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Arrêt n°24/00046
31 janvier 2024
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N° RG 21/00059 –
N° Portalis DBVS-V-B7F-FM73
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Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de METZ
17 décembre 2020
19/00525
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE METZ
Chambre Sociale – Section 1
ARRÊT DU
Trente et un janvier deux mille vingt quatre
APPELANT :
M. [C] [M]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté par Me Florent KAHN, avocat au barreau de METZ
INTIMÉES :
S.A.S. CRIT INTERIM, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Antoine PAVEAU, avocat au barreau de METZ
S.A.S. [L] RESEAUX représentée par son Président
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Johann GIUSTINATI, avocat au barreau de METZ
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 03 mai 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre
Mme Anne FABERT, Conseillère
M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Hélène BAJEUX, Greffière, en présence de Mme Sila POLAT, Greffière stagiaire
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile;
Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
M. [C] [M] a été embauché en qualité de négociateur/identificateur par la société Crit Intérim en exécution d’un contrat de mission, et mis à disposition de la société [L] Réseaux pour une période courant du 16 octobre 2018 au 20 octobre 2018, avec une rémunération horaire brute de 9,88 euros et un temps de travail hebdomadaire de 39 heures, qui a été rectifiée selon avenant du même jour à 10 euros brut.
M. [M] a continué à travailler au sein de la société [L] Réseaux après le terme de son contrat en exécution de plusieurs avenants couvrant une période du 20 octobre 2018 au 8 janvier 2019.
Par requête enregistrée au greffe le 21 juin 2019, M. [M] a saisi le conseil de prud’hommes de Metz de demandes avant-dire droit, et au fond de demandes de requalification des relations contractuelles avec l’entreprise utilisatrice en contrat de travail à durée indéterminée, et de demandes de rappels de salaires ainsi qu’au titre de la rupture des relations contractuelles.
Par jugement contradictoire en date du 17 décembre 2020, le conseil de prud’hommes de Metz a statué comme suit :
« Déboute M. [M] de sa demande d’instruction ;
Au fond, reçoit la demande de M. [M] [C] ;
Juge que la demande de M. [M] [C] relative à la requalification est injustifiée ;
Déboute M. [M] [C] de sa demande au titre de la requalification de ses contrats de mission en un contrat à durée indéterminée à l’encontre de la SAS [L] Réseaux ;
Déboute M. [M] [C] de toutes ses demandes salariales et indemnitaires relatives à une requalification ;
Déboute M. [M] [C] de sa demande de délivrance de document ;
Déboute M. [M] [C] de ses demandes sollicitées à titre subsidiaire à l’encontre de la SAS Crit Intérim ;
Déboute la SAS [L] Réseaux de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Fait droit à la demande de M. [M] [C] relative à des dommages et intérêts, à l’encontre de la SAS Crit Intérim, au titre du retard dans le paiement des salaires ;
En conséquence,
Condamne la société Crit Intérim, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [M] la somme de :
200 € de dommages et intérêts au titre de paiement des salaires et indemnités.
Condamne la SAS Crit Intérim, prise en la personne de son représentant légal, à verser à M. [M] la somme de :
500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Dit et juge que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement ;
Ordonne l’exécution provisoire sur l’intégralité du présent jugement en vertu des dispositions de l’article 515 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS Crit Intérim, prise en la personne de son représentant légal, aux entiers frais et dépens d’instance en application de l’article 696 du code de procédure civile, y compris aux éventuels frais d’exécution du présent jugement. ».
Par déclaration transmise par voie électronique le 8 janvier 2021, M. [M] a régulièrement interjeté appel du jugement.
Par ses dernières conclusions récapitulatives du 10 janvier 2022, M. [M] demande à la cour de statuer comme suit :
« Annuler le jugement, à défaut l’infirmer, sauf en ce qu’il a condamné la société Crit Intérim à lui verser 200 € de dommages et intérêts et 500 € d’article 700 ;
Avant dire droit :
Ordonner à la société [L] Réseaux, dans un délai de 15 jours à compter de la décision à intervenir de :
justifier de l’ensemble des intérimaires embauchés par lui entre le 16 octobre 2018 et le 7 janvier 2019 ;
justifier de l’ensemble des salariés en CDI employés comme négociateur FTTH sur la même période ;
justifier du salaire horaire de l’ensemble des intérimaires et salariés en CDI employés comme négociateurs FTTH sur la même période ;
Au fond,
Déclarer les présentes demandes recevables et bien fondées ;
Requalifier la période allant du 16/10/2018 au 8/01/2019 en CDI envers la société [L] Réseaux;
Dire et juger que doit être écarté le montant maximal d’indemnisation prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l’article 24 de la charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l’OIT et le droit au procès équitable ;
A titre principal
Dire et juger que M. [M] a été licencié sans cause réelle et sérieuse par la Société [L] Réseaux le 08/01/2019
Condamner la société [L] Réseaux à payer à M. [M] :
– 800 € brut à titre de rappel de salaire pour la période du 22/12/2018 au 6/01/2019 et 80 € brut à titre de rappel de CP.
