PS/SH
Numéro 23/01398
COUR D’APPEL DE PAU
1ère Chambre
ARRÊT DU 25/04/2023
Dossier : N° RG 21/04008 – N° Portalis DBVV-V-B7F-IB7Q
Nature affaire :
Demande relative à un droit de passage
Affaire :
[L], [C] [W], [R]
[K] [F] épouse [W]
C/
[I] [G] [V]
[D] [Y] [P] [V] née [X] [A]
Grosse délivrée le
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 25 Avril 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l’audience publique tenue le 27 Février 2023, devant :
Monsieur SERNY, magistrat chargé du rapport,
assisté de Madame DEBON, faisant fonction de greffière présente à l’appel des causes,
en présence de Madame DIOT, greffière stagiaire
Monsieur SERNY, en application des articles 805 et 907 du code de procédure civile et à défaut d’opposition a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame FAURE, Présidente
Madame ROSA-SCHALL, Conseillère
Monsieur SERNY, Magistrat honoraire
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l’affaire opposant :
APPELANTS :
Monsieur [L], [C] [W]
né le 24 Septembre 1951 à [Localité 18] (16)
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 5]
Madame [R], [K] [F] épouse [W]
née le 25 Juin 1954 à [Localité 16] (40)
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentés et assistés de Maître DIVERNET de la SELARL COUSSEAU PERRAUDIN GADOIS DIVERNET, avocat au barreau de DAX
INTIMES :
Monsieur [I] [G] [V]
né le 05 Avril 1968 à [Localité 17] (64)
de nationalité Française
[Adresse 19]
[Adresse 11]
[Localité 5]
Madame [D] [Y] [P] [V] née [X] [A]
née le 28 Août 1943 à [Localité 20] (40)
de nationalité Française
[Adresse 11]
[Localité 5]
Représentés et assistés de Maître POUDENX, avocat au barreau de DAX
sur appel de la décision
en date du 10 NOVEMBRE 2021
rendue par le TRIBUNAL JUDICIAIRE DE DAX
RG numéro : 19/00588
Vu l’acte d’appel initial du 13 décembre 2021 ayant donné lieu à l’attribution du présent numéro de rôle à la requête des époux [W],
Vu le jugement dont appel rendu le 10 novembre 2021 par le tribunal judiciaire de DAX qui a :
– condamné solidairement et sous astreinte les époux [W] à démonter une clôture implantée en limite des parcelles cadastrées à [Localité 5] section M n° [Cadastre 13] et [Cadastre 1] (propriété [V]) d’une part, n°[Cadastre 10] (propriété [W]) d’autre part, en ce que cette clôture fait obstacle à l’exercice d’une servitude contractuelle,
– condamné solidairement les époux [W] à payer les frais d’un procès-verbal d’huissier,
– condamné solidairement les époux [W] à payer aux consorts [V] une somme de 2 fois 1 200 euros en compensation de frais irrépétibles,
– condamné solidairement les époux [W] à payer les dépens.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 23 janvier 2023 par les époux [W], appelants, qui poursuivent l’infirmation du jugement et sollicitent reconventionnellement l’allocation de 4 000 euros en compensation de frais irrépétibles ;
Vu les dernières conclusions (n°2) transmises par voie électronique le 24 janvier 2023 par les époux [V], intimés, qui demandent la confirmation du jugement et l’allocation d’une somme de 2 fois 2 000 euros en compensation de frais irrépétibles exposés en appel ;
Vu l’ordonnance de clôture délivrée le 25 janvier 2023.
Le rapport ayant été fait oralement à l’audience.
MOTIFS
Les deux parties à l’instance sont les ayants-droit d’une même famille qui a divisé sa propriété.
