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10 MAI 2022
Arrêt n°
CV/SB/NS
Dossier N° RG 19/02003 – N° Portalis DBVU-V-B7D-FJU7
Association ADAPEI
/
[E] [G] [L]
Arrêt rendu ce DIX MAI DEUX MILLE VINGT DEUX par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d’Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :
M. Christophe RUIN, Président
Mme Claude VICARD, Conseiller
Mme Frédérique DALLE, Conseiller
En présence de Mme Séverine BOUDRY greffier lors des débats et du prononcé
ENTRE :
Association ADAPEI
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Sandra MAGNAUDEIX de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
APPELANT
ET :
Mme [E] [G] [L]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Jean-louis BORIE de la SCP BORIE & ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIME
Après avoir entendu Mme VICARD, Conseiller en son rapport, les représentants des parties à l’audience publique du 28 Février 2022, la Cour a mis l’affaire en délibéré, Monsieur le Président ayant indiqué aux parties que l’arrêt serait prononcé le 03 mai 2022 par mise à disposition au greffe, date à laquelle les parties ont été informées que la date de ce prononcé était prorogée au 10 mai 2022 conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE:
L’Association Départementale d’Amis, de Parents et de Personnes Handicapées Mentales du Puy-de-Dôme, ci- après dénommée ADAPEI 63, est une association créée en 1959, dont la vocation est de défendre les intérêts des personnes handicapées et de leurs familles.
Employant plus de 300 salariés au sein de 67 établissements, elle fait application de la convention collective nationale de travail des Etablissements et Services pour Personnes Inadaptées et Handicapées du 15 mars 1966.
Mme [E] [G] [L] a été engagée par l’association ADAPEI 63 en qualité d’éducatrice spécialisée à compter du 1er septembre 2007, sous contrat à durée indéterminée à temps partiel. Son temps de travail a été progressivement augmenté.
Le 7 décembre 2017, elle a été convoquée à un entretien préalable à licenciement fixé au 18 décembre suivant et s’est vue notifier une mise à pied conservatoire.
Le 27 décembre 2017, Madame [G] [L] a été licenciée pour faute grave.
Le 12 juin 2018, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Clermont- Ferrand en contestation de son licenciement et indemnisation afférente.
Par jugement du 30 septembre 2019, le conseil de prud’hommes de Clermont- Ferrand a :
– dit et jugé le licenciement de Mme [G] [L]
dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
– condamné l’association ADAPEI 63 à lui payer les sommes suivantes :
* 9.590,20 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de
licenciement ;
* 3.836,82 euros brut titre de l’indemnité de préavis ;
* 383,68 euros brut au titre des congés payés afférents à
l’indemnité de préavis ;
* 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif;
* 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
– dit que les sommes allouées à titre de salaires et accessoires
de salaire porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation en justice de l’employeur valant mise en demeure, soit le 13juin 2018, et que celles accordées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement et ce, avec capitalisation des intérêts conformément aux règles légales;
– rappelé, pour satisfaire aux dispositions de l’article R.1454-28 du code du travail, que la moyenne des trois derniers mois de salaire de Mme [G] [L] s’élève à la somme de 1.918,41 euros;
– débouté Mme [G] [L] du surplus de ses demandes;
– condamné d’office, en application de l’article L.1235-4 du
code du travail, l’association ADAPEI 63 à rembourser à Pôle Emploi le montant des indemnités chômage susceptibles d’avoir été versées à Mme [G] [L] du jour de la rupture du contrat de travail au jour du présent jugement et ce, dans la limite de six mois d’indemnités;
– débouté l’association ADAPEI 63 de sa demande
reconventionnelle et condamné cette dernière aux dépens.
Le 15 octobre 2019, l’association ADAPEI 63 a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 2 octobre 2019.
La procédure d’appel a été clôturée le 31 janvier 2022 et l’affaire fixée à l’audience de la chambre sociale du 28 février 2022.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:
Aux termes de ses écritures notifiées le 07 janvier 2020, l’association ADAPEI 63 conclut à la réformation du jugement déféré et demande à la cour de:
– dire et juger que le licenciement de Mme [G]
[L] repose sur une faute grave ;
– la débouter de l’intégralité de ses demandes ;
– la condamner au paiement de la somme de 3.000 euros sur
le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et ce, en sus des entiers dépens.
