Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 11
ARRET DU 21 NOVEMBRE 2023
(n° , 14 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/06671 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEDHG
Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Mai 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 19/09686
APPELANTE
Madame [U] [T]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Savine BERNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0138
INTIMEE
S.A.S. LES ARMATEURS
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Jocelyne CLERC KACZMAREK, avocat au barreau de PARIS, toque : T11
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Octobre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,
Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,
Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI
ARRET :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société Les Armateurs est une société française de production de longs métrages, de courts métrages et de séries d’animations.
Mme [U] [T], née en 1965, a été engagée par la SAS Les Armateurs, par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 21 avril 2008 en qualité de chargée de développement et a été promue directrice du développement en janvier 2011.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de la production de films d’animation.
Le 17 avril 2019, la société Les Armateurs a proposé une rupture conventionnelle à Mme [T] qu’elle a refusée par courrier recommandé avec avis de réception rédigé par son avocat le 23 avril 2019.
Le 29 avril 2019, Mme [T] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 7 mai 2019 avant d’être licenciée pour insuffisance professionnelle par lettre datée du 13 mai 2019.
Mme [T] a été placée en arrêt de travail à compter du 18 mai 2019 jusqu’au terme de son préavis, le 13 août 2019.
A la date du licenciement, Mme [T] avait une ancienneté de 11 ans et 3 mois et la société les armateurs occupait à titre habituel plus de 10 salariés.
Contestant à titre principal la validité et à titre subsidiaire la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, souhaitant voir son salaire fixé, et sollicitant l’octroi de dommages et intérêts pour préjudice de perte de retraite, et licenciement brutal et vexatoire, Mme [T] a saisi le 29 octobre 2019 le conseil de prud’hommes de Paris qui, par jugement du 17 mai 2019, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :
– condamne la société les armateurs à payer à Mme [T] les sommes suivantes :
– 20 000 euros à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement,
– 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– déboute Mme [T] du surplus de ses demandes,
– condamne la société les armateurs aux dépens.
Par déclaration du 19 juillet 2021, Mme [T] a interjeté appel de cette décision, notifiée par lettre du greffe adressée aux parties le 21 mai 2021 (non distribué à Mme [T] pour défaut d’accès).
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 3 octobre 2023, Mme [T] demande à la cour de :
– infirmer le jugement du conseil des prud’hommes de Paris en date du 17 mai 2021 en ce qu’il a :
– débouté Mme [T] du surplus de ses demandes,
– fixé le quantum de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 20.000 euros,
Statuant à nouveau, il est demandé à la cour de :
– juger, à titre principal, que le licenciement de Mme [T] est nul,
En conséquence,
– condamner la société à payer à Mme [T] au titre de l’indemnité pour licenciement nul la somme de 73 812,42 euros,
A titre subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu’il a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– juger que doit être écarté le plafonnement prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l’article 24 de la charte sociale européenne et les articles 4 et 10 de la convention 158 de l’OIT et en conséquence, fixer le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 73 812,42 euros,
– condamner la société à payer à Mme [T] la somme de 254 196 euros à titre de dommages et intérêts résultant du préjudice de perte de change de bénéficier de sa retraite à taux plein,
– condamner, sur le fondement de l’article L. 1222-1 du code du travail, la société à payer à Mme [T] à titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et
vexatoire la somme de 20.000 euros,
– condamner, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, la société à payer à Mme [T] la somme de 3 000 euros,
– condamner la société au paiement des intérêts légaux avec anatocisme et aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 6 septembre 2023, la société Les Armateurs demande à la cour de’:
– infirmer la décision querellée en ce qu’elle a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la société les armateurs à payer à Mme [T] les sommes suivantes:
– 20.000 euros à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et l’a condamné aux dépens,
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [T] du surplus de ses demandes,
statuant à nouveau :
– débouter Mme [T] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner Mme [T] aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 4 octobre 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 10 octobre 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la rupture du contrat
Selon l’article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles’; si un doute subsiste, il profite au salarié.
Ainsi l’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.
En l’espèce, la lettre de licenciement du 13 mai 2019 qui circonscrit les limites du litige est ainsi rédigée :
‘ Nous faisons suite à votre entretien préalable qui s’est déroulé le Mardi 7 Mai 2019 en présence de [H] [L], Responsable Ressources Humaines, et [A] [IF], Co-Directeur Général Délégué, auquel vous vous êtes présentée assistée de Mme [D] [E], Responsable Administrative et Financière appartenant au personnel de l’entreprise.
Pour rappel, vous avez été embauchée le 21 Avril 2008 en tant que Chargée de Développement, et êtes devenue Directrice de Développement il y a 5 ans. Vos missions principales sont, entre autres, la recherche, la proposition et la supervision du développement de projets d’animation ainsi que des relations avec la direction d’écriture, mais également la recherche et le suivi d’aides au financement.
Etant donné le long cours de la production de films ou séries d’animation, les résultats de votre travail en tant que Directrice du Développement sont mesurables seulement 4 ou 5 ans après votre prise de fonction. Or, nous constatons que sur l’ensemble des projets dont vous avez la charge que l’avancement est insuffisant, que vous ne comprenez pas leurs tenants et aboutissants, et que votre comportement envers les clients ainsi que nos partenaires est inadapté.
De manière générale, vous ne prenez pas en compte les évolutions du marché ce qui empêche le financement de nos productions, ni les remarques de vos interlocuteurs de sorte que les projets que vous supervisez ne sont pas adaptés à la conjoncture actuelle, ni aux demandes et attentes des clients.
