Bail d’habitation : 3 avril 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 21/05522

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Bail d’habitation : 3 avril 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 21/05522
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COUR D’APPEL DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

————————–

ARRÊT DU : 03 AVRIL 2023

N° RG 21/05522 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-MLA7

[X], [K], [Y] [N]

[B] [M] épouse [N]

c/

[F] [W] épouse [Z]

S.A.S. FONCIA BORDEAUX

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :03 AVRIL 2023

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 13 août 2021 par le Juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de BORDEAUX ( RG : 19-003642) suivant déclaration d’appel du 06 octobre 2021

APPELANTS :

[X], [K], [Y] [N]

né le [Date naissance 3] 1970 à [Localité 8]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 10]

[B] [M] épouse [N]

née le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 7]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 10]

Représentés par Me Eric FOREST, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

[F] [W] épouse [Z]

née le [Date naissance 4] 1964 à [Localité 9] (47)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 2]

Représentée par Me David BAREA, avocat au barreau de BORDEAUX

INTERVENANTE :

S.A.S. FONCIA BORDEAUX agissant en la personne de son représentant légal domicilié en c ette qualité au siège social [Adresse 6]

Représentée par Me FOIX substituant Me Maxime GRAVELLIER de l’AARPI GRAVELLIER – LIEF – DE LAGAUSIE – RODRIGUES, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 février 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Sylvie HERAS DE PEDRO, conseiller, chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Roland POTEE, président,

Bérengère VALLEE, conseiller,

Sylvie HERAS DE PEDRO, conseiller,

Greffier lors des débats : Séléna

En présence de Bertrand MAUMONT, magistrat détaché en stage à la cour d’appel de Bordeaux 

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Suivant acte sous seing privé du 31 août 2016, Mme [F] [W]-[Z] a consenti un bail d’habitation à M. [X] [N] et Mme [B] [M] épouse [N] sur un logement sis [Adresse 5].

Le 5 février 2019 les locataires se sont vu signifier un congé pour vente prenant effet le 1er septembre 2019. Par ailleurs, le loyer n’étant pas régulièrement payé, un commandement de payer visant la clause résolutoire et faisant courir le délai de 2 mois leur a été délivré par acte d’huissier du 24 juin 2019, au titre d’un impayé d’un montant en principal de 8.284,32 euros.

Par courrier du 2 août 2019, M. et Mme [N] ont donné congé du logement à effet au 1er septembre 2019 et ont quitté les lieux loués.

Par acte d’huissier du 27 septembre 2019, Mme [W]-[Z] a assigné les époux [N] devant le tribunal d’instance de Bordeaux aux fins notamment de les voir condamner au paiement de la somme de 9 694,12 euros au titre d’un solde de loyers et charges.

Par jugement du 13 août 2021, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Bordeaux a :

– constaté que Mme [W]-[Z] justifie d’un intérêt et de la qualité à agir dans ses demandes émises à l’encontre des époux [N],

– déclaré en conséquence recevable son action vis-à-vis de ces derniers,

– condamné les époux [N] à payer à Mme [W]-[Z] la somme de 9 402,29 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 24 juin 2019, à hauteur de la somme de 8 284,32 euros, et à compter du 27 septembre 2019, pour le surplus,

– condamné Mme [W]-[Z] à verser aux époux [N] la somme de 4 050 euros à titre de dommages intérêts en réparation de leur préjudice de jouissance,

– débouté les parties de leurs demandes en paiement respectives sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– partagé les dépens de l’instance par moitié entre les parties, lesquels comprendront notamment le coût du commandement délivré le 24 juin 2019 par la bailleresse aux locataires, mais également celui du procès-verbal de constat d’huissier diligenté par les époux [N] du 6 août 2019,

– dit n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire du jugement.

Les époux [N] ont relevé appel de ce jugement par déclaration du 6 octobre 2021.

