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MHD/PR
ARRÊT N° 4
N° RG 21/03256
N° Portalis DBV5-V-B7F-GNBI
[R]
C/
S.A.S. EPHIGEA
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE POITIERS
Chambre sociale
ARRÊT DU 11 JANVIER 2024
Décision déférée à la Cour : Décision du 26 octobre 2021 rendu par le conseil de prud’hommes de POITIERS
APPELANTE :
Madame [E] [R]
Née le 21 février 1985 à [Localité 5] (16)
[Adresse 4]
[Localité 3]
Ayant pour avocat Me Pauline BRUGIER de la SARL BRUGIER AVOCAT, avocat au barreau de POITIERS
INTIMÉE:
S.A.S. EPHIGEA
N° SIRET : 475 483 319
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 10]
[Localité 2]
Ayant pour avocat Me Caroline DUQUESNE, substituée par Me Christophe LECLERCQ avocats au barreau de LILLE
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 25 octobre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente qui a présenté son rapport
Madame Ghislaine BALZANO, Conseillère
Monsieur Nicolas DUCHATEL, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIÈRE
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, que l’arrêt serait rendu le 14 décembre 2023. À cette date, le délibéré a été prorogé au 11 janvier 2024.
– Signé par Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente, et par Madame Patricia RIVIERE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Par deux contrats de travail à durée déterminée successifs des 6 mai et 5 octobre 2009, Madame [E] [R] a été recrutée par la SAS X.M.F, exploitant l’enseigne Xanaka, spécialisée dans le commerce du prêt à porter – textiles en qualité de vendeuse afin de travailler dans le magasin Xanaka, situé [Adresse 9] à [Localité 8].
A compter du 19 janvier 2010, la relation de travail s’est poursuivie en contrat à durée indéterminée qui en août 2010 a été transféré à la société Ephigéa qui avait racheté en août 2009 l’enseigne Xanaka et avait passé ses magasins sous l’enseigne Grain de Malice et Phildar.
Par avenant du 4 juin 2012 signé entre la société Phildar et Madame [R], prenant effet à compter du 1er juillet 2012, cette dernière a été promue responsable du magasin Grain de Malice du centre-ville de [Localité 8], statut agent de maîtrise, catégorie B.
En septembre 2014, Madame [O], recrutée en qualité de directrice régionale itinérante, est devenue la supérieure hiérarchique directe de Madame [R].
Compte-tenu du contexte économique et des résultats défavorables du magasin de [Localité 8] centre-ville, la société a envisagé la fermeture de ce dernier.
En décembre 2014, un expert immobilier a procédé à des mesures au sein du magasin aux fins de renégocier le loyer.
Le 29 avril 2015, un agent immobilier a informé incidemment les salariés de la fermeture de la boutique le 10 juillet 2015.
Le 5 mai 2015, Madame [O] a rencontré les salariés sur site pour leur expliquer la décision de fermeture du magasin.
En mai 2015, la société a consulté les représentants du personnel.
Par courrier recommandé en date du 11 juin 2015, elle a proposé un reclassement au sein de l’UES à Madame [R] qui, par courrier en date du 24 juin 2015, l’a refusé.
Par courrier recommandé du 6 juillet 2015, elle lui a présenté de nouvelles propositions de reclassement en lui laissant un délai de réflexion jusqu’à la fin du mois de juillet 2015.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 9 juillet 2015, la société a répondu au médecin du travail ‘ qui par lettre du 6 juillet précédent l’avait alertée sur la situation de Madame [R] ‘ que chacune des étapes à franchir dans le cadre de la fermeture du magasin faisait l’objet d’un accompagnement et d’un encadrement de proximité assuré par Madame [O] et qu’elle-même en qualité d’employeur mettait tout en ‘uvre pour maintenir les salariées dans l’emploi en proposant de nombreux postes de reclassement, situés notamment à [Localité 8] même, juste à côté de leur lieu de travail actuel.
Début juillet 2015, à l’occasion du déménagement du magasin, Madame [O] a découvert que Madame [R] avait installé dans la remise un dictaphone qui enregistrait l’intégralité de ses conversations privées et professionnelles.
Par requête du 9 juillet 2015, Madame [R] a saisi le conseil de prud’hommes de Poitiers d’une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail pour harcèlement moral.
Le 16 novembre 2015, elle a fait l’objet d’un avis d’inaptitude.
Le 17 juin 2019, la plainte qu’elle avait déposée le 1er juin 2016, pour harcèlement moral a été classée sans suite par le parquet de Lille.
Par jugement du 26 octobre 2021, le conseil de prud’hommes de Poitiers a :
– écarté des débats les attestations de Mesdames [S] et [T],
– écarté des débats les retranscriptions des enregistrements clandestins,
– écarté des débats le certificat anti-daté du 20 juin 2015 du Docteur [U],
– débouté Madame [R] de sa demande de 5 000 € à titre de dommages intérêts pour violation de la bonne foi contractuelle et de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail la liant à la SAS Ephigea,
– dit et jugé que le licenciement de Madame [R] n’est pas nul,
– dit et jugé que le licenciement de Madame [R] pour inaptitude et impossibilité de reclassement est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
– débouté Madame [R] de l’ensemble de ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail,
– débouté Madame [R] de sa demande de dommages intérêts au titre du harcèlement moral et de la souffrance endurée avant la rupture conventionnelle,
– débouté Madame [R] de sa demande d’exécution provisoire,
– débouté la SAS Ephigea de sa demande de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté Madame [R] de sa demande de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit que Madame [R] supportera la charge des éventuels dépens.