– 190,5 € brut à titre de rappel de salaire pour la période allant du 16 octobre 2018 au 8 janvier 2019 19,05 € brut de CP au titre de l’égalité salariale.
– 1 819,86 € à titre de l’indemnité spéciale de requalification.
– 800 € brut d’indemnité compensatrice de préavis et 80 € de CP à ce titre.
– 10 919,16 € net de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– 2 000 € au titre de l’article 700 du CPC.
Condamner la société à la délivrance, sous astreinte définitive de 150 € par jour de retard à compter d’un délai de 5 jours courant à partir de la notification de la décision à intervenir, des documents suivants, établis conformément au jugement à intervenir :
– solde de tout compte,
– attestation Pôle emploi,
– certificat de travail.
– fiche de paye des mois d’octobre 2018 à janvier 2019
A titre subsidiaire
Condamner la société Crit Intérim à payer à M. [M] :
190,50 € brut à titre de rappel de salaire pour la période allant du 16 octobre 2018 au 8 janvier 2019 19,05 € brut de CP au titre de l’égalité salariale
Condamner la société à la délivrance, sous astreinte définitive de 150 € par jour de retard à compter d’un délai de 5 jours courant à partir de la notification de la décision à intervenir, des documents suivants, établis conformément au jugement à intervenir :
– solde de tout compte,
– attestation Pôle emploi,
– certificat de travail.
– fiche de paye des mois d’octobre 2018 à janvier 2019
En tout état de cause
Condamner la société Crit Intérim à payer à M. [M] 200 € de dommages et intérêt au titre du retard dans le paiement des salaires et indemnité de fin de mission. (Confirmer le jugement sur ce point)
Condamner la société Crit Intérim à payer à M. [M] 500 € au titre de l’article 700 du CPC (Confirmer le jugement sur ce point)
Dire et juger que l’ensemble des sommes produiront intérêts au taux légal depuis la date d’introduction de la présente demande
Condamner la société aux frais et dépens d’instance et d’exécution. ».
Au soutien de ses prétentions M. [M] fait notamment valoir :
– que ses collègues employés comme lui en intérim chez [L] qui effectuaient le même travail, étaient payés 10,5 € de l’heure contre 10 € de l’heure le concernant. Il précise qu’il a écrit à son employeur pour lui demander la régularisation, cependant celle-ci n’a été faite que pour la période du 7/01/2019 au 8/01/2019.
– qu’il ne recevait ses salaires qu’une fois par mois pour toute la période, contrairement à ce que la mensualisation pour les intérimaires prévoit.
– qu’il exerçait les fonctions de négociateur/identificateur FTTH, soit des missions habituelles dans l’établissement ; il précise qu’il dispose d’un diplôme de responsable des achats internationaux, et précise que néanmoins il n’a trouvé aucun travail fixe, qualifié ou non qualifié, et ce malgré ses demandes.
– que le barème Macron viole l’article 24 de la charte européenne des droits sociaux, les articles 4 et 10 de la convention de l’OIT et le droit au procès équitable.
Par ses conclusions récapitulatives en date du 19 avril 2022, la SAS [L] Réseaux demande à la cour de statuer comme suit :
« Confirmer le jugement du 17.12.2020 en ce qu’il a débouté M. [M] de toutes ses demandes à l’encontre de la société [L] Réseaux.
Débouter M. [M] de toutes ses demandes, fins et conclusions devant la cour d’appel à l’encontre de la société [L] Réseaux.
Condamner M. [M] à payer à la société [L] Réseau une indemnité de 1 000 € au titre de l’article 700 du CPC, ainsi qu’aux dépens d’appel. ».
