Bijouterie : 1 juin 2022 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 19/02218

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Bijouterie : 1 juin 2022 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 19/02218

1 juin 2022
Cour d’appel de Bordeaux
RG
19/02218

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE – SECTION A

————————–

ARRÊT DU : 1er JUIN 2022

PRUD’HOMMES

N° RG 19/02218 – N° Portalis DBVJ-V-B7D-K7NF

Madame [B] [R]

c/

EPIC LA [Adresse 4]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 mars 2019 (R.G. n°F15/00324) par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de BORDEAUX, Section Industrie, suivant déclaration d’appel du 18 avril 2019,

APPELANTE :

Madame [B] [R]

née le 17 Juin 1953 à [Localité 3] ([Localité 3]) de nationalité Française demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Roxane VUEZ substituant Me Béatrice LEDERMANN de la SELARL AFC-LEDERMANN, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

EPIC La [Adresse 4], établissement public local à caractère industriel ou commercial, pris en la personne de son Président Monsieur [K] [P] domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 1]

N° SIRET : 160 020 012

représenté par Me Anne LEVEL, avocat au barreau de BORDEAUX substituant Me Arnaud PILLOIX de la SELARL ELLIPSE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX,

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 28 février 2022 en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Monsieur Rémi Figerou, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats :A.-Marie Lacour-Rivière

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

– prorogé au 1er juin 2022 en raison de la charge de la cour.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [B] [R], née en 1953, a été engagée par l’Epic La [Adresse 4], par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 21 octobre 1974 en qualité de dactylo-codeuse.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie et activités qui s’y rattachent.

A compter du mois de juillet 2008, Mme [R] – occupant le poste d’assistante de direction- a été placée en congés de maladie de longue durée jusqu’au mois de décembre 2009.

Par lettre du 1er décembre 2009, Mme [R] a manifesté le souhait de réintégrer La [Adresse 4], à compter de janvier 2010.

Du mois de janvier 2010 au mois de juillet 2013, Mme [R] a été, à nouveau, placée en arrêt de travail pour maladie.

Le 17 juillet 2013, Mme [R] a repris son activité professionnelle en qualité d’assistante administrative.

Le 8 janvier 2014, Mme [R] a sollicité l’attribution d’une promotion exceptionnelle de fin de carrière, dite « coup de chapeau », qui consistait à être promue dans la catégorie supérieure de la grille de classification applicable, aux fins de percevoir une rémunération plus conséquente durant les six derniers mois d’exercice professionnel, pour, à terme, bénéficier d’une pension de retraite plus conséquente.

Au mois de juin 2014, Mme [R] était informée que cette promotion ne lui serait pas accordée au motif que ses supérieurs hiérarchiques avaient estimé qu’elle n’avait pas toujours donné satisfaction durant sa carrière.

Sollicitant le versement de diverses sommes, Mme [R] a saisi le 13 février 2015 le conseil de prud’hommes de Bordeaux.

Le conseil de prud’hommes, par jugement de départage du 22 mars 2019, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a :

– déclaré irrecevables les demandes de Mme [R] formées en paiement de rappel de prime de fin d’année 2008 et de perte de salaire du 1er janvier 2010 au 30 juin 2013,

– rejeté les demandes en paiement formées par Mme [R] de rappel de salaire sur ses six derniers mois d’activité, au titre du préjudice financier subi du fait de la non attribution de la promotion de fin de carrière, du préjudice financier sur la perte des droits à retraite, du préjudice moral distinct,

-rejeté la demande formée par Mme [R] au titre des intérêts aux taux légaux,

– rejeté la demande formée par Mme [R] au titre de ses frais irrépétibles d’instance,

– condamné Mme [R] aux dépens,

– rejeté toutes autres demandes, plus amples ou contraires au dispositif du présent jugement,

– dit n’y avoir lieu à prononcer son exécution provisoire.