Par déclaration électronique en date du 18 novembre 2021, Madame [R] a interjeté appel de cette décision.
***
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 27 septembre 2023.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par conclusions du 16 juin 2023 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, Madame [R] demande à la cour de :
– infirmer le jugement attaqué,
– dire et juger que les enregistrements sonores de Madame [O] à son insu était le seul moyen pour elle de prouver les propos constitutifs de harcèlement,
– dire et juger que ces enregistrements comme leur transcription sont recevables,
– dire et juger qu’elle a subi du harcèlement moral sur son lieu de travail,
– dire que la SAS Ephigea a manqué à son obligation en matière de sécurité,
– condamner la SAS Ephigea à lui verser la somme de 5 000 € à titre de dommages intérêts pour violation de la bonne foi contractuelle,
– à titre principal, dire et juger fondée sa demande de résiliation judiciaire,
– dire et juger que compte tenu du harcèlement subi, la rupture contractuelle doit produire les effets d’un licenciement nul,
– à titre subisidiaire, compte tenu de l’absence de respect de l’obligation de protection par l’employeur, dire et juger que la rupture contractuelle doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– à titre subsidiaire, dire et juger que son licenciement pour inaptitude a pour cause le harcèlement moral subi, donc la faute de la société Ephigea,
– prononcer la nullité du licenciement pour inaptitude,
– à titre infiniment subsidiaire, dire et juger que le licenciement pour inaptitude a pour cause le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité,
– dire et juger qu’il produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– en tout état de cause,
– condamner la société Ephigea à lui verser :
° 3 623,46 € bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 362,35 € à titre d’indemnité compensatricee de congés payés afférente,
° 20 000 € nets au titre du préjudice moral et/ou à la souffrance endurée avant la rupture contractuelle,
° 40 000 € nets à titre de dommages intérêts pour le préjudice attaché à la perte d’emploi,
– condamner la SAS Ephigea à lui payer la somme de 3 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance et aux fraix d’exécution de la décision à venir.
Par conclusions du 10 mai 2022 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, la SAS Ephigea demande à la cour de :
– confirmer le jugement attaqué en son intégralité sauf en ce qu’il l’a débouté de sa demande de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– réparer l’omission du conseil de prud’hommes et statuer sur la demande de la société de dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
– déclarer que les enregistrements sonores et les retranscriptions produites par Madame [R] portent une atteinte disproportionnée à la vie privée et les déclarer irrecevables,
– en conséquence, les écarter des débats,
– en tout état de cause, écarter des débats les retranscriptions des enregistrements, les attestations de Mesdames [S] et [T] ainsi que les certificats des 20 juin et 10 octobre 2015 du Docteur [U],
– à titre principal,
– rejeter la demande de résiliation judiciaire,
– déclarer que le licenciement de Madame [R] n’est pas nul,
– déclarer que le licenciement de Madame [R] pour inaptitude et impossibilité de reclassement est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
– en conséquence, débouter Madame [R] de l’ensemble de ses demandes relatives à la rupture du contrat de travail,
* à titre subsidiaire, limiter les dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au strict minimum du barème,
– débouter Madame [R] de sa demande de dommages intérêts au titre du harcèlement moral et/ou de la souffrance endurée avant la rupture conventionnelle, de sa demande de dommages intérêts au titre d’une violation de la bonne foi contractuelle, de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner Madame [R] au paiement de la somme de 10 000 € à titre de dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
– condamner Madame [R] aux dépens d’instance et à lui payer une indemnité de 4 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
SUR QUOI,
I – SUR LA RECEVABILITÉ DES PIÈCES PRODUITES PAR LA SALARIÉE :
A – Sur la recevabilité des attestations de Mesdames [T] et [S] :
Madame [R] verse pour étayer ses allégations en pièces :
– 54 et 54-1 : l’attestation et le courrier que Madame [T] a adressé le 1er octobre 2015 à son employeur après avoir démissionné aux termes desquels celle-ci a écrit :
* dans la première : ‘En 2015, j’ai quitté GDM…Une des raisons principales a été le comportement de ma supérieure hiérarchique, Mme [O] [H]. En 15 ans de management dans ce métier, j’avais conscience de la pression des chiffres et des objectifs demandés. Ce qui n’a jamais justifié à mon sens, les remarques déplacées de Mme [O] sur ma rémunération, trop élevée par rapport à ma valeur (m’a t’elle dit en aparté), mon manque d’ambition (toujours responsable à mon âge), sans oublier les commentaires sur mon physique, mon poids, ma taille, ma tenue vestimentaire et celle de mon équipe qu’elle qualifiait de «’PLOUC’». Toutes ces remarques ont toujours été faites à l’écart de mes collègues et de façon répétée lors de ces visites.En quittant GDM, j’avais perdu toute confiance en moi et il m’a fallu plusieurs années pour me reconstruire. Pour finir, j’ai fait part par courrier à Mr [L] des raisons plus profondes de mon départ. Ce dernier m’a alors répondu que mes dires ne correspondaient pas aux remontées de Madame [O]’
* dans le second : ‘… comme Mme [O] vous l’a précisé lors de mon départ, je quitte la société pour une nouvelle orientation professionnelle. Je tenais quand même à vous apporter des précisions qui ont motivé mon départ.
