Barème Macron : 31 janvier 2024 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/00781

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Barème Macron : 31 janvier 2024 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/00781
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-4

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 31 JANVIER 2024

N° RG 22/00781

N° Portalis DBV3-V-B7G-VBYH

AFFAIRE :

[I] [F]

C/

Société CGI FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 février 2022 par le Conseil de Prud’hommes Formation paritaire de NANTERRE

Section : E

N° RG : F 19/00442

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Isabelle GUENEZAN

Me Catherine LEGER

Copie numérique adressée à:

FRANCE TRAVAIL

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TRENTE ET UN JANVIER DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame [I] [F]

née le 12 juin 1958 à [Localité 5] (Liban)

de nationalité française

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Isabelle GUENEZAN de la SELEURL SELARL Isabelle GUENEZAN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0725

APPELANTE

****************

Société CGI FRANCE venant aux droits de la société UMANIS

N° SIRET: 702 042 755

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Catherine LEGER de la SELARL ALTERLEX, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0703

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du1er décembre 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Greffier lors des débats : Marine MOURET

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Mme [F] a été engagée par la société MCI, en qualité de consultante senior, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 2 janvier 2003 avec reprise d’ancienneté au 1er juin 1998.

En 2003, le contrat de Mme [F] a été transféré à la société 3S Consulting.

En 2015, la société 3S Consulting est devenue la société CMS Group. Depuis mai 2018, la société CMS a fait l’objet d’un rachat par la société Umanis, aux droits de laquelle vient désormais la société CGI France.

La société Umanis est spécialisée dans le conseil. L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 10 salariés. Elle applique la convention collective nationale SYNTEC.

En dernier lieu, Mme [F] percevait une rémunération brute mensuelle de base de 4 827,55 euros, outre une rémunération variable.

Par lettre du 16 novembre 2018, Mme [F] a été convoquée à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 30 novembre 2018 et reporté au 3 décembre 2018.

Mme [F] a été licenciée par lettre du 17 décembre 2018 pour faute grave dans les termes suivants : « Nous faisons suite à l’entretien qui s’est tenu le 3 décembre 2018, dans les locaux de la société, sis à [Localité 3], en ma présence et celle de Monsieur [A] [S], Responsable d’Agence Banque Finance ; Vous étiez vous-même assistée de Madame [Y] [U], Représentante du Personnel de l’UES UMANIS. Vous aviez été convoquée à cet entretien, par courrier recommandé avec A.R., le 16 novembre (distribué le 19 novembre à votre domicile). Ayant reçu votre arrêt de travail, pour la période du 17 novembre au 2 décembre inclus, nous avons souhaité reporter l’entretien au 3 décembre 2018.

Cet entretien a été l’occasion de vous exposer les différents faits fautifs que nous vous reprochons, ainsi que de recueillir vos remarques et explications.

Vous avez été embauchée, par la société CMS Group, en contrat a durée indéterminée à temps plein, à compter du 1er juin 1998, en qualité de Consultant Senior, catégorie cadre. Depuis le 1er mai dernier, notre société ayant racheté le fonds de commerce de la société CMS, vous faites partie de nos effectifs.

Il convient de rappeler vos principales prestations réalisées par le passé :

Mission chez notre client la société BNP : de septembre 2006 a mai 2007

Projet RFID : mise en place, au niveau national, d’une solution de recensement « temps réel » du matériel informatique des agences, la solution RFID :

– Coordination du projet de déploiement sur sites pilote :

– Étude de la mise en ‘uvre de la technologie RFID

– En charge de la relation avec le fournisseur (gestion des conflits, aspects contractuels, avancement des travaux)

– Coordination du déploiement sur les 5 sites pilote (internes et externes)

– Gestion de la relation avec l’intégrateur ATOS, le fournisseur de la solution et les contacts dans les agences.

– Étude du projet de déploiement sur tout le territoire français

– Étude de coût pour le déploiement de la solution sur l’ensemble du réseau BNP Paribas.

-Lotissement du déploiement.

– Synthèse des différentes options du projet et accompagnement du client dans la présentation de la solution en interne.

Mission chez notre client la société LCL : de juin 2007 à mars 2010

Participation à la coordination de différents projets au sein de la DSI.

Mission 1 : Coordination des différentes MOA Téléphonie et Poste de Travail :

– Mise en place d’outils de suivi

– Participation aux réunions d’avancement et coordination des différents intervenants

Mission 2 : Évolution du SI prévoyance

– Étude du SI Prévoyance avec un consultant métier

– Préconisation d’axes d’amélioration visant à informatiser des actions manuelles.

– Organisation, pilotage et coordination du lancement d’un nouvel outil de distribution pour dématérialiser la « vente papier »

Mission 3 : projet « produits para bancaires »

– Pilotage et coordination de la mise en place des nouveaux produits « assurance tout portable » et « capital multi-compte ».

Coordination des différents acteurs du projet (marketing produit, MOE/MOA, réseau/déploiement, ‘)

Projets internes CMS : Cellule A/V et Coordination sur projet LEI depuis 2010

Cellule Appels d’Offres et Avant-vente :

– Participation à la réponse aux appels d’offres publics (Crédit Agricole technologie, Caisse des dépôts) et avant-vente sur les démarches de Direction de projet et de Pilotage.

– Mise en ‘uvre d’une démarche d’amélioration des processus (Paie et RH) au sein du groupe 3S INFORMATIQUE.

Coordination sur le projet LEI :

– Le Legal Entity Identi’er (LEI) est une norme réglementaire internationale visant à identifier de façon univoque les entités juridiques (autres que des personnes Physiques) impliquées dans des transactions financières.