1- constitution de la servitude conventionnelle en 1985 ; le propriétaire d’origine conserve le fonds servant et le grève de la servitude conventionnelle définie comme une bande de terrain composée de deux segments perpendiculaires de 10 mètres de large
Selon acte du 17 décembre 1985 publié le 02 janvier 1986 volume 5926 n°14, [Z] [H] [J] né le 17 mars 1931 à [Localité 21] et [U] [N] [B] [J] séparée [E] ont vendu à [D] [Y] [P] [X] veuve [V] la parcelle cadastré section M n°[Cadastre 8] située à [Localité 5], issue de la division d’une parcelle plus importante, en constituant au profit de la parcelle [Cadastre 8], fonds dominant vendu et dépourvu d’accès à la voie publique, une servitude de passage grevant les parcelles [Cadastre 6] et [Cadastre 7], fonds servants, restant la propriété des vendeurs. Les deux fonds servants ont été ultérieurement divisés en 4 autres parcelles dont les parcelles [Cadastre 9] et [Cadastre 10] qui sont aujourd’hui la propriété des époux [W] et supportent seules l’assiette de la servitude d’origine.
La clause constitutive de servitude stipule que :
‘le passage s’exercera sur une bande de 10 mètres de largeur partant de la route départementale 126 jusqu’à la parcelle vendue suivant le tracé figurant en jaune sur le plan de masse ci-annexé après avoir été certifié exact par les parties’
Les travaux d’établissement du passage, ainsi que les travaux qui dans l’avenir se révéleront nécessaire à son entretien, seront à la charge des propriétaires du fonds servant et du fonds dominant qui s’y obligent expressément par moitié chacun.
L’acte de 1985 n’est pas produit ; la cour ne peut pas contrôler directement l’existence de la double signature apposée sur le plan dont la clause fait état ; elle ne dispose que d’une page l’échelle 1/1000 portant la seule signature [V], propriétaire du fonds dominant ; par divers recoupements et notamment en considération de la teneur de l’acte d’acquisition subséquent des époux [W], ce document, sur lequel figure qu’une signature, est bien issu des annexes de l’acte de 1985.
– toute la partie nord de la parcelle [Cadastre 7] (conservée par les consorts [J] et aujourd’hui incluse dans les parcelles [Cadastre 9] et [Cadastre 10]) est grevée sur une largeur de 10 mètres prise le long de limite Nord de cette parcelle joignant la route à la parcelle [Cadastre 8] en ligne droite (aujourd’hui la parcelle [Cadastre 1]) ; il s’agit d’un premier segment de servitude orienté Est Ouest ;
– la surface de servitude se prolonge ensuite vers le sud par un second segment de 10 mètres de large et sur une longueur supplémentaire de 24,38 -10 mètres = 14,38 mètres prise parallèlement à la ligne divisoire orientée Nord Sud des parcelles [Cadastre 7] et [Cadastre 8].
2- rappel de cette servitude conventionnelle dans la cession du fonds servant aux époux [W] ; apparition d’une représentation graphique d’une voie de circulation pour véhicules sur la zone de servitude contractuellement définie.
Selon acte du 27 mai 1988, les mêmes consorts [J] ont vendu aux époux [L] [C] [W] né le 24 septembre 1951 à [Localité 18] et à [R] [K] [F] née le 25 juin 1954 à [Localité 16], les parcelles cadastrée section M N°[Cadastre 9] et n°[Cadastre 10] situées à [Localité 5] étant précisé qu’entre cet acte et le précédent, est intervenue une division cadastrale ; les parcelles [Cadastre 9] et [Cadastre 10] provenaient de la division en 4 des parcelles [Cadastre 6] et [Cadastre 7] appartenant aux vendeurs, qui conservaient les deux autres parcelles issues de cette nouvelle division ; on vérifie que les parcelles [Cadastre 9] et [Cadastre 10] supportent l’assiette de la servitude créée en 1985 au profit de la parcelle [Cadastre 8].
La parcelle [Cadastre 9] est très étroite, libre de construction et s’étend le long de la voie publique ; elle est traversée par la servitude sur une faible longueur alors que la parcelle [Cadastre 10], sur laquelle est construite la maison d’habitation, est grevée dans toute sa partie nord par le tracé de la servitude (Est Ouest) qui va ainsi de la parcelle [Cadastre 9] jusqu’au fond dominant.