… malgré la pression et les objectifs imposés, j’étais toujours motivée et épanouie dans mon travail jusqu’en septembre 2014 où tout a changé. Après plusieurs mois sans responsable régionale, nous rencontrons une nouvelle ADR lors d’une réunion qui restera pour moi mémorable. Ses interventions ne sont que critiques sur l’enseigne, son image, les méthodes passées … s’en suivent des réunions où les mots ‘ ménage’, ‘virer’, ‘dégager’, ‘expédier’… sont monnaie courante envers le personnel des magasins que Mme [O] considère comme gênants. On a pu apprécier les résultats très rapidement sur plusieurs magasins ([Localité 6], [Localité 8] CV, [Localité 7]…). Etait-ce le nouveau management préconisé ou bien un excès de zèle de Madame [O] ‘ Pour moi la réponse est claire… Madame [O] m’a gentiment fait remarquer mon manque d’ambition, ayant plus de deux ans et demi d’ancienneté à mon poste, mon manque de charisme et que je n’avais rien à faire sur un aussi beau magasin, mon incapacité à recruter correctement le personnel et j’en passe… Bien sûr, tout ceci, uniquement formulé à l’oral comme toutes ses humiliations… La communication n’était pas vraiment son fort non plus… Bref, en huit mois, Madame [O] a réussi à discréditer la société et ses responsables aux yeux d’une grande partie des responsables de la région, à démotiver, à humilier, à rabaisser ces dernières dont moi. Si telle était sa mission, la voilà réussie…’
– 56 : l’attestation de Madame [S] qui indique : ‘L’arrivée de [H] [O] en septembre 2014, en tant de Directrice Régionale à Grain de Malice a été l’élément déclencheur d’une spirale descendante… A l’issue de notre première réunion, j’ai eu un accident de voiture sur le chemin du retour… j’ai fini par lui laisser un message pour l’en informer. Le lendemain j’ai eu un message téléphonique de sa part, non pas pour prendre de mes nouvelles mais pour me faire des reproches. ‘ton accident coûte cher à l’entreprise’ ne dit-elle lors de sa visite en magasin. Je suis sous le choc de ses propos… J’encaisse. Suite à des travaux de rénovation du magasin… ma présence sur les lieux est requise à des horaires…’hors planning’afin de leur donner accès au magasin et de contrôler les travaux (de 6h du matin jusqu’à minuit certains jours) je décide de m’entretenir avec [H] [O] pour lui signifier mon ressenti et une fatigue grandissante. Elle me dire alors : il faut du retour sur investissement, c’est normal tu es mal organisée, prends exemple sur d’autres magasins, Finalement, avec toi, ce sera plus facile que je ne le pensais… 2ème choc pour moi : non seulement je n’ai pas eu l’écoute, l’accompagnement attendu de mon manager, mais j’étais à mille lieues de penser lui fournir l’occasion de me nuire…’Je l’ai vu établir une liste de magasin et de dire avec auto-satisfaction’: ‘alors, elle, c’est fait’ elle, c’est en cours’ toi aussi’ les prochaines ok’ tu ne corresponds plus au moule… On peut peut être te proposer une rupture conventionnelle… Donne ta démission’. Je réfute SES choix = pressions .. Dès lors, hebdomadairement puis 2 à 3 fois par semaine au téléphone ‘tu as réfléchi ‘ Tu as pris une décision. Il faut faire un choix maintenant ! C’est trop long! Ta décision !’ = une oppression grandit en moi … Après une de ses visites… une cliente est venue à moi me demander qui était la personne qui venait de quitter le magasin ([H] [O]) et de me dire qu’il était inadmissible la façon dont elle m’avait traité, parlé… entretien de retour d’arrêt maladie : ta présence ne nous est pas indispensable ! L’équipe s’est très bien débrouillée sans toi’. Je lui réponds : merci pour ce compliment…; ‘Lettre d’avertissement… j’accepte son offre de rupture conventionnelle / ‘Ah non! Ça c’était pour la forme… tu seras licenciée pour faute… Attends toi à un second avertissement… ‘un mal-être profond s’installe en moi… Je suis nulle. Je vaux rien..le 12/01/2016 : entretien préalable de licenciement : ‘tu es bête de te déclarer inapte au poste’…
Il en résulte contrairement à ce que soutient l’employeur que ces témoignages qui sont réguliers en la forme dans la mesure où la preuve est libre en droit du travail n’ont pas à être écartés des débats.
En effet, le seul fait qu’ils n’évoquent pas la situation personnelle de Madame [R] mais la situation de leur auteur ne constitue pas en soi un motif d’irrégularité permettant de les écarter dès lors qu’ils se bornent à relater des faits dont les rédacteurs étaient témoins et même acteurs.
En conséquence, le jugement qui a déclaré ces pièces irrecevables doit être infirmé de ce chef.
B – Sur la recevabilité des enregistrements audio réalisés par Madame [R] :
Les preuves obtenues par un procédé technologique de surveillance ne sont valables que si le dispositif est proportionné au but poursuivi.
Avant de rejeter des débats une preuve obtenue déloyalement, le juge doit apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié faisant l’objet de la surveillance et le droit à la preuve lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle dudit salarié ou de l’employeur à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
En l’espèce, il convient de rappeler que Madame [R] a installé dans la remise du magasin à l’insu de Madame [O], sa supérieure hiérarchique, un dictaphone qu’elle déclenchait chaque fois que celle-ci venait inspecter le magasin et qu’elle a enregistré de ce fait, sur plusieurs mois et pendant des journées entières non seulement les conversations professionnelles qu’elle pouvait avoir avec Madame [O] mais plus largement toutes les conversations – personnelles ou professionnelles – que cette dernière pouvait avoir avec des tiers, des proches ou avec d’autres salariés du groupe.
