Barème Macron : 24 janvier 2024 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 21/01665

·

·

Barème Macron : 24 janvier 2024 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 21/01665
Ce point juridique est utile ?

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE – SECTION A

————————–

ARRÊT DU : 24 JANVIER 2024

PRUD’HOMMES

N° RG 21/01665 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-MAJE

Monsieur [M] [D]

c/

S.A.S.U. BOUYGUES ENERGIES & SERVICES

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 02 mars 2021 (R.G. n°F19/00150) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PERIGUEUX, Section Industrie, suivant déclaration d’appel du 19 mars 2021,

APPELANT :

Monsieur [M] [D]

né le 20 Septembre 1962 à [Localité 2] de nationalité française

demeurant [Adresse 4]

représenté par Me Adrien REYNET, avocat au barreau de LIBOURNE, et assisté de Me Sandrine GERAUD-LINFORT, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMÉE :

SASU Bouygues Énergies & Services, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 1]

N° SIRET : 775 664 873

représentée par Me Edwige HARDOUIN, avocat au barreau de BORDEAUX et assistée de Me Olivier LALANDE substituant Me Myriam LENGLEN de la SELAS FIDAL DIRECTION PARIS, avocat au barreau de PERIGUEUX,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 décembre 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Bénédicte Lamarque, conseiller, chargé d’instruire l’affaire,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : Evelyne Gombaud,

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [M] [D], né en 1962, a été engagé en qualité de conducteur de travaux par la société Mainguy par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er mai 1982.

Suite au regroupement des entités Mainguy et ETDE Réseaux Sud-Ouest, le contrat de travail de M. [D] a été transféré au sein de la société ETDE Réseaux en tant qu’aide conducteur travaux, position E, le 1er janvier 2007.

Le 1er janvier 2008, M. [D] a été promu conducteur travaux adjoint, position F, et conducteur travaux, position G, le 1er février 2011.

En 2013, la société ETDE Réseaux a changé de dénomination sociale pour devenir la société Bouygues Energie & Services.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des travaux publics du 15 décembre 1954 et aux dispositions de la convention collective région Ouest.

Le 5 septembre 2018, un incident est survenu sur un chantier au cours duquel une canalisation de gaz a été endommagée par la pelleteuse conduite par M. [Y].

Par lettre datée du 20 septembre 2018, M. [D] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 2 octobre 2018.

Par lettre datée du 8 octobre 2018, il a été licencié pour faute grave, licenciement qu’il a contesté par courrier du 20 novembre 2018.

A la date du licenciement, M. [D] avait une ancienneté de 36 ans et 5 mois et la société occupait à titre habituel plus de 10 salariés.

Le 16 août 2019, M. [D], soutenant que son licenciement est abusif et réclamant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, pour licenciement vexatoire et pour mise en danger suite au manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité outre le paiement de diverses indemnités, un rappel d’heures supplémentaires et le remboursement des allocations chômage à Pôle Emploi, a saisi le conseil de prud’hommes de Périgueux.

Par jugement rendu le 2 mars 2021, le conseil de prud’hommes a :

– dit que le licenciement de M. [D] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

– condamné la société Bouygues Energies & Services à verser à M. [D] les sommes suivantes :

* 6.270 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 627 euros au titre des congés payés y afférents,

* 37.412 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

* 150 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté M. [D] de ces demandes :

* en paiement de dommages et intérêts pour mise en danger suite au manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur,

* en paiement de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire,

* en paiement d’heures supplémentaires et de congés payés y afférents,

* en paiement de l’indemnité de travail dissimulé,

* au titre de l’exécution provisoire,

– dit qu’il n’y a pas lieu de condamner la société Bouygues Energies & Services à rembourser les allocations chômage versées à M. [D] par Pôle Emploi,

– débouté la société Bouygues Energies & Services de ces demandes :

* tendant à voir dire fondé le licenciement pour faute grave de M. [D],

* tendant à l’application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail,

* au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société Bouygues Energies & Services aux dépens et frais éventuels d’exécution.