Les explications que vous avez fournies lors de l’entretien ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits qui vous sont reprochés. Dans ces conditions, nous vous notifiions par la présente votre licenciement en raison de vos carences professionnelles, matérialisées par les éléments suivants :
> Vous faites preuve d’inertie et de passivité en ce qui concerne l’apport et le développement de nouveaux projets ce qui est pourtant un élément primordial pour la pérennité et l’image de l’entreprise
Depuis 25 ans, Les Armateurs est une société ayant toujours eu plusieurs productions en cours de manière simultanée. Pour la 1ere fois, de décembre 2018 à fin mars 2019, la société a passé plus d’un trimestre sans aucune production.
En votre qualité de Directrice de développement, vous êtes en charge de la proposition et la supervision du développement de projets d’animation. Il vous incombe donc dans ce cadre d’être force de proposition, d’apporter de nouvelles productions, et de contribuer au développement de celles en cours.
Or, depuis votre prise de fonctions en cette qualité, et malgré notre volonté exprimée de vous soutenir dans vos propositions de projet, vous avez fait preuve d’une inertie qui a perduré puisque vous n’avez proposé que peu de nouveaux projets ni n’avez répondu à mes demandes explicites de proposer des projets sur des thèmes précis tel que « Animation Comic Adult» pour Netflix. De la même manière vous ne vous êtes pas assurée de développer de manière adéquate les projets en cours, ce qui nuit fortement à l’image de la société.
En tant que Directrice de développement vous aviez pleinement connaissance de ces défaillances et n’avez rien entrepris pour y pallier, malgré plusieurs alertes.
Ainsi, les projets qui ont été produits jusqu’en décembre 2018 sont soit des projets qui ont été initiés par des personnes qui en étaient en charge avant vous et qui ont ensuite été financés par la société, soit des suites de séries déjà existantes. Vous n’avez apporté aucun nouveau projet, et les seuls projets qui avancent actuellement ont été développés par la co-Directrice générale déléguée.
Il a également été constaté qu’en 2018 aucune demande de financement de projet n’a été déposée auprès des guichets, ce qui est révélateur de l’absence d’aboutissement de l’écriture des projets en développement et est problématique pour une société de production, puisque cela est de nature à affecter la pérennité de l’entreprise.
Aussi, la Direction vous a indiqué à de multiples reprises depuis 5 ans que nous avions la possibilité de réaliser des projets d’édition et d’adaptation, ce qui ouvre la porte à de nombreux potentiels commerciaux. Vous n’avez fait aucune proposition de projet à la Direction, ni ne proposez à des talents ou des éditeurs ce mode de diffusion.
En outre, il est anormal qu’aucun projet n’ait pu être présenté aux Cartoon Movies (du 5 au 7 Mars 2019) ni aux Cartoon Forum (du 10 au 13 Septembre 2018) du fait de vos carences dans le développement de productions. Cette absence de projet lors de ces deux évènements importants dans le secteur de la production de films et de série d’animation donne une image très négative de la société Les Armateurs, qui apparaît comme un acteur marginal en déclin sur le marché et comme étant peu investie et créative.
A titre de comparaison, la société Folimage qui fait partie du même groupe et qui intervient sur le même créneau de production de films et séries d’animation a présenté 3 projets à chacun de ces évènements.
> Vous ne parvenez pas à vous adapter aux besoins du marché de sorte que beaucoup de projets dont vous êtes en charge ne parviennent pas à être financés
Vous ne prenez pas en compte les évolutions du marché, de sorte que les projets dont vous avez la charge, et que vous développez parfois pendant plusieurs années, ne trouvent pas de financement en raison de leur inadéquation avec les demandes et besoins existants sur le marché de l’animation.
Votre incapacité à vous adapter aux évolutions du marché s’est notamment manifestée dans la gestion des projets suivants :
– Le film Les Hirondelles de Kaboul, dont la production s’est terminée en décembre 2018, a dû être réécrit sous notre impulsion et notre demande expresse, sans quoi le projet n’aurait jamais été financé car il ne correspondait pas aux attentes et besoins existant sur le marché. En votre qualité de Directrice de Développement, l’impulsion de cette réécriture afin d’adapter le projet au marché aurait dû venir de vous.
– Concernant le projet l’Ile au trésor (de 2016 à juin 2018) ; il s’agit d’un projet de série TV abandonné après 2 ans de développement car vous n’avez obtenu aucun financement et plus généralement, aucun aboutissement. Nous notons sur ce projet une incohérence générale, un manque de compréhension et d’adéquation entre l »uvre d’origine, le projet et la cible choisie. Ce projet représente une perte de 13 600€.
– Le projet Mon copain squelette qui a été développé de 2014 à 2018 a été abandonné en Juin 2018 après 4 ans de développement à défaut de financement notamment en raison du manque d’adaptation au marché (problème de cible). Il représente une perte de 37 300 €.
– Sur le projet Cher Hamster (en développement depuis 2016), ce projet est théoriquement toujours en cours, mais la demande de financement a été rejetée et n’intéresse aucun diffuseur. En effet, malgré la demande de la Direction de choisir une cible « 8-12 ans », plus encline à comprendre le second degré présent en continu dans la série, vous avez insisté pour maintenir une cible « préscolaire ».
Vous n’êtes pas sans savoir que cette cible n’est pourtant pas en adéquation avec les besoins du marché, les diffuseurs et financeurs étant très réservés sur l’opportunité et la pertinence d’intégrer du 2ème degré pour une cible préscolaire. Cette absence de financement résulte une fois de plus de votre manque d’adéquation avec le marché, mais également d’une insuffisance de compréhension globale de la cible, analyse qui a été confirmée par les retours obtenus lors des rejets de financement.