Par déclaration du 18 avril 2019, Mme [R] a relevé appel de cette décision, notifiée le 25 mars 2019.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 23 janvier 2020, Mme [R] demande à la cour :

Sur le constat de l’existence de discriminations subies,

vu les articles L. 1132-1, L.1134-1,

-infirmer le jugement entrepris,

A- dire la discrimination subie par Mme [R] en raison de son état de santé, du fait du refus de l’application de l’usage du coup de chapeau et du fait que la [Adresse 4] ne démontre pas que les agissements étaient justifiés par des faits étrangers à toute discrimination,

– dire en conséquence la discrimination continue en raison de l’état de santé donne droit à réparation de l’entier préjudice,

– condamner La [Adresse 4] prise en la personne de son représentant légal au paiement de la somme de 8.500 euros au titre du préjudice financier global de la discrimination lié à la non application de l’usage du coup de chapeau au titre de la perte de salaire et des droits à la retraite, au vu de la revalorisation des retraites,

B – sur la révélation de la discrimination subie du fait de l’absence de réintégration à son poste en décembre 2009 ou à un poste équivalent à la suite de son arrêt maladie de 18 mois,

-infirmer le jugement rendu,

– dire que la discrimination en raison de son état de santé continue subie par Mme [R] du fait du refus de réintégration en décembre 2009 par La [Adresse 4] à son poste ou un emploi équivalent,

-constater que la partie adverse a communiqué en janvier, février et juillet 2016 seulement les éléments permettant de révéler le caractère discriminatoire de la non-réintégration de Mme [R] à son poste ou un emploi équivalent,

– dire que Mme [R] n’est pas prescrite dans son action,

– dire en conséquence la discrimination continue en raison de l’état de santé donne droit à réparation de l’entier préjudice,

– condamner La [Adresse 4] au paiement de la somme de 18.633,16 euros au titre du préjudice financier sur la perte de ses salaires pour la période du 1er janvier 2010 au 30 juin 2013,

-c ondamner la [Adresse 4] au paiement de la somme de 26.000 euros au titre du préjudice financier sur la perte de droits à retraite.

C – sur la révélation de la discrimination continue en raison du non versement de la prime de fin d’année 2008, versée en 2009 :

-infirmer le jugement rendu,

– dire que le non versement de cette prime à Mme [R] dont le contrat était simplement suspendu en raison de son état de santé est un préjudice supplémentaire en raison de la discrimination continue dont elle a été victime,

– constater que la partie adverse a communiqué en janvier 2019 seulement les éléments permettant de déterminer les conditions de versement de la prime annuelle,

– dire que Mme [R] n’est pas prescrite dans son action,

– à titre principal, en l’absence de preuve contraire de La [Adresse 4],

– condamner La [Adresse 4] au paiement de 1.096,02 euros bruts à titre de rappel sur la prime de fin d’année,

– à titre subsidiaire, en cas de raisonnement comme les nouveaux entrants au prorata temporis, de condamner La [Adresse 4] au paiement de 548,01 euros au titre de la prime de fin d’année.

D – sur l’évaluation du préjudice moral distinct,

– infirmer le jugement entrepris,

– condamner La [Adresse 4] à indemniser Mme [R] à hauteur de 25.000 euros au titre de son préjudice moral distinct du fait de cette discrimination.

E – sur son droit à l’indemnité de départ à la retraite,

– dire que Mme [R] à droit au versement de l’indemnité de départ à la retraite,

– condamner La [Adresse 4] à verser à Mme [R] la somme de 8.464,18 euros bruts à titre d’indemnité de départ à la retraite,

-condamner La [Adresse 4] au paiement de 9.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

-soumettre l’intégralité des sommes à intérêts légaux à compter de la saisine du conseil de prud’hommes et ce y compris les sommes dues au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner La [Adresse 4] aux entiers dépens et frais éventuels d’exécution.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 28 juillet 2021, l’Epic La [Adresse 4] demande à la cour de’confirmer le jugement rendu.

En conséquence et statuant à nouveau :

– débouter Mme [R] de l’intégralité de ses demandes,

– condamner Mme [R] à verser à La [Adresse 4] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 27 janvier 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

A – le  » coup de chapeau »

Mme [R] fait valoir que les conditions d’octroi de l’usage du « coup de chapeau », telles que définies en 1981 (soit l’absence de remarques défavorables et ne pas être dans un emploi de catégorie A), abandonnées de 2002 à 2006, ont été rétablies en 2007 ; que la motivation du refus opposé en 2014 correspond au critère de mérite appliqué de 2002 et 2006 ; qu’aucune remarque défavorable ne figurait à son dossier lorsqu’elle l’a consulté le 26 mai 2014 et que l’avis défavorable y figurant a été ajouté postérieurement pour les besoins de la cause et a un caractère discriminatoire en lien avec son état de santé ; que La [Adresse 4] n’apporte aucun élément objectif pour justifier un tel refus.