Par déclaration du 19 mars 2021, M. [D] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 18 juin 2021, M. [D] demande à la cour de le recevoir en toutes ses demandes et y faisant droit, d’infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Périgueux du 2 mars 2021 et de :

– juger son licenciement abusif,

– condamner la société Bouygues Energies & Services à lui verser :

* des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de :

-112.860 euros à titre principal (en écartant le barème ‘Macron’),

– 62.700 euros à titre subsidiaire (barème ‘Macron’),

* 5.400 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire,

* 6.270 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

* 627 euros à titre d’indemnité de congés payés afférente,

* 37.412 euros à titre d’indemnité de licenciement,

– constater les heures supplémentaires non payées,

– condamner la société Bouygues Energies & Services à lui verser:

* 15.686 euros au titre du rappel d’heures supplémentaires,

* 1.568 euros au titre de l’indemnité de congés payés afférente,

* 18.810 euros au titre de l’indemnité de travail dissimulé,

– constater le manquement à l’obligation de sécurité,

– condamner la société Bouygues Energies & Services à lui verser la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour mise en danger,

– condamner la société Bouygues Energies & Services à lui payer la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en première instance et de 2.500 euros en appel.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 29 mars 2022, la société Bouygues Energies & Services demande à la cour de :

A titre principal,

– dire que le licenciement pour faute grave de M. [D] est bien fondé,

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Périgueux du 2 mars 2021,

A titre subsidiaire,

– considérer que le licenciement de M. [D] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Périgueux du 2 mars 2021,

A titre infiniment subsidiaire,

– appliquer les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail,

– considérer qu’elle n’a commis aucune faute,

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Périgueux du 2 mars 2021 en ce qu’il a débouté M. [D] de ses demandes :

* au titre des circonstances vexatoires de la rupture,

* au titre d’un non-respect de ses obligations de sécurité,

* en paiement d’heures supplémentaires,

* au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [D] à lui régler la somme de 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 24 novembre 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 12 décembre 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ainsi qu’à la décision déférée.

Autorisée à produire une note en délibéré, la société Bouygues Energie & Services a, par courrier du 14 décembre 2023, précisé la date de rachat de la société ETDE Réseaux ainsi que le nombre de salariés en son sein au moment du licenciement, supérieur à 10.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande au titre des heures supplémentaires

Aux termes de l’article L. 3171-2 alinéa 1er du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales précitées.

M. [D] soutient que ses temps de trajets domicile/entreprise ne lui ont jamais été rémunérés et qu’alors qu’il avait l’obligation de venir au dépôt à 7h, il n’était payé qu’à partir de 8h. Il sollicite à ce titre une somme de 15.686 euros sur les trois années précédant la rupture du contrat de travail correspondant à 47 semaines de 5 jours par an.

Il produit les attestations de 5 salariés qui confirment ces horaires, indiquant que M. [D] était parfois le premier sur le site pour ouvrir le portail et accueillir le personnel de l’entreprise et M. [T] déclarant qu’il était encore sur site après 17h30.

M. [D] a indiqué dans son courrier adressé à l’employeur le 20 novembre 2018 qu’il devait venir faire l’embauche des salariés le matin à 7h pour donner le matériel et les instructions et terminait à 18 h pour rencontrer les équipes sur le terrain. Il soutient que le véhicule de service, qui était équipé d’une géolocalisation, permettrait d’établir l’ensemble de ses déplacements et dépassements d’horaires de 2 h supplémentaires par jour.

Il produit le relevé de ses heures de pointage annexé au bulletin de paie d’octobre 2018, ne faisant qu’un décompte du nombre d’heures effectuées sans précision sur les heures d’arrivée et de départ.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur de fournir les horaires effectivement réalisés.

La société s’oppose à la demande du salarié, rappelant que les temps de trajets ne sont pas du temps de travail effectif, comme le mentionnait le règlement intérieur, les salariés n’ayant pas à passer par l’entrepôt pour se rendre sur le lieu du chantier.

