13 avril 2023
Cour d’appel de Papeete
RG n°
21/00251
N° 132
MF B
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Copies authentiques délivrées à :
– Me Bouyssie,
– Me Chapoulie,
le 14.04.2023.
REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D’APPEL DE PAPEETE
Chambre Civile
Audience du 13 avril 2023
RG 21/00251 ;
Décision déférée à la Cour : jugement n° 444, rg n° 14/00012 du Juge aux Affaires Familiales du Tribunal de Première Instance de Papeete du 28 avril 2021 ;
Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d’appel le 12 juillet 2021 ;
Appelante :
Mme [X] [Y] [E] [W], née le 29 décembre 1972 à [Localité 5], de nationalité française, demeurant à [Adresse 4] ;
Représentée par Me Benoît BOUYSSIÉ, avocat au barreau de Papeete ;
Intimé :
M. [Z] [V], né le 29 septembre 1952 à [Localité 1], de nationalité française demeurant à [Localité 6] [Adresse 2] ;
Représenté par Me Etienne CHAPOULIE, avocat au barreau de Papeete ;
Ordonnance de clôture du 13 janvier 2023 ;
Composition de la Cour :
La cause a été débattue et plaidée en audience non publique du 9 février 2023, devant Mme BRENGARD, président de chambre, M. RIPOLL et Mme PINET-URIOT, conseillers, qui ont délibéré conformément à la loi ;
Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;
Arrêt contradictoire ;
Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;
Signé par Mme BRENGARD, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A R R E T,
Suivant jugement n° 444 contradictoirement rendu le 28 avril 2021 (RG 14/00 12), le juge aux affaires familiales du tribunal de première instance de Papeete a, notamment,
‘ débouté Mme [W] de sa demande de sursis à statuer et d’injonction en vue de production de pièces sous astreinte,
‘ constaté que l’ordonnance de non-conciliation et en date du 11 septembre 2014,
‘ prononcé pour altération définitive du lien conjugal le divorce de M. [Z] [V] et Mme [X] [W], lesquels se sont mariés le 10 septembre 2004 en la commune de de [Localité 3] (île de Tahiti),
‘ rappelé que la date des effets du divorce entre les époux en ce qui concerne leurs biens est fixé au jour de l’ordonnance de non-conciliation,
‘ constaté que chacun des époux reprendra l’usage de son nom patronymique,
‘ ordonné la liquidation et le partage de leurs intérêts patrimoniaux,
‘ rejeté les autres demandes,
‘ dit que les dépens de l’instance sont supportés par M. [V].
Suivant requête du 12 juillet 2021, Mme [W] a relevé appel du jugement entrepris dont elle sollicite l’infirmation.
En ses conclusions récapitulatives du 13 septembre 2022, l’appelante demande à la cour,
avant-dire droit,
‘ ordonner à M. [V] de fournir les éléments et pièces qui ont fait l’objet d’une injonction du 30 novembre 2016,
‘ ordonner une expertise à l’effet d’évaluer le patrimoine de M. [V] et lui faire injonction sous astreinte de 50’000 Fcfp par jour de fournir à l’expert et à la cour diverse pièces fiscale et comptable notamment,
subsidiairement,
‘ prononcer le divorce des époux [V] [W] pour altération définitive du lien conjugal,
‘ condamner M. [V] au paiement d’une prestation compensatoire de 30’000’000 Fcfp à son épouse,
à titre très subsidiaire,
‘ ordonner le sursis à statuer dans l’attente de l’issue de la plainte pénale qu’elle a déposée pour organisation d’insolvabilité à l’égard de son ex conjoint,
‘ réserver les autres demandes, le cas échéant reconventionnelles en divorce pour fosse et ses conséquences de droit,
‘ condamner M. [V] à lui verser la somme de 350’000 Fcfp en vertu de l’article 407du code de procédure civile de Polynésie française.
En ses dernières conclusions déposées le 1er juin 2022, M. [Z] [V] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et débouter Mme [W] de toutes ses demandes puis statuer ce que de droit sur les dépens.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause, de la procédure, des prétentions des parties, il est renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions d’appel des parties. Se conformant aux dispositions de l’article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française, la cour répondra aux moyens par les motifs ci-après.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur les demandes avant-dire droit présentées au principal :
Mme [W] formule au principal une demande d’injonction de produire des pièces à la partie adverse qui est son époux, et également d’ordonner une expertise.