– Concernant le projet Moules-Frites (abandonné en Décembre 2018), pour que ce projet puisse aboutir, il était primordial de lui donner une dimension plus Internationale, indispensable à l’obtention d’un accord de financement. Une fois de plus, par manque d’adéquation, d’adaptabilité et par une compréhension insuffisante de votre part des enjeux et du marché, le projet en l’état a dû être abandonné. Nous avons donc perdu ce projet de France TV en Décembre 2018.
> vous adoptez un comportement et un mode de communication inapproprié avec les clients ainsi
qu’avec les partenaires de la société, en vous fermant à tout dialogue et en refusant de prendre en compte leurs remarques ce qui aboutit à des situations conflictuelles mettant en péril la poursuite de nos collaborations avec ces interlocuteurs et nuisant à l’image de la société
A titre d’exemples :
– Concernant le projet de Série TV Ana Filoute, qui est en développement depuis 5 ans (2014 à 2018), il a fini par être commandé par France Télévision. Ce client acteur important sur le marché avec lequel nous avons travaillé à plusieurs reprises s’est plaint de la résistance et de l’insuffisance de la direction de développement à prendre en compte ses demandes. En effet, France Télévision a dû insister de multiples fois pour que l’on prenne en compte ses demandes de réécriture, ce qui dénote à la fois une insuffisance de réactivité, d’encadrement et coordination de la Direction d’écriture de votre part mais également une sous-estimation de l’importance de la réécriture dans ce contexte. Au sortir de la réunion, vous avez demandé aux auteurs de modifier des éléments qui ne sont pas du tout ceux exprimés par le commanditaire. Nous vous rappelons que France Télévision est le commanditaire de la série, et qu’à ce titre le client a le dernier mot.
Votre absence de prise en compte des remarques et de la vision du projet adoptée par le client est de nature à remettre en cause nos relations avec ce dernier.
– Sur le projet Runes développé de Juin 2018 à Avril 2019, la relation avec les auteurs de cette série, dont vous avez la charge, s’est dégradée jusqu’à la rupture de notre collaboration. Ces derniers ont d’ailleurs par la suite fait intervenir des avocats afin de récupérer les droits de cette série.
Vous n’avez pas permis d’apaiser ni de résoudre cette situation pour cause de carences relationnelles mais également professionnelles. Les auteurs ont déploré des propositions de directeurs d’écriture qui n’étaient pas en adéquation avec les ambitions de la série, un manque de « transparence, de vision mais également une série de remarques à la pertinence variable, parfois contradictoires » de votre part. Egalement sur ce projet, vous n’avez pas veillé au bon suivi quotidien du cahier des charges technique du projet. Vous n’avez pas mis en place des outils de suivi narratifs, ce qui a empêché la fluidité des réécritures et bloqué la situation avec les auteurs, car les multiples conversations avec eux n’étaient pas encadrées par des éléments concrets et outils méthodologiques qui auraient pu leur permettre de comprendre les enjeux et contraintes des diffuseurs. Par ailleurs, sans ces outils de suivi narratifs, les différents interlocuteurs du projet devaient relire l’ensemble des différentes versions des scénarios pour s’y retrouver. Pour résoudre
cette situation, nous n’avons eu d’autre choix que de changer d’auteurs. Les premiers auteurs sont très influents et font part publiquement au cercle de scénaristes de l’animation de la difficulté à travailler avec vous, et donc par extension avec Les Armateurs, ce qui nuit gravement à l’image de l’entreprise.
– Sur le projet de long-métrage Bergères Guerrières (2018) dont vous étiez en charge, la relation avec les auteurs a été une fois de plus problématique. Votre manque de clarté dans les directives données, vos demandes contradictoires et votre manque de prise en main de la situation ainsi que les solutions inadaptées que vous avez proposées ont entraîné une situation d’incompréhension et de blocage avec les auteurs, ce qui a freiné le développement du long métrage et nuit à sa qualité. En effet, vous avez par exemple notamment demandé à plusieurs reprises aux auteurs de refaire le ‘traitement’ sans donner d’indication claires sur l’attendu. Le relationnel s’est énormément dégradé, à tel point qu’aujourd’hui nous ne savons pas comment sortir de cette impasse avec les auteurs.
– Concernant le projet de série TV Martine, depuis l’automne 2018, M6 et Disney ont demandé à ce que leur soit proposé un nouveau concept afin de sortir une série. Vous n’avez proposé aucun nouveau concept, ni même aucunes pistes de réflexion autour de ce projet. Nous déplorons un manque d’investissement et de vision globale, de compréhension des enjeux et de réactivité, car si nous avions répondu aux attentes de Disney, cela aurait présenté un potentiel important d’ouverture sur le marché européen.
– Lors du Cartoon Forum au mois de septembre 2016, en réunion en présence de responsables de France TV, de moi-même et de [W] [G], France TV annonce que notre concept « T’choupi » ne sera finalement pas commandé, mais qu’ils vont en revanche recommander aux Armateurs une nouvelle saison de 52 épisodes. Cela représente évidemment une excellente nouvelle pour l’entreprise, d’autant plus dans ce contexte de production au ralenti. Votre réaction a pourtant été surprenante et incompréhensible, vous êtes restée silencieuse, prostrée dans une attitude mécontente, à tel point que la responsable de France 4 vous a interpellé pour dire « c’est une bonne nouvelle, vous avez compris ‘ ». Ce qui illustre une fois de plus votre incapacité à rebondir, une incompréhension de vos interlocuteurs ainsi qu’une incapacité à exprimer une attitude positive face aux clients.