Conformément à l’article L. 3121-1 du code du travail, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.

Si le temps de trajet entre le domicile du salarié et le chantier n’est pas du temps de travail, il en est autrement lorsque le salarié doit passer par l’entreprise avant de se rendre sur le chantier;

Le contrat de travail de M. [D] du 1er janvier 2007 mentionne un lieu d’affectation au centre [Localité 5] à [Localité 3] dans la zone industrielle. Il fait référence au règlement intérieur qui précise, dans son article 1, que ‘le temps de trajet entre le lieu de domicile et le lieu de travail ne constitue pas un temps de travail effectif’.

La société ne produit aucun document sur les heures effectuées, ni le relevé des pointages qui sont annexés à chaque bulletin de paie. Si elle conteste le nombre de journées décomptées, elle ne produit aucun relevé des jours de présence et de congés de M. [D].

Elle ne verse pas non plus aux débats les relevés de géolocalisation dont fait état le salarié et dont les attestations établissent qu’il passait d’abord à l’entreprise, à 7 heures, avant de se rendre sur les chantiers et repassait par l’entreprise le soir.

Le décompte de M. [D] est réalisé à partir d’une semaine de 5 jours sur 47 semaines par an, soit 235 jours annuels travaillés et il tient compte des jours fériés, des week-ends et des périodes de congés.

Il y a lieu dans ces conditions, en présence d’attestations circonstanciées concordantes, en l’absence de démonstration de la société de la réalité des heures de travail effectuées par M. [D] pendant la période considérée et sur la base de son décompte de retenir qu’il a effectué des heures supplémentaires non rémunérées qui seront indemnisées à hauteur de 15.686 euros.

La société sera en conséquence condamnée à payer à M. [D] les sommes de 15.686 euros bruts à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires effectuées et de 1.568,60 euros bruts pour les congés payés afférents.

Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

Sur la rupture du contrat de travail

La lettre de licenciement en date du 8 octobre 2018 est ainsi libellée :

« (…)
Le 5 septembre 2018, sur le chantier de renouvellement de réseau gaz de [Localité 6] (24), réalisé pour notre client, GrDF, l’équipe placée sous votre responsabilité a accroché le réseau gaz existant lors de l’opération de terrassement mécanique.

L’analyse effectuée le 11/09/2018 par [F] [V], Safety Officer, qui a fait l’objet d’un compte-rendu en date du 12/09/2018, a mis en évidence les faits suivants :
– L’équipe a suivi vos consignes données la veille qui modifiaient le tracé de la tranchée tel qu’initialement prévu par le plan d’exécution. Pourtant, à aucun moment, vous n’avez informé ni votre Responsable d’Affaires ni le client de cette modification, et encore moins obtenu leur accord. Ainsi, au lieu de contourner le réseau gaz existant tel que prévu par l’étude technique, le conducteur de la pelle, [U] [Y], a terrassé sur la conduite de gaz et l’a endommagée.

– Comme vous le saviez, l’équipe présente sur le chantier ne comportait pas de chef d’équipe, celui-ci étant en congé ce jour-là. De plus, le planning de la journée a été modifié suite à un impératif client ; à aucun moment, vous n’avez contacté l’équipe, ou êtes passé les voir sur place, pour vous assurer que vos collaborateurs avaient des consignes claires sur les tâches à réaliser et faire un point d’avancement du chantier.

Ainsi, votre décision de modifier les plans, sans validation du concessionnaire, et en dépit du bon sens puisque la canalisation de gaz y était clairement identifiée , et votre absence de contrôle et de supervision de l’équipe livrée à elle-même, ont conduit, entre autres, à la survenance de l’accrochage du réseau gaz.

Votre défaillance dans l’exercice de vos fonctions aurait pu avoir des conséquences dramatiques pour vos collaborateurs et les riverains du chantier. Fort heureusement, la fuite de gaz n’a entraîné aucun dommage corporel.

Pour autant, ces faits ne sont pas admissibles au regard de votre expérience et votre qualité de Conducteur de Travaux niveau G.