La [Adresse 4] répond que cet usage institué en 1981 a été dénoncé et qu’elle peut se prévaloir d’une condition au mérite ; que si M. [T], supérieur hiérarchique de Mme [R], a donné un avis favorable à cette promotion de fin de carrière, messieurs [J] et [L] ont émis des avis contraires sans lien avec l’état de santé de la salariée; qu’en tout état de cause, ces deux observations négatives privaient l’intéressée de cette promotion ; qu’aucun élément n’établit que Mme [R] a consulté son dossier le 26 mai 2014 ; qu’il revient à Mme [R] de présenter des éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination.

Aux termes de l’article L.1132-1 du code du travail, dans sa rédaction ici applicable, aucun salarié ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte de classification ou de promotion professionnelle en raison de son état de santé.

Aux termes de l’article L.1134-1 du code du travail dans sa rédaction ici applicable, lorsque survient un litige relatif à la discrimination, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination et au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Il revient au juge d’examiner dans leur ensemble les éléments fournis par le salarié.

Par lettre datée du 11 avril 2014, le supérieur hiérarchique de Mme [R] a émis un avis favorable à la demande de cette dernière de bénéficier de la promotion revendiquée.

Sur cette lettre, apparaissent deux avis manuscrits :

*celui de M. [J] :  » l’affectation en sureffectif de Mme [R] au magasin à la demande de la RH n’a pas posé de problème particulier si ce n’est de créer de la charge de travail et accompagnement d’une personne en difficulté relationnelle. Elle a d’ailleurs refusé d’archiver des documents administratifs au prétexte du lieu lui rappelant son affectation avant sa maladie »;

*celui de M. [L] :  » avis défavorable. Mme [R] n’a pas fait preuve d’une souplesse et d’une adaptation suffisante sur l’ensemble de sa carrière ».

Le président directeur général de La [Adresse 4] a refusé d’octroyer la promotion coup de chapeau à Mme [R] sur le fondement de ces deux avis défavorables.

Ces avis ne révèlent pas l’existence de reproches tirés des absences pour maladie ou de l’état de santé de Mme [R]. Ils ne contredisent pas le sérieux et l’assiduité de Mme [R] relevés par M. [T] mais portent sur une difficulté relationnelle, un manque de souplesse et d’adaptation que Mme [R] ne relie pas à des difficultés de santé. La seule mention du refus de celle-ci d’effectuer une tâche sur un lieu lui rappelant son affectation avant sa maladie ne révèle pas non plus une démarche discriminatoire, cette référence temporelle ne fondant pas ce reproche.

L’affirmation de Mme [R] selon laquelle les deux avis négatifs auraient été portés postérieurement à la consultation de son dossier le 26 mai 2014 et pour les seuls besoins de la cause n’est pas suffisamment corroborée par le message qu’elle aurait transmis à son conseil à cette date dès lors que la lettre datée du 11 avril 2014 avait été transmise aux supérieurs de Mme [R] pour avis sur sa demande d’octroi de la promotion « coup de chapeau ».

Mme [R] fait aussi valoir que la décision de refus serait contraire à l’usage institué en 1981 se référant à l’absence de remarques défavorables. Cet usage, abandonné de 2002 à 2006, aurait été repris aux mêmes conditions à compter de 2007.

La note adressée par M. [N] au ministère de l’Economie le 5 juillet 2007 confirme les conditions posées en 1981 et l’attribution ensuite très sélective sur la base du mérite entre 2002 et 2006.

Si lors d’une réunion du comité d’ entreprise du 15 décembre 2008, M. [N] a déclaré que la promotion dite « coup de chapeau » était un usage abrogé puis rétabli, cette déclaration n’emporte pas la démonstration de son maintien selon les règles fixées le 9 décembre 1981. Ainsi que justement souligné par le premier juge, il n’est pas contesté

que cette pratique a perduré au-delà de 2007 mais sans que le bénéfice étendu – selon les critères initiaux- soit rétabli.

Enfin, la régularité de la dénonciation de l’usage du « coup de chapeau » en 2002, est indifférente dès lors que le refus litigieux reposait, en tout état de cause, sur deux remarques défavorables privatives de ce bénéfice au seul regard des conditions posées en 1981.

Ces éléments, pris dans leur ensemble, ne laissent pas présumer l’existence d’une discrimination liée à l’état de santé de Mme [R].

