimations de développement du marché,
-identifie des cibles commerciales pertinentes pour la force commerciale et définit des objectifs individuels et/ou collectifs de développement du CA,
-dirige et anime la force commerciale (Responsables boutiques, Responsables filiales, VRP, Agents, Distributeurs, Attachés commerciaux…),
– Veille au bon dimensionnement des équipes commerciales et recrute le cas échéant de nouveaux collaborateurs,
-prévoit des réunions régulières avec les différents responsables commerciaux et les équipes sur le terrain,
– Veille à la bonne transmission d’informations entre les différents collaborateurs,
– Initie et suit les comptes stratégiques pour le groupe (Grands magasins, Distributeurs, Chaînes spécialisées’),
-mène les négociations dans le cadre de référencement ou de signature de contrats,
-assure un rôle de représentation en externe vis-à-vis des clients stratégiques : participation à des salons, conférences, entretien d’un réseau de prescripteurs,
– Suit les résultats commerciaux individuels et collectifs et l’atteinte des objectifs,
– Participe à la stratégie marketing du groupe, aide et conseille selon son expérience terrain à la mise en place de projets marketing,
-Propose les recrutements nécessaires au développement de l’activité commerciale.
Cela implique les actions suivantes :
– Définir des objectifs commerciaux et élaborer la stratégie adoptée pour les atteindre,
– Détecter et analyser des nouveaux besoins clients (à partir d’études de marché, suite à des rendez-vous’),
– [M] et assurer la prospection commerciale,
– Développer et animer un réseau de contacts ou de partenaires commerciaux,
-Conduire la négociation commerciale et conclure la vente,
– Définir une stratégie de développement,
-Assurer l’adéquation entre ressources et besoins (financiers, techniques, humains),
-Analyser une situation problématique dans un environnement complexe,
-Estimer les coûts (de développement, lancement…) et évaluer le prix,
-Réaliser des études de marché et des études de faisabilité économique (capacité financière pour le lancement d’un nouveau produit, retour sur investissement d’une offre’).
Or, aujourd’hui, nous constatons qu’au fil du temps vous avez progressivement abandonné la majorité des tâches vous incombant en tant que Directeur commercial.
Le constat est sans appel :
Nous subissons une baisse générale et continue d’activité.
Une baisse d’activité en global et en détail par secteur, particulièrement sur les deux dernières années (période 2015-2016 et période 2016-2017) est identifiée.
Le même constat de baisse d’activité est fait sur l’ensemble de notre réseau Retail (Boutique et Corner), notamment sur nos sites VAVIN et BHV.
Au-delà de ces très mauvais résultats, nous déplorons l’absence d’action et de réaction de votre part. En effet, face à une baisse d’activité, un Directeur commercial doit justement se révéler innovant et efficace. Or, vous n’avez formulé aucune proposition ou projet d’envergure répondant à la situation. Vous n’avez défini aucune stratégie concrète de développement, ni réalisé d’études précises (coûts de développement, de lancement, budget, étude de marché et étude de faisabilité économique, retour sur investissement…) pouvant redresser la situation (baisse du chiffre d’affaires progressive de nos clients BtoB, de nos boutiques et de notre marché Export).
Nous constatons une évidente perte de lien avec les équipes sédentaires de [Localité 5] et notamment marketing, digital, export et même avec la direction générale et financière, alors que le Directeur commercial doit être incontournable.
Nous regrettons votre manque total d’implication dans le déploiement et le pilotage de la stratégie digitale de l’entreprise. Alors qu’internet était à l’évidence un terrain incontournable nous n’avons fait qu’accumuler des retards considérables préjudiciables.
De même, les tentatives de développement international ont été un fiasco. Nos succursales en Italie et en Espagne ne sont jamais sorties du rouge. Après chaque échec, nous avons fait la même analyse : ‘aucune remise en question de votre part, jamais de solution alternative’.
Le début de l’année 2018 s’inscrit dans la même lignée et nous ne pouvons aujourd’hui que constater encore l’absence de mesures fortes.
Dans la continuité de ces faits qui caractérisent une insuffisance professionnelle, nous constatons que vous n’avez pas non plus atteint les objectifs fixés sur les deux dernières années (2016-2017) (hormis [Localité 6]), dont vous n’avez pourtant jamais mis en cause la faisabilité.