La société [L] Réseaux relate que M. [M] n’avait aucune expérience récente dans le domaine de la négociation immobilière.
Elle soutient d’une part que le niveau du salaire est déterminé en fonction de la formation initiale, des connaissances acquises par expérience professionnelle, et de l’amplitude des responsabilités et tâches confiées : elle observe que M. [M] n’avait aucune expérience en matière de négociation immobilière, et qu’un autre intérimaire a été embauché avec les mêmes conditions de rémunération.
Elle fait valoir d’autre part que la négociation du salaire de l’intérimaire relève de la responsabilité exclusive de la société de travail temporaire et non de la société utilisatrice, et les paiements du salaire de l’intérimaire et de son indemnité de fin de mission relèvent de la responsabilité exclusive de la société de travail temporaire.
La société [L] Réseaux explique le recours à des embauches précaires est justifié par un surcroît d’activité dû au client Orange, qui lui avait confié les travaux de déploiement de son réseau en fibre optique en Alsace Lorraine, et qui exigeait qu’avant le 31 décembre 2018 soient réalisées les prestations à hauteur de 100 % des relevés de boîtes aux lettres et d’identification de syndics.que c’est de façon tout à fait licite qu’elle a eu recours à l’intérim en raison d’un surcroit temporaire d’activité.
Sur les prétentions chiffrées de M. [M], la société [L] Réseaux fait valoir les observations suivantes :
– à compter du 21 décembre 2018 elle a interrompu son activité pour cause de congés de fin d’année, et en aucun cas M. [M] ne s’est tenu à sa disposition, et il était prévu que M. [M] termine sa mission pour 2 jours à savoir les 3 et janvier 2019 mais ce dernier a indiqué qu’il avait un empêchement ;
– il n’y a pas lieu à indemnité de requalification ;
– l’indemnité de préavis n’est pas due et à titre subsidiaire M. [M] était payé à l’heure ;
– par avis du 17 juillet 2019 l’assemblée plénière de la Cour de Cassation a considéré que les dispositions de l’article L. 1235-3 sont compatibles avec l’article 10 de la convention 158 de l’OIT et que les dispositions de l’article 24 de la charte sociale européenne ne sont pas invocables en droit interne dans un litige entre particuliers.
Par ordonnance du conseiller de la mise en état du 18 octobre 2021, les conclusions de la SAS Crit Intérim ont été déclarées irrecevables.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 1er octobre 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
La cour rappelle que la société Crit Intérim n’ayant pas déposé des conclusions dans les délais qui lui étaient impartis, elle est réputée solliciter la confirmation du jugement conformément aux dispositions de l’article 954 du code de procédure civile.
En conséquence les dispositions de la décision prononcées à l’encontre de la société Crit Intérim et relatives à l’octroi de dommages-intérêts à M. [M] à hauteur de 200 euros pour retard de paiement des salaires et indemnités et à hauteur de 500 euros pour ses frais irrépétibles sont confirmées.
Sur la nullité du jugement
M. [M] demande l’annulation du jugement querellé sur le fondement de l’article 455 du code de procédure civile.
Il indique que les premiers juges ont rejeté sa demande au titre d’un rappel de salaire en application du principe d’égalité de traitement, mais qu’ils n’ont pas motivé cette disposition.
La cour observe toutefois que le dispositif de la décision querellée déboute M. [M] « de ses demandes salariales et indemnitaires relatives à une requalification », et qu’il a omis de statuer sur les prétentions de M. [M] au titre de la rupture du principe d’égalité.
L’omission n’étant pas une cause de nullité, telle que définie par les dispositions de l’article 458 du code de procédure civile, il n’y a pas lieu d’annuler le jugement déféré.
Sur les demandes avant-dire droit
M. [M] demande qu’injonction soit faite à la société [L] Réseaux de justifier du nombre des salariés embauchés définitivement et à titre précaire dans les temps de ses missions, et de justifier de la rémunération des salariés employés comme lui en tant que négociateurs FTTH.
La cour observe que les prétentions de l’appelant ont déjà été présentées aux premiers juges, et que la société [L] Réseaux, sur laquelle pèse notamment la charge de la preuve du bien-fondé du motif du recours à une embauche précaire, a pu produire tous documents utiles au cours de la procédure de première instance, puis durant la procédure d’appel.