L’association ADAPEI 63 expose que Mme [G] [L] a commis une faute grave en introduisant une boisson alcoolisée, dissimulée dans une bouteille de jus d’orange sur son lieu de travail; que l’introduction d’alcool au sein d’une structure accueillant de jeunes enfants caractérise nécessairement un manquement de la salariée à ses obligations contractuelles les plus élémentaires et au règlement intérieur; que la salariée a spontanément et sans pression reconnu les faits dans un écrit signé le jour même de leur découverte; qu’en outre, des attestations d’autres salariés de l’association corroborent les faits.
L’appelante souligne que si la salariée tente de minimiser ses actes par un état de santé fragile et des problèmes liés à l’alcool, la médecine du travail l’a déclarée apte à son poste à plusieurs reprises en 2016 et 2017. En outre, Mme [G] [L] n’a jamais alerté ni les représentants du personnel ni la direction de ses difficultés.
Aux termes de ses écritures notifiées le 06 avril 2020, Mme [G] [L] conclut à la confirmation du jugement déféré, sauf en ce qu’il a:
– limité le montant de l’indemnité conventionnelle de
licenciement à la somme de 9.590 euros ;
– l’a déboutée de sa demande de rappel de salaire sur arrêt maladie;
– limité le montant des dommages et intérêts alloués pour
licenciement abusif à la somme de 10.000 euros.
Elle demande à la cour, statuant à nouveau, de:
– condamner l’association ADAPEI 63 à lui payer les sommes suivantes :
* 9.991,72 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement;
* 583,85 euros nets à titre de rappel de salaire sur arrêt maladie ;
* 30.000 euros à titre de dommages et intérêts, outre intérêts
de droit à compter du jugement déféré sur le montant de la somme allouée par les premiers juges et à compter du présent arrêt pour le surplus et ce, avec capitalisation des intérêts conformément aux règles légales ;
* 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de
procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens;
– débouter l’association ADAPEI 63 de toutes ses demandes, fins et conclusions.
L’intimée soutient tout d’abord que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, les griefs avancés par l’ADAPEI 63 n’étant nullement démontrés.
Elle conteste avoir introduit de l’alcool dans l’établissement de manière intentionnelle, contrairement à ce qui lui est reproché dans la lettre de licenciement.
Elle soutient que l’écrit dans lequel elle reconnaît avoir introduit de l’alcool au sein de l’établissement lui a été exigé sous la pression et en état de fragilité psychologique.
Elle ajoute que la bouteille se trouvant dans le bureau éducatif n’était en aucun cas accessible aux enfants qui ne peuvent y pénétrer que s’ils sont accompagnés, comme en atteste le règlement de fonctionnement de l’établissement.
Mme [G] [L] en conclut que le fait d’avoir introduit par inadvertance une bouteille d’alcool dans un lieu non aisément accessible aux enfants ne justifie pas un licenciement pour faute grave.
Elle soutient ensuite que les réelles motivations de son licenciement sont de tout autre ordre et affirme avoir été licenciée en raison de son état de santé et de son mal-être au travail. En effet elle précise avoir été en réelle souffrance au travail, dont l’origine est sa responsable hiérarchique. Elle affirme que son mal-être au travail était connu de la direction et que l’employeur n’a pris aucune mesure de protection.
La salariée fait enfin valoir que le plafonnement de l’indemnité due pour licenciement sans cause réelle et sérieuse porte atteinte de manière disproportionnée à ses droits à réparation; qu’elle a subi un réel préjudice, tant moral que financier; qu’elle fait toujours actuellement l’objet d’un arrêt de travail pour un syndrome anxio-dépressif.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DECISION :
1°- Sur la rupture du contrat de travail :
Aux termes des dispositions combinées des articles L. 1232-1 et L. 1235- 1 du code du travail, l’employeur qui prend l’initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige. Les motifs avancés doivent être précis et matériellement vérifiables, des motifs imprécis équivalant à une absence de motif. Le licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, c’est-à-dire être fondé sur des faits exacts, précis, objectifs et revêtant une certaine gravité.