Si l’obtention de ces enregistrements pouvait présenter un intérêt légitime pour Madame [R] constitué par la nécessité de recueillir des éléments de preuve étayant le bien-fondé de ses allégations dans un contexte professionnel tendu pré-existant à la mise en place de l’appareil enregistreur, il n’en demeure pas moins que cette obtention à l’insu de Madame [O] constitue une atteinte excessive et disproportionnée aux droits et aux libertés individuelles de cette dernière qui ne peut trouver de justification même dans le droit à la preuve de Madame [R].
En effet, le simple fait qu’elle ait été seule dans le magasin avec une autre collègue qui avait elle-même un différend avec son employeur et qui aurait pu être de ce fait, soupçonnée de partialité dans le témoignage qu’elle serait susceptible de lui apporter ne peut pas justifier l’enregistement en continu de l’intégralité des conversations privées et personnelles de Madame [O] durant tous ses temps de présence dans le magasin.
En conséquence, en l’absence d’enregistrements limités exclusivement aux seules conversations utiles pour faire valoir ses prétentions et qui se résumaient nécessairement aux seuls échanges qu’elle pouvait avoir avec Madame [O], il en résulte que le procédé choisi par Madame [R] était disproportionné par rapport au but qu’elle poursuivait qui était de se constituer des preuves du bien-fondé de ses allégations.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement attaqué en ce qu’il a déclaré irrecevables les retranscriptions des enregistrements clandestins et d’y ajouter que les enregistrements eux-mêmes sont irrecevables.
C – Sur la recevabilité du certificat médical du docteur [U] du 20 juin 2015 :
La société Euphigéa prétend que le certificat rédigé par le Docteur [Y] [U], psychiatre qui a indiqué : ‘état anxio dépressif qui serait en lien avec un conflit professionnel (hypothèse : harcèlement stratégie)’ a été antidaté par le praticien au 20 juin 2015 dans la mesure où il a écrit un peu plus loin qu’il suivait la salariée depuis le 9 septembre 2015.
Cependant, cette erreur de date ne constitue qu’une erreur de plume car la lecture attentive du certificat litigieux établit qu’en réalité la praticienne voulait écrire qu’elle suivait Madame [R] depuis le ‘9 septembre 2014′ puisqu’elle décrit son état de santé depuis 2014.
En conséquence, le certificat médical litigieux est déclaré recevable et le jugement attaqué qui l’a déclaré irrecevable doit être infirmé de ce chef.
II – SUR L’EXÉCUTION DU CONTRAT DE TRAVAIL :
A – Sur le harcèlement moral :
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
Il résulte de cet article que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l’intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel.
Ainsi, le harcèlement moral est caractérisé par la constatation de ses conséquences telles que légalement définies, peu important l’intention (malveillante ou non) de son auteur.
Le régime probatoire du harcèlement moral est posé par l’article L. 1154-1 du code du travail qui prévoit que dès lors que le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il en résulte que le salarié n’est tenu que d’apporter au juge des éléments permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral et qu’il ne supporte pas la charge de la preuve de celui-ci.
De ce fait, le juge doit :
– en premier lieu examiner la matérialité des faits allégués par le salarié en prenant en compte tous les éléments invoqués y compris les certificats médicaux,
– puis qualifier juridiquement ces éléments en faits susceptibles, dans leur ensemble, de faire présumer un harcèlement moral,
– enfin examiner les éléments de preuve produits par l’employeur pour déterminer si ses agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et si ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il est constant que peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de management par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
***
En l’espèce, à l’appui de la demande de reconnaissance du harcèlement moral dont elle aurait fait l’objet de la part de son employeur, Madame [R] expose avoir subi :
1 – des pressions quotidiennes :
¿ exercées par la responsable régionale, qui lui a indiqué, dès les premières rencontres, ‘avoir des atomes crochus avec certaines responsables de magasins, pas avec elle et qu’elle ne lui faisait pas confiance’ et qui a eu un jugement négatif sur elle en la désignant comme une personne ‘fermée, négative, qui ne supportait pas le changement et ne s’adaptait pas’
¿ caractérisées par une pression quotidienne sur les chiffres matérialisée par des courriels et des appels téléphoniques d’une fréquence excessive sous forme de reproches sur le chiffre d’affaires non réalisé et de reproches récurrents sur son équipement qu’elle jugeait incompétente.
2- des résultats du magasin faussés sur la période du 1er janvier 2014 au 4 février 2015 :
¿ en raison du dérèglement du compteur comptabilisant les entrées et sorties des clientes du magasin qui ne transmettait pas au siège de la société la fréquentation réelle du magasin mais des chiffres plus élevés alors que Madame [O] – qui connaissait cette difficulté – n’a rien fait pour la résoudre et s’en est servie pour lui reprocher des résultats insuffisants au regard d’un taux de fréquentation erroné,
¿ ayant eu comme conséquence pour elle le non règlement de primes et la nécessité d’aviser par courriel le 4 février 2015 le siège de la société afin que le compteur soit corrigé le 5 mai 2015, deux mois plus tard, et affiche enfin des résultats exacts.
3 – des propos vexatoires, un dénigrement et des menaces récurrents de la part de Madame [O] qui prenait soin de lui tenir ces propos en l’absence de témoin et qui l’ont conduits, à enregistrer son entretien annuel d’évaluation le 12 février 2015.