Missions : Participation à mise en place d’un blog LEI

– Réalisation d’un état de l’art de la norme LEI : Collecte d’article de documents

– Analyse et synthèse des informations collectées

– Participation à la création de la plate-forme

– Rédaction de l’étude de faisabilité

– Mise en ‘uvre de l’organisation projet

– Coordination et suivi des différents interlocuteurs MOE/MOA pour des points d’avancements

– Coordination pour mise en place de la plate-forme-de test

C’est ainsi que depuis de nombreux mois, vous êtes en situation de ressource disponible, et êtes sensée tout mettre en ‘uvre afin de collaborer avec nos équipes commerciales qui sont en charge d’identifier des opportunités de missions en corrélation avec vos compétences et expériences passées.

Étant en congés payés, du 2 au 15 mai dernier, vous avez pu rencontrer les équipes commerciales à partir de la fin du mois de mai 2018, et avez signé la Charte des Ressources Disponibles qui encadre le mode de fonctionnement de cette période, au cours de laquelle des opportunités vous ont été présentées, a savoir :

– Mission pour le compte de la société SOGECAP: Le 15 juin, Monsieur [A] [S] vous a proposé cette opportunité qui était à pourvoir, dans les locaux sis à la Défense, avec d’éventuels déplacements ponctuels à prévoir sur le site d'[Localité 8]. Monsieur [G] [T], Directeur de notre Centre de Service d'[Localité 8], en charge de cette prestation, a pris la peine de vous détailler l’offre déjà présentée par Monsieur [A] [S]. Vous n’avez pas souhaité donner suite à cette mission compte tenu d’une absence invoquée pour raisons personnelles. Du fait de cette situation que vous n’avez, en définitive, jamais justifiée, votre manager a été contraint de renoncer à vous intégrer à cette prestation.

Par la suite, vous avez été en congés payés (22 au 26 juin – 8 août au 12 septembre).

DSP2: Le 19 septembre, Monsieur [A] [S] vous a demandé de collaborer sur un document de présentation de la DSP2 (Deuxième directive européenne sur les services de paiements). Cette mission se déroulait en interne, dans votre BU BFI, au siège social de la société à [Localité 3], soit à 21 minutes de transports en commun de votre lieu de domicile.

Monsieur [A] [S] a constaté votre absence d’implication et manque d’intérêt pour l’aider sur ce dossier malgré l’importance de ce travail, partie intégrante de notre offre de service, qui a d’ailleurs fait l’objet d’un événement marketing (5 à 7) à forte audience, à destination de nos clients, le 22 novembre dernier, dans nos locaux.

Votre comportement demeure inexpliqué, sauf à croire que, là encore, vous étiez dépourvue de volonté de vous impliquer dans votre travail, voire même d’effectuer un travail que vous n’hésitez pas à qualifier de « taches plus hétéroclites de documentaliste », dénigrant par écrit nos activités.

Mission pour le compte de la société JNJ: le 20 septembre, Monsieur [O] [R], Ingénieur d’Affaires, vous a proposé un poste de Chef de Projet, dans le cadre de la mise en place d’un CRM. Vous avez refusé cette proposition qui selon vous, ne correspondait pas à vos compétences; Alors-même qu’au cours de votre entretien annuel d’évaluation du 26 juillet dernier, vous aviez exprimé un souhait de monter en compétence et occuper une mission comportant des tâches de managements : Cette mission pouvait, en plus, correspondre à vos attentes. Mais la encore, votre comportement négatif a abouti à un non positionnement.

Au cours de l’entretien du 3 décembre, vous avez argué du fait que « de telle mission n’avait pas a vous être proposée puisque vous n’êtes pas Chef de Projet ».

Mission PMO pour le compte de la société Carrefour: Le 1er octobre, Monsieur [L] [X], Responsable d’Agence, vous a proposé ce poste consistant à gérer un portefeuille de projets, pour le compte de ce client ; Vous avez refusé, ce poste ne rentrant pas dans votre domaine de compétences selon vous.

Mission Chef de Projet SI RH et Daf pour le compte de la société SNCF ([Localité 6]): Le 15 octobre, Monsieur [P] [B], Responsable d’Agence, vous a proposé ce poste, pour lequel vous avez accepté d’être positionnée.

Certes il n’y a pas eu de suite de la part de notre client, mais pour autant, nous avons souligné que l’intitulé de poste (chef de projet) est bien identique à celui proposé par Monsieur [O] [R], le 20 septembre dernier. Vous aviez refusé, prétendant ne pas être compétente pour un tel poste. Votre attitude est particulièrement contradictoire et nous force à croire que vous man’uvrez systématiquement afin de faire échouer toutes les tentatives de positionnement, décourageant fatalement les équipes commerciales de travailler sur votre positionnement.

Au cours de l’entretien du 3 décembre, vous avez maintenu avoir répondu positivement a cette proposition et n’avoir eu aucun retour.

Mission R&D: Le 15 novembre, Monsieur [J] [W], Directeur Recherche & Développement, vous a rencontré et présenté une mission en R&D, supervisée par Monsieur [M] [C], lui-même Consultant R&D. Cette mission démarrait le 16 novembre, et se terminait le 31 décembre 2018, dans nos locaux à [Localité 10] (temps domicile/mission : 25 minutes de transports).

Monsieur [J] [W] vous a adressé le 15 novembre, un courriel détaillé de la mission; vous avez accepté et signé l’ordre de mission correspondant, pour un démarrage le 16 novembre.

Dans votre courrier reçu le 20 novembre, vous avez déclaré refuser dorénavant toute « obligation de présence quotidienne au siège et travail de documentaliste improvisé dans lequel (vous) m’avez positionnée ces dernières semaines ».

Ainsi vous exprimez clairement et sans équivoque votre refus absolu d’exécuter vos obligations contractuelles.

Il apparaît ainsi que, quelles que soient les tentatives et propositions de la société pour remédier à votre situation de ressource disponible prolongée, vous esquivez, ce qui a pour effet de rendre totalement impossible l’exécution normale de votre contrat de travail.

Votre comportement au cours de l’entretien ne nous a pas permis de modifier notre appréciation de la situation. Vous entretenez délibérément cette situation de blocage et ne manifestez aucunement l’intention de modifier votre comportement afin d’être affectée sur une mission, et ainsi de réaliser une prestation de travail.