Par conclusions déposées le 26 janvier 2023, les époux [N] demandent à la cour de :

– réformer le jugement rendu le 13 août 2021 par le juge du contentieux et de la protection de Bordeaux et statuant de nouveau,

– juger que Mme [W]-[Z] n’a jamais été propriétaire de l’immeuble objet de son action en recouvrement de loyers, celle-ci n’en détenant que la nue-propriété, l’usufruit appartenant à [O] [W],

– juger que seul l’usufruitier qui n’est pas partie à la procédure avait qualité pour agir au titre du bail en recouvrement de loyers et charges,

– juger ensuite que l’immeuble objet de l’action en recouvrement de loyers, avait été vendu à un tiers non partie à la procédure au moment de la délivrance de son assignation et qu’aucune clause de l’acte de vente ne donne qualité à agir aux anciens propriétaires au titre des baux en cours,

– juger en conséquence que Mme [W]-[Z] ne justifie par de ses qualités et intérêt à agir, tout comme la société Foncia Bordeaux subrogée dans ses droits et déclarer de ce fait leurs demandes irrecevables en totalité,

Subsidiairement,

– juger que le logement était insalubre et ne permettait pas une jouissance normale et paisible des preneurs,

– juger qu’en vertu de l’article L. 521-2 du code de la construction et de l’habitation, les loyers cessaient d’être dus par les preneurs depuis janvier 2019, date de l’arrêté d’insalubrité de la mairie de [Localité 11],

– juger en conséquence que les époux [N] n’étaient redevables d’aucun arriéré de loyer et débouter Mme [W]-[Z] et la société Foncia Bordeaux, subrogée dans ses droits, de l’ensemble de leurs demandes,

En toute hypothèse,

– condamner Mme [W]-[Z] à payer aux époux [N] le montant des loyers qu’elle a perçus depuis septembre 2017, soit 10 800 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du très important préjudice qu’ils ont subi,

– débouter Mme [W]-[Z] et la société Foncia Bordeaux de leurs demandes,

– condamner solidairement Mme [W]-[Z] et la société Foncia Bordeaux au paiement d’une somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Par conclusions déposées le 27 janvier 2023, Mme [W]-[Z] demande à la cour de:

– rejeter toutes fins de non-recevoir soutenues à l’encontre de Mme [W]-[Z],

– confirmer le jugement dont appel en ce que les époux [N] ont été condamnés au paiement d’une somme de 9 402,29 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 24 juin 2019 sur celle de 8 284,32 euros, et à compter du 27 septembre 2019 pour le surplus,

– y ajoutant, dire que la société Foncia Bordeaux est subrogée à concurrence de 9 337,29 euros,

– dire que le complément de la dette locative en principal, intérêts ou accessoires sera alloué à Mme [W]-[Z], sur ce qui excède le montant subrogé,

– par voie d’appel incident, débouter les consorts [N] de toutes prétentions aux fins d’exonération de leurs obligations locatives ou de responsabilité du bailleur,

Subsidiairement, dans l’hypothèse où la cour admettrait une exonération partielle des locataires,

– en réduire substantiellement le taux retenu par le tribunal pour moitié,

– faire application des dispositions de l’article 1346-5 du code civil,

– juger dans cette hypothèse, une exception inhérente à la dette opposable à la société Foncia Bordeaux, en sa qualité de subrogé sur la période concernée par sa quittance,

– condamner in solidum les époux [N], aux dépens de première instance outre une indemnité de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à ce même titre,

– les condamner au titre de l’instance d’appel et in solidum, aux entiers dépens outre une indemnité de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions d’intervention volontaire du 3 février 2022, la société Foncia Bordeaux demande à la cour de :

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné les époux [N] au paiement de l’arriéré de loyers, charges locatives et indemnités d’occupation dus à la date du 3 septembre 2019 sauf à préciser que cette condamnation sera prononcée au bénéfice de la société Foncia Bordeaux et dans la limite de la somme de 9 337,29 euros représentant le montant de l’indemnité due au titre de la garantie des loyers impayés dont a bénéficié Mme [W]-[Z],

– débouter les époux [N] de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

– condamner les époux [N] à payer à la société Foncia Bordeaux la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre condamnation aux entiers dépens.