La situation est d’autant plus grave que nous vous avons alerté, en vain, sur la nécessité de vous ressaisir et d’assumer en totalité, les fonctions de Directeur commercial. Nous n’avons noté aucune amélioration. Vous nous avez même questionné sur la stratégie à mettre en place, alors que c’est justement à vous de nous soumettre des projets.
Vous disposiez pourtant de tous les moyens nécessaires, et marque de confiance, nous avions fixé votre rémunération mensuelle brute à 7 527 euros, avec un véhicule de fonction.
Les faits ci-dessus sont très préjudiciables au bon fonctionnement de l’entreprise. Nous ne pouvons accepter plus longtemps votre incapacité à assumer les fonctions de directeur commercial.
Après réflexion, nous avons le regret de vous informer que nous avons décidé de procéder à votre licenciement en raison des faits ci-dessus qui ne permettent pas la poursuite de relations professionnelles normales’.
Aux termes de la lettre de licenciement, la société Chamanes reproche donc à M. [H] :
1-une absence d’action et de réactivité face à la baisse du chiffre d’affaires sur la période 2015-2016 et 2016-2017, une absence de définition d’une stratégie complète de développement, une absence d’études précises pour redresser la situation,
2-une perte de lien avec les équipes sédentaires de [Localité 5],
3-un manque d’implication dans le déploiement et le pilotage de la stratégie digitale de l’entreprise,
4-un manque de résultats à l’international, en Espagne et en Italie,
5-une absence d’atteinte des objectifs 2016 et 2017.
Il est rappelé qu’en matière d’insuffisance professionnelle, la preuve est relativement partagée entre les parties : l’employeur est tenu de produire des éléments illustrant ces insuffisances, et le salarié doit justifier de l’accomplissement de ses tâches dans des circonstances excluant toute insuffisance, le doute profitant toutefois à ce dernier.
Sur les griefs 1) et 5) , à savoir l’absence d’action et de réactivité face à la baisse du chiffre d’affaires sur la période 2015-2016 et 2016-2017, l’absence de définition d’une stratégie complète de développement, l’absence d’études précises pour redresser la situation, et l’absence d’atteinte des objectifs 2016 et 2017 :
M. [H] oppose à ces premiers griefs l’importante progression du chiffre d’affaires de 2014 à 2015 (de 1149 K€ à 5717 K€) ce qui a généré une prime personnelle de 15000€, faits retenus par le conseil de prud’hommes.
Cependant, il est exact que la lettre de licenciement mentionne la baisse de chiffre d’affaires entre 2015 et 2016 soit postérieurement, et l’absence de réaction du salarié face à cette baisse.
Par ailleurs l’employeur n’est pas contredit lorsqu’il indique que les résultats exceptionnels de 2015 en France sont liés au lancement d’une nouvelle marque de bijoux (Oritao), et il en justifie d’ailleurs par ses pièces 14 et 16.
En revanche, la société justifie d’une baisse du chiffre d’affaires de ses filiales espagnoles et italiennes, et de pertes sur 2015 (pièces 87 et 88), secteurs dont était également chargé M. [H] à cette époque, ce qui rejoint le 5ème grief visé à la lettre de licenciement.
La SAS Chamanes produit également les éléments relatifs aux baisses du chiffre d’affaires des sociétés Chamanes France (-9%, -11%, -12%) et Chamanes Iberica (-4%, -15%) en 2016, 2017 pour les deux sociétés et également sur le premier trimestre 2018 pour la première (pièces 18 à 22).
Il est encore justifié de la baisse importante du chiffre d’affaires (-21% entre 2015 et 2017) de la boutique Vavin à [Localité 7], seule véritable boutique de détail de la société (la boutique au village [Localité 6] étant une boutique de destockage, et le BHV n’étant qu’un stand, d’ailleurs en baisse de 5% également en trois ans).
M. [H] ne peut donc opposer à la société une progression de son chiffre d’affaires sur la période considérée, alors que seule la commande Eté 2018 des Galeries Lafayette sur la marque Nature a généré une progression significative, ce qui est un résultat isolé au regard des bilans comptables produits par la SAS Chamanes.
Pour autant, il appartient à l’employeur d’illustrer les griefs d’insuffisance qu’il invoque, afin de convaincre la cour que la baisse du chiffre d’affaires telle que constatée est imputable à l’absence de stratégie de développement de M. [H], et que la poursuite de cette baisse est effectivement liée à l’inaction du salarié pour redresser la situation, et non à d’autres facteurs.