-Alors que vous êtes en situation de ressource disponible

-Alors que la fonction même d’un consultant est d’être affecté sur des missions, en fonction des contrats remportés par la société, et des intérêts de l’entreprise.

-Alors qu’il est expressément spécifié à l’article VII a), dans votre contrat de travail, que « Madame [I] [F] s’engage pendant la durée de son contrat à respecter les instructions qui pourront lui être données […] et se conformer aux règles régissant le fonctionnement interne de celle-ci. Tout refus de Madame [I] [F] pour effectuer une mission présentant les caractéristiques habituelles au regard des pratiques de la profession et correspondant à ses compétences et sa qualification s’analyserait comme une faute grave »,

– Alors qu’il est expressément spécifié dans la Convention Collective Nationale SYNTEC (art.8-Titre II) : « si par suite de circonstances particulières résultant de la situation du travail dans l’entreprise, un salarié se trouve amené à assumer temporairement, dans les conditions de durée précisées à l’avance par écrit, n’excédant pas six mois, et sans diminution de sa classification ni diminution de ses appointements, une fonction inférieure à celle qu’il assume habituellement, le refus de l’intéressé d’accepter cette fonction temporaire équivaut à une démission de sa part ».

Par votre attitude fautive, vous avez privé la société du bénéfice commercial qui aurait pu résulter de la facturation de ces missions, manquant ainsi à votre obligation d’exécuter loyalement votre contrat de travail. En agissant de la sorte, vous avez incontestablement manqué à vos obligations professionnelles.

Dans ces circonstances, nous sommes dans l’impossibilité de poursuivre votre contrat de travail, y compris pendant la durée du préavis. Nous vous notifions, par la présente, votre licenciement pour faute grave, à effet immédiat. (…) ».

Le 2 février 2019, Mme [F] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre aux fins de contestation de son licenciement et en paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.

Par jugement du 23 février 2022, le conseil de prud’hommes de Nanterre (section Encadrement) a :

– condamné la société UMANIS LAVALLOIS (sic) à régler à Madame [I] [F]  :

. 14 482, 65 euros à titre de préavis de licenciement

. 1 448, 26 euros au titre des congés-payés sur préavis

. 33 789, 00 au titre de l’indemnité de licenciement

– débouté Madame [I] [F] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– débouté Madame [I] [F] de sa demande de licenciement vexatoire, aucune preuve n’étant rapportée par la demanderesse.

– débouté Madame [I] [F] au titre de ses demandes de formation, d’exécution déloyale du contrat de travail et de perte de chance de droits à la retraite, le licenciement étant fondé sur une cause réelle et sérieuse.

– débouté Madame [I] [F] du surplus de ses demandes

– condamné la SOCIETE UMANIS LAVALLOIS à verser à Madame [I] [F] l 500 euros (mille cinq cents euros) au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

– débouté la SOCIETE UMANIS LAVALLOIS de ses demandes reconventionnelles.

– n’a pas ordonné l’exécution provisoire du présent jugement sauf celle de droit et fixe le salaire moyen à 4 827,55 €.

– condamné la SOCIETE UMANIS LAVALLOIS aux éventuels dépens.

Par déclaration adressée au greffe le 9 mars 2022, Mme [F] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 14 novembre 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 11 septembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [F] demande à la cour de :

– la déclarer recevable et bien fondée en son appel,

– infirmer le jugement prononcé par le Conseil de Prud’hommes de Nanterre en date du 23 février 2022 (RG F19/00442) en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de nullité de son licenciement pour faute grave daté du 17 décembre 2018,

– juger nul son licenciement pour faute grave,

– condamner la société UMANIS à lui payer les sommes suivantes :

– Indemnité pour licenciement nul :144.810 euros

– Dommages et intérêts pour préjudice moral et licenciement vexatoire : 10.000 euros

– Dommages et intérêts pour défaut de formation et d’adaptation à l’emploi : 13.000 euros

– Dommages et intérêts pour exécution déloyale des obligations de l’employeur quant à la CPAM et la caisse de prévoyance : 6.000 euros

– confirmer le jugement querellé en ce qu’il a condamné la société UMANIS à lui payer les sommes suivantes :

– Indemnité conventionnelle de préavis 14.482,65 euros bruts

– Congés-payés sur préavis 1.448 euros bruts

– Indemnité conventionnelle de licenciement 33.789 euros

SUBSIDIAIREMENT

– juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– condamner la société UMANIS à lui payer les sommes suivantes :

– Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

a) Principalement, hors barème Macron 144.810 euros

b) Selon barème Macron à titre subsidiaire 77.240 euros

– Dommages et intérêts pour préjudice moral et licenciement vexatoire : 10.000 euros

– Dommages et intérêts pour défaut de formation et d’adaptation à l’emploi :13.000 euros

– Dommages et intérêts pour exécution déloyale des obligations de l’employeur quant à la CPAM et la caisse de prévoyance : 6.000 euros

– Indemnisation de la minoration des droits à la retraite : 80.000 euros

– Confirmer le jugement querellé en ce qu’il a condamné la société UMANIS à lui payer les sommes suivantes :

– Indemnité conventionnelle de préavis 14.482,65 euros bruts

– Congés-payés sur préavis 1.448 euros bruts

– Indemnité conventionnelle de licenciement 33.789 euros

– condamner la société UMANIS aux dépens de première instance et d’appel,

– condamner encore la société UMANIS à supporter les frais d’exécution conformément aux dispositions de l’article 10 du décret du 8 mars 2001,

– condamner encore la société UMANIS à lui payer, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, la somme de 6.000 euros,

– condamner la société UMANIS aux intérêts légaux (article 313-2 du Code Monétaire et Financier) avec anatocisme si nécessaire,

– ordonner enfin la remise par la société UMANIS de l’ensemble des documents de fin de contrat conformes au jugement à intervenir et ce, dans un délai de 15 jours au plus faisant suite à la notification de la décision.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 27 juin 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Umanis Levallois demande à la cour de:

