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PhD/ND
Numéro 23/1299
COUR D’APPEL DE PAU
2ème CH – Section 1
ARRÊT DU 06/04/2023
Dossier : N° RG 21/02824 – N° Portalis DBVV-V-B7F-H633
Nature affaire :
Demande du bailleur tendant à faire constater la validité du congé et à ordonner l’expulsion
Affaire :
[W] [C] veuve [B]
C/
[R] [E] épouse [H], [F] [H]
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 06 Avril 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l’audience publique tenue le 09 Février 2023, devant :
Monsieur Philippe DARRACQ, magistrat chargé du rapport,
assisté de Madame Nathalène DENIS, greffière présente à l’appel des causes,
Philippe DARRACQ, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d’opposition a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente
Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller
Madame Joëlle GUIROY, Conseillère
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l’affaire opposant :
APPELANTE :
Madame [W] [C] VEUVE [B]
née le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 13] (92)
de nationalité française
[Adresse 12]
[Localité 9]
Représentée par Me Julie CHATEAU de la SCP JEAN LUC SCHNERB – JULIE CHATEAU – ANCIENNEMENT DANIEL LACLA U, avocat au barreau de PAU
INTIMES :
Madame [R] [E] épouse [H]
née le [Date naissance 5] 1933 à [Localité 11] (64)
de nationalité française
[Adresse 4]
[Localité 10]
Monsieur [F] [H]
né le [Date naissance 6] 1969 à [Localité 14] (64)
de nationalité française
[Adresse 15]
[Localité 8]
Représentés par Me Philippe BORDENAVE, avocat au barreau de PAU
sur appel de la décision
en date du 01 JUILLET 2021
rendue par le JUGE DES CONTENTIEUX DE LA PROTECTION DE PAU
FAITS – PROCEDURE – PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES
Par acte sous seing privé du 8 décembre 2008, M. [A] [E] a donné à bail d’habitation à Mme [W] [C], divorcée [N], des locaux situés à [Localité 11].
Au cours du bail, M. [F] [H] et Mme [R] [E], épouse de M. [P] [H] (ci-après les consorts [I]) ont respectivement recueilli la nue-propriété et l’usufruit des biens loués.
En 2012, Mme [C] a épousé M. [K] [B], lequel est décédé le [Date décès 7] 2016.
Par acte d’huissier du 3 juin 2020, les consorts [I] ont notifié un congé pour vendre les biens loués au prix de 90.000 euros, à effet au 18 décembre 2020.
Suivant exploit du 29 décembre 2020, les consorts [I] ont fait assigner Mme [C], veuve [B] par devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Pau en validité du congé et expulsion.
Par jugement du 1er juillet 2021, auquel il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens initiaux des parties, le juge des contentieux de la protection a :
– déclaré valide le congé pour vendre en date du 3 juin 2020
– ordonné la libération des lieux dans le mois de la signification du jugement avec, au besoin, le concours de la force publique et l’assistance d’un serrurier
– condamné Mme [B] à payer aux requérants une indemnité d’occupation égale au montant du loyer et charges jusqu’à la libération effective des lieux
– ordonné à Mme [B] de laisser visiter les lieux sous menace d’une astreinte de 50 euros par infraction relevée
– condamné Mme [B] à payer aux requérants la somme de 400 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
– condamné Mme [B] aux dépens.
Par déclaration faite au greffe de la cour le 27 août 2021, Mme [C], veuve [B], a relevé appel de ce jugement.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 11 janvier 2023.
Avant l’ouverture des débats, et par mention au dossier, la cour a révoqué l’ordonnance de clôture et fixé la clôture au 9 février 2023, à la demande des parties afin d’admettre aux débats leurs dernières pièces et conclusions notifiées respectivement les 9 février et 8 février 2023, les parties n’entendant plus répliquer.
