Bail d’habitation : 6 octobre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 21/21370

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Bail d’habitation : 6 octobre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 21/21370
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Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 2

ARRET DU 06 OCTOBRE 2022

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/21370 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEZGV

Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Novembre 2021 -Président du TJ de PARIS – RG n° 21/51444

APPELANTE

LA VILLE DE [Localité 4], prise en la personne de Madame la Maire de [Localité 4], Mme [S] [I], domiciliée en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée et assistée par Me Bruno MATHIEU de la SELAS MATHIEU ET ASSOCIE, avocat au barreau de PARIS, toque : R079

INTIMEE

S.C.I. TEMPO 132 (RCS de PARIS n° 841 280 787)

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Olivier JESSEL, avocat au barreau de PARIS, toque : B0811

Assistée par Me Lison MAIRAT, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 30 Juin 2022, en audience publique, devant Mme Michèle CHOPIN, Conseillère, conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats ne s’y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre

Thomas RONDEAU, Conseiller

Michèle CHOPIN, Conseillère

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSE DU LITIGE

Par exploit du 28 janvier 2021, la ville de [Localité 4] a fait assigner la société Tempo 132 devant le tribunal judiciaire de Paris saisi selon la procédure accélérée au fond, sur le fondement notamment des dispositions de l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation, concernant l’appartement situé [Adresse 2].

Pour les besoins de la présente procédure, il est rappelé que par arrêt du 22 septembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré la réglementation nationale conforme aux dispositions de la directive 2006/123/CE (CJUE, 22 septembre 2020, Cali Apartments, affaires jointes C-724/18 et C-727/18).

Par cinq arrêts en date du 18 février 2021, la Cour de cassation a tiré les conséquences de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne en jugeant notamment que la réglementation locale de la Ville de [Localité 4] sur le changement d’usage était conforme à la réglementation européenne.

Par jugement du 22 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :

– débouté la ville de [Localité 4] de sa demande de condamnation à une amende civile sur le fondement des dispositions des articles L. 631-7 et L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation ;

– rejeté la demande portant sur le retour à l’habitation des locaux ;

– rejeté les demandes de la ville de [Localité 4] portant sur les sommes de 10.000 euros et 5.000 euros et fondées sur les dispositions de l’article L. 324-1-1 du code du tourisme ;

– condamné la ville de [Localité 4] à payer à la société Tempo 132 la somme de 1.500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné la ville de [Localité 4] aux dépens ;

– rappelé que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire de plein droit.

Par déclaration du 06 décembre 2021, la ville de [Localité 4] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 11 mars 2022, la ville de [Localité 4] demande à la cour, de :

– infirmer la décision entreprise en ce qu’elle a rejeté sa demande au titre du changement d’usage du bien de la part de la société Tempo 132 ;

Statuant à nouveau,

– condamner la société Tempo 132 à une amende civile de 50.000 euros et dire que le produit de cette amende lui sera intégralement versé conformément à l’article L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation ;

– ordonner le retour à l’habitation des locaux transformés sans autorisation du [Adresse 2], sous astreinte de 348 euros par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir et pendant le délai qu’il plaira à la Cour de fixer ;

– condamner la société Tempo 132 au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur de première instance et d’appel ainsi qu’aux entiers dépens qui seront recouverts ainsi qu’il est dit à l’article 699 du code de procédure civile par Me Bruno Mathieu, avocat.

La ville de [Localité 4] soutient en substance que :

– un permis de construire a été accordé le 29 décembre 1998 autorisant des travaux aux fins d’aménagement du local en logement, de sorte que ce local est à usage d’habitation,

– la société Luckyspace se trouve bénéficiaire du bien suivant un contrat non produit et consent elle-même sur celui ci différents baux, sans toutefois être gestionnaire,

– elle n’utilise donc pas le bien à des fins d’habitation mais à des fins commerciales, ce qui constitue un changement d’usage,

– l’amende civile doit être dissuasive,

– il convient en outre que soit ordonnée la cessation de l’infraction par le retour à l’habitation sous astreinte.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 11 avril 2022, la société Tempo 132 demande à la cour de :

– confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions ;

– juger qu’elle n’a commis aucune des infractions invoquées par la Ville de [Localité 4] ;

– débouter la ville de [Localité 4] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

– juger que la ville de [Localité 4] n’a effectué aucune demande au titre des dispositions des articles L. 324-1-1 et L. 324-1 du code du tourisme ;

– juger qu’il n’y a lieu à lui appliquer une quelconque amende, ni à appliquer une quelconque condamnation ;

– juger qu’il n’y a lieu à ordonner « le retour à l’habitation » du lot n°127 ;

– condamner la ville de [Localité 4] à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.