– Confirmer le jugement du Conseil de Prud’hommes de NANTERRE en date du 23 février 2022 en ce qu’il a :

– Déclaré la pièce n°217 de Madame [F] irrecevable et écarté cette dernière des débats,

– Débouté Madame [F] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– Débouté Madame [F] de sa demande pour licenciement vexatoire,

– Débouté Madame [F] au titre de ses demandes concernant la formation, d’exécution déloyale du contrat de travail et de perte de chance de droits à la retraite, le licenciement étant fondé sur une cause réelle et sérieuse,

– Débouté Madame [F] du surplus de ses demandes,

– Infirmer le jugement du Conseil de Prud’hommes de NANTERRE en date du 23 février 2022 en

ce qu’il a :

– Condamné la société UMANIS à verser à Madame [I] [F] les sommes suivantes :

– 14.482,65 € brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 1.448 € brut au titre des congés payés afférents,

– 33.789 € à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

– 1.500 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,

– Débouté la société UMANIS de sa demande reconventionnelle,

– Condamné la société UMANIS aux dépens,

En conséquence, statuant à nouveau :

– Constater l’irrecevabilité de la pièce adverse n°217 intitulée « procès-verbal d’huissier portant retranscription d’un entretien avec Mr [A] [S] » et écarter cette dernière des débats ;

– Débouter Madame [I] [F] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions à l’encontre de la société UMANIS ;

– Condamner Madame [I] [F] au versement à la société UMANIS de la somme de 3.000€ au titre de l’article 700 du Code de procédure civile au titre de la première instance et de l’appel;

– Condamner Madame [I] [F] aux entiers dépens.

MOTIFS

Sur la pièce 217 de la salariée

L’employeur demande d’écarter la pièce 217 de la salariée comme ayant été obtenue de façon déloyale par l’enregistrement clandestin d’une conversation qu’elle a entretenue le 9 novembre 2018 avec son supérieur hiérarchique, M. [S].

La salariée ne réplique pas et ne produit aucune note en délibéré consécutivement à l’arrêt rendu par l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 22 décembre 2023 pour solliciter un contrôle de proportionnalité.

***

Il appartient à la partie qui produit une preuve illicite de soutenir, en substance, que son irrecevabilité porterait atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble. Le juge doit alors apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Dès lors il ne peut être reproché à une cour d’appel de déclarer irrecevable une preuve jugée illicite, sans avoir vérifié si le rejet de cette preuve ne portait pas atteinte au caractère équitable de la procédure, dès lors que l’employeur n’avait pas invoqué, devant elle, son droit à la preuve. (Soc., 8 mars 2023, pourvoi n° 20-21.848, publié)

Lorsque le droit à la preuve tel que garanti par l’article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales entre en conflit avec d’autres droits et libertés, notamment le droit au respect de la vie privée, il appartient au juge de mettre en balance les différents droits et intérêts en présence. Il en résulte que, dans un procès civil, le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une preuve obtenue de manière illicite ou déloyale, porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi (Ass. plén., 22 décembre 2023, n°20-20.648, publié).

En l’espèce, la salariée a versé aux débats la retranscription par huissier de l’enregistrement d’une conversation qu’elle avait eue avec M. [S], son supérieur hiérarchique, le 9 novembre 2018. Cet enregistrement a eu lieu peu avant la convocation de la salariée à son entretien préalable (16 novembre 2018) et avant son licenciement (17 décembre 2018).

Cet enregistrement a fait l’objet d’une retranscription par un huissier de justice produit par la salariée sous sa pièce 217, que l’employeur demande d’écarter des débats.

Le procédé auquel a eu recours la salariée est déloyal ainsi que le soutient à raison l’employeur, puisque la salariée a eu recours à un enregistrement réalisé à l’insu de M. [S], ce que celui-ci confirme dans son attestation (pièce 44 de l’employeur) : « l’entretien du 09/11/2018 avec [la salariée] qui a fait l’objet d’un enregistrement dont je n’avais pas connaissance (‘) s’est tenu après plusieurs refus de missions, afin de mieux comprendre ses contraintes, de l’encourager dans sa démarche de recherches de missions et de permettre de débloquer la situation ».

Toutefois, la déloyauté dans l’obtention d’une preuve n’entraîne pas, à elle seule, son rejet des débats. Le juge doit en effet apprécier, si cela lui est demandé, si sa production est indispensable à l’exercice, par la salariée, de son droit à la preuve et si l’atteinte aux droits de l’employeur est strictement proportionnée au but poursuivi.

Or, en l’espèce, la salariée ne soutient à aucun moment des 97 pages de ses conclusions que l’irrecevabilité de cette pièce porterait atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble puisqu’elle ne réplique pas même à la demande de l’employeur de voir écarter des débats cette pièce qu’elle a obtenue de façon déloyale.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a écarté cette pièce des débats dans ses motifs.

Sur le licenciement

La salariée expose que l’employeur a mis un terme à son contrat de travail sans tenir compte de son état de santé ni des restrictions médicales de la médecine du travail et ce, de façon discriminatoire, ce dont elle déduit que son licenciement est nul. Subsidiairement, au soutien de sa demande tendant à dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse, elle conteste les griefs qui lui sont imputés.

En réplique, l’employeur conteste la discrimination qui lui est reprochée et estime établis les faits pour lesquels il a licencié la salariée.

***

Sur la nullité du licenciement

Il ressort de l’article L. 1132-1 du code du travail qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte en raison de son état de santé.

Il n’appartient pas au salarié qui s’estime victime d’une discrimination d’en prouver l’existence. Suivant l’article L. 1134-1, il doit seulement présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination. Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

En l’espèce, la salariée a bénéficié de plusieurs arrêts de travail :

. en 2013 ces arrêts ayant été prescrits en raison de la pose d’une prothèse de la hanche gauche étant précisé que plus tard, une seconde prothèse lui a été posée, à la hanche droite,

. puis entre janvier 2015 et avril 2019, dont la plupart ont été prescrits pour le traitement d’un mélanome lingual ayant eu notamment pour conséquence plusieurs opérations en janvier 2017 et en avril 2017 pour procéder d’abord à une amputation du pouce gauche et ensuite à la rescision du moignon.