L’affaire a été fixée à l’audience rapporteur du 13 février 2023.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 30 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de l’action de Mme [W]-[Z]

Selon l’article 31 du code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

M. et Mme [N] soutiennent qu’en tant que nue-propriétaire du bien donné à bail, Mme [W]-[Z] ne disposait pas d’un droit de jouissance sur le bien démembré et n’avait donc ni le pouvoir de louer le bien et d’encaisser les loyers, ni qualité pour demander en justice le recouvrement des loyers impayés. Ils soutiennent qu’à supposer que Mme [W]-[Z] ait pu avoir qualité de bailleur, elle a perdu cette qualité en vendant le bien le 3 septembre 2019, soit antérieurement à l’assignation datée du 21 septembre 2019. Ils ajoutent qu’à cette date elle avait été désintéressée par la société Foncia, qui lui avait réglé les sommes dues au titre de l’assurance loyers impayés et qui s’était ainsi trouvée subrogée dans ses droits.

Mme [W]-[Z] réplique qu’elle a agi en qualité de bailleur, que le bail génère un rapport de droit personnel et non réel à l’égard du locataire et qu’il importe donc peu, à l’égard de ce dernier, qu’elle ne soit pas investie de toutes les prérogatives du propriétaire, dès lors qu’il n’est causé aucun trouble au locataire dans l’exercice de son droit d’occuper les lieux. Elle fait valoir que la maison a été vendue après la fin du bail, libre de toute occupation, que la créance de loyers n’a pas été transmise au nouveau propriétaire et qu’elle a conservé sa qualité de bailleur durant toute la durée d’exécution du contrat de bail. Enfin, elle soutient, en substance, que la somme subrogée ne couvre pas la totalité des loyers et qu’en tant que créancier subrogeant elle conserve sa qualité à agir pour le surplus.

La société Foncia fait valoir que la vente de l’immeuble est postérieure à l’extinction du bail et que le bail consenti par un non-propriétaire ou simple nu-propriétaire est valable et confère au bailleur qualité pour agir en recouvrement des loyers impayés dans la limite toutefois de la subrogation.

Premièrement, il est constant que Mme [W] [Z] a donné à bail un logement dont elle n’avait que la nue-propriété, son père en ayant conservé l’usufruit. Or, s’il peut être soutenu que la nue-propriété d’un bien ne confère pas à son titulaire le pouvoir de le donner à bail, de sorte que l’usufruitier pourrait se prévaloir de l’inopposabilité du bail conclu par le nu-propriétaire sans son accord, cette circonstance est indifférente dans les rapports entre le bailleur et le preneur à bail, en dehors du cas du droit de reprise du bien donné à bail, lequel s’apprécie compte tenu des droits sur la chose de celui qui souhaite l’exercer (Cass. Civ. 3ème, 26 janv. 2022, n° 20-20.223). En effet, par essence, un contrat de bail n’induit pas un transfert de droit réel au preneur et a seulement pour objet la mise à disposition d’une chose dont le bailleur est, de fait, en possession. Aussi résulte-t-il d’une jurisprudence bien établie que le bail de la chose d’autrui n’est pas nul et qu’il produit tous ses effets dans les rapports entre le bailleur et le preneur, tant que celui-ci en a la jouissance paisible (Cass. Civ. 3ème, 7 oct. 1998, n° 96-20.409 ; Cass. Civ. 3ème, 2 févr. 2010, n° 08-11.233 ; Cass. Civ. 3ème, 5 mai 2010, n° 08-19.922). A fortiori, le fait que l’usufruitier puisse revendiquer la qualité de bailleur, au regard des droits dont il dispose sur la chose et du contrat de bail conclu pour son compte par le nu-propriétaire, ne prive pas pour autant ce dernier de la qualité qu’il tient du contrat lui-même et qui lui confère qualité pour agir en recouvrement des loyers impayés, tant que l’usufruitier n’intervient pas à l’instance.

Deuxièmement, il est établi que les preneurs ont délivré un congé prenant effet au 1er septembre 2019 soit antérieurement au constat de la vente du bien objet du bail suivant acte notarié du 3 septembre 2019. Dès lors, le bail ayant pris fin avant que n’opère l’effet translatif de la vente, Mme [W]-[Z] n’a pas perdu, à l’égard des époux [N], sa qualité de bailleur et avec elle sa qualité à agir en recouvrement des loyers impayés au titre du contrat de bail qui les liait.