De plus, suite à cet incident, notre client GrDF nous a notifié une suspension de marché pour une durée de 3 mois, ainsi qu’une réduction de 278 000€ d’activité de l’engagement du marché et nous a également facturé une pénalité de 5 000€.
Au-delà de ces conséquences financières non négligeables, notre image de marque a été fortement impactée, la compétence de notre personnel étant mise en doute par le client.

Lors de l’entretien, vous avez confirmé les faits et les explications que vous nous avez fournies n`ont pas permis d’en modifier notre appréciation.

Par conséquent, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour faute.

Compte tenu de la gravité de celle-ci, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible ; le licenciement prend donc effet immédiatement, à la date d’envoi de la lettre de notification soit le 08/10/2018, sans indemnité de préavis ni de licenciement. (…) ».

L’employeur ayant choisi de se placer sur le terrain d’un licenciement pour faute grave doit rapporter la preuve des faits allégués et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l’entreprise.

1 – L’employeur reproche en premier lieu au salarié d’avoir modifié le tracé de la tranchée la veille des faits, le 4 septembre 2018, sans avoir vérifié le dossier travaux qui comprenait le retour de la DICT (déclaration d’intention de commencement de travaux) qui permet notamment de visualiser le tracé du réseau gaz, le bon de commande ayant été signé par le responsable des travaux, M. [K], qui était absent le jour des faits.

La société indique que M. [D] a reconnu les faits pour avoir indiqué, lors de l’entretien préalable comme dans son courrier de contestation, qu’il n’était pas rare de faire des modifications sur les chantiers.

La société s’appuie sur le compte rendu d’analyse de dommages sur ouvrage gaz pour soutenir que l’accident est dû à la non-exploitation des documents présents sur le chantier, à savoir les consignes, les plans et le retour de la DICT, qui mentionne les concessionnaires de réseaux existants, dont les réseaux de gaz.

Le jour des faits, le personnel affecté sur le chantier était composé de M. [K] en qualité de conducteur de travaux et responsable du projet, M. [D], chef d’équipe, en remplacement de M. [A] absent, M. [Y] en qualité de responsable d’équipe et conducteur de pelle, M. [J], soudeur gaz et M. [N], salarié intérimaire.

Dans le courrier de contestation adressé à son employeur le 20 novembre 2018, M. [D] rappelle que le démarrage des travaux d’enfouissement de la conduite de gaz, dont le poquetage, le remplissage dossier travaux, la réception des DICT et la visite du chantier, ont été effectués par M. [K]. Ce dernier lui a demandé de faire une visite de chantier le 27 août 2018, l’équipe étant composée de M. [A], chef d’équipe, de M. [J], chauffeur de camion, ainsi que d’un terrassier intérimaire, M. [N].

Le 3 septembre, M. [K] a affecté M. [Y] en tant que responsable d’équipe le 5 septembre pour pallier l’absence de M. [A].

M. [D] confirme avoir été présent aux côtés de M. [A] le 4 septembre 2018 alors que celui-ci hésitait mais a modifié le tracé de la conduite de gaz existante : ‘dans un endroit où la complexité des réseaux existants aurait engendrée d’autres conséquences. Entre le plan d’exécution et la réalité du terrain, il peut y avoir des différences et des contraintes. Je tiens à vous rappeler qu’il n’est pas rare sur de nombreux chantiers de faire des modifications par rapport aux obstacles non identifiés sur le terrain. Lorsque les modifications sont apportées, un plan de récolement est réalisé pour en indiquer les changements’.

Il ressort ainsi des éléments dont dispose la cour que c’est le chef d’équipe en titre, M. [A], qui a modifié le tracé la veille, soit le 4 septembre et que si M. [D] était présent à ce moment là, ce n’est pas lui qui a fait cette modification, n’ayant pas été désigné pour intervenir sur le chantier avant la journée du 5 septembre.

Ce grief n’est pas établi.