Selon un avis du 29 janvier 2016, le médecin du travail a déclaré la salariée apte à l’exercice de ses fonctions « avec aménagement du poste. Contre indique la position debout et la marche prolongées (montée et descente répétitive des escaliers, trajets) ».

Suivant le dernier avis médical du médecin du travail du 15 janvier 2018, la salariée était déclarée apte, le médecin ajoutant : « peut occuper son poste avec les aménagements suivants à organiser :

. éviter la station debout prolongée, les déplacements fréquents et la marche prolongée,

. ne doit pas porter de charges de plus de 5 kg. ».

La salariée établit donc ainsi la réalité de ses importants problèmes de santé.

La salariée expose ensuite que la société lui a fait des propositions qui ne respectaient pas les préconisations médicales du médecin du travail.

L’employeur a proposé à la salariée plusieurs missions courant 2018 :

. une mission pour le compte de la société SOGECAP, proposée le 15 juin, dans les locaux sis à la Défense, mais supposant d’éventuels déplacements ponctuels sur le site d'[Localité 8]. A la suite de l’entretien avec le client SOGECAP, le commercial en charge de la plate-forme Umanis à [Localité 8] a fait savoir à la salariée et à son supérieur hiérarchique que « les AR à [Localité 8] ne sont pas négociables avec le client et cela lui pose problème. Donc je préfère faire non Go ». Mais la proposition d’un poste pouvant l’amener à réaliser des allers-retours entre son domicile (à [Localité 3]) et [Localité 8] était proscrite compte tenu du dernier avis du médecin du travail ;

. une mission DSP2, proposée le 19 septembre, (mission en interne, dans la BU BFI, au siège social de la société à [Localité 3]), dont il n’est pas contesté qu’elle est conforme aux dernières prescriptions du médecin du travail ;

. une mission pour le compte de la société JNJ, proposée le 20 septembre, qui devait se dérouler à [Localité 7], ce qui supposait pour la salariée d’importants déplacements entre [Localité 3], où elle demeurait, et son lieu de travail à [Localité 7] ; en effet, son temps de transport (pour un aller simple) était compris entre 55 minutes et une heure, incluant de la marche et des changements, voire une station debout prolongée dans les transports en commun, incompatibles avec les dernières prescriptions du médecin du travail ;

. une mission PMO pour le compte de la société Carrefour, proposée le 1er octobre, qui devait se dérouler à [Localité 9] et que la salariée présente à juste titre comme « une impossibilité majeure » en raison des dernières restrictions du médecin du travail compte tenu de l’éloignement entre [Localité 9] et [Localité 3],

. une mission SIRH et DAF pour le compte de la SNCF, proposée le 15 octobre, qui devait se dérouler à [Localité 6] supposant, là encore, un temps de trajet en métro (et donc des montées et descentes répétitives ainsi qu’une possible station debout) ou par bus ainsi que des temps de marche compris entre 19 et 20 minutes pour un aller simple ce qui était incompatible avec les dernières restrictions du médecin du travail ;

. une mission R&D (mission interne à la société), le 15 novembre, dans les locaux de la société dont il n’est pas contesté qu’elle est compatible avec les restrictions du médecin du travail.

Il est donc établi que la salariée, qui était en inter-contrat et donc sans mission depuis 2010, s’est vue proposer plusieurs postes dont seulement deux d’entre eux étaient compatibles avec les restrictions émises par le médecin du travail dans son avis du 15 janvier 2018.

Par ailleurs, il est établi que la salariée a été en substance licenciée pour avoir refusé des missions et, plus exactement, pour avoir « esquivé » ou délibérément « entretenu une situation de blocage » relativement aux offres de missions faites par l’employeur depuis le mois de juin 2018.

Ces faits, pris dans leur ensemble laissent supposer une discrimination en raison de l’état de santé de la salariée.

Il revient donc à l’employeur de prouver que ses décisions, à savoir celle consistant à proposer des missions non conformes aux préconisations du médecin du travail et celle consistant à procéder au licenciement pour faute grave, s’expliquent par des raisons objectives étrangères à toute discrimination.

En premier lieu, le fait d’avoir proposé à la salariée, courant 2018, plusieurs missions s’explique par le fait que la salariée était en inter-contrat depuis 2010. Le fait que certaines de ces missions n’aient pas répondu aux recommandations du médecin du travail s’explique par le caractère imprécis des préconisations émises, en particulier sur la recommandation visant à « éviter la station debout prolongée, les déplacements fréquents et la marche prolongée », laquelle est sujette à interprétation. Mais devant pareilles imprécisions, l’employeur aurait dû, en proposant à la salariée les missions litigieuses, s’assurer auprès du médecin du travail de leur compatibilité avec l’état de santé de la salariée. Dès lors que l’employeur, au titre de son obligation de sécurité, avait l’obligation de faire une étude de poste avec le médecin avant de faire ses propositions, il ne justifie pas ses propositions non compatibles avec les restrictions médicales par des raisons objectives étrangères à toute discrimination en raison de l’état de santé.

En second lieu, s’agissant du licenciement pour faute grave, il convient de rappeler qu’une telle faute est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits personnellement imputables au salarié, qui doivent être d’une importance telle qu’ils rendent impossible son maintien dans l’entreprise. La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe exclusivement à l’employeur et il appartient au juge du contrat de travail d’apprécier, au vu des éléments de preuve figurant au dossier, si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, à raison des fonctions qui lui sont confiées par son contrat individuel de travail, et d’une gravité suffisante pour justifier l’éviction immédiate du salarié de l’entreprise, le doute devant bénéficier au salarié.