4 – la volonté d’éviction des salariées à la suite de la fermeture du magasin caractérisée par les pressions exercées par l’employeur pour lui signer une rupture conventionnelle,
Elle expose que des faits similaires se sont produits dans d’autres magasins du groupe, que les gendarmes ont baclé l’enquête pénale qui s’est achevée par un classement sans suite.
Elle termine en indiquant que tous ces évènements ont eu des répercussions sur son état de santé, qu’ainsi, elle a été placée en arrêt de travail à compter du 30 juillet 2015 pour un syndrome anxiodépressif caractérisé par des angoisses, des insomnies, une perte d’appétit, une irritabilité, un enfermement sur elle-même et des pleurs et qu’elle a fait l’objet – courant novembre 2015 – d’un avis d’inaptitude à son poste de travail pour lequel le médecin du travail a expressément précisé, sur sollicitation de l’employeur, qu’aucun reclassement n’était envisageable au sein de l’entreprise en raison d’un danger immédiat.
A l’appui de ses allégations, elle produit aux débats :
– en pièce 51 : des échanges de courriels entre elle et Madame [O] dont le contenu était le suivant : 10 janvier 2015 à 10h07 : ‘ je veux que tu fasses un plan d’action (‘) les actions doivent être concrètes, je veux un retour pour lundi dans la matinée ;
‘ lundi 12 janvier à 11h42 : ‘ta présence sur le lundi matin doit être et va devenir de plus en plus occasionnelle’
‘ jeudi 15 janvier à 8h41 : ‘Étant donné les résultats de ton magasin hier, Peux -tu me dire où tu en es sur le suivi de ton plan d’action de la semaine ‘Peux-tu me donner des explications sur tes résultats d’hier”’
– en pièce 52 et 53 : les instructions données par Madame [O] par courriels
– en pièce 48 : les échanges de courriels relatifs aux erreurs générées par le dysfonctionnement du compteur des entrées,
– en pièces 5 et 6 : les courriers qu’elle a adressés à son employeur pour lui demander les raisons pour lesquelles le magasin du centre ville fermait,
– en pièce 8 : le courrier que lui a adressé son employeur le 23 juin 2012 pour expliquer les raisons de la fermeture du magasin du centre ville
– en pièces 54 et 54-1 et 56 : correspondant aux attestations de Mesdames [T] et [S] dont l’essentiel des contenus a été repris ci-dessus.
– en pièce 15, 18 : les certificats des docteurs [F] et [U] qui précisent respectivement :
‘Je l’avais vue le 02/07/2015 lors d’une visite à sa demande alors que le magasin où elle travaillait allait fermer et m’avait informée de difficultés à son travail.
Elle décrivait alors des angoisses, des troubles du sommeil, des ruminations, des troubles de l’appétit et je lui avais fait un questionnaire HAD en faveur d’un syndrome anxieux.
Elle m’avait dit prendre du Témesta 10 à la demande. Je lui avais alors conseillé de faire un suivi spécialisé. Depuis, elle est en arrêt. Elle m’a rappelée il y a quelques jours et m’a informée qu’elle vous voyait le 20 octobre.
Elle se sent incapable de reprendre le travail dans cette entreprise’
– ‘Mme [R] présente depuis les années 2014 un état anxiodépressif qui serait en lien avec un conflit professionnel (hypothèse : harcèlement stratégique).’
– en pièces 66 à 69, 72 : la retranscription qu’elle a effectuée elle-même des enregistrements qu’elle avait réalisés à l’insu de Madame [O] de son entretien d’évaluation du 12 février 2015, de sa conversation du 10 mars 2015 relatif au problème du compteur, de son entretien téléphonique du 4 mai 2015 suivant l’annonce de la fermeture du magasin.
Cela étant, si la matérialité du fait n° 2 présenté par la salariée comme étant constitué par le dysfonctionnement du compteur du magasin répertoriant la fréquentation de la boutique est établie par les échanges de courriels intervenus entre Madame [O] et la salariée, il n’en demeure pas moins que la matérialité des autres faits dénoncés et présentés par Madame [R] comme laissant présumer l’existence d’un harcèlement moral n’est pas établi.
En effet :
– le fait n° 1 : présenté par la salariée comme étant constitué par la pression exercée par Madame [O] sur elle au titre des résultats du magasin et des chiffres d’affaires journaliers ne peut pas résulter des deux seuls mels qu’elle verse au débat par lesquels Madame [O] lui demande des explications sur les chiffres dans la mesure où le ton utilisé, est certes directif mais reste courtois et où ces demandes s’inscrivent dans les démarches de contrôle usuels de la part d’un supérieur hiérarchique sur le travail d’un subordonné,
– le fait n° 3 : présenté par la salarié comme étant constitué par les propos vexatoires, le dénigrement et les menaces récurrents de Madame [O] ne peut être établi ni par les enregistrements qu’elle a réalisés à l’insu de celle-ci qui ont été déclarés irrecevables ni par les attestations établies par Mesdames [T] et [S] dans la mesure où si la mise en perspective de ces deux témoignages établissent le comportement et les propos professionnels peu empathiques que pouvait avoir Madame [O] avec certains salariés, il n’en demeure pas moins que les témoins se bornent à relater leur vécu professionnel avec leur supérieure hiérarchique et ne visent pas l’attitude que celle-ci pouvait avoir à l’égard de l’appelante.
– le fait n° 4 : présenté par la salariée comme constitué par la pression de l’employeur pour lui faire accepter la conclusion d’une rupture conventionnelle n’est pas établie dans la mesure où il lui a présenté plusieurs offres de reclassement.