Le titre de propriété des époux [W] rappelle la servitude conventionnelle consentie par leur auteur ; la clause est intégralement rappelée ; ils savent donc que l’acte de 1985 était accompagné d’un plan ; à leur acte de propriété se trouve annexé un plan à l’échelle du 1/500ème qu’ils ont signé et qui, par conséquent, les engage en qualité de propriétaires du fond servant ; ce plan décrit la situation suivante :
– en partie Nord de la parcelle acquise figure une ‘zone de servitude de passage’ (strictement conforme au plan au 1/1000ème présenté comme étant la copie de celui de l’acte de 1985) ; on retrouve les deux segments de servitude d’abord le segment Est Ouest en limite Nord de la route à la parcelle [Cadastre 8] puis le segment Nord Sud supplémentaire d’une longueur de 24,38 – 10 = 14,38 mètres ; les deux segments y ont 10 mètres de large ;
– un élément nouveau figure sur ce plan de 1998 ; y apparaît en effet un tracé en pointillé d’un passage, repris au cadastre, représentant un chemin d’accès pour véhicules ; ce chemin longe la limite Nord des parcelles [Cadastre 9] et [Cadastre 10] sur 20 mètres environ avant de dessiner une courbe qui atteint la limite Sud de la zone de servitude sans jamais en sortir ; ce tracé est entièrement contenu dans l’aire précédemment définie comme ‘zone de servitude de passage’.
3- La famille [V] divise le fonds servant et la division reflète la volonté de lotir en créant des parcelles à construire et des parcelles dont l’aspect démontre qu’elles doivent être affectées à la desserte des autres lots issus de la division.
Selon acte du 07 décembre 2009 publié le 28 janvier 2010 volume 2010 P n°698, [D] [Y] [P] [X] a fait donation à son fils [I] [G] [V] né le 05 avril 1968 à [Localité 17] de la pleine propriété de la parcelle M [Cadastre 15], issue de la parcelle M [Cadastre 8] conservée par la donatrice dans l’acte de 1985, ; elle conserve pour elle-même les propriétés des autres parcelles issues de cette division, à savoir les parcelles M [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 1], [Cadastre 2] et [Cadastre 3] ; ces 6 parcelles (la parcelle donnée et les parcelles conservées issues de la parcelle [Cadastre 8]) sont donc toutes des fonds dominants disposant d’un droit de passage sur les parcelles M [Cadastre 9] et [Cadastre 10] aujourd’hui acquises par les époux [W] ; les parcelles [Cadastre 2] et [Cadastre 3], situées dans le prolongement l’une de l’autre, sont manifestement dessinées pour être l’assiette de passage des autres parcelles qui les confrontent au sud ; la parcelle [Cadastre 1] est également dessinée pour servir de passage en forme de chicane dans le prolongement de l’axe Est Ouest de la servitude créée en 1985. La constitution de cette chicane est indispensable en raison de l’impossibilité juridique de grever la parcelle [Cadastre 12] (appartenant à un tiers) d’une servitude légale au profit des fonds dominants.
Cette division du fonds dominant ne modifie en rien les obligations réelles des époux [W] envers la famille [V].
4- La barrière litigieuse tend au maintien d’une servitude anti-économique pour les deux parties
La position des époux [W] tend à soutenir que la servitude grevant leur fond serait limitée au tracé du chemin porté sur le plan cadastral ; la barrière qu’ils ont édifiée s’oppose à la desserte directe des fonds dominants par le tracé le plus court suivant le premier segment de la servitude conventionnelle qui suffit à satisfaire aujourd’hui les besoins du fonds dominants.
L’existence de ce tracé délimité par des pointillés, intégralement contenu dans la surface décrite comme étant une ‘aire de servitude’ sur les parcelles [Cadastre 9] et [Cadastre 10], ne peut être présumée comme étant le reflet d’une décision d’abandon partiel par la famille [V] de ses droits d’utiliser l’intégralité sur cette surface définie comme ‘zone de servitude’ mentionnée dans leur propre acte d’acquisition.