Ainsi qu’il a été jugé ci-avant, seules deux missions proposées à la salariée étaient compatibles avec les restrictions du médecin du travail, les autres pouvant être refusées par la salariée sans qu’aucun reproche puisse lui être adressé :

. la mission DSP2, proposée le 19 septembre,

. la mission R&D, proposée le 15 novembre.

Pour ces deux missions, il est respectivement reproché à la salariée, dans la lettre de licenciement :

. « DSP2: Le 19 septembre, Monsieur [A] [S] vous a demandé de collaborer sur un document de présentation de la DSP2 (Deuxième directive européenne sur les services de paiements). Cette mission se déroulait en interne, dans votre BU BFI, au siège social de la société à [Localité 3], soit à 21 minutes de transports en commun de votre lieu de domicile.

Monsieur [A] [S] a constaté votre absence d’implication et manque d’intérêt pour l’aider sur ce dossier malgré l’importance de ce travail, partie intégrante de notre offre de service, qui a d’ailleurs fait l’objet d’un événement marketing (5 à 7) à forte audience, à destination de nos clients, le 22 novembre dernier, dans nos locaux.

Votre comportement demeure inexpliqué, sauf à croire que, là encore, vous étiez dépourvue de volonté de vous impliquer dans votre travail, voire même d’effectuer un travail que vous n’hésitez pas à qualifier de « tâches plus hétéroclites de documentaliste », dénigrant par écrit nos activités. »

. « Mission R&D: Le 15 novembre, Monsieur [J] [W], Directeur Recherche & Développement, vous a rencontré et présenté une mission en R&D, supervisée par Monsieur [M] [C], lui-même Consultant R&D. Cette mission démarrait le 16 novembre, et se terminait le 31 décembre 2018, dans nos locaux à [Localité 10] (temps domicile/mission : 25 minutes de transports).

Monsieur [J] [W] vous a adressé le 15 novembre, un courriel détaillé de la mission; vous avez accepté et signé l’ordre de mission correspondant, pour un démarrage le 16 novembre.

Dans votre courrier reçu le 20 novembre, vous avez déclaré refuser dorénavant toute « obligation de présence quotidienne au siège et travail de documentaliste improvisé dans lequel (vous) m’avez positionnée ces dernières semaines ».

Ainsi vous exprimez clairement et sans équivoque votre refus absolu d’exécuter vos obligations contractuelles. »

La lettre de licenciement poursuit en précisant qu’« il apparaît ainsi que, quelles que soient les tentatives et propositions de la société pour remédier à votre situation de ressource disponible prolongée, vous esquivez, ce qui a pour effet de rendre totalement impossible l’exécution normale de votre contrat de travail. ».

En ce qui concerne la mission DSP2, il ressort des débats que cette mission interne visait à confier à la salariée l’élaboration d’un document de présentation de la directive européenne sur les réserves de paiement. Dans la lettre de licenciement, l’employeur lui reproche une « absence d’implication et manque d’intérêt pour l’aider sur ce dossier ».

Le manque d’intérêt de la salariée pour cette mission est établi par le fait que, dans une lettre du 16 novembre 2018 (pièce 1 de l’employeur sur laquelle la cour reviendra plus loin), la salariée s’est montrée critique relativement à cette mission qu’elle présentait comme l’une des tâches « toujours plus hétéroclites de documentaliste » qui lui étaient confiées « afin de combler une situation d’intermission qui s’éternise de votre fait ».

Ceci étant précisé, le manque d’intérêt pour un travail n’est pas une faute dès lors que le travail demandé a été fait. Or, il ressort de la pièce 1 de l’employeur que la salariée indique : « puis vous m’avez demandé une même présentation, cette fois sur la norme « DSP2 » ; ce que j’ai fait là encore. Document validé par vous le 08/10 octobre 2018 ». Et il ressort des échanges de courriels entre la salariée et M. [S], qui lui avait demandé ce travail, que le travail a effectivement été fait (pièces 71 à 76 de la salariée). De ces échanges, il ne ressort au demeurant aucune insatisfaction de M. [S].

Ainsi, même si selon le témoignage de M. [S], à propos du projet DSP2, il a « constaté ses réticences, le manque d’intérêt et son absence de proactivité pour m’aider sur ce dossier malgré l’importance de ce travail, partie intégrante de notre offre de service ayant fait l’objet d’un événement marketing (‘) à destination de nos clients » (pièce 44 de l’employeur ‘ attestation de M. [S]), il n’en demeure pas moins que le travail demandé à la salariée avait été fait.

Le grief tenant au manque d’implication de la salariée sur ce dossier n’est donc pas établi.

En ce qui concerne la mission R&D, il ressort du courriel que l’employeur a adressé à la salariée le 15 novembre 2018 à 18h57 qu’elle était affectée au « projet R&D détection des anomalies de données/EMIR » (pièce 79 de la salariée) « à partir de demain ». Il en résulte que le travail de la salariée devait débuter le 16 novembre 2018. C’est au demeurant ce qui ressort de l’ordre de mission signé par la salariée et l’employeur prévoyant une mission devant se dérouler entre le 16 novembre et le 31 décembre 2018 (pièce 81 de la salariée). Or, à juste titre, la salariée expose que l’employeur l’a convoquée à un entretien préalable à son licenciement le premier jour de cette nouvelle mission, soit le 16 novembre 2018 (pièce 2 de la salariée : lettre de convocation à un entretien préalable au licenciement).

L’employeur invoque, dans la lettre de licenciement, une lettre de la salariée reçue le 20 novembre 2018. La lettre en question est présentée en pièce 1 de l’employeur. Elle est datée du 16 novembre 2018. La salariée a d’ailleurs couplé l’envoi de cette lettre par un courriel rédigé le 16 novembre 2018 à 22h14 (pièce 102 de la salariée). Ainsi qu’il ressort à raison de la lettre de licenciement, la salariée indique, tant dans sa lettre que dans son courriel, qu’elle déplore l’absence de proposition, qu’elle demande à être affectée sur une nouvelle mission et que : « à défaut, je me refuserai désormais à toute modification contrainte de mon contrat de travail à savoir : obligation de présence quotidienne au siège et travail de documentaliste improvisé dans lequel vous m’avez positionnée ces dernières semaines (‘) ».