– Le 3 avril 2019, à l’occasion d’un rendez-vous en présence de [W] [G], un auteur et un éditeur de bande dessinée avec qui nous souhaitons conclure un projet d’adaptation en long métrage, ces derniers ont lu une proposition d’adaptation que vous avez faite, sous l’impulsion de la Directrice déléguée, et ont indiqué en retour que le projet proposé présente un ‘diable gentil et un humain méchant » mais qu’ils souhaitent l’inverse. Ils ont clairement précisé vouloir un « diable méchant ». votre réaction a été immédiatement sur la défensive, et vous avez exprimé votre incompréhension, ce qui a tendu immédiatement les échanges. L’auteur et l’éditeur ont indiqué après la réunion être surpris et gênés de votre attitude.
Le lendemain, vous avez renvoyé la bible de présentation avec le même concept sans avoir procédé aux modifications demandées, ce qui démontre une fois de plus votre absence d’écoute, de compréhension, votre esprit confus et votre incapacité à rebondir devant l’imprévu.
> Vous n’êtes pas à l’écoute de vos interlocuteurs en interne et ne parvenez pas à travailler en équipe ce qui conduit à un manque de cohésion nuisant au bon fonctionnement de la société ainsi qu’à son image
En interne les collaborateurs de l’entreprise ont déploré à plusieurs reprises la difficulté de communiquer et de travailler avec vous.
Nous avons pu notamment constater votre incapacité à travailler en équipe et noter de nombreuses incohérences dans vos discours et incompréhensions de votre part, ce qui se ressent dans votre qualité de travail et dans la qualité de vos relations avec les différents interlocuteurs (internes et externes).
A titre d’ exemple, à plusieurs reprises il est apparu que vous avez adopté une position contraire à celle de la Direction, vous opposant de manière illégitime à votre propre équipe. Cette attitude ‘je me bats contre mon propre camp’ a été constatée devant des tiers lors de rendez-vous importants. En effet, lors de plusieurs rendez-vous clients en présence de [W] [G], vous n’avez pas hésité à la contredire ou la remettre en question sans que cela ne soit justifié, devant les clients avec qui nous tentions de conclure un accord ou de faire avancer les projets, créant systématiquement un malaise général, difficile à dépasser.
Votre attitude inadaptée démontre votre manque d’esprit d’équipe et dénote une fois encore d’un manque de compréhension global des enjeux professionnels, mais également un manque d’adaptabilité et d’adéquation entre les enjeux et les moyens de parvenir au but recherché.
D’une manière générale, lorsqu’un tiers est présent aux réunions que vous présidez ou auxquelles vous participez activement, il relate des échanges et un climat tendu, principalement à cause de conversations longues, complexes et confuses. Nous notons également que les échanges et réunions deviennent rapidement fastidieux par votre manque de méthodologie et votre inefficacité à travailler en équipe.
A vos diverses carences ainsi constatées, s’ajoute un manque d’investissement non dissimulé dans vos fonctions. En effet, vous avez indiqué à la Direction à l’occasion d’un rendez-vous au cours duquel il vous précisait qu’il fallait travailler sur des projets « grand public» pour permettre d’assurer la pérennité financière de l’entreprise :« Je ne vais pas travailler sur des projets que je n’aime pas » ou lorsque vous avez exprimé votre souhait de « ne pas [vous] intéresser aux contraintes et enjeux économiques des projets ».
Enfin, au cours de ces deux dernières années, je vous ai reçue à deux reprises. Lors de ces entretiens, il vous a clairement été notifié ce qui ne fonctionnait pas dans votre manière de travailler, les carences constatées et ce qu’il fallait corriger. Malgré ces rappels, vous ne vous êtes pas remise en cause, et n’avez pas pris en compte les remarques formulées, de sorte qu’aucune amélioration n’a été constatée.
C’est dans ces conditions que nous nous voyons contraints de vous notifier votre licenciement pour cause réelle et sérieuse motivé par votre insuffisance professionnelle.
Votre préavis d’une durée de 3 mois débute à la date de première présentation de ce courrier.
Au terme cie votre contrat de travail, nous vous adresserons par courrier votre certificat de travail, votre reçu pour solde de tout compte et votre attestation Pôle emploi.
Nous vous rappelons qu’à compter de la rupture de votre contrat de travail, vous pouvez conserver le bénéfice des régimes de prévoyance et de frais de soins de santé en vigueur au sein de notre société aux conditions en vigueur, pour une durée maximale de douze mois’
Sur la demande principale de nullité du licenciement
Pour infirmation de la décision entreprise, Mme [T] soutient en substance que son licenciement est nul comme étant une mesure de discrimination en raison de l’âge et comme étant consécutif au courrier de son conseil à la suite du refus d’accepter la rupture conventionnelle proposée par l’employeur, le licenciement ayant ainsi été prononcé en violation de la liberté d’expression.
La société réplique que si Mme [T] sollicite la nullité de son licenciement c’est dans le seul but de contourner le barème d’indemnisation ; que la salariée n’a jamais évoqué une quelconque discrimination en raison de son âge dans les conclusions de 1ère instance ; que rien n’établit un lien de corrélation entre le courrier de son avocat et le licenciement.
Sur la liberté d’expression
Vu l’article L. 1121-1 du code du travail et l’article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Il résulte de ces textes que sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression et il ne peut être apporté à celle-ci que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.
Il est de droit que l’exercice de la liberté d’expression ne peut justifier un licenciement, quel qu’il soit, qu’en cas d’abus, celui-ci étant caractérisé lorsque les propos ou écrits utilisés sont injurieux, diffamatoires ou excessifs. Des propos critiques, même vifs, ne caractérisent pas un abus.