Il en résulte que le seul fait n° 2 ne peut à lui seul établir l’existence de la présomption du harcèlement moral dont Madame [R] prétend avoir été victime en dépit de sa dégradation de l’état de santé, attestée par les pièces médicales qu’elle verse.
En conséquence, il convient de débouter Madame [R] de l’intégralité de ses demandes formées de ce chef et de confirmer le jugement attaqué.
B – Sur l’obligation de sécurité :
L’employeur est tenu d’une obligation générale de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des salariés dans l’entreprise. Il doit prendre les mesures nécessaires pour en assurer l’effectivité.
De ce fait, l’article L. 4121-1 lui fait obligation de mettre en place :
– des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail,
– des actions d’information et de formation,
– une organisation et des moyens adaptés,
et de veiller à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
Toutefois, l’employeur ne commet pas de manquement à son obligation lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs s’il justifie avoir :
– pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121’1 et L. 4121’2 du code du travail ;
– adopté des mesures immédiates propres à faire cesser le trouble subi par le salarié.
***
En l’espèce, Madame [R] soutient que son employeur a commis une faute grave à son égard, a fait preuve de déloyauté et a manqué à son obligation de sécurité son égard dans la mesure :
– où elle a subi’une pression sur le chiffre d’affaires du magasin, alors que le ‘compteur de passage des clients’ dysfonctionnait, que son employeur en était parfaitement informé, qu’il a mis des mois à réparer l’appareil et que de ce fait, elle a souffert maints reproches infondés compte-tenu du décalage entre la fréquentation affichée du magasin et le chiffre d’affaires réalisé.
– où elle a subi une pression de sa hiérarchie pour demander une rupture conventionnelle en raison de la fermeture programmée du magasin qu’elle a appris par un agent immobilier,
– où elle a souffert des actes commis par sa supérieure hiérarchique et où aucune de ses alertes n’a été entendue par son employeur qui n’a mis en place aucune mesure susceptible de restaurer ses conditions de travail et s’est contenté de soutenir Madame [O], sans la moindre enquête entrainant la dégradation de son état de santé.
En réponse, la société objecte pour l’essentiel :
– qu’elle n’a commis aucun manquement à l’égard de la salariée,
– qu’aucun lien ne peut être établi par celle-ci entre la dégradation de son état de santé et ses conditions de travail.
***
Cela étant :
1) – il n’est pas contesté que :
– que le décalage entre le compteur calculant les entrées et sorties des clientes dans le magasin et la réalité de la fréquentation du magasin existait déjà avant l’arrivée de Madame [O] dans la société,
– que Madame [R] qui jusque-là rectifiait chaque mois les données chiffrées auprès du siège de la société ne s’en est véritablement ‘alarmée’ qu’à compter de février 2015 et n’a signalé le problème à Madame [O] qu’en mars 2015,
– que huit jours après en avoir été informé officiellement, l’employeur a fait intervenir un technicien qui a réglé définitivement le problème au cours du mois d’avril suivant.
Il en résulte donc qu’aucun manquement ne peut être reproché de ce chef à l’employeur qui a réagi rapidement lorsqu’il a été averti officiellement du problème et a, alors, tout mis en oeuvre pour le régler.
2) – Madame [R] ne produit aucun élément – comme il a été dit précédemment – permettant d’établir qu’elle a subi des pressions pour accepter une rupture conventionnelle,
Il en résulte donc qu’aucun manquement ne peut être reproché de ce chef à l’employeur.
3) – En revanche, il n’est pas contesté que l’employeur n’a jamais déclenché d’enquête interne pour s’assurer de la réalité de la situation professionnelle de la salariée alors :
– que d’une part les plaintes récurentes de celle-ci étaient confirmées par celles de Madame [C], sa collègue immédiate dans le magasin, qui dénonçait également le comportement fait de vexations et d’humiliations que Madame [O] avait à son égard,
– que d’autre part, il avait reçu le 6 juillet 2015 un courrier du médecin du travail aux termes duquel celui-ci non seulement l’alertait sur la situation de Madame [R] qui avait sollicité un rendez-vous auprès de lui mais également lui demandait de prendre les mesures nécessaires afin de la protéger,
– qu’ enfin, il avait reçu le 1er octobre 2015 le courrier de Madame [T] qui l’informait des motivations réelles de sa démission, à savoir le comportement de Madame [O] à son égard.
Contrairement à ce qu’il soutient, le simple fait d’avoir répondu systématiquement aux courriers que Madame [R] lui avait envoyés pour se plaindre de ses conditions de travail et du management de Madame [O] est insuffisant pour lui permettre se dédouaner de tout manquement à l’obligation de sécurité pesant sur lui alors qu’il n’a jamais pris au sérieux les plaintes de Madame [R], n’a jamais vérifié leur exactitude, a répondu de façon très générale au médecin du travail en lui expliquant le processus global mis en place dans la société sans répondre à ses interrogations précises relatives à la situation particulière de Madame [R] et s’en est remis exclusivement aux seuls dires de Madame [O].
Les nombreuses attestations des subordonnées de Madame [O] – qu’il produit dans le cadre de la présente procédure – qui louent les qualités managériales de cette dernière sont totalement insuffisantes pour pallier ce manque dès lors que le fait que Madame [O] ait un comportement professionnel correct à l’égard de certaines salariées ne signifie pas nécessairement qu’il en allait de même à l’égard d’autres qui ne satisfaisaient pas ses attentes.
