Your cart is currently empty!
N° RG 19/03885 – N° Portalis DBVX-V-B7D-MM22
Décision du
Tribunal de Grande Instance de LYON
Au fond
du 14 mai 2019
RG : 18/08124
ch1 cab 01 B
[P]
C/
[B]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 25 Avril 2023
APPELANTE :
Mme [D] [P]
née le [Date naissance 2] 1962
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Patrick LEVY, avocat au barreau de LYON, toque : 713
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 69123/2/2022/022382 du 19/01/2023 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de LYON)
INTIME :
M. [K] [B] assisté de son curateur M. [W] [T], mandataire judiciaire à la protection des majeurs
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Méléa USTÜN, avocat au barreau de LYON, toque : 2458
* * * * * *
Date de clôture de l’instruction : 15 Décembre 2022
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 09 Février 2023
Date de mise à disposition : 25 Avril 2023
Audience présidée par Bénédicte LECHARNY, magistrat rapporteur, sans opposition des parties dûment avisées, qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier.
Composition de la Cour lors du délibéré :
– Olivier GOURSAUD, président
– Stéphanie LEMOINE, conseiller
– Bénédicte LECHARNY, conseiller
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties présentes ou représentées en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Olivier GOURSAUD, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
EXPOSÉ DE L’AFFAIRE
Soutenant lui avoir prêté la somme totale de 16 000 euros selon reconnaissances de dette des 15 janvier et 17 juillet 2013, Mme [D] [P] a, par acte d’huissier de justice du 8 août 2018, fait assigner M. [K] [B] devant le tribunal de grande instance de Lyon en remboursement de la somme de 15 700 euros.
Le tribunal l’ayant, par jugement du 14 mai 2019, déboutée de l’intégralité de ses demandes, Mme [P] a relevé appel de la décision par déclaration du 5 juin 2019.
L’affaire a été fixée une première fois à l’audience collégiale du 31 mai 2021. A cette date, la cour a, par arrêt, révoqué l’ordonnance de clôture, enjoint à M. [B] de produire les relevés de comptes concomitants aux deux reconnaissances de dette et renvoyé l’affaire à la mise en état.
Par conclusions notifiées le 15 mars 2022, Mme [P] demande à la cour, au visa des articles 1902 du code civil, 16 du code de procédure civile et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, de :
– rejeter la fin de non-recevoir tirée d’une prétendue prescription,
Dans tous les cas,
– dire et juger que seules les échéances des mois de février à juillet 2013 seraient atteintes par la prescription,
– dire et juger que le jugement dont appel ne pouvait relever d’office le moyen selon lequel les deux reconnaissances de dette constituant le support de la demande n’étaient pas produites en original, sans l’inviter à présenter ses observations,
– réformer le jugement en toutes ses dispositions,
– condamner M. [B] au paiement de la somme de 15 700 euros, outre intérêts légaux à compter du 4 juin 2018,
– ordonner la capitalisation des intérêts légaux par année entière par application de l’article 1343-2 du code civil,
– condamner M. [B] au paiement de la somme de 2 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [B] aux entiers dépens, distraits au profit de Maître Patrick Levy, avocat.
Par conclusions notifiées le 13 juin 2022, M. [B], assisté de son curateur, demande à la cour, au visa des articles 9 et 122 du code de procédure civile, 2224, 2248, 1315 et 1326 anciens et 1359 du code civil, de :
In limine litis,
– déclarer irrecevable la demande de Mme [P] fondée sur la reconnaissance de dette du 15 janvier 2013, cette demande étant prescrite,
En tout etat de cause,
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement, Mme [P] ne rapportant pas la preuve de l’existence des reconnaissances de dettes dont elle se prévaut, pas davantage que celle de sa qualité de créancière, ni celle d’une créance liquide, certaine et exigible qu’elle détiendrait contre lui,
En conséquence,
– débouter Mme [P] de l’ensemble de ses prétentions, fins et conclusions contraires aux présentes,
Y ajoutant,
– condamner Mme [P] à lui verser la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Mme [P] aux entiers dépens, distraits au profit de Maître Méléa Üstün, avocat.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 5 décembre 2022.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1. Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription
M. [B] fait valoir qu’à supposer causée la reconnaissance de dette du 15 janvier 2013, le point de départ du délai de prescription de l’action en remboursement du prêteur doit en l’absence de terme, être fixé au 15 février 2013, date de la première échéance. Or, plus de cinq ans se sont écoulés entre cette date et le 8 août 2018, date de l’assignation. Il ajoute que le paiement du 5 juillet 2018 ne peut avoir interrompu le court de la prescription qui était acquise depuis le 15 février 2018. Il soutient en outre qu’il fait l’objet d’une mesure de protection judiciaire depuis le 16 août 2018, de sorte qu’il est légitime de s’interroger sur le caractère éclairé de son consentement au versement de la somme de 300 euros, le 5 juillet 2018, entre les mains de l’huissier de justice. Il en déduit que la demande en paiement de la somme de 12 000 euros au titre de la reconnaissance de dette du 15 janvier 2013 est prescrite.