Or, il convient d’observer en premier lieu qu’en 13 ans d’activité, M. [H] n’a fait l’objet d’aucune mise en garde ni remontrance sur son activité ou ses compétences de la part de ses supérieurs Messieurs [W] [B] et [T] [V].
La SAS Chamanes se prévaut d’un mail du 14 octobre 2015 de M. [C] [B] (PDG du groupe) par lequel ce dernier aurait déjà reproché à M. [H], à la suite de sa venue en France ‘un manque patent de communication’ et un ‘manque de direction claire’ ; la lecture de ce mail dans sa globalité permet de comprendre que ces reproches visent l’activité Retail et Export, et de constater que le salarié est également félicité, dans ce même mail, pour le salon ‘Bijorhca’ (‘de bons résultats à verser à ton crédit’).
Surtout, ce mail a été suivi d’un mail de félicitations de la part du même interlocuteur moins de trois mois après, le 5 janvier 2016.
Les mails échangés sur la suite de l’année 2016 entre le salarié et le PDG du groupe montrent d’ailleurs que ce dernier accordait toute sa confiance à M. [H].
M. [H] impute la baisse du chiffre d’affaires à un facteur externe à son action : il fait observer que 2015 a été l’année charnière de réorganisation du groupe, que la nouvelle organisation est entrée en vigueur au 1er janvier 2016 après avoir été annoncée par le PDG du groupe sans concertation préalable avec l’équipe dirigeante de la société ; qu’il n’a pas été associé à la stratégie consistant notamment à réduire drastiquement le nombre de références de produits commercialisés, mais a manifesté son désaccord sur cette orientation tout en continuant à appliquer la nouvelle stratégie, ainsi qu’il justifie par exemple dans un mail du 15 mai 2016 où il répétait qu’il ne fallait pas réduire les références de la marque Nature car il s’agissait de leur marque porteuse, et leader en
France ; les échanges de mails en pièces 137 à 140 du salarié montrent que ce dernier appliquait malgré tout les directives commerciales du groupe avec lesquelles il n’était pas d’accord.
La société justifie certes de la présence du salarié à certaines réunions ayant pré-existé à la réorganisation, pour autant rien ne permet de retenir une quelconque influence de celui-ci sur la stratégie du groupe ; les comptes-rendus de réunion ne laissent transparaître aucune place à l’initiative de celui-ci.
Par ailleurs, le salarié produit aux débats les éléments sur ses projets semestriels de vente pour la société Chamanes France pour les années 2016 et 2017 en pièces 21, 23,25, 26,28 et 29 afin de démontrer son activité et son implication.
La société Chamanes en critique la lecture réalisée selon elle de manière ‘tronquée’ par le conseil de prud’hommes, estimant qu’il ne s’agit pas de projets semestriels dignes de ce nom mais de documents sans réflexion stratégique sur le long terme, sans analyse précise, et pour certains (plan du 2ème semestre 2017) établis par M. [V] et non par M. [H].
Cependant, la cour observe que la transmission de ces documents à la direction, en leur temps, n’a suscité aucune observation ni critique ; au contraire ces documents sont validés par des réponses avec parfois seulement, quelques éléments de modification demandés ; ils comportent des orientations chiffrées et argumentées ne permettant pas à la cour de les juger indigents.
De même, le projet de vente du 1er semestre 2018 a été transmis par M. [H] et validé par la direction (pièces 206 et 214 du salarié).
S’agissant du plan du 2ème semestre 2017, M. [H] établit par la production d’un mail du 28 juillet 2017 (pièce 205) qu’il est bien l’auteur du plan commercial et que le même mail du 28 juillet 2017 produit par l’employeur devant la cour (pièce 94) a été modifié, ainsi que le fichier joint à ce mail, à dessein de décrédibiliser le salarié et le faire passer à tort pour celui qui s’approprie le travail des autres.
De plus, ainsi que relève le salarié sans être efficacement contredit, son licenciement n’a pas solutionné la dégradation du chiffre d’affaires puisqu’en 2018 la société Chamanes France a subi une perte de 7 %, et en 2019 une perte de 5,5% avec le licenciement de la responsable commerciale Aquitaine ; cette société a été absorbée par la SAS Chamanes en 2021.