Il est admis que la société Les Armateurs a proposé une rupture conventionnelle de son contrat de travail le 17 avril 2019 à Mme [T] que celle-ci a refusée par l’intermédiaire de son conseil du 23 avril 2019.
Aux termes dudit courrier, il est indiqué que Mme [T] a été reçue le 11 avril 2019 par la directrice générale associée de la société pour lui faire part ‘de manière très soudaine et incompréhensible, après 11 ans de service qu’elle avait du mal à comprendre comment Mme [T] fonctionnait dans son travail et que la société envisageait de se séparer d’elle’ ; que ‘ le lundi 15 avril 2019, Mme [T], extrêmement bouleversée par cette annonce brutale, a logiquement demandé à être reçue par M. [ED] [Z], Président de la société’; que ‘le lendemain, elle a donc été reçue en entretien par Mme [G] et M. [Z], très brutalement ce dernier lui a indiqué que si ça n’avait tenu qu’à lui, elle aurait été virée dès le premier jour’ et ‘ après avoir formulé une liste de reproches vagues, il lui a finalement fait savoir qu’il entendait se séparer d’elle ne signant une rupture conventionnelle’ ; que ‘le mercredi 17 avril 2019, Mme [T] a été reçue par M. [H] [L], directeur des ressources humaines du groupe Hildegarde (auquel appartient la société), pour lui remettre un formulaire de rupture conventionnelle’ ; que Mme [T] ‘est très surprise par la volonté soudaine de la société de mettre un terme à son contrat de travail, n’ayant jamais fait l’objet d’aucun reproche par le passé, tant sur le plan disciplinaire que sur le plan professionnel’.
La salariée a été convoquée le 29 avril 2019 à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, 6 jours après avoir, par l’intermédiaire de son conseil, dénoncé les conditions dans lesquelles les entretiens des 11 avril avec Mme [G] et 16 avril avec M. [Z] ont eu lieu, mais également les propos qui ont été tenus qualifiés de brutaux par la salariée.
La cour en déduit que les éléments ainsi apportés par la salariée et leur chronologie laissent supposer que le licenciement de la salariée a été prononcé en raison du courrier adressé par son conseil se plaignant du comportement de la direction, au mépris de sa liberté d’expression.
Il appartient donc à l’employeur d’établir que sa décision était justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner la liberté d’expression de la salariée, fut-ce par l’intermédiaire de son conseil.
A cet effet, la société Les Armateurs fait valoir qu’elle a diligenté une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle sans rapport avec le courrier de son avocat refusant la rupture conventionnelle ni avec l’usage de sa liberté d’expression.
Il résulte de la lettre de licenciement que sont reprochés à Mme [T] au titre de son insuffisance professionnelle :
– une inertie et une passivité quant à l’apport et au développement de nouveaux projets ;
– une incapacité à s’adapter aux besoins du marché se traduisant par une absence de financement des projets dont elle est en charge ;
– un comportement et un mode de communication inappropriés avec les clients ainsi qu’avec les partenaires de la société en se fermant à tout dialogue et en refusant de prendre en compte leurs remarques, ce qui aboutit à des situations conflictuelles mettant en péril la poursuite des collaborations avec ces interlocuteurs et nuisant à l’image de la société ;
– une absence d’écoute de ses interlocuteurs en interne, ne parvenant pas à travailler en équipe, ce qui conduit à un manque de cohésion nuisant au bon fonctionnement de la société ainsi qu’à son image.
Sans être contredite sur ce point, Mme [T], en qualité de directrice de développement depuis janvier 2011, était chargée de développer des projets de film ou de séries d’animation, de l’élaboration du script avec les auteurs et les scénaristes jusqu’à la mise en production du projet. Elle devait trouver des projets à développer, d’adaptation d’oeuvres déjà existantes ou de création, coordonner et orienter le travail d’écriture et de réalisation avec les auteurs, les scénaristes, les graphistes et les réalisateurs, proposer ces projets à des diffuseurs potentiels (chaînes TV, sociétés de distribution).
1/ Sur l’inertie et la passivité de Mme [T] :
L’employeur se prévaut d’une absence totale de production entre décembre 2018 à fin mars 2019 à la suite de la production en décembre 2018 du film ‘des hirondelles de Kaboul’ en partie réécrit à la demande de M. [Z] président et producteur et de Mme [G] co-directrice générale de la société, d’une absence de proposition sur des thèmes précis tels que ‘Animation Comic Adult ‘ pour Netflix, une absence de présentation de plan de financement en 2018 pour les projets en cours, une absence de présentation de projets d’édition et d’adaptation.