Troisièmement, il ressort de la quittance subrogative versée à son dossier par la société Foncia (pièce n° 12) que celle-ci se trouve subrogée dans les droits de Mme [W]-[Z], à hauteur d’une certaine somme, en raison des règlements dont elle a bénéficié en application de la garantie loyers impayés servie par la société Foncia. Cet élément, qui joue indéniablement dans la détermination de la créance dont peut aujourd’hui se prévaloir Mme [W]-[Z] à l’encontre des époux [N] n’a toutefois pas d’incidence sur sa qualité à agir puisque celle-ci n’est pas subordonnée à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action.

Pour ces motifs, et compte tenu de l’intérêt à agir du bailleur en cas de loyers impayés, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré l’action de Mme [W]-[Z] recevable.

Sur la recevabilité de l’action de la société Foncia

Aux termes de l’article 1346-4 du code civil, la subrogation transmet à son bénéficiaire, dans la limite de ce qu’il a payé, la créance et ses accessoires, à l’exception des droits exclusivement attachés à la personne du créancier.

En l’espèce, il est établi que la société Foncia a versé à la bailleresse une somme de 9 337, 29 euros correspondant aux loyers et charges impayés des locataires (pièce n° 12 du dossier de Foncia) en application de la clause ‘indemnisation loyers impayés’ contenu dans le mandat de gestion signé par Mme [W]-[Z] le 15 janvier 2016 (pièce n° 3 du dossier de M. [W]-[Z]).

Or, le paiement avec subrogation, s’il a pour effet d’éteindre la créance supposée à l’égard du créancier, la laisse subsister au profit du subrogé, qui dispose de toutes les actions qui appartenaient au créancier et qui se rattachaient à cette créance immédiatement avant le paiement. Il dispose à ce titre de la qualité pour agir en recouvrement des loyers à hauteur de la créance subrogée ainsi qu’un intérêt personnel à en poursuivre le paiement.

En conséquence, ajoutant au jugement déféré, la cour déclarera la société Foncia recevable en son action.

Sur les loyers et charges impayés

Selon l’article 7 a) de la loi du 6 juillet 1989 le locataire est tenu de payer le loyer et les charges récupérables aux termes convenus.

Sur l’exception d’inexécution

Aux termes de l’article L. 521-2, alinéa 2, du code de la construction et de l’habitation, pour les locaux visés par un arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité pris en application de l’article L. 511-11 ou de l’article L. 511-19, sauf dans le cas prévu au deuxième alinéa de l’article L. 1331-22 du code de la santé publique ou lorsque la mesure est prise à l’encontre de la personne qui a l’usage des locaux ou installations, le loyer en principal ou toute autre somme versée en contrepartie de l’occupation du logement cesse d’être dû à compter du premier jour du mois qui suit l’envoi de la notification de l’arrêté ou de son affichage à la mairie et sur la façade de l’immeuble, jusqu’au premier jour du mois qui suit l’envoi de la notification ou l’affichage de l’arrêté de mainlevée.

Les appelants font valoir, sur le fondement des dispositions précitées, qu’ils n’étaient plus redevables des loyers à compter du mois de janvier 2019, date de l’arrêté d’insalubrité de la mairie de [Localité 11]. Cependant, comme le relève à juste titre Mme [W]-[Z], ils ne versent à leur dossier qu’un courrier de la mairie de [Localité 11], daté du 22 janvier 2019, rédigé par le Service communal hygiène et santé qui ne fait que dresser un diagnostic d’hygiène au vu d’un certain nombre de désordres constatés dans le logement visité (pièce n° 4). Or, il n’est pas établi que ce diagnostic ait été suivi d’un arrêté d’insalubrité, de sorte que l’exception d’inexécution visée à l’article L. 521-2 du code de la construction et de l’habitation ne peut être valablement opposée par les locataires, d’autant plus que ces derniers sont défaillants depuis le mois d’octobre 2018 (décompte actualisé de créance locative – pièce n° 3 du dossier de la société Foncia), soit antérieurement à la visite du service d’hygiène.