La société Tempo 132 soutient en substance que :

– la chronologie des locations depuis mai 2019 est produite,

– les locataires ont signé en moyenne des baux mobilité, les loyers perçus ayant fait l’objet de déclarations fiscales,

– la société Luckyspace a été mandatée pour percevoir les loyers pour des raisons de commodité,

– aucune infraction n’est démontrée, ne s’agissant pas de meublés de tourisme,

– les poursuites ne sont donc fondées sur aucun élément tangible,

– les témoignages produits sont surprenants, et émanent de personnes habitant l’immeuble qui en réalité n’ont été témoins de rien.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions susvisées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

L’article L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation dispose que toute personne qui enfreint les dispositions de l’article L. 631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application dudit article est condamnée à une amende civile dont le montant ne peut excéder 50.000 euros par local irrégulièrement transformé.

Selon l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation, un local est réputé à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970. Cette affectation peut être établie par tout mode de preuve. Les locaux construits ou faisant l’objet de travaux ayant pour conséquence d’en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 sont réputés avoir l’usage pour lequel la construction ou les travaux sont autorisés.

Toutefois, lorsqu’une autorisation administrative subordonnée à une compensation a été accordée après le 1er janvier 1970 pour changer l’usage d’un local mentionné à l’alinéa précédent, le local autorisé à changer d’usage et le local ayant servi de compensation sont réputés avoir l’usage résultant de l’autorisation.

Sont nuls de plein droit tous accords ou conventions conclus en violation du présent article.

Le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage au sens du présent article.

Pour l’application des dispositions susvisées, il y a donc lieu d’établir :

– l’existence d’un local à usage d’habitation, un local étant réputé à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970, sauf pour les locaux construits ou faisant l’objet de travaux ayant pour conséquence d’en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 qui sont réputés avoir l’usage pour lequel la construction ou les travaux sont autorisés, le formulaire administratif de type H2 rempli à cette époque dans le cadre de la législation fiscale permettant de préciser l’usage en cause ;

– un changement illicite, sans autorisation préalable, de cet usage, un tel changement étant notamment établi par le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile.

Il est en outre constant que, s’agissant des conditions de délivrance des autorisations, la Ville de [Localité 4] a adopté, par règlement municipal et en application de l’article L. 631-7-1 du code de la construction et de l’habitation, le principe d’une obligation de compensation par transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage, obligation de compensation qui n’apparaît pas voir été respectée dans le cadre de la présente procédure.

En l’espèce, s’agissant d’abord de l’usage d’habitation, il sera rappelé qu’ici, le bien en cause a fait l’objet d’un permis de construire obtenu le 29 décembre 1998, de sorte que le logement est réputé avoir l’usage pour lequel les travaux ont été autorisés.

Il sera donc observé que l’usage du logement au 1er janvier 1970 importe peu, dans la mesure où des travaux sont intervenus avec une autorisation administrative, postérieurement à cette date. Les développements sur ce point sont donc inopérants.

Le permis de construire vise notamment, ainsi d’ailleurs qu’il résulte explicitement de l’extrait de l’acte de vente au profit de la société Temp 132 du 10 octobre 2018 (pièce n°2 du conseil de la ville de [Localité 4], annexe p.16) à transformer en usage d’habitation le lot n°127, alors à usage commercial.

La déclaration H2 subséquente, en date du 20 novembre 1998 mentionne que “le local est destiné à l’habitation principale”.

La destination du bien résultant de l’autorisation administrative est donc bien un usage d’habitation, de sorte que ce dernier apparaît établi au sens de l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation, étant indifférente la discussion sur le caractère probant des témoignages produits, dans la mesure où la loi vise l’usage pour lesquels les travaux ont été autorisés.

Le bien en cause est donc réputé à usage d’habitation.