Si les échanges de courriels des 21 et 23 avril 2015 démontrent qu’un redécoupage du scénario du film ‘les hirondelles de Kaboul’ était nécessaire pour pouvoir être financé, ils établissent également que ce travail de découpage a été demandé par la production, à savoir la société Les Armateurs, à Mme [GC] [R], la réalisatrice, sans que la compétence de Mme [T] ne soit mise en cause. L’attestation de Mme [G], co-directrice générale de la société, selon laquelle le scénario nécessitait une ‘véritable réécriture’ afin de pouvoir être financé et que c’est ‘devant l’inertie de Mme [T]’ que Mme [G] a ‘dû intervenir pour demander une réécriture alors même que c’était son rôle’ n’est nullement corroborée par des éléments objectifs et n’emporte pas la conviction de la cour. Et ce d’autant plus que selon cette même attestation de Mme [G], le responsable juridique, M. [Y] [M], en mars 2019, lui a ‘fait part de sa lassitude à travailler avec Mme [T] du fait de son manque de prise en compte des contraintes économiques et des contraintes de calendrier qui s’imposent au bon fonctionnement des projets’ alors que Mme [T] verse aux débats une attestation de M. [M] selon laquelle, ‘contrairement à ce que peut laisser penser l’attestation de Mme [G], directrice générale de la société Les Armateurs, [il n’a] jamais pris l’initiative de venir la trouver pour [se] plaindre d’une quelque manière que ce soit, d’un problème à travailler avec Mme [T]’ et il ‘atteste que Mme [T] a toujours effectué son travail avec professionnalisme et enthousiasme’, qu’il n’a ‘jamais assisté à aucun reproche fait par la direction de la société Les Armateurs sur les apports, les choix ou la manière de travailler de Mme [T] dans la conduite de sa mission’ ; qu’il a au cours de la réunion à laquelle il a été convoqué par Mme [G] en mars 2019 pour l’informer du licenciement de Mme [T], souligné ‘l’importance de tenir un calendrier de développement ou d’objectifs de financement afin de coordonner le travail de l’équipe et tenter d’établir des objectifs communs’ en précisant également qu’ ‘un tel calendrier n’a jamais été tenu ce même avant l’arrivée de Mme [T]’. Il atteste aussi qu’après le licenciement de Mme [T], il a lui-même établi un tel calendrier qui a été très rapidement négligé par la direction générale de la société’ .
En outre, la société Les Armateurs de démontre pas que Mme [T] était également chargée de présenter un plan de financement étant relevé de surcroît que M. [M] atteste que la salariée ‘n’établissait aucun devis ou plan de financement des développements puisque ces missions ont toujours été exercées par son supérieur, le directeur financier, puis directeur général de la société M. [IF]’.
Enfin les mails produits aux débats et relatifs aux fils d’animation ‘Comic Adult’ adressés par le président de la société Les Armateurs à M [IF], Mme [G], M. [S], Mme [B], Mme [O] et Mme [T] et par lequel il sollicite que les destinataires lui proposent des idées ‘dans le genre’ n’établissent nullement une quelconque insuffisance professionnelle de Mme [T]. L’attestation de M. [Z], président de la société, qui a décidé du licenciement de la salariée, ne saurait emporter la conviction de la cour en l’absence d’éléments extérieurs la corroborant.
L’inertie et la passivité de Mme [T] ne peuvent donc être retenues.
2/ Sur l’incapacité à s’adapter aux besoins du marché se traduisant par une absence de financement des projets dont elle est en charge :
L’employeur invoque encore la réécriture du scénario du film ‘les hirondelles de Kaboul’ au sujet duquel la cour a retenu que l’insuffisance professionnelle n’était pas établie.
La société Les Armateurs se prévaut également du projet ‘L’île au trésor’ qui n’a pas obtenu de financement ni aucun aboutissement après deux ans de développement par Mme [T]. Cependant, comme déjà relevé ci-avant, la société n’établit pas que Mme [T] avait en charge de réaliser le plan de financement et aucun élément n’est produit à ce titre, l’employeur procédant par simple allégation. En outre, si M. [IF], directeur général délégué de la société Les Armateurs atteste que le ton et le format de cette adaptation n’étaient pas cohérents avec le ton de l’oeuvre d’origine et les attentes des diffuseurs et qu’ils ont fait le choix d’arrêter ce projet qui n’a jamais été présenté, il n’en demeure pas moins que M. [IF] en était parfaitement informé dès le mois d’avril 2017 et qu’il n’est versé aucun élément aux débats établissant une quelconque insuffisance professionnelle imputable à Mme [T] à l’origine de l’absence d’aboutissement du projet.
De la même façon, il n’est pas établi que l’abandon de différents projets est imputable à Mme [T] et à son absence d’adaptation aux besoins du marché étant relevé comme le souligne la salariée que la mise en place d’un projet est un travail d’équipe et qu’il n’est nullement établi que la direction lui a fixé des objectifs en termes de projets réussis, ni qu’elle lui a donné des consignes précises sur les cibles à viser pour ses projets, procédant là encore par allégation.
Comme le relève également la salariée, c’est en vain que l’employeur produit un tableau qu’il a lui-même réalisé sur les pourcentages des projets réussis ou abandonnés sans éléments objectifs à l’appui pour affirmer que 85% des projets de Mme [T] avaient été abandonnés, alors que de nombreux projets ont été rapidement abandonnés sans avoir généré le moindre coût, ce qui n’est pas contredit et que la salariée affirme que certains projets mentionnés dans le tableau, coûteux et abandonnés ont été proposés soit par l’ancien président M. [J] parti en 2014 à une époque où elle était chargée de développement et non directrice de développement, soit par M. [Z].
3/ Sur le comportement et le mode de communication inappropriés :
Comme le relève la salariée, l’employeur ne démontre pas que le client France Télévision qui a accepté de financer le projet de développement de ‘Ana Filoute’, s’est plaint du comportement ou du mode de communication de Mme [T], étant relevé que les attestations de M. [X], directeur du studio Folimage, et de Mme [G] sont insuffisants à établir un quelconque mécontentement sans élément objectif les corroborant ou à tout le moins sans les attestations des salariés dont Mme [G] dit rapporter les propos ou les comptes rendus de réunion auxquels M. [X] fait référence. De surcroît la salariée verse aux débats de nombreux échanges établissant une communication régulière, courtoise et prenant en compte les demandes ou interrogations du client, portée en outre en copie à la connaissance de M. [IF] sans remarque ou consigne de sa part. Les simples échanges d’idées ne sauraient caractériser une insuffisance professionnelle.