Sur la subrogation dans les droits de Mme [W]-[Z]

Aux termes de l’article 1346-1 du code civil, la subrogation conventionnelle s’opère à l’initiative du créancier lorsque celui-ci, recevant son paiment d’une tierce personne, la subroge dans ses droits contre le débiteur.

L’article 1346-3 du même code précise que la subrogation ne peut nuire au créancier lorsqu’il n’a été payé qu’en partie ; en ce cas, il peut exercer ses droits, pour ce qui lui reste dû, par préférence à celui dont il n’a reçu qu’un paiement partiel.

En l’espèce, la clause ‘indemnisation loyers impayés’ du mandat de gestion prévoit qu”en cas de non-paiement des sommes dues par le locataire, le mandataire s’engage à payer au mandant lors de chaque compte rendu de gestion ou acompte mensuel s’il en bénéficie, du premier jour de l’impayé jusqu’au jour de la libération des lieux par le locataire ou de la remise des clefs par celui-ci : les loyers impayés, les charges et taxes y afférentes’. Or, le 11 septembre 2019, soit 4 jours seulement avant l’assignation des époux [N] devant le tribunal, Mme [W]-[Z] a signé une quittance subrogative au profit de la société Foncia (pièce n° 12), ce qui a eu pour effet de transmettre à cette dernière la créance de Mme [W]-[Z] contre les locataires, à hauteur du règlement reçu, soit 9 337, 29 euros, qualifié de ‘règlement définitif et global du sinistre résultant de la défaillance’ des locataires. Faisant droit à la demande de la société Foncia, la cour réformera le jugement et précisera que la condamnation est prononcée dans cette limite au bénéfice de la société Foncia.

Mme [W]-[Z] demande à ce que le complément de la dette locative en principal, intérêts ou accessoires lui soit alloué, sur ce qui excède le montant subrogé. Or, le surplus réclamé correspond à une somme de 65 euros (9402,29 – 9337, 29) qui, à l’examen du décompte produit par la société Foncia, correspond à une ‘provision taxe d’ordures ménagères 2019 ‘ dont il n’est pas établi que les locataires en soient redevables in fine en ce qu’il s’agit d’une provision.

Mme [W]-[Z] sera donc déboutée de sa demande à ce titre et le jugement sera réformé pour voir condamner les époux [N] à verser la somme de 9.337,29 euros à la société Foncia, subrogée dans les droits Mme [W]-[Z].

Sur la demande d’indemnisation au titre du préjudice de jouissance

Aux termes de l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989 le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé.

Ainsi, en vertu du décret n° 2002-120 du 30 janvier 2022 relatif aux caractéristiques du logement décent, le logement doit notamment satisfaire aux conditions suivantes :

‘1. Il assure le clos et le couvert. Le gros ‘uvre du logement et de ses accès est en bon état d’entretien et de solidité et protège les locaux contre les eaux de ruissellement et les remontées d’eau. Les menuiseries extérieures et la couverture avec ses raccords et accessoires assurent la protection contre les infiltrations d’eau dans l’habitation (…)

2. Il est protégé contre les infiltrations d’air parasites. Les portes et fenêtres du logement ainsi que les murs et parois de ce logement donnant sur l’extérieur ou des locaux non chauffés présentent une étanchéité à l’air suffisante. Les ouvertures des pièces donnant sur des locaux annexes non chauffés sont munies de portes ou de fenêtres (…)

5. Les réseaux et branchements d’électricité et de gaz et les équipements de chauffage et de production d’eau chaude sont conformes aux normes de sécurité définies par les lois et règlements et sont en bon état d’usage et de fonctionnement ;

6. Le logement permet une aération suffisante. Les dispositifs d’ouverture et les éventuels dispositifs de ventilation des logements sont en bon état et permettent un renouvellement de l’air et une évacuation de l’humidité adaptés aux besoins d’une occupation normale du logement et au fonctionnement des équipements ;’

A ce titre, il est précisé par la Cour de cassation que l’indemnisation du preneur pour les troubles de jouissance subis du fait du manquement par le bailleur à son obligation de délivrance d’un logement décent n’est pas subordonnée à une mise en demeure du bailleur (Cass. Civ. 3, 4 juin 2014, n° 13-12.314).