Cependant, par son appel, elle a déféré à la cour un jugement qui tranche les demandes présentées par les parties sur le fond du litige.
Or, l’article 327 du code de procédure civile de Polynésie française dispose que l’appel tend à faire réformer ou annuler un jugement rendu par une juridiction du premier degré et des demandes d’injonction de communiquer ou de mesure d’instruction ne tendent pas à ces fins.
En outre, il convient d’observer que,
‘ si dans un procès civil, une partie ne produit pas les pièces visées par une injonction judiciaire, il n’existe pas de sanction prévue par le code de procédure civile sauf la liquidation de l’astreinte si l’injonction en était assortie ; toutefois, le juge saisi du fond du litige est libre de tirer toutes les conséquences de cette abstention si l’autre partie lui en fait la demande ; en l’espèce, dans son jugement frappé d’appel, le juge aux affaires familiales indique à juste titre n’être saisi d’aucune demande au fond par Mme [W] qui s’est bornée à solliciter le sursis à statuer dans l’attente de la production par M. [V] des pièces dont la production lui a été ordonnée par jugement sur incident du 30 novembre 2016.
‘ s’agissant de l’expertise, elle a été ordonnée une première fois par jugement avant-dire droit du 11 octobre 2017 puis par un jugement avant-dire droit du 22 août 2018 ayant mis les frais à la charge du Trésor public puisque Mme [W] était bénéficiaire de l’aide juridictionnelle totale. Cette expertise n’a pas été exécutée pour des motifs qui sont longuement expliqués dans le jugement déféré à la cour : il en résulte que l’expert désigné n’a pas pu remplir sa mission du fait de la carence des deux époux qui ne lui ont pas communiqué les éléments qu’il leur réclamait.
En outre, si l’article 83 du code de procédure civile dispose que les mesures d’instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, il précisequ’elles sont ordonnées si le juge estime ne pas avoir d’éléments suffisants pour statuer, et l’article 85 précise qu’une mesure d’instruction ne peut en aucun cas être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve mais seulement si la partie qui allègue un fait ne dispose pas d’éléments suffisants pour le prouver : en l’espèce, rien n’indique que Mme [W] ne soit pas en mesure d’apporter elle-même des éléments concrets à titre de commencement de preuve, sur la situation professionnelle et financière de son époux avec lequel elle a vécu et travaillé pendant 17 ans.
Les demandes principales de Mme [W] seront donc rejetées.
Sur les demandes subsidiaires :
– Sur le prononcé du divorce :
Mme [W] sollicite à titre subsidiaire la confirmation du jugement sur le prononcé du divorec pour altération définitive du lien conjugal. A titre très subsidiaire, elle demande de réserver ses demandes, le cas échéant, reconventionnelles en divorce pour faute et de surseoir à statuer dans l’attente de l’issue de l’action publique.
La cour devrait normalement répondre aux demandes subsidiaires avant celles qui sont très subsidiaires mais en l’espèce, il apparait plus logique d’évoquer en premier lieu la demande de sursis à statuer et de réserves des ‘plus amples demandes’ dont celle en divorce pour faute.
Il est vrai que 8 septembre 2022, Mme [W] a déposé une plainte auprès du procureur de la république à l’égard de son époux en lui reprochant le délit d’organisation de son insolvabilité. Elle n’indique pas que le parquet y a donné suite et ainsi ne justifie pas que l’action publique ait été mise en mouvement contre M. [V] ou plus concrètement que des poursuites aient été engagées à son égard sur la base de cette plainte.
La cour de céans ne voit donc aucun motif de surseoir à statuer et dès lors, en l’absence de moyens développés par Mme [W] à l’appui de sa demande très subsidiaire de prononcé du divorce pour faute, rejettera ces prétentions mais fera droit à la demande subsidiaire de confirmation du jugement ayant prononcé le divorce pour altération définitive du lien conjugal qui est suffisamment établie par les éléments constants du dossier.
Sur la demande de prestation compensatoire :
En première instance, Mme [W] n’a pas présenté de demande de prestation compensatoire mais elle a seulement formé une demande d’enjoindre à son époux de produire des pièces sur sa situation financière.