Aussi, la phase de mise en état étant achevée et l’efficacité d’une telle demande étant incertaine, les prétentions avant dire droit de M. [M] sont également rejetées à hauteur de cour.
Sur la demande au titre du principe ‘à travail égal salaire égal’
En vertu de l’article L. 3221-2 du code du travail tout employeur assure, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes.
Cette disposition se fonde sur le principe « à travail égal, salaire égal » qui a vocation à s’appliquer à l’ensemble des salariés d’une même entreprise, quel que soit leur sexe, et qui repose lui-même sur le principe général de non-discrimination édicté par l’article L. 1132-1 du même code, qui interdit toute mesure discriminatoire entre salariés, notamment en matière de rémunérations, en raison, entre autres, de leur activité syndicale ou de leur état de santé.
En application du principe d’égalité de traitement, les travailleurs intérimaires doivent, pendant la durée de leur mission auprès d’une entreprise utilisatrice, bénéficier de conditions essentielles de travail et d’emploi au moins égales à celles qui leur seraient applicables s’ils étaient recrutés directement par cette entreprise pour y occuper le même poste.”
M. [M] a été employé par la société [L] Réseaux en qualité de ‘négociateur/identificateur FTTH’ rémunéré au taux horaire de 10 euros pour 39 heures de travail hebdomadaire, en exécution d’un contrat de mission du 16 octobre 2018 pour une période courant jusqu’au 20 octobre 2018, renouvelé jusqu’au 31 octobre 2018 selon avenant du 19 octobre 2018, puis jusqu’au 21 décembre 2018 selon avenant du 31 octobre 2018, et du 7 au 8 janvier 2019 selon avenant du 7 janvier 2019.
M. [M] soutient que d’autres salariés embauchés par le biais de missions intérim ont été rémunérés à hauteur d’un taux horaire de 10,5 euros pour le même travail, et se prévaut en ce sens:
– d’un courrier de réclamation adressé à son employeur le 15 janvier 2019 (sa pièce n° 3) qui évoque la rémunération de deux salariés intérimaires mis à disposition de la société utilisatrice par une autre société d’intérim ;
– d’un courrier qui lui a été adressé par la société Crit Intérim le 17 janvier 2019 (sa pièce n° 4) qui précise qu’après vérification auprès de la société [L] Réseaux au sein de laquelle M. [M] a été détaché pour la période du 7 au 8 janvier 2019 « nous allons procéder à la régularisation du taux horaire à 10,50 € ».
M. [M] précise que le taux horaire de 10,50 euros n’a été appliqué que pour la dernière mission du 7 au 8 janvier 2019.
Ces éléments dont se prévaut M. [M] laissent supposer l’existence d’une inégalité de rémunération, et il incombe à la société [L] Réseaux de prouver que la disparité de taux horaire est justifiée par des éléments objectifs,
A l’appui de la démonstration du caractère infondé de la demande la société utilisatrice soutient que M. [M] n’avait aucune expérience récente dans la négociation immobilière, et qu’un autre intérimaire cité par l’appelant et plus expérimenté était rémunéré au même taux horaire, soit 10 euros.
Comme l’observe avec pertinence M. [M], la société utilisatrice ne produit qu’un seul contrat de mission de l’un des deux salariés intérimaires cités par l’appelant, qui couvre une période d’un mois du 25 septembre au 26 octobre 2018 antérieure à l’embauche de l’appelant (pièce n° 9 de l’intimée).
La cour relève par ailleurs que la société [L] Réseaux n’émet aucune observation sur le taux horaire qui a été appliqué à M. [M] pour la dernière mission effectuée du 7 au 8 janvier 2019.
Si l’intimée évoque l’expérience moindre de M. [M] dans la négociation immobilière, cet argument est d’autant moins pertinent que la mission de l’appelant a été renouvelée à plusieurs reprises.
En conséquence, il est fait droit aux prétentions de M. [M], et il lui est alloué la somme de 190,50 euros brut à titre de rappel de salaire en application du principe d’égalité de traitement ainsi que la somme de 19,05 euros brut de congés payés afférents.
Sur la requalification des relations contractuelles entre M. [M] et la SAS [L] Réseaux
Le recours au travail temporaire a pour objet la mise à disposition d’un salarié par une entreprise de travail temporaire au bénéfice d’un client utilisateur pour l’exécution d’une mission.