Cette négligence à répondre ‘utilement’ à l’appelante et à prendre la mesure du problème qu’elle soulevait en faisant diligenter une enquête interne en présence de suspicions de harcèlement moral, constitue un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
Le préjudice en résultant pour Madame [R] s’est traduit par une dégradation concomittante de son état de santé, telle que décrite par les pièces médicales sus-énoncées qui ne peuvent pas être sérieusement contestées dès lors que les praticiens qui les ont rédigées n’ont fait que décrire l’état de Madame [R], reprendre ses propos et utiliser le conditionnel pour émettre des hypothèses sur l’origine de la souffrance exprimée par leur patiente.
En conséquence, le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et le préjudice en résultant pour la salariée étant établis, il convient de condamner la société à verser à cette dernière une somme de 5 000 € à titre de dommages intérêts.
Le jugement doit être infirmé de ce chef en ce qu’il a débouté la salarié de toute demande formée à ce titre.
C – Sur l’exécution déloyale par l’employeur du contrat de travail :
Selon l’article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi par les parties.
***
En l’espèce, Madame [R] soutient en substance que la SAS Ephigea :
¿ a notamment’ refusé pendant 11 mois non seulement de réparer le compteur de chiffrage des entrées et sorties des clients, ne craignant pas cependant d’utiliser des chiffres erronés pour lui faire des reproches sur les résultats du magasin’mais également de l’accompagner en dépit des difficultés conjoncturelles du magasin’;
¿ a exercé une pression pour qu’elle parte’;
¿ lui a caché le devenir du magasin’ ‘etc…’ (sic)
et sollicite de ce fait une somme de 5 000 € à titre de dommages intérêts.
Cependant, même si les faits qu’elle reproche à son employeur ne sont pas établis comme il a été dit précédemment, à l’exception de la dissimulation de la fermeture prochaine du magasin qu’elle n’a découverte que fortuitement, il n’en demeure pas moins que Madame [R] doit être déboutée de sa demande de dommages intérêts en réparation de déloyauté dans la mesure où elle n’établit pas le préjudice distinct ‘ de celui déjà indemnisé par les dommages intérêts qui lui ont été accordés au titre du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ‘ qui en est résulté pour elle.
En conséquence, le jugement attaqué de ce chef doit être confirmé.
II – SUR LA RUPTURE DU CONTRAT DE CONTRAT DE TRAVAIL :
Par application de l’article 1184 ancien du code civil devenu l’article 1227, le salarié peut solliciter la résiliation judiciaire du contrat de travail en cas d’inexécution par l’employeur des obligations en découlant.
Les manquements de l’employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être établis par le salarié et d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
L’appréciation de la gravité du manquement relève du pouvoir souverain des juges du fond.
Lorsque les manquements sont établis et d’une gravité suffisante, la résiliation judiciaire est prononcée aux torts de l’employeur et produit soit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse soit les effets d’un licenciement nul si elle est fondée sur des faits de harcèlement moral.
Par ailleurs lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour inaptitude au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée.
A – Sur les manquements de l’employeur :
Il appartient au salarié d’établir non seulement la réalité des manquements reprochés à l’employeur mais également leur caractère suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
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En l’espèce, au soutien de sa demande de résiliation judiciaire, Madame [R] invoque :
– à titre principal, le harcèlement moral dont elle se prétend victime,
– à titre subsidiaire, les manquements de son employeur à son obligation de sécurité.
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Cela étant, la salariée a été déboutée de l’intégralité de ses demandes relatives au harcèlement moral dont elle dit avoir été victime.
Elle doit donc être déboutée de sa demande de résiliation de son contrat de travail formée de ce chef.
En revanche, il vient d’être jugé que l’employeur avait failli à son égard à l’obligation de sécurité qui lui incombait.
Ce manquement est suffisamment grave pour justifier la résiliation du contrat de travail de la salariée dans la mesure où en dépit des alertes de la salariée, du médecin du travail et d’une salariée démissionnaire, il n’a rien voulu entendre du mal-être profond de Madame [R] et s’est borné à en rejeter la responsabilité sur elle sans procéder aux vérifications usuelles en la matière, laissant ainsi s’installer chez elle une dégradation profonde de son état de santé.
Il convient donc de prononcer la résiliation du contrat de travail aux torts de l’employeur et de dire que celle-ci produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse à compter de la date d’envoi de la lettre de licenciement pour inaptitude, soit le 22 décembre 2015.
Le jugement attaqué doit donc être infirmé de ce chef.
B – Sur les conséquences de la résiliation judiciaire :
La résiliation judiciaire ouvre droit à toutes les indemnités de rupture : l’indemnité compensatrice de préavis, l’indemnité de licenciement, légale ou conventionnelle, des dommages intérêts pour licenciement nul.
Le calcul des indemnités de rupture doit être fait sur la base de la rémunération que le salarié aurait dû percevoir, et non sur celle de la rémunération qu’il a effectivement perçue du fait des manquements de l’employeur à ses obligations.
Comme en prononçant la résiliation judiciaire du contrat de travail, le juge ne se prononce pas sur le bien-fondé du licenciement notifié entre temps, les sommes versées au salarié consécutivement à ce licenciement lui restent acquises.