En appel, M. [V] n’ayant rien trouvé à redire sur cette prétention formée pour la première fois devant la cour, il y a lieu d’en examiner le bien-fondé au regard des pièces produites par les parties.
Le juge ne peut se prononcer que sur la base d’éléments matériels produits par les parties ou au moins, sur les indications non contestées par l’adversaire, contenues dans leurs conclusions respectives.
L’article 271 du Code civil dispose que la prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l’époux à qui elle est versée et les ressources de l’autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l’évolution de celle-ci dans un avenir prévisible.
À cet effet, le juge prend en considération notamment :
‘ la durée du mariage :
‘ l’âge et l’état de santé des époux :
‘ leur qualification et leur situation professionnelle :
‘ les conséquences des choix professionnels faits par l’un des époux pendant la vie commune pour l’éducation des enfants et du temps qu’il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne :
‘ le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu’en revenu, après la liquidation du régime matrimonial :
‘ leurs droits existants et prévisibles :
‘ leurs situations respectives en matière de pension de retraite en ayant estimé, autant qu’il est possible, la diminution des droits à la retraite qui aura pu être causée, pour l’époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa (les choix professionnels des époux pendant la vie commune).
Les parties n’ont pas déposé de déclaration sur l’honneur telle que prévue à l’article 272 du code civil.
En l’espèce, le mariage a duré du 10 septembre 2004 au 28 avril 2021 (date du jugement de première instance confirmé sur le prononcé du divorce) soit 17 ans et la vie commune jusqu’à l’ordonnance de non-conciliation rendue le 11 septembre 2014 soit 14 ans.
Un enfant est issu de cette union le 7 décembre 2002 mais il est aujourd’hui majeur et indépendant financièrement. La participation à l’entretien et l’éducation de l’enfant d’un montant qui a été mis à la charge de M. [V] par l’ordonnance du 6 mars 2015 a été supprimée.
Mme [W] est âgée de 50 ans.
M. [V] est âgé de 70 ans.
La pension alimentaire mise à la charge de l’époux au titre du devoir de secours par un arrêt de la cour d’appel de Papeete du 17 mars 2016 a été supprimé par ordonnance du juge aux affaires familiales rendue le 18 décembre 2019.
Mme [W] produit deux jugements du tribunal correctionnel de Papeete rendue le 26 octobre 2017 et le 7 juin 2019 ayant condamné M. [V] pour abandon de famille résultant du non-paiement de la pension alimentaire mise à sa charge au titre du devoir de secours et pour l’entretien de l’enfant commun. Ces décisions n’apportent aucun éclaircissement sur les ressources de M.[V].
En définitive, chaque époux n’a produit que peu de pièces relatives à sa situation financière personnelle. Ainsi dans son arrêt du 17 mars 2016, la cour d’appel de céans confirmant l’ordonnance rendue par le juge aux affaires familiales le 6 mars 2015 sauf sur le montant de la contribution du père à l’entretien et l’éducation de l’enfant et de la pension alimentaire due à l’épouse au titre du devoir de secours qu’elle a notablement amendé, expose dans ses motifs que l’instruction des mesures provisoires de l’instance en divorce dure depuis deux ans, ‘sans que l’incertitude entretenue par chaque partie sur sa situation financière, qu’a relevé le premier juge, n’ait été dissipée’.
La cour mentionne également que la séparation des époux remonterait au moins à 2012.
À l’appui de sa demande d’une prestation compensatoire de 30’000’000 Fcfp, Mme [W] produit un rapport établi le 8 août 2020 par un enquêteur professionnel privé qui ne fournit que peu d’informations utiles sur la situation de M. [V] dont il déclare qu’il est domicilié dans une maison «coquette construite en dure» à Tahiti ; qu’il est propriétaire de trois véhicules et d’un jet ski ; qu’il aurait une nouvelle compagne ; qu’il a vendu ces deux bateaux le 30 avril 2015 pour un prix de 2 millions Fcfp ; qu’il n’exploite plus le local commercial désigné par Mme [W].
L’enquêteur fait également état de mouvements de fonds d’un montant total de 2’875’500 Fcfp sur les relevés d’un compte bancaire mais ils concernent la période de février 2009 à février 2010, période antérieure à l’ordonnance de non-conciliation et qui ne dit donc rien du patrimoine actuel de l’époux.