Sur le projet ‘Runes’ dont Mme [T] avait la charge depuis 2017 comme le relève l’employeur, celui-ci n’établit pas davantage des mises au point effectués avec sa directrice sur son prétendu manque de méthodologie et ne justifie pas des raisons pour lesquelles il a attendu deux ans pour se rendre compte des insuffisances de la salariée dans la gestion de ce projet. De surcroît comme le souligne la salariée, ce projet a été retenu par la production et les deux premiers auteurs attestent que les difficultés relationnelles sont imputables à M. [IF], l’un des deux auteurs écrivant en outre par mail du 12 décembre 2017 ‘Qu'[A][[IF]] cesse son terrorisme professionnel totalement contre-productif…là il y a une ingérence sur l’écriture TOTALE’. Enfin, la salariée révèle également que le directeur de développement du co-producteur du projet l’a félicitée le 29 mai 2019 en précisant ‘être très content de la direction que tu as donnée au projet depuis nos premières discussions il y a presque deux ans. Il est maintenant sur les bons rails’.
Sur le projet ‘Bergères guerrières’, alors que M. [IF] et Mme [G] étaient destinataires en copie de l’ensemble des échanges de M. [T] avec M. [F], auteur de la bande dessinée, sur les difficultés relatives au synopsis adressé par ce dernier, l’employeur n’établit pas avoir donné des consignes ou directives à la salariée à cet égard, ni lui avoir fait une quelconque remarques sur les échanges et les difficultés rencontrées.
Sur le projet ‘Martine’ demandé par M6 et Disney, la société Les Armateurs produit à l’appui de ses reproches l’attestation de M. [IF] selon laquelle il a été demandé à Mme [T] de ‘proposer un nouveau concept TV Martine …ce qui n’a pas été fait’, ce qui ne permet pas d’imputer l’absence de réalisation de ce projet à une quelconque insuffisance professionnelle de Mme [T].
Sur la réaction de Mme [T] lors du Cartoon Forum en septembre 2016, l’attestation de Mme [G] sur l’absence de sourire de Mme [T] à une pointe d’humour plus de deux ans avant le licenciement ne peut pas sérieusement caractériser une insuffisance professionnelle justifiant un licenciement.
Sur la proposition ‘d’un diable gentil’ au lieu ‘d’un diable méchant’ et l’attitude hostile lors de la réunion du 3 avril 2019, il résulte de l’attestation, au demeurant non datée, de M. [C], responsable de la cession de droits audiovisuels du catalogue d’édition Europe Médiatoon , que ‘De tous les échanges’ que lui et l’auteur de la série Nelson ont pu avoir avec Mme [T] à l’occasion de son développement, ils n’ont ‘jamais eu l’impression d’avoir été entendu ou compris’, Mme [T] n’ayant eu ‘de cesse de vouloir changer intégralement le concept faisant de ce diablotin un champion des bonnes actions devant remettre sur le droit chemin une petite peste’ , qu’ils ont quitté ‘cette réunion plus tristes que fâchés’, qu’ ‘aucune de [leurs] remarques pour rendre à Nelson son ADN n’a été retenue jusqu’au changement de direction d’écriture qui a fini par arriver par leur plus grand soulagement’. Mme [T] produit un courriel du 3 avril 2019 adressé par M. [C] à la salariée ainsi qu’à Mme [G] et M. [N] indiquant ‘suite à notre chouette réunion, voici les mails de ses meilleurs amis de Nelson pour la suite des échanges. Bientôt dans votre boîte, de la part de [V] [P] [K] à 4 pattes. Si besoin des corrections ou des commentaires sur les 1er dessins. La bible littéraire arrivera autour de la fin Mai. A très vite. [I]…’. Sans être contredite, la salariée indique avoir adressé ‘la bible’ complète à M. [IF] et Mme [G]sans reproche ou consigne de leur part et justifie leur avoir demandé leur avis par mail du 8 avril 2019 et du 10 avril 2019 et qu’à défaut de réponse de leur part, elle a sollicité le 15 avril 2019 une éventuelle rencontre pour qu’ils puissent donner leur avis sur le sujet. Le doute devant profiter au salariée, et eu égard à l’existence de discussions nécessaires entre l’auteur et l’équipe chargé du développement du projet, la cour déduit des éléments développés ci-avant que l’insuffisance reprochée à la salariée n’est pas établie.
4/ Sur l’ absence d’écoute de ses interlocuteurs en interne, ne parvenant pas à travailler en équipe, ce qui conduit à un manque de cohésion nuisant au bon fonctionnement de la société ainsi qu’à son image :
A l’appui de ses prétentions, l’employeur produit l’attestation de Mme [G], directrice générale de la société sans élément objectif corroborant les reproches dont elle fait état et notamment sans établir que des directives ou consignes avaient été données quant aux calendriers de développement, à la coordination, aux objectifs communs. En outre, l’employeur admet qu’après le départ de Mme [T], elle a organisé une réunion vers l’équipe des Armateurs le 17 décembre 2019 afin de réorganiser le travail, redéfinir le travail de chacun et mettre en place des éléments de suivi de productions. Il n’est pas soutenu que ce travail d’organisation a été réalisé avant le licenciement de Mme [T].
La cour déduit de l’ensemble de ses éléments que l’insuffisance professionnelle de Mme [T] n’est pas établie et qu’en conséquence, la société Les Armateurs ne démontre pas que sa décision de licencier la salariée était justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner la liberté d’expression de celle-ci.