2 – L’employeur reproche ensuite à M. [D] de ne pas être venu sur le site le 5 septembre 2018 alors qu’il savait que le chef d’équipe, M. [A], était absent et d’avoir fait le choix de désigner M. [Y] comme chef d’équipe pendant cette absence.

Il soutient que si M. [D] avait été associé à ce chantier, c’était pour jouer le rôle d’encadrant et veiller à ce que l’équipe ait toutes les consignes nécessaires pour réaliser le chantier.

Cette vérification était d’autant plus nécessaire que le jour même, il avait été mentionné que la société GrDF ne pourrait pas intervenir. Il lui appartenait donc de modifier les tâches de la journée.

La société s’appuie sur le compte rendu d’analyse de dommages sur ouvrage gaz pour soutenir que l’accident est dû à l’absence de réalisation des risques BYES et de formalisation des instructions.

M. [D] soutient qu’un responsable d’équipe avait été nommé en la personne de M. [Y] le 3 septembre 2018, par le chef d’équipe en titre sur le chantier.

Il ajoute que la mise hors gaz aurait dû être faite le matin même par GrDF qui n’a pas pu intervenir, ce qui est confirmé dans le compte rendu analyse dommage ouvrage gaz. M. [K], contacté suite à l’absence de mise hors gaz, n’a pas attesté dans le cadre de la présente procédure.

M. [D] soutient par ailleurs que la première personne à avoir été informée de l’absence d’intervention de GrDF pour la mise hors gaz, était M. [K], lequel a ensuite répercuté l’information à M. [D] en lui indiquant que les équipes continuaient la tranchée.

Ce n’est qu’après l’accrochage de la fuite de gaz que M. [K] l’a de nouveau appelé et que M. [D] s’est rendu sur place.

Il confirme être intervenu le 6 septembre à la demande de GrDF pour agrandir la fouille et réparer la conduite qui alimentait une maison, étant précisé que la conduite de gaz était contre la chambre France Télécom et une partie dans le béton.

Le déroulé des faits permet ainsi d’établir que si M. [D] avait été désigné chef d’équipe en l’absence de M. [A] le 5 septembre 2018, il n’a pas été contacté par les salariés sur le chantier, qui ont référé des difficultés directement auprès de M. [K], lequel a ensuite répercuté les informations auprès de M. [D].

La société ne produit aucun élément permettant d’établir que M. [D] se serait défaussé sur les salariés présents sur le site sans exercer son rôle de chef d’équipe alors qu’il était affecté sur un autre chantier et que M. [K] était toujours en lien avec l’équipe sur place.

Enfin, le rapport d’expertise de M. [C], mandaté par l’employeur, dans sa version provisoire du 11 septembre 2018, invoqué dans la lettre de licenciement, et dans la version définitive du 16 janvier 2019, liste les manquements de l’employeur :

– sur l’absence de sondage, la société soutient que celui-ci n’était pas obligatoire compte-tenu de la simplicité du chantier, ne s’agissant que de réaliser une tranchée en zone urbaine avec information par GrDF de la profondeur des réseaux dans le DICT,

– sur l’absence du sécuri-gaz et la mise hors-gaz des tronçons, la société prétend qu’elle n’était pas nécessaire puisque le plan d’exécution permettait de réaliser une tranchée à l’écart de tout réseau, décision qui relève de la décision du seul concessionnaire,

– sur l’absence de formation aux feux de fouilles, elle fait valoir qu’elle n’était pas adaptée au profil de M. [D] qui n’intervient jamais sur des sites dangereux. Elle relève que l’absence de formation du salarié sur les chantiers gaz n’a pas d’incidence sur la faute puisqu’il lui est reproché de ne pas avoir tenu son rôle de chef de chantier, lequel nécessite d’être présent et vérifier les consignes quand le planning est modifié.

Il ressort des pièces versées que le tracé ayant été dévié, la société aurait dû réaliser un sondage, comme cela ressort des consignes données par GrDF dans le bon d’exécution.

Le rapport met en avant l’absence de formation des salariés dont la charge pesait sur l’employeur et l’absence de sensibilisation de M. [D] à la prévention des dommages ouvrage en 2018, sa formation remontant à 2017 alors qu’il avait été affecté en qualité de chef de chantier par intérim le jour des faits.