Il estime que d’après des photos de la ferme perlière de 4560 m² que M. [V] exploitait, elle comprenait des constructions annexes d’une valeur très supérieure à 200’000 Fcfp.
Mme [W] verse également aux débats des courriers administratifs montrant que les trois véhicules immatriculés au nom de M. [V], ont été déclarés le 23 janvier 1996, 20 février 2012 et 17 novembre 2006, et qu’il n’est plus propriétaire de bateau à la date du 13 juillet 2020.
Mme [W] communique d’autres documents établissant que les époux ont décidé de vendre la ferme perlière et la bijouterie et qu’ils ont convenu que le prix de cette cession sera réparti équitablement entre eux.Mme [W] laisse entendre dans ses conclusions que ces biens auraient été cédés à un prix très inférieur à leur valeur réelle mais ne verse pas de pièce à ce sujet.
Cependant, Mme [W] ne fournit strictement aucun élément relative à sa situation matérielle personnelle. Et les éléments rapportés par le détective privé dont elle a rémunéré les services et qui n’a été mandaté que pour analyser la situation du mari au vu des indications données par l’épouse, ne permettent pas de confirmer ses affirmations selon lesquelles son époux dispose d’un patrimoine plus important que le sien et qu’il a des revenus d’un montant supérieur à ses propres ressources dont la cour ignore absolument tout.
Il apparaît par ailleurs des pièces produites par M. [V], que, par jugement du 2 décembre 2013, Mme [W] a été déboutée par le tribunal du travail de Papeete de sa demande tendant à entendre juger qu’elle a été liée par un contrat de travail à son époux auquel elle faisait grief de lui avoir confié la gestion de sa ferme perlière en 2006 puis celle de sa bijouterie en 2008 sans jamais la déclarer et la rémunérer.
De son côté, M. [V] ne fournit pas d’éléments sur sa situation excepté un état de transcription hypothécaire montrant qu’il reste propriétaire de 2 terrains situés à [Localité 1] Taiarapu Est à Tahiti ainsi que l’impôt foncier dont il est redevable pour sa maison dont la valeur locative totale est fixée à 320’000 Fcfp.
Il a aussi établi qu’il est suivi pour un cancer. Il produit également un justificatif d’une pension de retraite qui lui est versée pour un montant mensuel moyen de 47’149 Fcfp.
Concernant son épouse, il communique un extrait du répertoire des métiers établis le 11 février 2021 montrant qu’à cette date, Mme [W] était toujours immatriculée au titre de l’exploitation d’une activité de commerce de gros non spécialisé à l’enseigne commerciale «JLCC import export».
La prestation compensatoire est destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives des époux mais encore faut-il que le juge dispose des éléments concrets et objectifs pour comparer la situation de chacun des conjoints dans le respect des dispositions de l’article 271 précité.
Or, Mme [W] qui est demanderesse à la prestation compensatoire n’a pas rapporté la preuve que le divorce a créé une disparité entre ses conditions d’existence matérielle – dont la cour ignore tout – et celles de son mari qui, pour avoir un patrimoine établi a minima, est âgé de 20 ans de plus qu’elle et souffre d’une maladie évolutive : en conséquence, Mme [W] doit être déboutée de ses prétentions à cet égard.
En ce qui concerne des dépens d’appel, compte tenu de la nature familiale du litige, chacune partie sera condamnée à supporter ceux qu’elle a exposés et sera déboutée de sa demande présentée au titre de l’article 407 du code de procédure civile de Polynésie française.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant par mise à disposition, publiquement, contradictoirement, en matière familiale et en dernier ressort ;
Vu l’appel de Mme [W] épouse [V],
Déboute l’appelante de ses demandes d’expertise et d’injonction de communiquer des pièces, ainsi que de ses autres prétentions,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Vu les articles 406 et 407 du code de procédure civile de Polynésie française,
Dit que chaque partie conserve la charge de ses dépens d’appel,
Rejette les demandes présentées au titre des frais irrépétibles d’appel.
Prononcé à Papeete, le 13 avril 2023.
Le Greffier, Le Président,
signé : M. SUHAS-TEVERO signé : MF BRENGARD