Chaque mission donne lieu à la conclusion d’un contrat de mise à disposition entre l’entreprise de travail temporaire et le client utilisateur, dit entreprise utilisatrice, ainsi que d’un contrat de travail, dit contrat de mission, entre le salarié temporaire et son employeur, l’entreprise de travail temporaire.
L’article L. 1251-5 du code du travail dispose que le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice.
L’article L. 1251-6 du même code précise les cas permettant l’embauche précaire pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dénommée « mission », notamment partie le remplacement d’un salarié en cas d’absence ou de suspension du contrat de travail, ainsi que l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise.
C’est à l’entreprise utilisatrice qu’il incombe de prouver la réalité du motif énoncé dans le contrat.
Conformément à l’article L. 1251-40 du code, lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L. 1251 5 à L. 1251 7, L. 1251 10, L. 1251-11, L. 1251 12-1, L. 1251 30 et L. 1251 35-1, et des stipulations des conventions ou des accords de branche conclus en application des articles L. 1251-12 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.
Au soutien de la contestation du motif du recours à son embauche précaire, M. [M] rappelle que le contrat de mission du 16 octobre 2018 et ses avenants visent un accroissement temporaire d’activité « lié au marché Orange ».
M. [M] soutient que la société [L] Réseau n’employait aucun négociateur dans le cadre d’une embauche définitive au sein de son établissement lorrain de [Localité 4], et qu’il a ainsi été affecté à un poste qui correspond à un emploi permanent.
A l’appui de la démonstration qui lui incombe de la réalité d’un surcroît d’activité, la société [L] Réseaux ne verse aux débats que deux pièces, soit un document interne du 10 octobre 2019 relatif au déploiement du réseau en fibre optique de la société Orange en Alsace Lorraine qui a été confié à ses services (sa pièce n° 1), et un organigramme (dont la date d’effectivité est ignorée) des équipes du service FFTH [L] Réseaux (sa pièce n° 2),.
Ces seuls documents sont insuffisants pour démontrer la réalité d’un surcroît temporaire d’activité.
La demande de requalification des relations contractuelles est fondée, et il a lieu de requalifier le contrat de mission temporaire et ses avenants conclus à compter du 16 octobre 2018, date du premier recours irrégulier, en un contrat à durée indéterminée liant la société [L] Réseaux à M. [M]. Le jugement est infirmé en ce sens.
Sur la demande de rappel de salaire
M. [M] réclame un rappel de salaire de 800 euros brut correspondant à deux semaines non travaillées outre les congés payés afférents, pour la période du 21 décembre 2018 au 7 janvier 2019 au cours de laquelle l’entreprise était fermée pour cause de congés.
M. [M] justifie qu’il était alors au chômage (sa pièce n° 12), et qu’il s’est tenu à disposition de la société utilisatrice, pour laquelle il a signé le 7 janvier 2019, soit le jour de la réouverture de l’entreprise après congés, un nouveau contrat de mission.
En conséquence il est fait droit aux prétentions de M. [M] à hauteur de 800 euros brut, outre 80 euros brut de congés payés afférents.
Sur l’indemnité de requalification
Il résulte de l’article L. 1251-41 al. 2 du code du travail que, lorsqu’il est fait droit à la demande en requalification d’un contrat de mission en un contrat de travail à durée indéterminée, il est accordé au salarié une indemnité, à la charge de l’entreprise utilisatrice, qui ne peut être inférieure à un mois de salaire.
Il y a lieu de faire droit aux prétentions de M. [M] au titre de l’indemnité de requalification, qui est d’au moins un mois de salaire (avec comme référence le dernier salaire mensuel perçu) soit la somme de 1 819,86 euros.
Sur les demandes de M. [M] au titre de la rupture des relations contractuelles
Compte tenu de la requalification des relations contractuelles en contrat à durée indéterminée, la rupture s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
M. [M] réclame une indemnité de préavis équivalente à 15 jours de rémunération conformément aux dispositions de droit local.
En vertu de l’article L. 1234-15 du code du travail, le salarié a droit à une indemnité de préavis de 15 jours lorsque sa rémunération est fixée au mois.
Si la société [L] Réseaux s’oppose à cette demande, l’argument dont elle se prévaut soit que « la rémunération de M. [M] était fixée à l’heure » est parfaitement inopérant.
Il est fait droit aux prétentions de M. [M] à hauteur de la somme de 800 euros brut outre 80 euros brut de congés payés afférents.