La faute grave suppose une action délibérée ou une impéritie grave, la simple erreur d’appréciation ou l’insuffisance professionnelle ne pouvant ouvrir droit à une sanction disciplinaire. La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie la cessation immédiate du contrat de travail sans préavis, en tout cas une rupture immédiate du contrat de travail avec dispense d’exécution du préavis.
En cas de faute grave, la mise en oeuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits fautifs, mais le maintien du salarié dans l’entreprise est possible pendant le temps nécessaire pour apprécier le degré de gravité des fautes commises.
Il incombe à l’employeur de rapporter la preuve de la réalité et de la pertinence des griefs invoqués au soutien du licenciement prononcé pour faute grave. En application de l’article L.1235-1 du code du travail, si un doute subsiste, il profite au salarié.
Lorsque que les faits sont établis mais qu’aucune faute grave n’est caractérisée, le juge du fond doit vérifier si les faits initialement qualifiés de faute grave par l’employeur constituent ou non une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Le licenciement pour faute grave entraîne la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement. Elle peut justifier une mise à pied conservatoire, mais le prononcé d’une telle mesure n’est pas obligatoire.
En l’espèce, la lettre de licenciement pour faute grave, notifiée à Mme [G] [L] le 27 décembre 2017, est libellée comme suit:
‘Madame,
Pour faire suite à l’entretien que nous avons eu le lundi 18 décembre 2017, au cours duquel vous étiez assistée de Madame [E] [T], nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave, sans préavis ni indemnité. Cette décision se justifie par les motifs exposés lors de cet entretien, à savoir votre comportement non professionnel lié à des actes graves survenus au cours de l’exercice de votre mission.
En votre qualité d’éducateur spécialisé depuis le 1er septembre 2007, diplômée en date du 25 juin 2001,vous vous devez de respecter l’ensemble des règles professionnelles et de discipline applicable au sein de notre structure, ces dernières ayant été édictées afin d’assurer le bon fonctionnement de notre établissement.
De même, conformément aux dispositions du code de l’action sociale et des familles, vous vous devez de respecter pour chaque personne prise en charge au sein de notre structure sa dignité, son intégrité, sa vie privée, son intimité et sa sécurité.
Vous vous devez de respecter ces règles, avec d’autant plus de vigilance que les résidents accueillis et dont vous aviez la charge, sont de jeunes enfants en situation de handicap, particulièrement vulnérables.
Or, des faits graves et inacceptables se sont produits en date du 06 décembre 2017.
En effet, ce jour, vous avez intentionnellement introduit au sein de notre structure de l’alcool, dissimulé dans une bouteille de jus d’orange.
Pire même, vous avez laissé cette bouteille de ‘jus d’orange’ remplie en réalité d’une boisson alcoolisée, sans surveillance, en totale visibilité et parfaitement accessible par les enfants accueillis.
Par attestation signée de votre main le 06 décembre 2017, vous avez reconnu avoir introduit de l’alcool au sein de notre établissement.
Ces faits sont en violation directe de votre contrat de travail et de notre règlement intérieur, notamment l’article 3 qui dispose :
‘3.1 : il est interdit de pénétrer ou de demeurer dans l’établissement en état d’ivresse public ou manifeste, ou sous l’emprise de drogue. Il est également interdit d’introduire ou de distribuer dans les locaux de travail des produits stupéfiants dont l’usage est interdit par la loi, ou des boissons alcoolisées. 3.5 : Le refus du salarié de se soumettre aux obligations relatives à l’hygiène peut entraîner des sanctions prévues au présent règlement.’
Ces faits sont constitutifs d’un manquement grave à vos obligations professionnelles et contractuelles que nous ne pouvons tolérer, d’autant plus compte tenu de la nature de votre activité et emploi et de l’extrême vulnérabilité des personnes que nous prenons en charge.