Par ailleurs, la cour constate que le salarié prétendument insuffisant après 13 ans de fonctions n’a fait l’objet d’aucun entretien d’évaluation pour les années critiquées 2016 et 2017 (le premier et unique entretien datant de 2015, est très succinct et ne porte aucune appréciation hormis ‘RAS’ dans plusieurs rubriques) ni d’aucune lettre de recadrage, ni de plan d’adaptation au poste compte tenu de la réorganisation.
La fixation des objectifs n’a quant à elle fait l’objet d’aucun entretien préalable ni d’une quelconque concertation ; le plan de rémunération variable 2017 n’a été transmis au salarié qu’au mois de mars et n’a pas été signé, et c’est le salarié qui a pris l’initiative de transmettre à la direction un projet de rémunération variable pour 2018, mais il n’a jamais reçu de réponse. Pour autant, la société n’explique pas pourquoi elle a versé à son salarié insuffisant et n’atteignant pas ses objectifs, des primes sur objectifs de 15’000 € en 2015, 11 000 € en 2016, et 6000 € en 2017.
La cour estime en conséquence que les griefs reprochés au salarié tels que résumés en points 1) et 5) ci-dessus, sont insuffisamment établis au regard des pièces produites par les deux parties.
S’agissant du grief visé en 2), relatif à la perte de lien avec les équipes sédentaires de [Localité 5], il est rappelé que M. [H] travaillait principalement sous l’autorité de M. [T] [V], directeur des opérations basé à [Localité 3] aux Philippines, et M. [W] [B], directeur général de la société Chamanes France basé à [Localité 5].
Des équipes dites ‘sédentaires’ (marketing, digital, export, direction financière…) travaillant dans les locaux de [Localité 5], ainsi qu’une équipe de VRP pour le réseau de ventes sur le territoire national.
La société Chamanes produit 7 attestations de membres des équipes sédentaires faisant état de la faible présence de M. [H] dans les locaux, du manque de visibilité du planning de M. [H], semblant reprocher à ce dernier son absence d’horaires fixes et son télétravail.
Néanmoins, l’un de ces témoins, Mme [G], assistante commerciale, mentionne que la collaboration avec M. [H] a toujours été ‘très professionnelle’, et qu’elle n’a ‘jamais été étonnée par ce comportement (absence d’horaires fixes et peu de présence physique) car ‘cela semblait être en accord avec [W] [B], le directeur général de la société’.
M. [H] indique sans être contredit que sur ces 7 témoins, 5 n’étaient pas sous sa responsabilité hiérarchique et 4 ont été promus après son licenciement, ce qui conduit à lire ces attestations avec une relative circonspection.
Il n’est pas davantage contredit lorsqu’il explique qu’il était fréquemment en déplacement, qu’en sa qualité de directeur commercial il animait les équipes de VRP et les responsables de boutiques sur le terrain, et non les collaborateurs sédentaires, qu’il venait au bureau principalement le lundi et ce en accord avec sa hiérarchie, ainsi qu’il ressort d’un mail du 2 août 2017 de M. [H] à M. [C] [B] dans lequel il explique qu’au cours des entretiens individuels de fin d’année 2016 faits avec M. [W] [B], ‘chaque personne de l’équipe a été informée que compte tenu de la nouvelle organisation, ma présence au bureau n’étant plus essentielle, que je viendrai régulièrement le lundi afin d’évoquer avec chaque service les divers besoins auxquels je peux apporter mon aide’.
La société Chamanes ne verse aux débats aucun élément objectif de nature à illustrer cette ‘perte de lien’ avec les équipes sédentaires et ses éventuelles conséquences (par exemple, l’absence de réponse de M. [H] à des demandes précises de cette équipe).
De son côté, M. [H] produit les attestations de ses collaborateurs M. [O] et Mme [R], témoignant de sa grande présence sur le terrain, de son professionnalisme et de sa forte disponibilité au téléphone, y compris tôt le matin, tard le soir ou en pause déjeuner.
Mme [R] (commerciale sous la responsabilité de M. [H]) décrit également l’action de M. [H] dans la présentation constructive et critique des chiffres de la société, de la stratégie commerciale à adopter pour les développer et pour attirer ‘une nouvelle clientèle sur un marché de plus en plus difficile’, en présentant les nouveaux produits ou concepts. Elle souligne également la disponibilité de M. [H] sur les différents salons.
Ce grief n’est donc pas davantage caractérisé.