Les époux [N] font valoir que le logement était impropre à une habitation normale en raison de problèmes d’humidité et de la défectuosité des installations électrique et gaz.

Mme [W]-[Z] et la société Foncia contestent la réalité des désordres concernant l’électricité, estiment que la mise hors service de la chaudière est un choix des locataires et qu’il n’est pas établi que l’humidité constatée dans le logement soit imputable aux manquements de la bailleresse.

Pourtant, il ressort tout d’abord des pièces versées au débat par les appelants que le dysfonctionnement de l’installation électrique a été signalé à la société Foncia en juillet 2017, à la suite d’un sinistre lié à la foudre, que le 20 novembre de la même année la société Foncia considérait comme anormal que ce problème ne soit pas encore résolu (pièce n° 2), que dans son compte-rendu de visite du 3 janvier 2018 cette dernière relevait encore l’existence de dysfonctionnements électriques causés par la foudre dans l’entrée, le séjour, le garage et la chambre parentale (pièce n° 3), qu’enfin, dans son courrier du 22 janvier 2019, le service communal hygiène et santé faisait état d’une ‘installation électrique défectueuse’ (pièce n° 4). En réponse, il est produit une facture établie par ‘VMC – Elec’ le 21 novembre 2018 (pièce n° 5 du dossier de Foncia), d’un montant de 82,50 euros, correspondant au déplacement et au diagnostic d’un professionnel sollicité pour un problème de ‘perte électrique’. Cette seule facture, qui concerne l’installation électrique de la VMC ne permet pas d’établir qu’il a été remédié aux problèmes électriques rencontrés dans le logement entre juillet 2017 et janvier 2019.

En outre, les époux [N] affirment avoir passé l’hiver 2018/2019 sans chauffage central après la mise hors de service de la chaudière par Gaz de Bordeaux pour des raisons de sécurité. S’il n’est produit aucune pièce venant étayer ces allégations, il apparaît néanmoins que la chaudière date de 1987 (pièce n° 9) qu’un devis de ‘désembouage’ a été établi le 7 novembre 2017 (pièce n° 8), que le 21 novembre Mme [N] était dans l’attente d’une réponse à ce devis, et que la société Foncia, tout en admettant le caractère urgent des travaux à réaliser sur la partie chauffage, indiquait la nécessité d’établir un devis comparatif auprès d’une autre entreprise. Or, en contrepoint de ces éléments, la bailleresse ou son mandataire ne produisent aucun devis ni aucune facture postérieure à cette date permettant d’établir qu’il a été remédié aux difficultés avérées rencontrées sur la chaudière.

Enfin, il n’est pas contesté que le logement a connu d’importants problèmes d’humidité, lesquels ont été signalés par les locataires à la société Foncia dès le 16 novembre 2017 (pièce n° 2) et ressortent très nettement du compte rendu de visite du 3 janvier 2018 :

– Buanderie : ‘présence de fissures et d’humidité très importante avec présence de moisissures, champignons ..’. Il est précisé ‘selon l’avis de l’expert la présence de moisissures seraient dues (sic) à un défaut d’isolation de la façade créant un choc thermique et donc l’apparition de ces moisissures. Il s’avère nécessaire de faire réaliser un nouvel enduit avec isolation et reprise des fissures façades’.

– 1er étage, couloir n° 1 : ‘présence de gouttelettes sur le mur lui-même trempé quand il pleut, mais ne semblant pas être une infiltration par toiture mais plutôt une sorte de condensation. Problème général d’humidité de la maison’ ;

– chambre étage : ‘humidité et moisissures importantes et présence d’une fissure horizontale faisant le tour de plusieurs pièces (…) L’expert en bâtiment mandaté par les locataires préconise la reprise de l’enduit de la façade et reprise fissure, il s’agit selon lui de la raison principale à la présence d’humidité dans la maison. L’enduit de la façade étant très ancien, il ne fait plus office d’isolant entrainant des chocs thermiques et l’apparition de ponts thermiques’ ;

– chambre parentale : ‘présence d’une fissure horizontale (…) Cette fissure est bien visible de l’extérieur et est infiltrante (…) Présence d’humidité très importante’ ;

– couloir n° 2 et WC attenant : ‘présence humidité (généralité maison)’ ;

– chambre n° 3, 4 et 5 : ‘présence humidité comme en généralité provenant du défaut d’isolation extérieure de la maison’.