Un tel comportement porte gravement atteinte à la sécurité et au bien-être des personnes accueillies, violant également les dispositions du code de la santé publique, les valeurs de notre association et notre réputation et crédibilité.
Les motifs exposés ci-dessus rendent donc impossible votre maintien au sein de notre association, et ce même durant une quelconque période de préavis.
Votre licenciement est effectif immédiatement et vous cessez, dès ce jour, de faire partie de nos effectifs.(…)’.
Il ressort ainsi des énonciations de la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, que Mme [G] [L] a été congédiée pour avoir, le 06 décembre 2017, introduit de l’alcool dissimulé dans une bouteille de jus d’orange et avoir ainsi violé le règlement intérieur et mis en danger les enfants handicapés accueillis au sein de la structure.
L’article 3- 1 du règlement intérieur des établissements de l’ADAPEI 63 interdit ‘d’introduire ou de distribuer dans les locaux de travail (…) des boissons alcoolisées’.
Mme [G] [L] a reconnu tant dans un écrit manuscrit établi le 06 décembre 2017 que lors de l’entretien préalable à licenciement tenu le 18 décembre courant, avoir introduit une bouteille de jus d’orange contenant en réalité du vin rosé.
Elle a en revanche toujours soutenu avoir introduit par inadvertance cette bouteille, à moitié remplie d’alcool, dans un sac contenant des préparatifs du marché de Noël (chocolats, livres de recettes …) et des effets personnels.
Ainsi que l’ont pertinemment relevé les premiers juges, étant par ailleurs rappelé que le doute profite au salarié, le fait que l’alcool ne se trouvait pas dans son contenant d’origine ne saurait à lui seul suffire à établir le caractère intentionnel de l’introduction de ce produit en violation du règlement intérieur.
S’agissant ensuite de la mise en danger des personnes accueillies au sein de la structure, il n’est pas discuté que la bouteille litigieuse se trouvait dans le sac personnel de la salariée, entreposé sous une table supportant un ordinateur, dans le bureau des éducateurs accessible au personnel encadrant et aux enfants accueillis à condition toutefois qu’ils soient accompagnés.
Il n’est pas non plus discuté que cette bouteille n’a été découverte que par la fouille des affaires personnelles de Mme [G] [L] par l’une de ses collègues, Mme [I], hors la présence de tout témoin.
Force est en premier lieu de constater qu’aucune explication circonstanciée n’est fournie pour justifier la fouille du sac de Mme [G] [L] hors sa présence et sans son assentiment, alors qu’en application de l’article L. 1121-1 du code du travail, l’employeur ne peut apporter aux libertés individuelles ou collectives des salariés que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché et qu’il ne peut ainsi, sauf circonstances exceptionnelles, ouvrir les sacs appartenant aux salariés pour en vérifier le contenu qu’avec leur accord et à la condition de les avoir avertis de leur droit de s’y opposer.
Les circonstances de la découverte résultent en outre des seules déclarations de Mme [I], que plusieurs supérieurs hiérarchiques se bornent à rapporter dans leurs attestations.
Ainsi, Mme [N], chef de service, indique que ‘le mercredi 06 décembre 2017 à 11 heures (…) Mme [I] [O] (A.M.P) est seule sur le groupe. Elle m’informe que Mme [G] [L] se trouve dans le bureau éducatif à proximité. J’ai quelques échanges avec Mme [G] [L] et ne note rien de particulier. A 12 h, Mme [I] me joint par tél. Elle me demande de la rejoindre dans le bureau éducatif. Mme [G] [L] est partie accompagner les jeunes au repas. Un sac (style cabas de courses) est posé par terre à proximité des effets personnels de Mme [G] [L]. Une bouteille de jus de fruit dépasse à moitié du sac à la vue de tous. Mme [I] me montre la bouteille et me demande de constater le contenu. Je reconnais une odeur d’alcool (probablement du vin rosé)’.
Les autres supérieurs hiérarchiques relatent uniquement dans leurs témoignages les constatations et dires de Mme [N] qui les a alertés.