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté Mme [R] de sa demande tendant au paiement d’un rappel de salaire des six derniers mois et d’une perte de ses droits à la retraite.

B- la discrimination lors de la demande de réintégration

Mme [R] demande à la cour de dire que le refus de l’employeur – en décembre 2009 – de la réintégrer à son poste de secrétaire de direction occupé avant son arrêt de maladie est discriminatoire.

La [Adresse 4] soulève le moyen tiré de la prescription de cinq ans prévue par l’article L.1134-5 du code du travail. La révélation d’une prétendue discrimination date du 17 décembre 2009, date de l’entretien qu’elle avait eu avec la directrice des ressources humaines. Elle ne peut soutenir qu’elle n’a réalisé être discriminée qu’à réception de documents de l’ employeur au cours de la procédure prud’homale.

Mme [R] répond qu’elle n’a eu connaissance de cette discrimination qu’à réception des avis défavorables émis par messieurs [J] et [L] et transmis par l’ employeur en 2016 au cours de l’instance prud’homale.

Aux termes de l’article L.1134-5 du code du travail dans sa rédaction ici applicable, l’action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination se prescrit pas cinq ans à compter de la révélation de la discrimination.

La révélation de la discrimination n’est pas la seule connaissance par le salarié des éléments de fait laissant supposer une discrimination mais la connaissance effective de tous les éléments lui permettant d’exercer son droit.

Aux termes du compte – rendu rédigé par le représentant syndical ayant assisté Mme [R] lors de son entretien avec la directrice des ressources humaines de La [Adresse 4] le 17 décembre 2009, la salariée a demandé à reprendre son poste d’assistante de direction. Il lui a été répondu que ce poste avait évolué, le profil de celle-ci ne correspondant plus aux missions actuelles.

Lui étaient proposés trois postes disponibles :

*comptable d’atelier niveau 2-3;

*Cnap (examen de fausses pièces) niveau 2-3;

*coopérative niveau inexistant.

Mme [R] a refusé ces postes et demandé de trouver une solution équivalente à son ancien emploi. La directrice des ressources humaines a répondu n’avoir aucun autre poste à proposer.

Il n’est pas contesté que Mme [R] a été affectée psychologiquement (pièce 9) par ce refus de lui proposer le poste – ou l’équivalent- et qu’il s’en est suivi un état dépressif avec un sentiment de dévalorisation (pièce 18) et un ressenti d’affront, de rejet et de la colère (pièce 19). Aucune discrimination n’était alors dénoncée de sorte que le délai de prescription ne peut courir à compter de la date de cet entretien.

La lettre du conseil de la salariée à l’employeur mentionne « une humiliation supplémentaire » sans faire état d’une discrimination et en tout état de cause, est datée du 17 juin 2014, antérieure de moins de cinq ans à la saisine du conseil des prud’hommes.

Mme [R] n’a eu connaissance de tous les éléments lui permettant d’exercer son droit qu’à réception – au cours de l’instance prud’homale- de la pièce datée du 11 avril 2014, transmise par l’employeur pour justifier la décision de refus d’octroi du « coup de chapeau ». Lisant concomitamment l’appréciation favorable de M. [T] et les deux avis défavorables de messieurs [J] et [L], Mme [R] a estimé avoir été victime d’une discrimination : selon elle, ces deux annotations auraient été ajoutées postérieurement à la décision de refus pour les seuls besoins de la cause. Pour justifier la non réintégration de Mme [R] à son poste en janvier 2010, l’employeur a aussi transmis en juillet et septembre 2016, des organigrammes et des fiches de poste dont Mme [R] a estimé qu’ils révélaient au contraire une discrimination liée son état de santé.

En saisissant le conseil des prud’hommes le 13 février 2015, Mme [R] n’était pas prescrite en sa demande. Le jugement sera infirmé de ce chef.

Mme [R] fait valoir que le refus de réintégration est à l’origine de son arrêt de maladie sur la période de 2010 à 2013, que l’employeur n’établit pas qu’il ne pouvait la réintégrer à son poste d’assistante de direction ; qu’il lui a proposé des postes d’usine et non administratifs. Elle demande paiement du différentiel entre le salaire qu’elle aurait dû percevoir et les sommes qu’elles a perçues entre 2010 et 2013 soit 18 633,16 euros et l’indemnisation de son préjudice financier résultant de la réduction de ses droits à la retraite.

La [Adresse 4] répond que le lien n’est pas établi entre la proposition de postes de décembre 2009 et l’arrêt de maladie de Mme [R], qu’en tout état de cause, elle lui a proposé des emplois administratifs similaires au poste qu’elle a occupé avant son arrêt de maladie.

Mme [R] doit établir que son état de santé ayant nécessité cet arrêt de travail de janvier 2010 à juillet 2013 résulte de ce que l’employeur lui a proposé des postes qu’elle a jugés incompatibles avec son emploi de secrétaire de direction.

Elle verse plusieurs certificats médicaux :

* en date du 27 novembre 2009, un certificat d’un médecin généraliste :  » … avoir examiné Mme [R]. Elle est apte à reprendre son travail »;

*en date du 18 décembre 2009, de son médecin traitant :  » je la vois ce jour en consultation très affectée psychologiquement suite à un entretien avec la DRH de son entreprise. Elle serait affectée à un poste qui n’est pas le sien « ;

* en date du 9 septembre 2010 d’un médecin psychiatre :  » malheureusement, la reprise s’est très mal passée et Mme [R] a présenté un état dépressif avec un sentiment de dévalorisation ++. Elle se trouve donc pour l’instant dans l’incapacité totale pour une reprise professionnelle. »

*en date du 13 octobre 2010, d’un médecin psychiatre attestant à la demande du médecin conseil de La [Adresse 4] :  » Mme [R] dit avoir voulu reprendre son travail : satisfaite de la reconstruction et désireuse de tourner la page du cancer, elle fait une demande de reprise à la DRH … c’est là que tout s’effondre pour elle, dit-elle, car on lui objecte divers arguments (  » poste devenu trop stressant … le travail a totalement changé … ce serait trop dur pour vous .. ») pour lui opposer une fin de non- recevoir …et lui proposer, selon son expression,  » un poste en bleu, au comptage des pièces « . Elle perçoit cette proposition comme un affront, se sent rejetée, dévalorisée, en conserve de la colère et un sentiment de dommage. Mme [R] a traversé l’épreuve du cancer de façon plutôt positive ; son désir de reprendre son activité allait dans le même sens d’une restauration narcissique et de réparation. Si l’épisode avec la personne responsable de la DRH est exactement rapporté par la patiente, il est évident que l’on ne peut qu’en être atterré. Mme [R] voit depuis lors le Dr [Y], psychiatre, en consultation bi- mensuelle … on trouvera dommageable qu’un congé longue maladie vienne plutôt en aide à la gestion du personnel de l’entreprise qu’à la personne elle-même. Si aucune solution convenable n’est trouvée, on pourra conclure à la poursuite d’un congé longue maladie ».

* en date du 26 juin 2012, d’un médecin psychiatre, à destination de La Monnaie de

Paris :  » le poste qui lui a été proposé a été vécu comme dégradant, dévalorisant, entraînant chez elle une décompensation dépressive caractérisée qui a nécessité la mise en place d’un suivi psychiatrique régulier qui se poursuit aujourd’hui. L’humeur de cette patiente reste sub-dépressive avec un fort sentiment d’injustice avec forme d’anéantissement avec dévalorisation… Mme [R] a commencé son travail à l’âge de 19 ans avec une évolution positive de carrière gratifiante; aujourd’hui, elle pourrait reprendre son travail sur son poste d’avant le cancer ce qui lui apporterait des bénéfices au niveau narcissique … l’état de santé de Mme [R] nécessite la prolongation du congé longue durée de six mois à partir du 6 juillet 2012″.

* en date du 11 décembre 2012, du médecin psychiatre à la demande du médecin conseil de La [Adresse 4] :  » à la suite de son cancer du sein, traité, elle a décompensé sur un mode anxio dépressif quand elle a vécu son retour au travail comme déclassement ce qui ne la valorisait pas. Aujourd’hui, malgré l’amélioration thymique, le retour au travail dans les conditions décrites l’exposerait à une nouvelle décompensation ».

Ces éléments médicaux, nombreux et concordants, établissent que l’état de santé de Mme [R] lui permettait la reprise d’un travail en novembre 2009, que suite à l’entretien avec la direction des ressources humaines lui proposant des postes différents du sien en décembre 2009, son état de santé s’est détérioré et a nécessité plusieurs années d’arrêt de travail.

Il convient ensuite d’examiner les caractéristiques des trois postes proposés à Mme [R] au regard de l’obligation faite à l’employeur de réintégrer le salarié de retour d’arrêt maladie à son poste ou à un poste similaire, de même qualification et perspectives de carrière que l’emploi initial.

La cour constate que :

– l’organigramme produit en pièce 26-1 de la salariée et dont l’ employeur ne conteste pas qu’il est antérieur (3 septembre 2009) à celui versé en pièce 26-2 ( du 9 septembre suivant) de sorte que la mention du nom de Mme [F] en qualité d’assistante de direction doit être interprétée au regard de la pièce suivante ;

– cette dernière indique qu’elle est la mise à jour de l’organigramme complet établi en 2008, confirmant ainsi le caractère provisoire de l’organigramme précédent. Elle comporte sous le nom de Mme [F], celui de Mme [R] figurant entre parenthèses pour indiquer qu’elle est la titulaire de ce poste ;

– l’organigramme versé en pièce 26-3 de la salariée comporte les mêmes indications.

Il est donc établi qu’ à la date à laquelle elle a demandé sa réintégration, Mme [R] était considérée comme étant assistante de direction et que Mme [F] la remplaçait le temps de son arrêt de travail ; l’employeur ne peut opposer que cette dernière n’avait pas été embauchée pour remplacer Mme [R] en produisant un document d’embauche au poste d’ouvrière non professionnelle stagiaire.

Il ne peut non plus faire état de ce que Mme [F] est aujourd’hui assistante du directeur industriel des Monnaies Courantes.

Par ailleurs, la réponse de l’employeur au conseil de l’intéressée selon laquelle le poste d’assistante coopérative n’existerait plus n’est corroborée par aucune pièce, La [Adresse 4] reconnaissant « n’avoir pas réussi à retrouver la fiche de poste d’assistante à la coopérative de l’époque ».

L’employeur n’établit donc pas qu’il ne pouvait pas proposer prioritairement à Mme [R] le poste qu’elle occupait avant son arrêt de travail pour maladie.

Mme [R] dit ensuite que les trois postes qui lui ont été proposés étaient des postes « en bleu » en usine, rattachés hiérarchiquement au chef d’atelier du conditionnement à la production de la Direction industrielle des Monnaies Courantes.

S’agissant du poste de comptable d’atelier, Mme [F] figure sur la liste des personnes pouvant l’occuper et ce poste relève d’une qualification inférieure à celle de Mme [R] ; celle- ci relevait du niveau III, échelon 8 et ce poste du niveau II échelon 3.

Le poste d’opérateur d’analyse de pièces comporte le tri et la classification des contrefaçons et leur enregistrement et ne correspond pas à un travail administratif. Il relève par ailleurs du niveau II échelon 3.

La fiche d’assistante à la coopérative n’est pas produite et aucune indication n’établit que ce poste aurait été supprimé.

Il est enfin indifférent que Mme [R] ait bénéficié de deux évolutions de coefficient qui résultaient de l’accord d’entreprise.

La [Adresse 4] n’établit donc pas non plus qu’elle aurait proposé des postes similaires à celui qu’occupait Mme [R] avant son arrêt de maladie.

Il a été dit que l’inobservation par l’employeur de son obligation de réintégration avait eu pour conséquence un arrêt de travail sur la période des années 2010 à 2013 (juillet).

Cette situation lui a causé un préjudice correspondant au montant différentiel entre le salaire qu’elle aurait dû percevoir et les sommes reçues lors de cette période.

Au regard d’un salaire de 2 852,76 euros alors applicable et des sommes perçues, la perte de salaire est de 18 633,16 euros et La [Adresse 4] sera condamnée au paiement de cette somme.

Cette perte a impacté le montant des droits à la retraite de Mme [R] qui n’a pas cotisé que la période considérée. Au regard de la perte annuelle des trois à la retraite, du salaire sans application du « coup de chapeau » et de l’indice de capitalisation applicable, l’ employeur sera condamné à payer à Mme [R] la somme de 24 500 euros.

C- la prime annuelle

La [Adresse 4] oppose la prescription de la demande de paiement d’une prime de 2008 payable en janvier 2009 et dont elle a réclamé le paiement le 7 avril 2009.

Mme [R] répond qu’elle n’a eu connaissance de cette discrimination continue qu’à réception des pièces de l’employeur au cours de l’instance prud’homale.

Mme [R] a reçu, en cours de procédure prud’homale, un compte-rendu complet du Conseil d’Administration du 25 novembre 2008 qui a prévu le versement de la dire prime et sa demande fondée sur la discrimination n’est pas prescrite.

La [Adresse 4] ne conteste pas le versement de cette prime exceptionnelle à ses salariés en janvier 2009.

Il est aussi établi que Mme [R], alors en arrêt de travail pour maladie n’a pas perçu cette prime et cet élément laisse supposer l’existence d’une discrimination liée à son état de santé.

L’employeur fait état de ce que le Conseil d’Administration n’a octroyé la prime qu’aux salariés en activité au 31 décembre 2008.

Cette exigence ne vaut que si toutes les absences, hormis celles qui sont légalement assimilées à un temps de travail effectif, entraînent les mêmes conséquences sur son attribution.

Dans le cas présent, l’employeur n’en justifie pas, de sorte qu’il ne peut se référer à l’exigence posée par la décision du Conseil d’Administration. L’absence de paiement de cette prime à Mme [R] n’est pas étrangère à cette discrimination.

Au regard de la valeur minimum de cette prime telle que prévue par le Conseil d’Administration, l’employeur devra verser à Mme [R] la somme de 700 euros.

D – le préjudice moral distinct

Mme [R] demande réparation du préjudice moral subi du fait de la discrimination subie.

La [Adresse 4] oppose le défaut de preuve de l’existence de ce préjudice.

Les certificats médicaux sus évoqués établissent suffisamment les conséquences notamment du défaut de réintégration au poste jusqu’alors occupé. La souffrance morale de Mme [R] est distincte des conséquences uniquement financières dont la réparation a été décidée.

La [Adresse 4] sera condamnée à payer à Mme [R] la somme de 5 000 euros de ce chef.

E – l’ indemnité de départ à la retraite

Cette demande faite devant la cour est recevable eu égard au principe d’unicité de l’instance applicable lors de la saisine du conseil des prud’hommes.

Mme [R] fait valoir qu’au regard des dispositions légales et réglementaires, son indemnité de départ à la retraite devait être calculée sur la base de son salaire moyen prenant en compte toute prime ou autre élément de salaire annuel ou exceptionnel qui aurait été versé sur la période prise en compte.

Selon Mme [R], cette indemnité de départ à la retraite qui doit être égale à deux mois de salaire doit être calculée sur la base de la moyenne de ses trois derniers mois et son montant aurait dû être de 8 464,18 mois.

L’employeur qui ne conteste pas que l’indemnité doit être égale à deux mois de salaire répond que l’indemnité de congés payés et les droits issus du compte – épargne temps réglés dans le cadre du solde de tout compte ne sont pas inclus dans le calcul de l’indemnité litigieuse.

Les sommes correspondant au rachat des droits capitalisés dans le compte – épargne- temps – sont exclues de la base de calcul.

Au regard d’un salaire mensuel calculé sur les trois derniers mois de salaire, l’ employeur devra payer à Mme [R] la somme de 6 819,40 euros.

Vu l’équité, La [Adresse 4] sera condamnée à payer à Mme [R] la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés dans le cadre des procédures de première instance et d’appel.

Succombant, La [Adresse 4] supportera la charge des entiers dépens des procédures de première instance et d’appel et les frais éventuels d’exécution.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a débouté Mme [R] de sa demande relative au » coup de chapeau »,

L’infirme pour le surplus,

Dit les demandes non prescrites,

Condamne La [Adresse 4] à payer à Mme [R] les sommes suivantes :

*18 633,16 euros au titre du différentiel des sommes perçues au cours de l’arrêt de travail du 1er janvier 2010 au 31 juillet 2013,

*24 500 euros au titre des droits à la retraite afférents ;

*700 euros au titre de la prime exceptionnelle du mois de janvier 2009 ;

*5 000 euros au titre du préjudice moral,

y ajoutant,

Condamne La [Adresse 4] à payer à Mme [R] la somme de 6 819,40 euros au titre de l’indemnité de départ à la retraite,

Condamne La [Adresse 4] à payer à Mme [R] la somme totale de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés dans le cadre des procédures de première instance et d’appel ;

Dit que les sommes de nature salariale produiront des intérêts à compter de la date de réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de jugement,

Dit que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts à compter du présent arrêt ;

Condamne La [Adresse 4] aux entiers dépens en ce compris les frais éventuels d’exécution.

Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard

 


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