L’hypothèse d’une extinction de la servitude par l’effet de la prescription trentenaire est soutenue ; en 2012, un litige a déjà opposé les propriétaires des fonds servant et dominant en référé au sujet de l’implantation d’une barrière au même endroit ; les époux [V], qui l’avaient détruite, ont certes succombé et ont été contraints de subir sa reconstruction en exécution d’une décision de référé, laquelle n’a cependant pas d’autorité sur le fond du droit ; le juge des référés s’est borné à préserver provisoirement un ouvrage édifié dans l’attente d’une décision sur le fond ; la procédure prouve cependant qu’il y a eu volonté de la famille [V] de se prévaloir de l’intégralité de la teneur de l’acte de 1988. Les époux [W] ne démontrent pas avoir édifié la barrière, objet de ce litige en référé, plus de 30 ans avant la date de saisine du juge du fond. La prescription extinctive invoquée n’est donc pas acquise.
Leur prescription acquisitive sur la surface de la « zone de servitude » excédant l’assiette du chemin reporté au cadastre, n’est pas davantage démontrée parce qu’il résulte des termes de l’acte que leur possession sur cette surface ne pouvait être qu’équivoque jusqu’à l’édification de la barrière, objet de la procédure de référé.
La division cadastrale pratiquée en 2009 par la famille [V] révèle qu’ils n’ont plus aucune utilité aujourd’hui, ni du second segment de la servitude (10 m * 14,30 orienté Nord Sud à l’Ouest de la parcelle [Cadastre 10]= ni du tracé de servitude reporté au cadastre sans référence contractuelle ; cependant l’inutilité d’une servitude n’est pas une cause d’extinction de ce droit.
Les consorts [V] font ainsi valoir à juste titre que leur titre leur permet d’accéder directement à leur propriété :
– non seulement en utilisant le premier segment Est Ouest de la servitude définie dans l’acte et sur une largeur de 10 mètres excédant celles de 6 mètres habituellement imposée par l’administration pour l’accès à des lotissements ;
– mais en utilisant le second segment de la servitude qui prolonge leur aire d’évolution de 14,80 mètres en direction du sud et sur une largeur de 10 mètres le long des parcelles [Cadastre 13] et [Cadastre 10].
Ils peuvent donc choisir de franchir la limite des fonds en tout point tant que les époux [W] ne sollicitent pas pour eux même l’application de l’article 701 alinéa 3, ce dont ils s’abstiennent alors qu’ils y ont économiquement intérêt.
La barrière litigieuse édifiée par les époux [W] sur leur fonds est donc illégale pour entraver l’exercice du libre droit d’accès contractuel dont bénéficient les consorts [V] ; ces derniers doivent pouvoir user à leur guise toute la surface déclarée ‘zone de servitude’ telle qu’elle figure dans l’acte d’acquisition des époux [W], propriétaires du fonds servant depuis 1988.
Le jugement a procédé à une juste analyse de la situation et des actes ; il sera donc confirmé dans toute ses dispositions.
Les dépens d’appel seront à la charge des époux [W].
Par application de l’article 700 du code de procédure civile, ils paieront solidairement la somme de 4 000 euros à Monsieur et Madame [V].
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par mise à disposition, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
* confirme dont appel le jugement dans toutes ses dispositions ;
* précise que la clôture n’est à démolir que sur une longueur de 24,80 mètres prise sur la limite Est de la parcelle [Cadastre 1] se prolongeant en ligne droite sur la limite Est de la parcelle [Cadastre 13] ;
* y ajoutant,
condamne les époux [W] :
– aux dépens d’appel dont distraction au bénéfice de leur avocat
– en compensation de frais irrépétibles exposés en appel, à payer solidairement la somme de 4 000 euros à Monsieur [I] [V] et Madame [D] [V].
Le présent arrêt a été signé par Mme FAURE, Présidente, et par Mme HAUGUEL, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
Sylvie HAUGUEL Caroline FAURE