Toutefois, il n’est pas discuté que la convocation de la salariée à son entretien préalable, qui lui a été adressée par courrier le 16 novembre 2018, lui a été annoncée verbalement le jour même. Par conséquent, la réponse que la salariée a formalisée par courriel du 16 novembre 2018 à 22h14 puis par lettre du même jour adressée à l’employeur en recommandé fait suite à l’annonce verbale de sa convocation à un entretien préalable à son licenciement. Ainsi, la lettre et le courriel de la salariée ne sont pas l’élément déclencheur de ladite convocation.

L’examen des faits tels qu’ils se sont chronologiquement déroulés ne permet donc pas de confirmer que la salariée avait refusé la mission R&D qui lui avait été confiée et donc qu’« il apparaît ainsi que, quelles que soient les tentatives et propositions de la société pour remédier à votre situation de ressource disponible prolongée, vous esquivez, ce qui a pour effet de rendre totalement impossible l’exécution normale de votre contrat de travail. ».

En synthèse de ce qui précède aucune faute grave ne peut être imputée à la salariée. Son licenciement n’est en réalité que le résultat de l’impossibilité, pour l’employeur, de trouver une mission à la salariée correspondant aux préconisations du médecin du travail, de sorte que le licenciement prononcé pour un motif disciplinaire n’est pas justifié par des raisons objectives étrangères à toute discrimination en raison de l’état de santé de la salariée.

Dès lors, l’employeur ne justifie pas toutes ses décisions par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination de la salariée en raison de son état de santé.

La discrimination est donc établie de sorte que le licenciement de la salariée est nul.

Sur les conséquences de la nullité

En application de l’article L. 1235-3-1 du code du travail, l’article L. 1235-3 n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :

(‘)

3° Un licenciement discriminatoire dans les conditions mentionnées aux articles L. 1132-4 et L. 1134-4 ;
(‘)

Compte tenu de l’ancienneté de la salariée (1er janvier 1998 ‘ 17 décembre 2018 soit dix ans et 11 mois), de son niveau de rémunération (4 827,55 euros bruts mensuels), de sa capacité à retrouver un emploi eu égard à son âge (60 ans lors du licenciement) et à son état de santé, de la minoration de ses droits à la retraite, mais également de ce qu’outre le fait qu’elle a créé une activité d’auto-entrepreneur elle ne justifie toutefois d’aucune recherche d’emploi, le préjudice qui résulte, pour elle, de la perte injustifiée de son emploi sera réparé par une indemnité de 90 000 euros, somme au paiement de laquelle, par voie d’infirmation, l’employeur sera condamné.

Les demandes de la salariée au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement, de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents ne sont pas utilement critiquées par l’employeur, lequel n’en conteste que le principe, motifs pris de ce que, selon lui, le licenciement pour faute grave est justifié.

Il conviendra donc de confirmer le jugement en ce qu’il a condamné l’employeur à payer à la salariée les sommes suivantes :

. 14 482,65 euros à titre de préavis de licenciement,

. 1 448,26 euros au titre des congés-payés sur préavis,

. 33 789 au titre de l’indemnité de licenciement.

En application de l’article L. 1235-4 du code du travail, dont les dispositions sont d’ordre public et qui sont donc dans les débats, il convient d’ordonner d’office le remboursement par l’employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à la salariée du jour de son licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage.

Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral et licenciement vexatoire

La salariée tire argument de ce qu’il ne lui est pas seulement reproché des fautes mais qu’il lui a été fait grief d’être peu désireuse de travailler et de mettre en cause sa loyauté et son honnêteté de sorte que la teneur de la lettre de licenciement est très dégradante. Elle ajoute que l’employeur a choisi de mettre un terme à son contrat de travail alors qu’elle venait de commencer une mission.

En réplique, l’employeur objecte que la salariée n’établit pas la réalité d’un préjudice distinct.

***

La salariée ne démontrant pas la réalité d’un préjudice distinct de celui déjà réparé par la perte injustifiée de son emploi, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de ce chef de demande.

Sur la demande de dommages-intérêts pour défaut de formation et d’adaptation à l’emploi

La salariée invoque un préjudice tiré du manquement de l’employeur à son obligation de formation, dès lors qu’il ne lui a accordé qu’une formation en 2002 en management alors qu’elle était diplômée des années 80, et à son obligation d’adaptation.

En réplique, l’employeur conteste le manquement à son obligation de formation, exposant qu’il lui a fait suivre des formations en 2001, 2005 et en 2018. Il conteste également avoir manqué à son obligation d’adaptation, faisant valoir que la salariée a bénéficié d’un accompagnement par la mission handicap de la société. En tout état de cause, elle conteste le préjudice allégué par la salariée.

***

Selon l’article L. 6311-1 du code du travail, la formation professionnelle continue a pour objet de favoriser l’insertion ou la réinsertion professionnelle des travailleurs, de permettre leur maintien dans l’emploi, de favoriser le développement de leurs compétences et l’accès aux différents niveaux de la qualification professionnelle, de contribuer au développement économique et culturel, à la sécurisation des parcours professionnels et à leur promotion sociale.

Elle a également pour objet de permettre le retour à l’emploi des personnes qui ont interrompu leur activité professionnelle pour s’occuper de leurs enfants ou de leur conjoint ou ascendants en situation de dépendance.

L’article L. 6321-1 dispose que l’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail.

Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations.

Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences, y compris numériques, ainsi qu’à la lutte contre l’illettrisme, notamment des actions d’évaluation et de formation permettant l’accès au socle de connaissances et de compétences défini par décret.