Mme [P] réplique que le moyen tiré de la prescription ne peut prospérer dès lors que si la reconnaissance de dette stipule un remboursement par mensualités de 300 euros, elle ne précise pas de date d’exigibilité de la première échéance. Elle affirme que celle-ci ne saurait avoir été due dès le 15 février 2013 alors qu’elle s’est abstenue de toute demande de remboursement au cours des semaines suivantes, partageant encore une communauté de vie avec M. [B] jusqu’au mois d’août 2013. Elle ajoute qu’elle lui a consenti un nouveau prêt par acte du 17 juillet 2013 et a différé, pour cette seconde reconnaissance de dette, au mois d’octobre 2013 la date de la première échéance. Elle souligne que, dans tous les cas, le paiement effectué par M. [B] le 5 juillet 2018 a interrompu la prescription et qu’en toute hypothèse, seules les échéances des mois de février à juillet 2013 seraient susceptibles d’être prescrites, l’action en paiement ayant été diligentée par assignation du 8 août 2018.
Réponse de la cour
Aux termes de l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Et selon l’article 123, les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu’il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.
Enfin, en application de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
En l’espèce, Mme [P] verse aux débats l’original d’une reconnaissance de dette datée du 15 janvier 2013 aux termes de laquelle M. [B] « atteste et reconnaît sur l’honneur [lui] devoir la somme de douze mille euros (12.000 €) [et s’]engage à lui rembourser cette somme en raison de trois cents euros par mois ». Aucun terme n’est fixé pour le remboursement de la dette.
Or, lorsqu’un prêt a été consenti sans qu’ait été fixé un terme, le point de départ du délai de prescription quinquennal de l’action en remboursement se situe à la date d’exigibilité de l’obligation qui lui a donné naissance, laquelle doit être recherchée, en l’absence de terme exprès, suivant la commune intention des parties et les circonstances de l’engagement.
En l’espèce, il ressort des pièces versées aux débats que Mme [P] et M. [B] ont vécu en concubinage pendant plusieurs années et qu’ils vivaient ensemble en janvier 2013, date à laquelle Mme [P] soutient que la reconnaissance de dette a été signée. Par ailleurs, cette dernière verse aux débats une seconde reconnaissance de dette datée du 17 juillet 2013 par laquelle M. [B] « atteste et reconnaît sur l’honneur [lui] devoir la somme de quatre mille euros (4000 €) [et s’]engage à lui rembourser cette somme en raison de trois cents euros par mois, ce à partir d’octobre 2013 ».
Compte tenu de la communauté de vie existant entre les parties en janvier 2013 et de la signature d’une seconde reconnaissance de dette en juillet 2013 fixant la date de versement de la première mensualité au mois d’octobre 2013 (sans précision s’agissant du quantum), il y a lieu de considérer que la commune intention des parties était de fixer à ce même mois la première échéance mensuelle de remboursement du premier prêt. Il en résulte que le point de départ du délai de prescription quinquennal de l’action en remboursement se situe, pour chaque échéance mensuelle, au dernier jour du mois, et pour la première échéance au 31 octobre 2013.
L’assignation ayant été délivrée le 8 août 2018, soit avant l’expiration du délai de prescription quinquennal, l’action en remboursement n’est pas prescrite. Aussi convient-il de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par M. [B].