Aucun élément du dossier ne permet d’établir qu’avant la fouille des affaires personnelles de Mme [G] [L] par Mme [I], la bouteille de jus de fruit litigieuse dépassait du sac et était nécessairement visible de toute personne entrant dans le bureau.
Par ailleurs, l’attestation de Mme [N], selon laquelle ‘il est arrivé que des enfants aient pu s’introduire dans ce bureau (il y a des placards avec des jeux à l’intérieur) sans qu’ils soient accompagnés’, témoignage au demeurant contredit par celui de Mme [K] [J], assistante sociale, certifiant que les bureaux des éducateurs ‘n’étaient pas et ne sont pas visités par les enfants’, ne démontre pas que des enfants non accompagnés pénétraient fréquemment dans ce local réservé au personnel d’encadrement, en violation des stipulations de l’article 17-2 du règlement de fonctionnement de l’établissement.
La preuve du caractère accessible de cette bouteille d’alcool et d’une mise en danger subséquente des enfants accueillis n’étant pas rapportée, ce grief ne peut dès lors être retenu.
De tout de ce qui précède, il s’évince que la violation du règlement intérieur reprochée à la salariée, pour introduction d’alcool dont l’inadvertance ne peut être exclue, ne permet pas, de par son caractère ponctuel et isolé, de caractériser une faute grave de nature à justifier son éviction immédiate de l’association.
L’article 33 de la convention collective nationale de travail des Etablissements et Services pour Personnes Inadaptées et Handicapées du 15 mars 1966 prévoit qu’un salarié ne peut être licencié, hors faute grave, s’il n’a pas fait l’objet précédemment d’au moins deux sanctions écrites.
Or, Mme [G] [L], dont les qualités professionnelles ont été soulignées par plusieurs de ses collègues et l’ancien directeur de l’établissement ainsi que lors du stage de formation au certificat d’aptitude aux fonctions d’encadrement et de responsable d’unité d’intervention sociale (CAFERUIS) suivi quelques semaines avant son licenciement, ne déplorait aucun passif disciplinaire en dix ans d’ancienneté et ne pouvait donc être licenciée en application des dispositions conventionnelles sus- rappelées.
C’est donc à bon droit que la juridiction prud’homale a considéré le licenciement de la salariée dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le jugement déféré sera en conséquence confirmé sur ce point.
2°- Sur les conséquences financières de la rupture du contrat de travail :
* Sur le rappel de salaire sur mise à pied conservatoire et/ ou arrêt maladie:
L’existence d’une faute grave n’ayant pas été retenue, la mise à pied conservatoire de Mme [G] [L], d’une durée de 20 jours (entre les 07 et 27 décembre 2017), doit être rémunérée.
Elle a été placée en arrêt de travail durant cette période.
Elle explique, sans être contredite par l’employeur, que celui-ci a rémunéré par erreur sa mise à pied mais s’est remboursé via les indemnités journalières qu’il a perçues par subrogation.
Or, l’employeur est tenu de verser au salarié les salaires durant la période couverte par la mise à pied annulé, peu important que ce dernier ait pu être placé en arrêt maladie pendant cette même période.
Mme [G] [L] est donc en droit de percevoir à la fois son salaire sur mise à pied conservatoire ainsi que le salaire correspondant à son arrêt maladie, étant observé que l’appelante n’émet aucune observation à ce sujet.
Il sera ainsi alloué à l’intimée la somme réclamée de 583,85 euros nets correspondant aux 20 jours d’arrêt maladie du mois de décembre 2017 et le jugement déféré réformé en ce sens.
* Sur l’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents:
L’article L. 1234-1 du code du travail prévoit que ‘lorsque le licenciement n’est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit :
1° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus inférieure à six mois, à un préavis dont la durée est déterminée par la loi, la convention ou l’accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession ;
2° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus comprise entre six mois et moins de deux ans, à un préavis d’un mois ;
3° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus d’au moins deux ans, à un préavis de deux mois.