Le logement en cause n’est en outre pas la résidence principale de la société Tempo 132, et a fait l’objet de locations de courte durée à une clientèle de passage, ainsi qu’en attestent les annonces publiées à cette fin sur la plate-forme Hackerhouse (constat de l’agent de la ville, pages 2 à 4), l’hôte mentionné se prénommant [M] tout comme le gérant de la société Tempo 132, M. [M] [G].

Il ressort des pièces produites et des écritures des parties que la société Tempo 127 expose avoir en réalité mandaté la société Luckyspace, dont le gérant est également M. [M] [G], pour percevoir les loyers des baux mobilité qu’elle a conclus.

Il sera relevé que :

– l’article L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation dispose que “toute personne” qui enfreint les dispositions de l’article L. 631-7 peut être condamnée à une amende civile ;

– le contrat qui lie les sociétés Tempo 132 et Lucky Space n’est pas produit mais qu’il se déduit des écritures de la société Tempo 132 que la société Luckyspace exploite le bien pour le louer à des tiers, ce qui est d’ailleurs confirmé par la production de baux mobilité consentis au nom de la société Luckyspace désigné comme “le bailleur” ;

– la société Tempo 132 ne saurait ainsi pouvoir se retrancher derrière la conclusion des baux mobilités, étant rappelé que la société Luckyspace n’était pas gestionnaire de l’ensemble des locations de courte durée à la clientèle de passage dans un local réputé à usage d’habitation mais agissait en son nom et pour son compte ;

– il s’en déduit de toute évidence que la société Tempo 132 n’a pas consenti à la société Luckyspace un bail d’habitation mais qu’elle lui a bien confié l’exploitation des lieux ;

– la société Tempo 132 dont l’objet est la location de terrains et d’autres biens immobiliers, et son gérant, M. [G], également gérant de la société Luckyspace, dont l’activité consiste en ds prestations de service aux entreprises par la mise à disposition de centres d’affaires, bureaux, salle de réunion, show room et boutiques éphémères, ne pouvaient ignorer la réglementation applicable et le changement illicite d’usage résultant de l’activité de loueur, alors même que le bien n’est pas utilisé par elle à usage d’habitation mais à des fins commerciales ;

Sur le quantum de l’amende, il sera relevé que :

– l’infraction s’est poursuivie entre 2019 et 2020 ;

– par référence à un gain total de 83.520 euros par sur la base d’un loyer de 6.960 euros par mois (1.200 euros le studio et 960 euros par chambre au nom de 6), eu égard au loyer qui aurait été généré par une location classique, soit en moyenne 29.536 euros par an, la part du gain illicite peut être estimé, comme l’indique la ville, à la somme de 53.984 euros ;

– le coût de la compensation aurait été de 130.000 euros (65m2x2.000 euros/m2).

Ainsi, une amende civile de 50.000 euros à l’encontre de la société Tempo 132 apparaît proportionnée et adaptée, tenant compte des gains perçus, du coût de la compensation et de l’objectif d’intérêt général de la législation, qui tend à répondre à la difficulté de se loger à [Localité 4].

Le retour à l’habitation conformément à la législation applicable sera ordonné, une astreinte n’étant pas nécessaire à assurer l’exécution du présent arrêt.

Ainsi, au regard de l’ensemble de ces éléments, la décision du premier juge sera infirmée, en ce compris le sort des frais et dépens de première instance.

La ville de [Localité 4] aux termes de ses dernières écritures ne critique pas la décision entreprise en ce qu’elle a rejeté la demande de condamnation de la société Tempo 132 sur le fondement des dispositions de l’article L 324-1-1 du code de tourisme, de sorte qu’il ne sera pas staué sur ce point.

A hauteur d’appel, la société Tempo qui succombe, devra indemniser la ville de [Localité 4] dans les conditions indiquées au dispositif, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et sera condamnée aux dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement entrepris en ses dispositions soumises à la cour ;

Statuant à nouveau ;

Condamne la société Tempo 132 à une amende civile de 50.000 euros qui sera intégralement versée à la ville de [Localité 4] ;

Ordonne le retour à l’habitation des locaux transformés sans autorisation au [Adresse 2] ;

Dit n’y avoir lieu à astreinte ;

Condamne la société Tempo 132 à verser à la ville de [Localité 4] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en première instance et à hauteur d’appel

Condamne la société Tempo 132 aux dépens de première instance et d’appel ;

Rejette toute autre demande.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE

 


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