***
En l’espèce, l’employeur doit être condamné à verser à Madame [R] les sommes suivantes:
– 3623, 46 € bruts au titre de l’indemnité de préavis dans la mesure où lorsque l’inaptitude est prononcée au cours de la procédure visant à obtenir la résiliation judiciaire du contrat de travail, l’indemnité compensatrice de préavis est toujours due au salarié et où il importe peu que le salarié soit en arrêt maladie au moment où le conseil de prud’hommes prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail (Cass. soc., 28 avr. 2011, no 09-40.708 ; Cass. soc., 13 mai 2015, no 13-28.792).
– 362, 34 € bruts au titre des congés payés afférents,
– 15 000 € au titre des dommages intérêts venant en indemnisation d’une résiliation judiciaire produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, affectant une salariée présentant 6 ans et 7 mois d’ancienneté dans la société, âgée de 35 ans au moment de la rupture du contrat de travail, ayant subi des atteintes à sa santé et la détérioration de sa confiance en elle ; étant précisé que présentement dans le cadre d’une résiliation judiciaire produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse intervenant en 2015, seuls les articles L. 1235-3 et L. 1235-5 anciens du code du travail s’appliquent, à l’exclusion du barème Macron.
III – SUR LE MANQUEMENT À L’OBLIGATION DE LOYAUTÉ DE MADAME [R] :
En application de l’article 561 du code de procédure civile, tous les points du litige soumis au tribunal sont déférés à la connaissance de la cour d’appel à laquelle il revient de statuer à nouveau, notamment de réparer toute omission éventuelle de statuer.
Ainsi, l’omission de statuer doit être réparée par l’exercice d’une voie de recours produisant un effet suspensif.
En cas d’appel, il appartient à la cour d’appel, en raison de l’effet dévolutif, de statuer sur la demande en réparation d’une omission de statuer qui lui est faite (2e Civ., 29 mai 1979, Bull., II, n°163, n°77-15004 ; 2e Civ., 22 octobre 1997, Bull., II, n°250, pourvoi n°95-18923).
Il en résulte donc que la demande formée par la société tendant à la réparation de l’omission de statuer du conseil de prud’hommes du chef de la condamnation de Madame [R] au paiement de dommages intérêts aux fins de réparer le préjudice résultant de l’enregistrement volontaire des réunions et des conversations de Madame [O] est recevable.
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Au fond, en l’espèce, si effectivement Madame [R] a enregistré à l’aide d’un dictaphone l’intégralité des conversations de Madame [O] lorsque celle-ci venait au magasin, il n’en demeure pas moins que la société n’établit pas le préjudice qui en est résulté personnellement pour elle, employeur.
Elle doit donc être déboutée de sa demande formée à ce titre.
IV – SUR LES DÉPENS ET LES FRAIS DU PROCÈS :
La société Ephigea qui succombe doit supporter les dépens de première instance et d’appel.
Par ailleurs, la charge des frais d’exécution forcée est régie par les dispositions d’ordre public de l’article L. 111-8 du code de procédure civile d’exécution.
Il n’appartient pas au juge du fond de statuer par avance sur le sort de ces frais.
Dès lors, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de Madame [R] tendant à ce que le montant des sommes retenues par l’huissier de justice dans le cadre de l’éventuelle exécution forcée de la présente décision soit supporté directement et intégralement par le débiteur aux lieu et place du créancier, en sus de l’article 700 du code de procédure civile.
***
Il n’est pas inéquitable de condamner la société Ephigea à payer à Madame [R] une somme de 2 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile tout en la déboutant de sa propre demande formée sur le fondement des mêmes dispositions.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement prononcé par le conseil de prud’hommes de Poitiers le 26 octobre 2021 sauf en ce qu’il a :
– écarté des débats les retranscriptions des enregistrements clandestins,
– débouté Madame [R] de sa demande de la somme de 5 000 € à titre de dommages intérêts pour violation de la bonne foi contractuelle,
– dit et jugé que le licenciement de Madame [R] n’est pas nul,
– débouté Madame [R] de sa demande de dommages intérêts au titre du harcèlement moral et de la souffrance endurée avant la rupture du contrat de travail,
Confirmant ces derniers chefs,
Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
Déclare recevables les attestations de Mesdames [S] et [T] et le certificat du 20 juin 2015 établi par le Docteur [U],
Condamne la SAS Ephigea à payer à Madame [R] la somme de 5 000 € à titre de dommages intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail liant Madame [R] à la SAS Ephigea aux torts de l’employeur,
Dit que la résiliation judiciaire produira les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse à la date du 22 décembre 2015,
Condamne la SAS Ephigea à payer à Madame [R] les sommes de :
– 3 623,46 € bruts au titre de l’indemnité de préavis,
– 362,34 € bruts au titre des congés payés afférents,
– 15 000 € au titre des dommages intérêts venant en indemnisation d’une résiliation judiciaire produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la SAS Ephigea aux dépens de première instance,
Y ajoutant,
Déclare irrecevables les enregistrements audio réalisés par Madame [R],
Déclare recevable la demande en réparation de l’omission de statuer commise par le conseil de prud’hommes,
Au fond, déboute la SAS Ephigea de sa demande de condamnation de Madame [R] à lui payer des dommages intérêts au titre d’un manquement à l’obligation de loyauté dans l’exécution du contrat de travail,
Condamne la SAS Ephigea aux dépens d’appel,
Dit que le sort des frais d’exécution forcée est fixé par les dispositions de l’article L. 111-8 du code de procédure civile d’exécution.
Condamne la SAS Ephigea à payer à Madame [R] la somme de 2 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute la SAS Ephigea de sa demande présentée en application de l’article 700 du code de procédure civile,
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,