Les actions de formation mises en ‘uvre à ces fins sont prévues, le cas échéant, par le plan de développement des compétences mentionné au 1° de l’article L. 6312-1. Elles peuvent permettre d’obtenir une partie identifiée de certification professionnelle, classée au sein du répertoire national des certifications professionnelles et visant à l’acquisition d’un bloc de compétences.

Il n’est en l’espèce pas discuté que l’employeur est débiteur, envers son salarié, d’une obligation de formation et d’adaptation.

La salariée, qui a une ancienneté de plus de vingt ans au sein de la société et dont il n’est pas contesté que les diplômes remontaient aux années 80, n’a bénéficié que des formations suivantes ainsi qu’il ressort des pièces versées aux débats :

. 2001 : formation de trois semaines en « management d’équipe et organisation » (pièces 34/5 et 125 de la salariée),

. 2005 : formation d’une durée non précisée en « management et Organisation ‘ ITIL ‘ référentiels méthodologiques » (pièce 34/5 de la salariée),

. 2018 : formation collective d’une journée (15 novembre 2018) à la « préparation aux entretiens client ».

Ces formations sont insuffisantes au regard de la durée de la relation contractuelle, de sorte qu’il est démontré que l’obligation de formation pesant sur l’employeur a été méconnue. La cour observe toutefois que la salariée ne justifie pas d’une recherche d’emploi et donc des refus qui lui auraient éventuellement été opposés en raison d’un manque de formation. Il s’ensuit que le préjudice allégué n’est de ce chef pas établi, un préjudice n’étant pas nécessairement causé par une absence de formation.

Quant à l’obligation d’adaptation, elle a, comme relevé plus haut, été méconnue par le simple fait que l’employeur ne s’est pas préoccupé de savoir quelles étaient les implications concrètes des restrictions du médecin du travail qu’en novembre 2018, c’est-à-dire après lui avoir proposé plusieurs missions, jugées incompatibles avec le dernier avis médical, sans procéder au préalable à une étude des postes envisagés avec le médecin du travail.

Le préjudice qui en est résulté sera réparé par une indemnité de 2 000 euros qui, par voie d’infirmation, sera mise à la charge de l’employeur.

Sur la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale des obligations de l’employeur quant à la CPAM et la caisse de prévoyance

La salariée expose qu’elle a été placée en arrêt de travail pour la dernière fois le 17 novembre 2018 mais que cet arrêt de travail n’a été déclaré à l’organisme de prévoyance (le GAN) que le 7 février 2019, lui occasionnant un retard de plus de quatre mois dans le versement de ses indemnités de prévoyance. Elle ajoute qu’elle n’a pas été prise en charge conformément à l’accord souscrit avec l’entreprise à effet au 1er mai 2018 ce qui a généré des retards et contentieux dont elle a eu peine à résoudre, seule, sans l’aide de l’employeur.

En réplique, l’employeur objecte qu’il a fait diligence.

***

Les pièces versées aux débats par la salariée (pièces 183 à 208) montrent qu’à chaque question qu’elle a posée sur l’application du contrat de prévoyance souscrit par l’employeur au bénéfice de ses salariés prévoyant une prise en charge, par le GAN, du salaire du salarié placé en arrêt de travail depuis trente jours, l’employeur a fourni une réponse rapide. Elles montrent également que l’employeur lui a demandé, le 5 février 2019, de lui transmettre des éléments manquants (un relevé d’identité bancaire, les décomptes des indemnités journalières effectués par le régime obligatoire jusqu’au jour du passage en rente, la copie de son dernier avis d’imposition et l’attestation de prise en charge par le Pôle emploi), et que la salariée a tardé à transmettre les éléments demandés.

Par conséquent, la salariée ne démontre pas que l’employeur aurait fait preuve de déloyauté.

Il en résulte que le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la salariée de ce chef de demande.

Sur les intérêts

Les condamnations au paiement de sommes ayant une vocation indemnitaire seront assorties des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Sur la demande tendant à la capitalisation des intérêts

L’article 1343-2 du code civil (dans sa nouvelle rédaction) dispose que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l’a prévu ou si une décision de justice le précise. La demande ayant été formée par la salariée et la loi n’imposant aucune condition pour l’accueillir, il y a lieu, en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil, d’ordonner la capitalisation des intérêts.

Celle-ci portera sur des intérêts dus au moins pour une année entière.

Sur la remise des documents

Il conviendra de donner injonction à l’employeur de remettre à la salariée, une attestation France travail et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision, sans qu’il soit nécessaire d’assortir cette mesure d’une astreinte.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant, l’employeur sera condamné aux dépens de la procédure d’appel.

Il conviendra de condamner l’employeur à payer à la salariée une indemnité de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en appel et de confirmer le jugement en ce qu’il le condamne aux dépens et à payer à la salariée une indemnité 1 500 euros sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS:

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :

ECARTE des débats la pièce n°217 de Mme [F] constituée de la retranscription par huissier de justice d’un enregistrement de l’employeur réalisé à son insu par Mme [F],

INFIRME le jugement mais seulement en ce qu’il dit le licenciement de Mme [F] justifié par une cause réelle et sérieuse et la déboute de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement nul et pour défaut d’adaptation à l’emploi,

CONFIRME le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,

DIT nul le licenciement de Mme [F],

CONDAMNE la société CGI France venant aux droits de la société Umanis à payer à Mme [F] les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt :

. 90 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul,

. 2 000 euros de dommages-intérêts au titre du défaut d’adaptation à l’emploi,

ORDONNE la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,

ORDONNE le remboursement par la société CGI France venant aux droits de la société Umanis aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à Mme [F] du jour de son licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage en application de l’article L. 1235-4 du code du travail,

DONNE injonction à la société CGI France venant aux droits de la société Umanis de remettre à Mme [F] une attestation France travail et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision,

REJETTE la demande d’astreinte,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,

CONDAMNE la société CGI France venant aux droits de la société Umanis à payer à Mme [F] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société CGI France venant aux droits de la société Umanis aux dépens de la procédure d’appel.

. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, Président et par Madame Dorothée Marcinek, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président

 


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