S’agissant du grief visé en point 3, relatif au manque d’implication dans le déploiement et le pilotage de la stratégie digitale de l’entreprise, la cour estime, comme les premiers juges, que ce manquement n’est pas plus caractérisé au vu des pièces produites. En effet, M. [H] produit en pièces 53, et 157 à 188, les échanges de mails et les comptes-rendus de réunion au travers desquels il ressort qu’il prenait au sérieux la question de la stratégie digitale, et collaborait avec M. [Y] [L] de la société Converteo durant les mois de mai à novembre 2016 pour travailler sur la stratégie digitale de l’entreprise.
M. [Y] [L] atteste que M. [H] était son contact privilégié pour développer cette stratégie digitale au sein de la société, qu’il a communiqué toutes les informations nécessaires et mobilisé ses équipes, et qu’il a tout mis en oeuvre pour l’aboutissement de la mission.
Les mails antérieurs produits par l’employeur, du 16 janvier 2016 et 22 février 2016 pour montrer que M. [B] était ‘pilote’ du projet montrent qu’en réalité il en était l’instigateur, et qu’il intervenait ensuite à des moments clés comme doit le faire le dirigeant, mais ne sont pas de nature à remettre en cause l’implication du salarié et le pilotage quotidien du projet par celui-ci sur la période postérieure.
Dans un mail du 13 décembre 2017 adressé à Mme [N], assistante de direction RH, M. [H] réitérait son engagement constant dans cette stratégie digitale en lui indiquant que ‘le e-commerce et les investissements faits autour sont des moyens mis en place pour accroître la notoriété et la visibilité de nos marque’ en fournissant des exemples chiffrés, ce qui n’est pas le discours d’un salarié faisant preuve de manque d’implication.
Ainsi, ce grief ne saurait être retenu.
S’agissant enfin du grief visé en point 4), relatif au manque de résultats à l’international, en Espagne et en Italie, la cour renvoie pour l’essentiel à son analyse de la baisse du chiffre d’affaires difficilement imputable au salarié et à la non-atteinte d’objectifs que la société n’a pas pris la peine de fixer correctement. Il sera toutefois précisé que le secteur Italie a été retiré au salarié en 2016 et l’Espagne en 2017 soit respectivement deux ans et un an avant son licenciement, au motif non démontré que M. [H] serait responsable de la baisse du chiffre d’affaires.
Les chiffres d’affaires de ces deux secteurs ont remonté en 2018 sans que l’employeur ne démontre, au delà de ses affirmation, un lien avec une nouvelle stratégie mise en place après le départ de M. [H], plutôt qu’avec des facteurs purement conjoncturels. D’ailleurs il est établi que la filiale espagnole a finalement fermé en 2020.
Ainsi, la cour estime comme les premiers juges que les insuffisances alléguées au soutien du licenciement ne sont pas établies à la lumière des pièces versées par les deux parties.
De plus, ces pièces mettent à jour :
-que l’employeur a vainement insisté auprès de M. [H] pour mettre en place une rupture conventionnelle en début d’année 2018, après que le salarié ait formulé un certain nombre de remarques en août 2017 sur sa surcharge de travail,
-que la société connaissant des difficultés économique écrivait à M. [H], sous la plume de M. [C] [B], un mail du 24 février 2018 dans lequel il était clairement annoncé au salarié qu’il coûtait trop cher à l’entreprise, sans formuler à son égard le moindre reproche d’insuffisance : ‘dans la situation actuelle le groupe ne peut pus assumer la charge du salaire d’un directeur commercial France à 7000 € alors que ceux de nos managers opérationnels français à [Localité 3] plafonnent à la moitié. Je le regrette bien sincèrement mais c’est un fait ; ils sont, chacun dans son domaine, en charge du quotidien de 400 personnes, un minimum de 45h/semaine (mais + souvent 60) et ne tiendront plus longtemps sans la perspective d’un avenir plus motivant. Nous travaillons à un changement radical d’organisation et nous posons beaucoup de questions sur la place que tu pourrais y occuper’.,
-que le poste de directeur commercial M. [H] n’a pas été pourvu après son départ, et a été en réalité supprimé au profit d’un responsable des ventes payé 4000 € par mois.
En conséquence de l’ensemble de ces éléments, la cour confirmera le jugement entrepris ayant jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
M. [H] avait acquis 13 ans et demi d’ancienneté, était âgé de 55 ans lors du licenciement et justifie de ses vaines recherches d’emploi ainsi que de la création de son activité d’agent commercial pour laquelle il perçoit des revenus inférieurs à ceux générés par son activité au sein de la société Chamanes, lesquels étaient de 7686,46€ par mois à la date de la rupture, hors réintégration de rappels pour heures supplémentaires à laquelle le salarié ne se livre pas dans le calcul de son salaire de base.