***
Vu les dernières conclusions notifiées le 9 février 2023 par Mme [C], veuve [B] qui a demandé à la cour de rabattre l’ordonnance de clôture [ce qui a été fait avant l’ouverture des débats], d’infirmer le jugement entrepris, et, statuant à nouveau de :
A titre principal :
– juger que le congé pour vendre a été réalisé en fraude des droits du locataire
– juger au surplus que les consorts [I] n’ont pas purgé le droit de préemption subsidiaire dont bénéficiait le locataire
– en conséquence, juger le congé nul et de nul effet
– débouter les consorts [I] de leurs demandes.
A titre reconventionnel :
– condamner in solidum les consorts [I] à lui payer la somme de 6.048 euros au titre du préjudice de jouissance
– fixer son préjudice moral à la somme de 1.500 euros
– condamner in solidum les consorts [I] à lui payer la somme de 1.500 euros en réparation du préjudice subi à titre de dommages et intérêts
– condamner in solidum les consorts [I] à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
*
Vu les dernières conclusions notifiées le 8 février 2023 par les consorts [I] qui ont demandé à la cour de rabattre l’ordonnance de clôture [ce qui a été fait avant l’ouverture des débats], de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de débouter l’appelante de ses demandes et, y ajoutant, de condamner l’appelante au paiement d’une somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts en raison de son attitude chicanière et vexatoire, outre une somme de 3.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS
sur la nullité du congé pour vendre
L’appelante fait grief au jugement d’avoir validé le congé pour vendre alors que le congé, exclusif de toute véritable intention de vendre, a été délivré par les bailleurs dans le but d’échapper à leur obligation d’entretien des lieux loués, le prix de vente de 90.000 euros, irrégulièrement notifié, étant manifestement excessif au regard de l’état de délabrement des lieux loués, à seule fin d’évincer la locataire, née en 1962, fragilisée psychologiquement, disposant de revenus modestes de 498 euros par mois ne lui permettant pas de se reloger avec ses animaux. Par ailleurs, au vu de l’acte de vente notarié régularisé à hauteur d’appel le 28 octobre 2022, l’appelante fait valoir que les biens loués ont été vendus au prix de 90.000 euros mais à des conditions plus avantageuses puisque la vente inclut un « bâtiment agricole », non compris dans les biens visés dans le congé pour vendre. Elle en déduit que le congé est nul, tant en raison de son caractère frauduleux qu’en raison du non-respect de son droit subsidiaire de préemption, le bailleur ne lui ayant pas notifié le projet de vente modifié, le tout au visa des articles 15 I et 15 II de la loi du 6 juillet 1989.
Mais, d’une part, l’appelante échoue à faire la preuve de l’irrégularité ou du caractère frauduleux du congé pour vendre délivré par les consorts [I].
En effet, d’abord, aucune disposition légale n’impose au bailleur de faire estimer son bien avant de notifier un congé pour vendre, le prix de vente étant librement fixé par le bailleur.
Ensuite, l’appelante n’a elle-même fait procéder à aucune estimation des biens loués, se bornant à produire un constat d’huissier réalisé le 21 avril 2021 mettant en évidence le mauvais état général des lieux loués mais qui ne permet pas de démontrer le caractère prétendument excessif du prix fixé dans le congé.
D’autre part, les clauses du bail désignant les lieux loués indiquent : « une maison d’habitation […], jardin clôturé autour de la maison avec dépendances : granges avec abri attenant, poulailler, abri en tôle. L’étable attenante à la grange n’est pas incluse dans le bail de location. »
Le congé pour vendre délivré le 3 juin 2020 a pour objet les biens loués au prix de 90.000 euros.
Il ressort de l’acte notarié du 28 octobre 2022 que les consorts [I] ont vendu les parcelles bâties B [Cadastre 2] et [Cadastre 3] en nature d’ancien corps de ferme comprenant une maison d’habitation, avec grange et dépendances, d’une superficie de 7885 m².
En premier lieu, il ressort des constatations qui précèdent que les lieux loués comprennent bien des espaces extérieurs, avec granges et dépendances, correspondant aux biens désignés dans l’acte de vente.
Le « bâtiment agricole » non inclus dans les biens loués, dont fait état l’appelante, n’est pas précisément identifié, et, en l’état des constatations, ne pourrait concerner que l’étable attenante à la grange.