Toutefois, les dispositions des 2° et 3° ne sont applicables que si la loi, la convention ou l’accord collectif de travail, le contrat de travail ou les usages ne prévoient pas un préavis ou une condition d’ancienneté de services plus favorable pour le salarié.’
L’article L. 1234-5 du même code précise que ‘lorsque le salarié n’exécute pas le préavis, il a droit, sauf s’il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice. L’inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l’employeur, n’entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s’il avait accompli son travail jusqu’à l’expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise. L’indemnité compensatrice de préavis se cumule avec l’indemnité de licenciement et avec l’indemnité prévue à l’article L.1235-2.’
Mme [G] [L], qui avait plus de deux ans d’ancienneté et pouvait prétendre à un préavis de deux mois, est fondée, en application de ces textes, à réclamer la somme de 3.836,82 euros bruts, outre 383,68 euros bruts au titre des congés payés afférents.
Ce chef de jugement sera en conséquence confirmé.
* Sur l’indemnité conventionnelle de licenciement:
En application de l’article L.1234-9 du code du travail, ‘le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu’il compte 8 mois d’ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement. Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminés par voie réglementaire.’
L’article 17 de la convention collective applicable dispose que ‘sauf dispositions particulières aux cadres, le salarié licencié alors qu’il compte 2 ans d’ancienneté ininterrompue, au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement (distincte de l’indemnité de préavis) égale à une somme calculée sur la base d’un demi-mois de salaire par année d’ancienneté, étant précisé que l’indemnité de licenciement ne saurait dépasser une somme égale à 6 mois de salaire et que le salaire servant de base au calcul de l’indemnité de licenciement est le salaire moyen des 3 derniers mois de salaire’.
En application de ces dispositions conventionnelles plus favorables que celles de droit commun, Mme [G] [L], qui comptait une ancienneté de dix ans et cinq mois- préavis inclus-, est fondée à réclamer la somme de 9.991,72 euros bruts, la convention collective n’ayant en effet pas limité l’assiette de calcul de l’indemnité conventionnelle aux seules années d’ancienneté entièrement accomplies.
La cour infirme en conséquence le jugement déféré en ce qu’il a limité le quantum de l’indemnité conventionnelle allouée à la somme de 9.590,20 euros bruts sur la base de dix années d’ancienneté.
* Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse:
Pour les licenciements sans cause réelle et sérieuse notifiés à compter du 24 septembre 2017, l’article L. 1235-3 du code du travail prévoit que si l’une ou l’autre des parties refuse la réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans un tableau différent selon que l’entreprise emploie habituellement plus de dix ou moins de onze salariés (barème Macron).
Le nouvel article L. 1235-3 du code du travail définit des montant minimaux et maximaux d’indemnité de licenciement calculés en mois de salaire, en fonction de l’ancienneté et du nombre de salariés dans l’entreprise. Ainsi, dans les entreprises de 11 salariés ou plus, l’article L. 1235-3 prévoit que l’indemnité de licenciement varie de 0,5 à 20 mois de salaire brut suivant l’ancienneté dans l’entreprise, en fixant des montants minimaux et maximaux.
En l’espèce, Mme [E] [G] [L], âgée de 49 ans au moment de son licenciement, comptait 10 ans et cinq mois d’ancienneté au sein de l’ADAPEI 63et percevait un salaire mensuel moyen brut de 1.918,41 euros.
Il n’est pas discuté que l’ADAPEI 63 employait plus de dix salariés au moment du licenciement.
En application de l’article L. 1235-3 du code du travail et au regard de son ancienneté, Mme [G] [L] peut prétendre à une indemnité de licenciement dont le montant est compris entre 3 et 10 mois de salaire mensuel brut, soit entre 5.755,23 et 19.184,10 euros bruts.
Mme [G] [L] demande à la cour de lui assurer une réparation adéquate et intégrale de son préjudice, en faisant valoir que le montant maximal d’indemnisation prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail doit être écarté en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions des articles 24 de la charte sociale européenne du 03 mai 1996 et 10 de la convention n° 158 de l’OIT.