Le barème d’indemnisation fixé par l’article L1235-3 du code du travail prévoit, pour un salarié présentant 13 ans d’ancienneté dans une entreprise dont l’effectif est supérieur à 10 salariés, une indemnité comprise entre 3 et 11,5 mois de salaire.
La cour estime que c’est par une juste appréciation des éléments de la cause que le conseil de prud’hommes a indemnisé le salarié au titre de la rupture du contrat de travail en lui allouant la somme de 88 394,29 €.
Il sera fait application des dispositions de l’article L1235-4 du code du travail à l’égard de l’employeur, dans la limite de six mois d’indemnisation chômage.
Sur le caractère brutal et vexatoire de la rupture :
M. [H] sollicite 10 000 € à titre de dommages-intérêts, en expliquant avoir été informé par mail pendant ses congés de l’intention de l’employeur de le licencier, ce qui est exact ; il reproche à la société Chamanes de l’avoir convoqué à l’entretien préalable la veille d’un départ en congés à l’étranger, de ne pas avoir réalisé son entretien annuel, de ne pas avoir défini sa part de rémunération variable pour 2018, d’avoir fait sur lui des pressions pour accepter une rupture conventionnelle, d’avoir été licencié sans effectuer son préavis et donc sans pouvoir communiquer avec son équipe.
Tous ces éléments factuels sont en effet confirmés par les pièces produites.
Si l’absence de définition de la part variable ou d’entretien annuel relève de l’exécution du contrat et non de sa rupture, en revanche le fait d’annoncer brusquement par mail au directeur commercial son prochain licenciement, après avoir vainement sollicité son accord sur une rupture conventionnelle, de le convoquer à l’entretien préalable la veille de son départ en congés à l’étranger programmé de longue date alors que ladite procédure n’était pas disciplinaire et ne requérait aucune urgence, et enfin de le priver de l’exécution de son préavis, ce qui empêchait ce directeur ayant treize ans d’ancienneté de saluer comme il se doit ses collaborateurs, caractérise une procédure de licenciement brutale et vexatoire justifiant d’allouer à M. [H] la somme de 2000€ en réparation de son préjudice.
Sur les heures supplémentaires :
Aux termes de l’article L 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Si la preuve des horaires de travail effectués n’incombe ainsi spécialement à aucune des parties, et si l’employeur doit être en mesure de fournir les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir effectuées afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
En l’espèce, le contrat de travail de M. [H] mentionne une durée de travail mensuelle de 169 h, de sorte que 4h supplémentaires par semaine étaient forfaitisées.
Les bulletins de paie ne comportent la rémunération d’aucune heure supplémentaire au delà de ces 4h forfaitisées.
M. [H] soutient avoir accompli de très nombreuses supplémentaires non rémunérées au-delà de 39h hebdomadaires. Il affirme qu’il commençait sa journée de travail à 6h ou 6h30 pour tenir compte du décalage horaire avec les Phillipines, qu’il effectuait de fréquents déplacements et qu’il était sollicité en fin de semaine, le dimanche, ainsi que pendant ses périodes de congés.
Il produit au soutien de sa demande une masse très importante de pièces :
-des mails, et des justificatifs de conversations par Skype avec les collaborateurs implantés aux Philippines, à des heures très matinales en raison du décalage horaire (6h à 7h selon la période de l’année),
-des mails échangés avec les équipes de [Localité 5] et [Localité 3], sur toute la journée y compris le soir (pour la France) ou certains dimanches,
-les justificatifs, mois par mois, de ses déplacements en France et à l’étranger, accompagnés de ses agendas informatiques, montrant des amplitudes horaires extrêmement importantes, y compris sur certains week-ends,
-un décompte quotidien et hebdomadaire, sur la période d’avril 2015 à avril 2018, tenant compte des jours d’absence et de récupération, et des congés, et excluant les temps de trajet lorsqu’il se rend de son domicile à [Localité 5],
-un exemple très détaillé dans ses conclusions commentant un tableau en pièce 135, sur le mois de septembre 2017, montrant qu’il a travaillé 87h sur la seule semaine n°36 en raison de l’ouverture d’un magasin à [Localité 7] et de la préparation et tenue d’un salon professionnel, puis 59 h et 67h les deux semaines suivantes en raison de sa présence à [Localité 7], puis [Localité 5], puis à [Localité 3] aux Philippines, puis de nouveau [Localité 5].