Il n’est pas contesté que la procédure à conduire en cas d’accrochage gaz n’a pas été respectée mais qu’aucun chef d’équipe n’était sur place pour réagir à l’accident et chacun a minimisé les conséquences de l’absence de mise hors gaz par GrDF puis de l’accident ensuite.

La société ne démontre pas que sur la journée du 5 septembre 2018, M. [D] devait délaisser son chantier principal pour se rendre sur celui de M. [A], n’ayant en outre pas été sensibilisé à la prévention des dommages ouvrage et alors que le conducteur de travaux était resté en lien avec les salariés du chantier.

Ce grief n’est pas établi.

L’employeur étant défaillant à établir le manquement fautif du salarié, le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse.

Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

Sur les demandes financières

Le licenciement étant dénué de cause réelle et sérieuse, M. [D] est en droit de solliciter le paiement de l’indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés y afférents, l’indemnité de licenciement ainsi qu’une indemnité pour licenciement abusif.

M. [D] avait 36 ans et 7 mois d’ancienneté et était âgé de 56 ans au moment de la rupture de son contrat de travail.

Il avait un revenu mensuel moyen de 3.135 euros par mois après réintégration des heures supplémentaires retenues par la cour.

*

En application de l’article 10-1 de la convention collective applicable, il sera alloué à M. [D] la somme de 6.270 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre celle de 627 euros au titre des congés payés y afférents.

*

L’indemnité conventionnelle de licenciement telle que prévue à l’article 10-3 de la même convention sera fixée à la somme de 37.412 euros.

*

Pour voir écarter le barème d’indemnisation fixé par l’article L. 1235-3 du code du travail, M. [D] invoque sa non-conformité au droit européen et à la convention n°158 de l’OIT.

Il ajoute qu’il avait le souhait de monter dans la hiérarchie et qu’il ne pourra pas bénéficier de l’indemnité de fin de carrière mais ne justifie pas de sa situation professionnelle depuis le licenciement.

D’une part, les dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu’ils prennent des actes complémentaires d’application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

L’invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l’application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

D’autre part, les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi, étant observé que celles de l’article L. 1235-3-1 du même code prévoient que, dans des cas limitativement énumérés entraînant la nullité du licenciement, le barème ainsi institué n’est pas applicable.

Le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur est en outre assuré par l’application, d’office par le juge, des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail, aux termes desquelles le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.

Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’acticle 10 de la Convention n° 158 de l’OIT.

*

En vertu de l’article L. 1235-3, au regard de l’ancienneté du salarié et de l’effectif de l’entreprise, M. [D] peut prétendre à une indemnité comprise entre 3 et 20 mois de salaire brut.

Compte tenu par ailleurs des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge, de son ancienneté, il convient de fixer à 50.000 euros la somme de nature à assurer la réparation du préjudice subi par M. [D] à la suite de son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail, il sera en outre ordonné le remboursement par l’employeur à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées au salarié depuis son licenciement dans la limite de 6 mois d’indemnités.

Le jugement déféré sera confirmé sur les demandes relatives à l’indemnité compensatrice de préavis et l’indemnité de licenciement mais infirmé sur la demande relative à l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire

Au soutien de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 10.000 euros, M. [D] fait valoir que ‘la collectivité’ a mal vécu son licenciement et qu’il a été choqué par sa convocation à un entretien préalable, alors qu’il n’avait jamais eu la moindre remarque quant à la qualité de son travail.

Toutefois, il ne justifie ni de circonstances vexatoires de la rupture ni d’un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi, qui a été réparé par l’indemnisation allouée au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sa demande sera rejetée et le jugement confirmé de ce chef.

Sur la demande au titre de l’obligation de sécurité

L’employeur est tenu d’une obligation légale de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise et doit en assurer l’effectivité en vertu des dispositions de l’article L 4121-1 du code du travail.