Mais, l’omission dans le congé de l’adjonction de cette étable n’était pas de nature à tromper la locataire sur le périmètre de la vente, un détachement de l’étable n’étant pas envisageable sans une division parcellaire qui aurait été dénuée de tout intérêt économique.
Par ailleurs, l’appelante n’a produit aucun élément de nature à démontrer que cette étable aurait présenté une valeur vénale significative conférant un caractère manifestement excessif au prix de vente des biens loués visé dans le congé.
Enfin, concernant la contestation du congé tirée de l’indécence des lieux loués, celle-ci n’interdit pas au bailleur de donner congé pour vendre.
Par conséquent, il résulte de ce qui précède que le congé litigieux n’est affecté d’aucune irrégularité, les bailleurs ayant été mus par une volonté réelle de vendre les biens loués au prix du marché, exclusif de toute intention frauduleuse, et alors que le locataire fait état d’une situation personnelle qui ne lui permettait pas d’acquérir, même à un prix moindre, les biens vendus.
Enfin, à supposer même que la vente réalisée le 28 octobre 2022 ait été conclue à des conditions plus avantageuses en incluant des biens qui ne figuraient pas dans le congé, les intimés objectent à bon droit que la sanction légale du non-respect du droit de préemption subsidiaire du locataire est la nullité de la vente et non celle du congé.
Par conséquent, le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu’il a validé le congé pour vendre, ordonner l’expulsion de la locataire, fixer une indemnité d’occupation égale au loyer et charge, et ordonner à la locataire de laisser visiter les lieux sous astreinte.
sur la demande de dommages et intérêts pour trouble de jouissance
En application de l’article 1719 du code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière de délivrer au preneur de la chose louée à usage d’habitation, un logement décent.
Et, l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989 dispose que le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé.
En droit, l’obligation de délivrance du bailleur s’exécute lors de la conclusion et tout au long du bail.
Et, il résulte de ces dispositions que la réparation du trouble de jouissance résultant du manquement du bailleur à son obligation de délivrance d’un logement décent n’est pas subordonnée à une mise en demeure préalable.
En l’espèce, il ressort des courriers adressés par la locataire en 2013 et 2015 mais encore du constat d’huissier réalisé en avril 2021 que si l’état de mauvais entretien n’est pas exclusivement imputable au bailleur, celui-ci n’a pas pris les dispositions nécessaires à la mise en conformité des lieux avec les normes de sécurité et d’habitabilité réglementaires définies par le décret 2002-120 du 30 janvier 2002, s’agissant en particulier de l’installation électrique, la ventilation, le chauffage et les sanitaires.
Ces non-conformités ont nécessairement troublé la jouissance paisible des lieux de la locataire dont le préjudice sera réparé par l’allocation d’une somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Le jugement sera infirmé en ce sens.
sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral
Les faits invoqués par l’appelante au soutien de cette demande sont fondés sur les prétendues man’uvres frauduleuses des bailleurs pour l’évincer des lieux.
Aucune faute n’ayant été établie de ces chefs, l’appelante sera déboutée de ce chef de demande.
Les consorts [I] seront déboutés de leur demande dommages et intérêts pour procédure abusive.
Le jugement sera infirmé sur les dépens et les frais irrépétibles, chaque partie conservant à sa charge ses dépens de première instance et d’appel.
Les parties seront déboutées de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
la cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu’il a débouté Mme [B] de ses demandes indemnitaires et l’a condamnée aux dépens et aux frais irrépétibles,
INFIRME le jugement de ces seuls chefs,
et statuant à nouveau,
CONDAMNE solidairement les consorts [I] à payer à Mme [B] la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du trouble de jouissance,
DEBOUTE Mme [B] de sa demande de dommages et intérêts en réparation d’un préjudice moral,
DEBOUTE les consorts [I] de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
DIT que chaque partie conservera à sa charge ses propres dépens de première instance et d’appel,
DEBOUTE les parties de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.
DIT n’y avoir lieu à autoriser les avocats des parties à procéder au recouvrement direct des dépens d’appel, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente, et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l’article 456 du Code de Procédure Civile.
La Greffière La Présidente