La cour estime que M. [H] produit donc des éléments suffisamment précis sur ses horaires de travail, permettant à l’employeur d’y répondre par ses propres éléments.
Or, en l’espèce, la SAS Chamanes se contente de critiquer les décomptes que M. [H] a refaits en instance d’appel pour avoir appliqué un taux horaire erroné en première instance, et d’indiquer que le salarié était autonome sans pour autant avoir conclu avec lui une quelconque convention de forfait.
Elle a fourni aux débats des tableaux par lesquels elle reconstitue les horaires de M. [H] à partir de ses justificatifs de déplacement et notamment les relevés de télépéage ainsi qu’en comptabilisant ses mails pour en déduire quelques minutes de travail à chaque fois ; toutefois la critique des propres décomptes du salarié, y compris par le biais de tableaux argumentés, ne saurait avoir la valeur d’un décompte fiable et objectif du temps de travail tel qu’attendu de tout employeur.
En conséquence, la cour fera droit aux demandes de M. [H] en retenant :
– 382,50 heures supplémentaires non rémunérées au cours de l’année 2015,
– 835,10 heures supplémentaires non rémunérées au cours de l’année 2016,
– 700,90 heures supplémentaires non rémunérées au cours de l’année 2017,
– 131 heures supplémentaires non rémunérées au cours de l’année 2018.
Le calcul tiendra compte du taux horaire de base applicable à M. [H], de 35,50 € bruts en 2015, 36,92 € bruts en 2016, 39,23 € bruts en 2017 et 41,54 € bruts en 2018.
Après application des taux majorés tels que résultant des calculs de M. [H] validés par la cour, il résulte les rappels de salaire suivants :
– 19 218,91 € bruts au titre des heures supplémentaires pour l’année 2015,
– 44 257,85 € bruts au titre des heures supplémentaires pour l’année 2016,
– 42 401,75 € au titre des heures supplémentaires pour l’année 2017,
– 7 781,71 € au titre des heures supplémentaires pour l’année 2018,
soit un total de 113 660,22 €.
S’y ajoute la majoration conventionnelle de 30 % (article 12 de la convention collective nationale de la bijouterie) applicable aux heures supplémentaires effectuées occasionnellement le dimanche.
Il résulte des pièces produites par M. [H], non utilement contredites par l’employeur, que le salarié a travaillé 231h le dimanche entre 2015 et 2018, réparties ainsi :
En 2015 : 33 heures ;
En 2016 : 92 heures ;
En 2017 : 83 heures ;
En 2018 : 23 heures.
Il en résulte un rappel de majoration dû de :
– 341,45 € en 2015,
-1018,99 € en 2016,
– 976,83 € en 2017,
– 286,63 € en 2018,
soit un total de 2623,90 €.
Ainsi, le rappel de salaire total dû par la SAS Chamanes à M. [H] s’élève à 113660,22 + 2623,90 = 116 284,12 € bruts, outre 11 628,41 € bruts au titre des congés payés y afférents.
La SAS Chamanes sera condamnée à payer ces sommes à M. [H], par infirmation du jugement entrepris.
Sur la contrepartie obligatoire en repos :
Le salarié qui n’a pas été en mesure, du fait de son employeur, de formuler une demande de repos compensateur en temps utile, a droit à l’indemnisation du préjudice subi ; celle-ci comporte à la fois le montant de l’indemnité de repos compensateur et le montant de l’indemnité de congés payés afférents.
L’article 31 de la convention collective nationale de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie fixe le contingent annuel d’heures supplémentaires à 180h.
Au delà de ce contingent, le salarié doit bénéficier d’un repos compensateur fixé à 100% puisqu’en l’espèce l’entreprise occupait plus de 20 salariés.
Il sera précisé que les 4h supplémentaires forfaitisées entre les parties entrent dans le calcul du contingent (soit 208h par an), outre les heures supplémentaires retenues ci-dessus par la cour.