Selon l’article L. 4121-1 du code du travail l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent:

1) des actions de prévention des risques professionnels,

2) des actions d’information et de formation,

3) la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

L’article L. 4121-2 du même code détermine les principes généraux de prévention sur le fondement desquels ces mesures doivent être mises en oeuvre.

Il en résulte que constitue une faute contractuelle engageant la responsabilité de l’employeur le fait d’exposer un salarié à un danger sans avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés, alors que l’employeur doit assurer l’effectivité de l’obligation de sécurité qui lui incombe en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise.

La prévention du risque d’explosion sur le lieu de travail est notamment encadrée par le code du travail dans ses articles R.4227-42 à R.4227-54.

Afin d’assurer la prévention des explosions et la protection contre celles-ci, l’employeur doit notamment respecter les obligations suivantes :

– prendre les mesures techniques et organisationnelles appropriées au type d’exploitation sur la base des principes généraux de prévention de façon à empêcher autant que possible la formation d’atmosphère explosive. Si la nature de l’activité ne permet pas d’empêcher celle-ci, les mesures prises par l’employeur doivent éviter leur inflammation ou, le cas échéant, atténuer les effets nuisibles d’une explosion pour la santé et la sécurité des travailleurs ;

– évaluer les risques créés ou susceptibles d’être créés par des atmosphères explosives ;

– identifier et signaler les emplacements où est susceptible de se former une atmosphère explosive ;

– établir et mettre à jour un document relatif à la protection contre les explosions, intégré au document unique d’évaluation des risques professionnels.

Pour voir condamner l’employeur à lui verser la somme de 10.000 euros, M. [D] soutient que l’employeur a commis plusieurs manquements en matière de sécurité sur le chantier et notamment :

– l’absence de sondage,

– l’absence de mise en place du sécuri-gaz,

– l’ordre de poursuivre le chantier alors que la société GrDF n’avait pas mis hors de gaz les tronçons,

– l’absence de visite ‘zéro dommages’,

– l’absence de plan de prévention,

– l’absence d’analyse des risques,

– des dossiers travaux non signés,

– l’absence de formation en feux de fouilles.

Il se base du rapport d’expertise de M. [C].

M. [D], ayant été absent sur le site le jour de l’accident, n’établit pas avoir été soumis aux mêmes risques que les salariés ayant travaillé sur place et ne démontre aucun préjudice subi.

Il convient donc de le débouter de sa demande au titre du manquement à l’obligation de sécurité.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur le travail dissimulé

En vertu des dispositions de l’article L. 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement soit à l’accomplissement de la formalité relative à la déclaration préalable à l’embauche, soit à la délivrance d’un bulletin de paie ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie, soit aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.

L’intention de dissimuler requise par l’article L. 8221-5 du code du travail n’est pas suffisamment établie,en ce que le règlement intérieur en excluait le paiement et qu’aucune réclamation n’a été présentée au cours de la relation contractuelle, en sorte que M. [D] doit être débouté de sa demande en paiement au titre de l’indemnité forfaitaire prévue par l’article L. 8223-1.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société Bouygues Energies & Services, partie perdante à l’instance, sera condamnée aux dépens ainsi qu’au paiement à M. [D] de la somme complémentaire de 3.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a débouté M. [D] de sa demande au titre des heures supplémentaires, dit que le licenciement de celui-ci reposait sur une cause réelle et sérieuse et fixé à 150 euros la somme due par la société Bouygues Energies & Services au titre des frais irrépétibles,

Statuant à nouveau des chefs du jugement infirmés,

Dit que le licenciement de M. [D] est dénué de cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Bouygues Energies & Services à verser à M. [D] les sommes de :

– 15.686 euros bruts au titre des heures supplémentaires réalisées d’octobre 2015 à octobre 2018,

– 1.586,60 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

– 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 3. 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés,

Ordonne le remboursement par la société Bouygues Energies & Services à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. [D] depuis son licenciement dans la limite de 6 mois d’indemnités,

Condamne la société Bouygues Energies & Services aux dépens.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x