Il ressort de ces éléments que les problèmes d’humidité étaient connus de la société Foncia qui en avait identifié l’origine probable, à savoir notamment un défaut d’étanchéité à l’air causé par des fissures de la façade, et ne pouvaient être imputés à un quelconque défaut d’entretien des locataires. Partant de là, et dès lors que l’habitabilité du logement apparaissait gravement compromise, il appartenait à Mme [W]-[Z] de faire réaliser les travaux nécessaires pour remédier urgemment à ces difficultés. Or, il ressort du constat d’huissier réalisé à la demande des locataires (pièce n° 1) qu’à la date du 6 août 2019 le logement présentait d’importantes dégradations causées par l’humidité, avec présence de ‘salpêtre poreux noirâtre’ dans plusieurs pièces, et ce, en contact avec les installations électriques.

Au vu du défaut d’habitabilité des lieux loués, et étant donné qu’il n’appartient pas au locataire de quitter le logement si celui-ci ne satisfait pas aux exigences de décence, il y a lieu d’évaluer le préjudice des époux [N] à hauteur de 80% du montant des loyers perçus par la bailleresse entre septembre 2017 et septembre 2018 inclus, date à laquelle ils ont cessé, à tort, de régler les loyers. Le montant de l’indemnisation sera chiffré en conséquence à 8 640 euros (80 % de 10 800 euros).

Se prévalant d’une exception inhérente à la dette objet de la subrogation, Mme [W]-[Z] demande à voir appliquer l’article 1346-5 du code civil selon lequel ‘le débiteur peut opposer au créancier subrogé les exceptions inhérentes à la dette, telles que la nullité, l’exception d’inexécution, la résolution ou la compensation de dettes connexes’. Néanmoins, Mme [W]-[Z] ayant la qualité de créancier subrogeant, non celle de débiteur, il n’y a pas lieu de faire droit à sa demande. En effet, seul les locataires, condamnés à indemniser le créancier subrogé au titre des loyers impayés, auraient pu opposer à ce dernier la compensation de dettes connexes, ce qu’ils ne font pas. Mme [W]-[Z] sera donc personnellement condamnée à les indemniser.

Sur les autres demandes

M. et Mme [N] d’un côté et Mme [W]-[Z] de l’autre succombant partiellement en leurs demandes, ils seront condamnés aux dépens de l’instance d’appel, conformément à l’article 696 du code de procédure civile, sans qu’il y ait lieu de réformer le jugement s’agissant de la charge des dépens de première instance.

En outre, au vu des torts respectifs des parties, l’équité commande de les débouter de leurs demandes respectives fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement rendu le 13 août 2021 par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Bordeaux, sauf en ce qu’il a :

– condamné les époux [N] à payer à Mme [W]-[Z] la somme de 9 402,29euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 24 juin 2019, à hauteur de la somme de 8 284,32 euros, et à compter du 27 septembre 2019, pour le surplus,

– condamné Mme [W]-[Z] à verser aux époux [N] la somme de 4 050 euros à titre de dommages intérêts en réparation de leur préjudice de jouissance,

Statuant de nouveau, et dans cette limite,

– Déclare recevable l’action de la société Foncia,

– Condamne solidairement M. [X] [N] et Mme [B] [N] à payer à la société Foncia, subrogée dans les droits de Mme [W]-[Z], la somme de 9 337,29 euros au titre des loyers et charges impayés,

– Déboute Mme [W]-[Z] de sa demande de paiement complémentaire,

– Condamne Mme [W]-[Z] à verser à M. [X] [N] et Mme [B] [N] ensemble la somme de 8 640 euros, à titre de dommages et intérêts, en réparation de leur préjudice de jouissance,

Y ajoutant,

– laisse les dépens à la charge de chacune des parties

– Déboute les parties de leurs demandes en paiement respectives sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Séléna BONNET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

 


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