Il résulte des calculs et éléments produits que M. [H] devait bénéficier :
-en 2015 de ((208+382,50) -180) 410,5 heures au titre du repos compensateur légal, soit une contrepartie de 14 572,75 €,
-en 2016 de ((208+835,10) -180) 863,10 heures au titre du repos compensateur légal, soit une contrepartie de 31 865,65 €,
-en 2017 de ((208+700,90) -180) 728,90 heures au titre du repos compensateur légal, soit une contrepartie de 28 594,75 €,
-en 2018 de (68+131) -180) 19 heures au titre du repos compensateur légal, soit une contrepartie de 789,26 €, étant précisé que pour le calcul de la contrepartie obligatoire en repos 2018, seule la période de janvier à avril soit 17 semaines a été prise en compte au titre des heures supplémentaires forfaitisées payées.
Ainsi la SAS Chamanes sera condamnée à payer à M. [H] la somme totale de 75822,41 + 7582,24 = 83404,65 € correspondant au préjudice subi à raison des repos compensateurs non pris sur la période 2015-2018.
Sur le travail dissimulé :
En application de l’article L 8221 – 5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paye un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.
Toutefois la dissimulation d’emploi salarié prévue par ces textes n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.
En l’espèce il résulte des pièces produites que l’employeur connaissait parfaitement l’existence de nombreuses heures supplémentaires non rémunérées, que le salarié adressait des mails très tôt le matin à l’équipe dirigeante (6h) alors qu’il travaillait ensuite toute la journée y compris jusqu’à 19h avec les équipes locales, que, lors de ses déplacements aux Philippines, il n’avait pas de jour de récupération à son retour, et que les salons professionnels avaient lieu les samedis et dimanches, comme le savait l’employeur.
La société Chamanes affirme que le salarié n’avait pas formulé de doléances sur son temps de travail durant la relation contractuelle, alors même qu’il résulte d’un échange de mails que l’employeur niait contre l’évidence cette surcharge dont l’alertait M. [H].
Il est en effet produit :
-un mail du 2 août 2017 adressé par M. [H] à M. [C] [B] l’alertant notamment sur sa charge de travail : ‘je pars en vacances vendredi. J’en ai vraiment besoin tant la pression actuelle est forte et la charge de travail pour septembre colossal'(sic),
-un mail de réponse du 3 août 2017 par lequel M. [B] disait au salarié de ‘cesser de te mettre la pression tout seul’ et niait la surcharge de travail en lui indiquant : ‘que tu puisses en être rendu à exprimer que tu as une charge de travail colossale m’amène à penser que tu as soit un problème d’organisation soit une réelle difficulté à évaluer et gérer tes priorités’ .
Dans ces conditions, la cour estime que la dissimulation intentionnelle des heures supplémentaires accomplies par le salarié est démontrée ; elle ouvre droit à M. [H] au versement d’une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé de 46 118,76 €.
Sur le surplus des demandes :
Il sera fait droit à la demande de M. [H] de remise par l’employeur des documents sociaux rectifiés en considération de la présente décision, sans toutefois qu’il soit nécessaire d’assortir cette remise d’une astreinte.
La SAS Chamanes, succombante, sera condamnée aux dépens de première instance par confirmation du jugement entrepris ainsi qu’aux dépens d’appel, et à payer à M. [H] la somme de 3500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, cette somme s’ajoutant à celle allouée au salarié en première instance.
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, en ce qu’il a condamné la SAS Chamanes aux entiers dépens et à payer à M. [X] [H] les sommes suivantes :
* 88 394,29 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 1500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
L’infirme sur le surplus,
Statuant à nouveau, et, y ajoutant,
Condamne la SAS Chamanes à payer à M. [X] [H] les sommes suivantes :
* 2 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire,
* 116 284,12 € bruts à titre de rappel de salaire sur les heures supplémentaires et les majorations des dimanches travaillés,
* 11 628,41 € bruts au titre des congés payés y afférents,
* 83 404,65 € au titre de la contrepartie obligatoire en repos,
* 46 118,76 € à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
* 3 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en appel,
Condamne la SAS Chamanes à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à M. [X] [H] dans la limite de six mois d’indemnités,
Ordonne la remise par la SAS Chamanes à M. [X] [H] d’un bulletin de paye récapitulatif, d’une attestation Pôle Emploi et d’un certificat de travail rectifiés conformes au présent arrêt,
Rejette la demande d’astreinte,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne la SAS Chamanes aux dépens d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Catherine Brisset, présidente, et par Arielle Raveane, greffière.
La greffière La présidente
A. Raveane C. Brisset
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