L’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version en vigueur depuis le 1er avril 2018, dispose que si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, en cas de refus de la réintégration du salarié dans l’entreprise, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par cet article, en fonction de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise et du nombre de salariés employés habituellement dans cette entreprise.
M. [M] réclame une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au-delà du plafond de l’article L. 1235-3 du code du travail – qui prévoit une indemnité maximale d’un mois de salaire – en raison de son inconventionnalité au regard notamment de l’article 24 de la charte sociale européenne du 3 mai 1996 qui consacre le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée, des articles 4 et 10 de la convention 158 de l’OIT ainsi que du droit à un procès équitable.
Saisie pour avis, la Cour de cassation a déclaré, le 17 juillet 2019, d’une part, que ce barème était compatible avec les stipulations de l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT et, d’autre part, que les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée étaient dépourvues d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers. Elle a, par ailleurs, considéré que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail n’entraient pas dans le champ d’application de l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
En l’espèce, M. [M] comptait lors de son licenciement moins d’un an d’ancienneté, de sorte qu’il peut prétendre à une indemnité maximale d’un mois.
Compte tenu de l’âge du salarié lors de la rupture de son contrat de travail (53 ans), de son ancienneté et du montant de son salaire mensuel (1 819,86 euros), il convient d’allouer à M. [M] la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts destinés à réparer le préjudice subi du fait du licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les autres demandes et sur les dépens
Les intérêts au taux légal courent à compter du 25 juin 2019 date de la réception de la convocation par l’employeur à l’audience de conciliation sur les sommes ayant le caractère de salaire, et à compter du présent arrêt pour les sommes à caractère indemnitaire.
La société [L] Réseaux est condamnée à remettre à M. [M] les documents administratifs (bulletin de paie ‘ attestation Pôle emploi ‘ certificat de travail) conformes aux dispositions du présent arrêt.
Il n’y a pas lieu à délivrance d’un solde de tout compte au regard des dispositions du présent arrêt, et aucun motif ne laissant craindre en l’état une quelconque réticence de la société intimée il n’y a pas lieu de prévoir d’astreinte.
Les dispositions du jugement déféré relatives à l’application de l’article 700 du code de procédure civile et relatives aux dépens sont confirmées.
Il est contraire à l’équité de laisser à la charge de M. [M] ses frais irrépétibles. La société [L] Réseaux est condamnée à lui payer la somme de 1 000 euros à ce titre. La demande de M. [M] dirigée à l’encontre de la société Crit Interim est rejetée.
La société [L] Réseaux est condamnée aux dépens d’appel conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile et sa demande au titre de ses frais irrépétibles est rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant en dernier ressort par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Rejette la demande avant dire droit de M. [C] [M],
Rejette la demande d’annulation du jugement,
Infirme le jugement rendu le 17 décembre 2020 par le conseil de prud’hommes de Metz sauf dans ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés, et y ajoutant :
Requalifie les relations contractuelles à compter du 16 octobre 2018 jusqu’au 8 janvier 2019 en contrat de travail à durée indéterminée entre M. [C] [M] et la SAS [L] Réseaux ;
Dit que la rupture des relations contractuelles s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne la SAS [L] Réseaux à payer à M. [C] [M] les sommes de :
– 190,50 euros brut à titre de rappel de salaire en application du principe d’égalité de traitement,
-19,05 euros brut de congés payés afférents,
– 800 euros brut à titre de rappel de salaire pour la période du 22 décembre 2018 au 6 janvier 2019,
– 80 euros brut de congés payés afférents,
– 1 819,86 euros à titre d’indemnité de requalification,
– 800 euros brut d’indemnité compensatrice de préavis,
– 80 euros brut de congés payés afférents,
– 1 500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Dit que les intérêts au taux légal courent à compter du 25 juin 2019 pour les sommes ayant le caractère de salaire, et à compter du présent arrêt pour les sommes à caractère indemnitaire ;
Condamne la SAS [L] Réseaux à remettre à M. [C] [M] les documents administratifs -bulletin de paie ‘ attestation Pôle emploi ‘ certificat de travail – conformes aux dispositions du présent arrêt sans qu’il y ait lieu à astreinte ;
Rejette les autres prétentions de M. [C] [M] ;
Rejette la demande de la SAS [L] Réseaux au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS [L] Réseaux aux dépens d’appel.
La Greffière La Présidente