Dès lors, par infirmation de la décision entreprise, la cour retient que le licenciement de Mme [T] est nul.
En application de l’article L. 1353-1 du code du travail, lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article, notamment pour violation d’une liberté fondamentale et lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
A la date de la rupture, Mme [T] âgée de 54 ans, bénéficiait de 11 ans d’ancienneté et d’une rémunération de 4 100,68 euros (en ce compris le 13ème mois prorata temporis). Elle justifie de la perception des allocations de chômage et de la création d’une activité de consultante indépendante dans le secteur de la production artistique et avoir subi une perte de revenu importante. Au regard de ces éléments, la cour lui octroie la somme de 50 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul.
Sur les indemnités chômage
En application de l’article L.1235-4 du code du travail dans sa version en vigueur à compter du 1er janvier 2019 issue de la loi n°2018-771 du 5 septembre 2018, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.
Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
Pour le remboursement prévu au premier alinéa, le directeur général de Pôle emploi ou la personne qu’il désigne au sein de Pôle emploi peut, pour le compte de Pôle emploi, de l’organisme chargé de la gestion du régime d’assurance chômage mentionné à l’article L. 5427-1, de l’Etat ou des employeurs mentionnés à l’article L. 5424-1, dans des délais et selon des conditions fixés par décret en Conseil d’Etat, et après mise en demeure, délivrer une contrainte qui, à défaut d’opposition du débiteur devant la juridiction compétente, comporte tous les effets d’un jugement et confère le bénéfice de l’hypothèque judiciaire.
En l’espèce, il convient d’ordonner le remboursement par la société Les Armateurs à Pôle Emploi des indemnités chômage versées à Mme [T] à hauteur de 6 mois.
Sur la demande de dommages-intérêts pour perte de chance
Pour infirmation de la décision critiquée, Mme [T] soutient essentiellement que la perte de chance de ne pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein en raison d’un licenciement doit être réparé.
La société intimée réplique que la salariée ne peut pas affirmer qu’elle ne retrouvera pas d’emploi compte tenu de son âge alors que lors de son embauche, elle était âgée de 43 ans, et qu’elle a créé sa propre activité de consultante.
Il est de droit qu’en application du principe de la réparation intégrale du préjudice, les dommages-intérêts alloués à un salarié doivent réparer intégralement le préjudice subi sans qu’il en résulte pour lui ni perte ni profit.
En l’espèce, la cour a alloué à la salariée des dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à la nullité de son licenciement réparant l’intégralité du préjudice né de la perte de son emploi de telle sorte que c’est à juste titre que les premiers juges l’ont déboutée de sa demande de dommages-intérêts au titre de la perte de chance de percevoir l’intégralité de la pension de retraite à laquelle elle aurait eu droit si son contrat de travail n’avait pas été rompu avant son départ à la retraite. La décision critiquée sera confirmée de ce chef.
Sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire
Pour infirmation de la décision sur ce point, Mme [T] fait valoir au visa de l’article L. 1222-1 du code du travail, réplique que le caractère vexatoire du licenciement résulte de la chronologie des événements et de l’absence de reproche pendant 11 ans.
La société Les Armateurs rétorque que la salariée, qui n’a pas été licenciée pour faute grave avec mise à pied à titre conservatoire, n’a pas été licenciée brutalement ; que son licenciement n’a pas été décidé dans la précipitation, des remarques lui ayant été adressées préalablement.
En application de l’article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail est présumé exécuté de bonne foi, de sorte que la charge de la preuve de l’exécution de mauvaise foi dudit contrat incombe à celui qui l’invoque.
La cour a retenu que le licenciement de Mme [T] est nul comme portant atteinte à sa liberté d’expression, l’insuffisance professionnelle qui lui est reprochée dans la lettre de licenciement n’étant pas établie, et son licenciement ayant été prononcé après le courrier de son avocat et sans que l’employeur n’établisse l’existence du moindre reproche pendant les 11 ans de leur relation contractuelle. L’attestation de M. [Z], président de la société Les Armateurs, qui a signé la lettre de licenciement, ne saurait emporter la conviction de la cour sur l’existence de reproches adressés à la salariée avant son licenciement, sans élément objectif.
La cour en déduit que le licenciement, eu égard à la chronologie des évènements et à la longue litanie de reproches formulés dans la lettre de licenciement, est vexatoire et en réparation du préjudice subi à ce titre, alloue à la salariée la somme de 2 000 euros de dommages-intérêts par infirmation de la décision entreprise.
Sur les frais irrépétibles
La société Les Armateurs sera condamnée aux dépens et devra verser à Mme [T] la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel, la condamnation prononcée par les premiers juges à ce titre étant confirmée.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe,
INFIRME le jugement déféré, sauf en ce qu’il a débouté Mme [U] [T] de sa demande de dommages-intérêts au titre de la perte de chance de percevoir l’intégralité de sa retraite ;
Statuant à nouveau sur les chefs de jugement infirmés ;
JUGE le licenciement de Mme [U] [T] nul ;
CONDAMNE la SAS Les Armateurs à verser à Mme [U] [T] les sommes suivantes:
– 50 000 euros d’indemnité au titre du licenciement nul ;
– 2 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire ;
RAPPELLE que les sommes à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter de la décision qui les alloue ;
Y ajoutant ;
ORDONNE le remboursement par la SAS Les Armateurs à Pôle Emploi des indemnités chômage versées à Mme [U] [T] à hauteur de 6 mois ;
CONDAMNE la SAS les Armateurs aux entiers dépens ;
CONDAMNE la SAS Les Armateurs à verser à Mme [U] [T] la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La greffière, La présidente.