2. Sur le fond
Mme [P] reproche au premier juge d’avoir manqué au principe du contradictoire et violé les articles 16, alinéas 1 et 3, du code de procédure civile, ainsi que l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, en relevant d’office le moyen tiré d’un défaut de production en original des deux reconnaissances de dette sans l’inviter à s’expliquer sur ce point, ce qui lui aurait d’ailleurs permis de verser les originaux aux débats, ce qu’elle fait en cause d’appel. Elle ajoute qu’il est vain pour M. [B] de tenter d’échapper à la condamnation en faisant valoir qu’elle ne rapporterait pas la preuve de la remise des fonds, alors que la reconnaissance de dette fait présumer la remise des fonds et que cette présomption est irréfragable par application de l’article 1354 du code civil. Elle précise que les fonds ont été remis à M. [B] en espèces, que ce dernier était endetté et qu’après déduction du règlement de 300 euros effectué le 5 juillet 2018 entre les mains de l’huissier de justice, sa créance s’élève à la somme totale de 15 700 euros.
M. [B] conteste avoir reçu les sommes d’argent évoquées par Mme [P] et soutient que celle-ci est défaillante à prouver l’existence des reconnaissances de dettes, faute de production des originaux. Il soutient que les copies certifiées conformes à l’original par un huissier de justice n’ont pas d’autre valeur que celle d’un commencement de preuve. Il fait valoir qu’au cours de l’année 2013, il était titulaire de deux comptes bancaires (dont il verse l’ensemble des relevés de compte sur la période considérée) et qu’aucune somme de 12 000 ou de 4 000 euros n’apparaît au crédit de ces comptes, preuve qu’il n’a jamais reçu le moindre virement de la part de Mme [P], pas plus qu’il n’a déposé de chèques au nom de cette dernière. Il fait observer que si l’appelante prétend aujourd’hui que ces sommes lui ont été prêtées en espèces suite à des dons de ses parents, elle n’avait jamais fait état de cette information antérieurement, pas plus qu’elle ne démontre avoir disposé un jour de sommes en espèces.
Réponse de la cour
Aux termes de l’article 1326 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l’acte juridique par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible doit être constaté dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence, l’acte sous seing privé vaut pour la somme écrite en toutes lettres.
En application de ce texte et des articles 1131 et 1132 du même code, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance précitée, en matière de prêt consenti par un particulier, la reconnaissance de la dette fait présumer la remise des fonds, de sorte qu’il incombe à celui qui a signé l’acte de reconnaissance et qui prétend, pour en contester la cause, que la somme qu’il mentionne ne lui pas été remise, d’apporter la preuve de ses allégations.
En l’espèce, contrairement à ce que soutient M. [B], Mme [P] verse aux débats, en cause d’appel, deux reconnaissances de dette en original, lesquelles comportent une signature sous le nom « [K] [B] », ainsi que la mention manuscrite des sommes prêtées en toutes lettres et en chiffres. La cour observe, d’une part, que M. [B] ne conteste pas sa signature et ne soutient pas que ces écrits sont des faux, d’autre part, que la signature est identique à celle apposée par l’intimé sur son bail d’habitation. Aussi convient-il de considérer que ces reconnaissances de dette remplissent les conditions de l’article 1326.
La reconnaissance de la dette faisant présumer la remise des fonds, il appartient à M. [B] de rapporter la preuve contraire, ce qui ne peut se faire par la seule production de relevés de compte, alors que l’appelante soutient que les sommes prêtées ont été remises en espèces.
Au vu de ce qui précède, il y a lieu, par infirmation du jugement déféré, de condamner M. [B] à payer à Mme [P] la somme de 16 000 – 300 = 15 700 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 6 juin 2018, date de réception par l’intimé de la mise en demeure.
La cour ordonne, conformément à l’article 1154 ancien du code civil, la capitalisation des intérêts échus, dus au moins pour une année entière.
3. Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement est encore infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
M. [B], partie perdante, est condamné aux dépens de première instance et d’appel et à payer à Mme [P] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Maître Patrick Levy, avocat, qui en a fait la demande, est autorisé à recouvrer directement à l’encontre de M. [B] les dépens dont il aurait fait l’avance sans avoir reçu provision.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription,
Condamne M. [K] [B] à payer à Mme [D] [P] la somme de 15 700 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 6 juin 2018,
Ordonne la capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière,
Condamne M. [K] [B] à payer à Mme [D] [P] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Le condamne aux dépens de première instance et d’appel,
Autorise Maître Patrick Levy, avocat, à recouvrer directement à l’encontre de M. [K] [B] les dépens dont il aurait fait l’avance sans avoir reçu provision.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT