Bien distinguer le dénigrement du droit de critique 

·

·

,
Bien distinguer le dénigrement du droit de critique 
Ce point juridique est utile ?

Protection de la cause animale

L’association One Voice a effectué une enquête de terrain au cours de laquelle elle a identifié dans plusieurs clubs canins, ce qu’elle a considéré être des actes de maltraitance voire de torture : cris, coups, agressions physiques et psychologiques. Elle a établi un rapport dont elle a informé ses adhérents, puis elle a publié en  ligne un article d’information faisant suite à de nouveaux signalements.

Il ressort de la lecture du rapport que la campagne d’information de l’association One Voice visait non à jeter le discrédit sur l’ensemble de la profession des éducateurs canins, mais à dénoncer les méthodes de dressage qu’elle estime violentes et à informer le public sur les conséquences qu’elles peuvent avoir sur les animaux.

Aucune structure n’était d’ailleurs nommément désignée.  Le rapport qui dénonce la violence ‘de certains éducateurs’ et de ‘certains clubs’ repose sur une base factuelle étayée par des vidéos qui n’est pas remise en cause par les appelants. Il répond à l’objectif de l’information du public et non au désir de nuire.

Droit à la libre critique

Pour rappel, il est de jurisprudence constante que hors restriction légalement prévue, la liberté d’expression est un droit dont l’exercice ne peut être contesté sur le fondement des articles 1240 et 1241 du code civil. Ainsi au nom de la liberté d’expression, existe-t-il un droit à la libre critique dès lors qu’elle est objective et justifiée, mesurée dans son contenu et dans sa forme.

Les limites du dénigrement

La libre critique se distingue du dénigrement qui a pour but de jeter publiquement le discrédit sur un produit, un service ou une entreprise pour en tirer profit, étant observé que si l’auteur du dénigrement est en principe une personne en situation de concurrence, un tiers indépendant qui n’est pas un concurrent peut être poursuivi pour dénigrement.

Dès lors c’est au terme d’une exacte analyse des éléments qui lui étaient soumis et par une motivation pertinente que la cour adopte que le premier juge a retenu que l’association One Voice n’avait pas abusé de son droit à la libre expression et qu’il a débouté l’organisation syndicale des éducateurs canins et les autres demandeurs de toutes leurs prétentions.

___________________________________________________________________________________________

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU MARDI 15 MARS 2022

N° RG 20/01486 – N° Portalis DBVM-V-B7E-KNKP

Appel d’une décision (N° RG 18/00925)  rendue par le Tribunal de Grande Instance de VALENCE en date du 14 janvier 2020 suivant déclaration d’appel du 08 Avril 2020

APPELANTS :

M. F G

né le […] à RENNES

de nationalité Française

[…]

35510 CESSON-SEVIGNE

M. H I

né le […] à LORIENT

de nationalité Française

[…]

[…]

M. J K né le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

M. X, Y, L M

né le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

Mme Z, A, N O épouse B

née le […] à PARIS

de nationalité Française

Lieu-dit Montalivet

[…]

M. Y-AA, P Q

né le […] à LYON

de nationalité Française

[…]

[…]

M. R S

né le […] à STRASBOURG

de nationalité Française

[…]

[…]

Mme C, D, G U épouse E

née le […] à VALENCE

de nationalité Française […]

[…]

Mme V W

née le […] à NEUCHATEL

de nationalité Française

[…]

[…]

LA SOCIÉTÉ EDUC’PILEPOIL prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[…]

[…]

LA SOCIÉTÉ ISY DOG prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[…]

[…]

[…]

Sis Lieu-dit Montalivet

[…]

L’ASSOCIATION TNT 21 – TERRE NEUVE AU TRAVAIL 21 représentée par son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège de l’association

[…]

[…]

L’ASSOCIATION OBEDIENCE CANINE CATALANE représentée par son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège de l’association

[…]

[…]

LA SOCIÉTÉ CENTRE HERVE B prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Sis lieu-dit Montalivet L’ASSOCIATION CLUB CANIN DE CHANTILLY représentée par son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège de l’association

[…]

[…]

L’ASSOCIATION CLUB CANIN DU VAL D’OISE représentée par son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège de l’association

[…]

[…]

L’ASSOCIATION D’AKIRA représentée par son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège de l’association

[…]

[…]

Tous représentés par Me Mickael LOVERA de la SELARL CABINET TUMERELLE, avocat au barreau de VALENCE et plaidant par Me TUMERELLE

INTIMEE :

L’ASSOCIATION ONE VOICE, représentée par son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège de l’association

[…]

[…]

représentée par Me C HAYS, avocat au barreau de GRENOBLE postulant et plaidant par Me Arielle MOREAU, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION

COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Hélène COMBES, Président de chambre,

Mme Joëlle BLATRY, Conseiller,

M. Laurent GRAVA, Conseiller

DÉBATS :

A l’audience publique du 14 février 2022 Madame COMBES Président de chambre chargé du rapport en présence de Madame BLATRY, Conseiller assistées de Mme Anne BUREL, Greffier, ont entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile.

Elle en a rendu compte à la Cour dans son délibéré et l’arrêt a été rendu ce jour.

***** EXPOSE DU LITIGE

L’association One Voice a notamment pour objet la défense, le bien-être et le respect des animaux.

Elle a établi au mois d’octobre 2015 un rapport intitulé ‘Des séances de maltraitance collective – une enquête inédite de One Voice dans les clubs d’éducation canine’ qu’elle a publié le 1er mars 2016 sur son blog.

Le 20 septembre 2017, elle a publié sur son blog un nouvel article intitulé ‘enquête le dressage violent des chiens de défense.’

Soutenant que l’association One Voice menait une campagne de dénigrement sur Internet à l’encontre des clubs et éducateurs canins, l’organisation syndicale des éducateurs canins et différents clubs canins, éducateurs canins et centres d’éducation et de dressage canin l’ont assignée devant le tribunal de grande instance de Valence – devenu tribunal judiciaire – par acte du 16 mars 2018 aux fins notamment de retrait de tous les passages constitutifs de dénigrement.

Par jugement du 14 janvier 2020, le tribunal a débouté les demandeurs de l’intégralité de leurs demandes et les a condamnés in solidum à payer à l’association One Voice la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L’organisation syndicale des éducateurs canins et 17 autres demandeurs déboutés ont relevé appel le 8 avril 2020.

Par uniques conclusions du 2 juillet 2020, les appelants demandent à la cour d’infirmer le jugement déféré, de dire que l’association One Voice est responsable d’actes de dénigrement et de la condamner sous astreinte à retirer de son blog tous les passages constitutifs de dénigrement qu’ils ont identifiés dans leurs conclusions.

Ils sollicitent la publication de l’arrêt ainsi que celle d’un démenti sur les réseaux sociaux.

Ils réclament 5.000 euros à titre de dommages intérêts et 1.800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Ils exposent qu’ils sont tous des acteurs du secteur canin et qu’ils ont constaté qu’à l’occasion d’une campagne de communication, l’association One Voice portait des accusations non fondées sur le secteur du dressage canin.

Ils font valoir l’argumentation suivante au soutien de leur appel :

• le fait d’accuser tout un pan professionnel de l’éducation canine de maltraitance et de violence constitue un dénigrement qui a pour effet de jeter le discrédit sur l’ensemble du secteur d’activité,

• le dénigrement constitue une faute relevant de la concurrence déloyale, même si la personne dénigrante n’est pas un concurrent de la personne dénigrée,

• l’association One Voice propose des services concurrents qu’elle tente de promouvoir par son dénigrement,

• dès lors qu’elle présente des services d’éducation canine au travers de ses partenariats, l’association One Voice est concurrente des entreprises qu’elle dénigre, même si elle ne l’était pas, une action en dénigrement serait possible car la concurrence n’est pas un élément constitutif du dénigrement,

• taxer l’ensemble des clubs et des professionnels canins de violence envers les animaux constitue une diffusion d’informations mensongères et malveillantes,

• l’association One Voice s’est livrée à la généralisation abusive de quelques pratiques de maltraitance et veut faire passer le message que la torture de chiens serait une pratique habituelle et généralisée au sein de la grande majorité des clubs canins et des professionnels du chien,

• l’amalgame et la confusion sont manifestement entretenus et l’association One Voice utilise un vocabulaire violent sans préciser qu’il s’agit de cas isolés,

le caractère public des dénigrements est indéniable,

• le but recherché est de récolter des fonds et de favoriser les dresseurs et éducateurs affiliés à l’association.

Par uniques conclusions du 1er octobre 2020, l’association One Voice conclut à la confirmation du jugement sauf en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de dommages intérêts et faisant appel incident sur ce point réclame 10.000 euros à titre de dommages intérêts.

Elle sollicite également 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle expose qu’ayant reçu de ses adhérents des signalements répétés de maltraitance infligée à des chiens au sein de plusieurs clubs d’éducation et de dressage, elle a mené une enquête qui a donné lieu à l’établissement du rapport d’octobre 2015 répertoriant 20 actes de maltraitance ; qu’elle a ensuite informé ses adhérents par un article paru sur son blog le 1er mars 2016.

Elle fait valoir en réplique l’argumentation suivante :

• en aucun cas, la campagne d’information n’était dirigée contre les professionnels de l’éducation canine,

• le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur un concurrent pour en tirer profit,

• les tiers indépendants sont libres de porter un jugement critique sur certaines pratiques illicites ou dangereuses,

• l’association ne fournit aucun service d’éducation canine ou de dressage et ne se trouve pas en situation de concurrence. Devant la cour, les appelants ne produisent aucun élément nouveau remettant en cause l’analyse du premier juge,

• si la cour devait retenir une situation de concurrence indirecte, elle ne pourrait que constater que le dénigrement n’est pas caractérisé,

• l’information du public qui se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante est couverte par la liberté d’expression,

• elle a pris soin de ne nommer aucune structure identifiable, sa cible étant uniquement des pratiques et des méthodes, elle a également promu des pratiques respectueuses,

aucun des appelants n’a été victime de dénigrement,•

L’ordonnance de clôture a été rendue le 11 janvier 2022.

DISCUSSION

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.

Il est de jurisprudence constante que hors restriction légalement prévue, la liberté d’expression est un droit dont l’exercice ne peut être contesté sur le fondement des articles 1240 et 1241 du code civil.

Ainsi au nom de la liberté d’expression, existe-t-il un droit à la libre critique dès lors qu’ elle est objective et justifiée, mesurée dans son contenu et dans sa forme.

La libre critique se distingue du dénigrement qui a pour but de jeter publiquement le discrédit sur un produit, un service ou une entreprise pour en tirer profit, étant observé que si l’auteur du dénigrement est en principe une personne en situation de concurrence, un tiers indépendant qui n’est pas un concurrent peut être poursuivi pour dénigrement.

En l’espèce, l’association One Voice a effectué une enquête de terrain au cours de laquelle elle a identifié dans plusieurs clubs canins, ce qu’elle a considéré être des actes de maltraitance voire de torture : cris, coups, agressions physiques et psychologiques.

Elle a établi au mois d’octobre 2015 un rapport dont elle a informé ses adhérents, puis elle a publié le 20 septembre 2017 un article d’information faisant suite à de nouveaux signalements.

Il ressort de la lecture du rapport et de l’article du 20 septembre 2017 et plus particulièrement des sept passages identifiés par les appelants dans leurs conclusions que la campagne d’information de l’association One Voice vise non à jeter le discrédit sur l’ensemble de la profession des éducateurs canins, mais à dénoncer les méthodes de dressage qu’elle estime violentes et à informer le public sur les conséquences qu’elles peuvent avoir sur les animaux.

Aucune structure n’est d’ailleurs nommément désignée et les appelants n’étayent en rien leur affirmation selon laquelle l’association One Voice cherche en réalité à favoriser les dresseurs et éducateurs canins qui lui sont affiliés.

Le rapport qui dénonce la violence ‘de certains éducateurs’ et de ‘certains clubs’ repose sur une base factuelle étayée par des vidéos qui n’est pas remise en cause par les appelants.

Il répond à l’objectif de l’information du public et non au désir de nuire.

Dès lors c’est au terme d’une exacte analyse des éléments qui lui étaient soumis et par une motivation pertinente que la cour adopte que le premier juge a retenu que l’association One Voice n’avait pas abusé de son droit à la libre expression et qu’il a débouté l’organisation syndicale des éducateurs canins et les autres demandeurs de toutes leurs prétentions.

Le jugement sera confirmé sur ce point, de même qu’il sera confirmé sur le rejet de la demande de dommages intérêts formée par l’association One Voice qui ne caractérise pas en quoi l’action menée contre elle relève d’un abus d’ester en justice.

Il sera alloué à l’association One Voice contrainte de se défendre devant la cour la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions.

• Y ajoutant, condamne l’organisation syndicale des éducateurs canins ainsi que les autres appelants à payer à l’association One Voice la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.

• Condamne l’organisation syndicale des éducateurs canins et les autres appelants aux dépens d’appel.

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

Signé par Madame COMBES, président, et par Madame BUREL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER

LE PRÉSIDENT


Chat Icon