La Convention n°158 de l’Organisation Internationale du Travail, d’application directe en droit interne, prévoit en son article 10 que les juges doivent être ‘habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée’.
L’article 24 de la Charte Sociale Européenne contient une disposition similaire.
Le barème prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail a été critiqué devant le Conseil d’Etat et le Conseil Constitutionnel.
Le Conseil Constitutionnel, dans sa décision n° 2018-761 DC du 21 mars 2018, a déclaré le mécanisme du barème conforme à la Constitution.
Le Conseil d’État a également validé ce barème le 07 décembre 2017.
Dans ses avis n° 19-70010 et 19-7001 du 17 juillet 2019, la Cour de cassation a considéré d’une part, que ce barème était compatible avec les stipulations de l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT et, d’autre part, que les dispositions de l’article 24 de la charte sociale européenne révisée étaient dépourvues d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers. Elle a par ailleurs estimé que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail n’entraient pas dans le champ d’application de l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Il s’ensuit que le barème prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail apparaît conforme aux textes européens et internationaux.
Mme [G] [L] soutient que la somme allouée par les premiers juges à hauteur de 10.000 euros ne répare pas l’intégralité du préjudice moral qu’elle chiffre à une somme globale de 30.000 euros.
Elle explique avoir été dévastée par ce licenciement injustifié après tant d’années d’investissement et l’obtention d’un diplôme d’encadrante qu’elle n’a pu mettre à profit.
La salariée justifie avoir effectivement sombré, après son licenciement, dans une dépression profonde, traitée en affection longue durée jusqu’en décembre 2021 et avoir fait l’objet d’un suivi au long cours par un psychiatre depuis son arrêt de travail en décembre 2017.
Compte tenu de son âge, de son ancienneté, de ses compétences, du diplôme d’encadrante obtenu quelques semaines avant son congédiement, de l’absence de tout reproche au cours de sa carrière, des circonstances de son licenciement et des répercussions importantes de celui-ci sur son état de santé, lesquelles perdurent encore aujourd’hui, la cour considère que l’octroi de l’indemnité maximale de 19.184,10 euros bruts prévue par le barème de l’article L. 1235-3 du code du travail assure une réparation adéquate, appropriée et intégrale du préjudice subi par la salariée du fait de la perte injustifiée de son emploi, et qu’il n’y a dès lors pas lieu d’écarter l’application de ce barème.
Le jugement entrepris sera infirmé quant au quantum des dommages et intérêts accordés.
3°- Sur les frais irrépétibles et dépens :
Les dispositions du jugement déféré relatives aux frais irrépétibles et dépens seront confirmées.
L’ADAPEI 63, partie qui succombe au sens de l’article 696 du code de procédure civile, sera déboutée de sa demande en indemnisation de ses frais irrépétibles et condamnée à payer à Mme [G] [L] la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code précité et ce, en sus de la charge des entiers dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a :
– débouté Mme [E] [G] [L] de sa
demande de rappel de salaire sur arrêt maladie;
– limité le montant de l’indemnité conventionnelle de
licenciement à la somme de 9.590,20 euros et le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 10.000 euros;
Statuant à nouveau sur ces chefs,
Condamne l’ADAPEI 63 à payer à Mme [E] [G] [L] les sommes suivantes :
* 583,85 euros nets à titre de rappel de salaire sur arrêt maladie;
*9.991,72 euros bruts au titre de l’indemnité
conventionnelle de licenciement;
* 19.184,10 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour
licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du jugement déféré sur le montant de la somme allouée par les premiers juges et à compter du présent arrêt pour le surplus et ce, avec capitalisation des intérêts conformément aux règles légales ;
Y ajoutant,
Déboute l’ADAPEI 63 de sa demande en indemnisation de ses frais irrépétibles;
Condamne l’ADAPEI 63 à payer à Mme [E] [G] [L] la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile;
Condamne l’ADAPEI 63 aux entiers dépens d’appel;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.
Le Greffier, Le Président,
S. BOUDRY C. RUIN